AVANT-PROPOS
Le rétrécissement aortique valvulaire de l’adulte: vers une épidémie?
DOSSIER
R. Roudaut
R. Roudaut Hôpital Cardiologique du Haut-Lévêque, Pessac.
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L
e rétrécissement aortique (RA) valvulaire de l’adulte représente la valvulopathie la plus fréquente dans les pays industrialisés, pathologie dégénérative d’une valve tricuspide chez le sujet âgé (généralement au-delà de 65-70 ans) ou d’une valve bicuspide (chez un patient souvent plus jeune). Sa prévalence est de l’ordre de 5 % après 65 ans [1]. Le vieillissement permanent de la population laisse entrevoir « l’explosion » de cette pathologie dans les décennies à venir. Pathologie d’aggravation lente, la « sclérose valvulaire » n’engendre un « rétrécissement aortique symptomatique » que lorsque la surface valvulaire devient inférieure à 1 cm2. Cette valvulopathie est très longtemps bien tolérée, l’apparition de symptômes représente un tournant évolutif qui doit conduire immédiatement à une chirurgie de remplacement valvulaire par prothèse biologique ou mécanique selon l’âge car à ce stade, le risque de mort subite augmente de façon très importante. La conduite à tenir face à un « RA serré asymptomatique » reste discutée car le risque spontané, en particulier de mort subite, est très faible, alors que le risque opératoire n’est jamais nul, même s’il est faible chez les patients de moins de 80 ans sans co-morbidité. Ces patients doivent donc bénéficier, outre des mesures hygiéno-diététiques, d’un suivi régulier faisant appel à l’écho-Doppler cardiaque, à l’épreuve d’effort, voire à l’échocardiographie d’effort. L’intérêt du dosage régulier du BNP reste à préciser, mais un BNP pathologique doit être interprété à sa juste valeur [2]. L’écho-Doppler transthoracique joue un rôle clé dans l’évaluation de la surface valvulaire aortique fonctionnelle et le gradient moyen
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transaortique, deux piliers du diagnostic de sévérité. Cependant, ces paramètres ont tous des limites d’utilisation et de calcul, si bien que les résultats obtenus doivent être discutés au cas par cas en cas de discordance. Le travail récent de J. Minners [3] souligne à partir d’une série de 2427 patients consécutifs présentant une sténose aortique avec surface < 2 cm2 et bonne fonction ventriculaire gauche, étudiée sur une période de 10 ans, qu’il existe des discordances dans l’évaluation de la sévérité par la surface fonctionnelle et par le gradient dans près d’1/3 des cas. Ces situations discordantes correspondent aux situations de « RA serré à faible gradient – faible volume d’éjection systolique ». Ce « syndrome » a également été bien étudié récemment par l’équipe de J.-G. Dumesnil [4], chez ces patients, le faible gradient est lié à un faible volume d’éjection systolique secondaire à un remodelage concentrique ventriculaire gauche dans un contexte d’élévation de l’impédance aortique. Enfin, le « RA en bas débit » est une situation beaucoup plus rare mais beaucoup mieux connue de nos jours, en particulier grâce aux travaux de J.-L. Monin [5]. Ceux-ci ont démontré l’intérêt de la stratification du risque par échocardiographie dobutamine. La conduite à tenir face à un RA a fait l’objet de recommandations européennes, françaises et américaines récentes largement diffusées [6, 7, 8]. Aucun traitement médical n’a été réellement validé à ce jour dans le RA dégénératif, même si les statines (proposées compte tenu des similitudes avec l’athérosclérose) et les IEC ont eu le vent en poupe. Le traitement est avant tout chirurgical avec un risque acceptable, en dehors du sujet très âgé et de co-morbidités.
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Si le risque opératoire est faible chez le patient en bon état général de moins de 80 ans (mortalité opératoire de 2 à 5 %), il ne faut jamais perdre de vue qu’au-delà de 80 ans, et a fortiori au-delà de 85 ans, que le risque augmente significativement (5 à 10 %), a fortiori s’il existe des co-morbidités ou des gestes associés (pontages…). Les différents facteurs de risque opératoire pour un individu donné sont pris en compte dans l’Euroscore qui doit être évalué pour chaque patient (www.euroscore.org). Quant au RA en bas débit, la mortalité opératoire peut atteindre 20 %. Chez les patients à risque opératoire très élevé, il faut souligner la place grandissante des « endoprothèses valvulaires aortiques » implantées soit par voie percutanée, soit par voie chirurgicale mini-invasive (thoracotomie latérale et insertion apicale de la prothèse) qui ouvrent de nouvelles perspectives pour une population à haut risque jusqu’à présent condamnée [9]. Dans ce dossier FMC consacré au RA valvulaire de l’adulte, vous trouverez deux mises au point partiques faites par nos meilleurs experts français : •l’une sur le dépistage et la surveillance médicale (Patrick Dehant, Bordeaux), •l’autre sur la sélection des patients à opérer (Christophe Tribouilloy, Amiens). Ce dossier est également constitué d’un cas clinique et de Q.C.M. d’évaluation.
Références 1.
Otto CM, Burwash IG, Legget ME, et al. Prospective study of asymptomatic valvular aortic stenosis. Clinical echocardiographic, and exercise predictors of outcome. Circulation 1997;95:2262-70.
2.
Rosenhek R, Binder T, Porenta G, et al. Predictors of outcome in severe, asymptomatic aortic stenosis. N Engl J Med 2000;343:611-7.
3.
Minners J, Allgeier M, Gohlke-Baerwolf C, et al. Inconsistencies of echocardiographic criteria for the grading of aortic valve stenosis. Eur Heart J 2008;29:1043-48.
4.
Hachicha Z, Dumesnil JG, Bogaty P, et al. Paradoxical low-flow, low-gradient severe aortic stenosis despite preserved ejection fraction is associated with higher afterload and reduced survival. Circulation 2007;115:2856-2864.
5.
Monin JL, Quéré JP, Monchi M, et al. Low-gradient aortic stenosis: operative risk stratification and predictors for long-term outcome: a multicenter study using dobutamine stress hemodynamics. Circulation 2003;108:31924.
6.
Vahanian A, Baumgartner H, Bax J, et al. Guidelines on the management of valvular heart disease. Eur Heart J 2007;28:230-68.
7.
Tribouilloy C, de Gevigney G, Acar C, et al. Recommandations de la Société française de Cardiologie concernant la prise encharge des valvulopathies acquises et des dysfonctions de prothèse valvulaire. Indications opératoires et interventionnelles. Arch Mal Cœur 2005; 98:5-61.
8.
Bonow RO, Carabello BA, Kanu C, et al. ACC/AHA 2006 guidelines for the management of patient with valvular heart disease : a report of the American College of Cardiology/American heart Association Task Force on Practice Guidelines (writing committee to revise the 1998 Guidelines for the management of patients with valvular heart disease) : developed in collaboration with the Society of Cardiovascular Anesthesiologists : endorsed by the Society for Cardiovascular Angiography and Interventions and the Society of Thoracic Surgeons. Circulation 2006;114:e84-231.
9.
Cribier A, Eltchaninoff H, Tron C, et al. Treatment of calcific aortic stenosis with the percutaneous heart valve : mid-term followup from the initial feasibility studies : the French experience; J Am Coll Cardiol 2006;47:1214-23.
Enfin, H. Eltchaninoff nous présente dans la rubrique innovations thérapeutiques les «perspectives thérapeutiques» dans le RA calcifié. Conflit d’intérêt : aucun.
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