Le syndrome douloureux régional complexe

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Chapitre 10 Le syndrome douloureux régional complexe Christophe Perruchoud Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC, Complex Regional Pain Syndr...

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Chapitre 10 Le syndrome douloureux régional complexe Christophe Perruchoud Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC, Complex Regional Pain Syndrome) est l’appellation actuelle d’une maladie connue précédemment sous différents noms (maladie de Sudeck, algoneurodystrophie, causalgie, dystrophie sympathique réflexe,  etc.). La première description de ce syndrome date probablement du xvi  siècle, lorsqu’Ambroise  Paré relate les douleurs chroniques et les contractures que le roi Charles  IX développe après une banale saignée. À la fin du xix  siècle, Silas  Mitchell, père de la neurologie américaine, constate chez les vétérans de la guerre de Sécession une incidence élevée de douleurs persistantes et disproportionnées par rapport à la sévérité de leurs blessures. Il propose le terme de causalgia, du grec kausis (feu) et algos (douleur). En 1900, Paul H. M. Sudeck observe les caractéristiques radiologiques de l’atrophie réflexe post-traumatique. En 1916, René Leriche incrimine le système nerveux sympathique et réalise des sympathectomies périartérielles. C’est en 1946 que le Dr James Evans proposa le terme de «  dystrophie sympathique réflexe  ». Dans un souci d’uniformité, l’International Association for the Study of Pain (IASP) introduisit en  1994 le terme de Complex Regional Pain Syndrome (CRPS) ou «  syndrome douloureux régional complexe  »  (SDRC), ainsi que ses critères diagnostiques. Ces derniers seront modifiés en  2003 puis validés en 2010 (critères de Budapest). Le SDRC est subdivisé en deux types : • Les lésions nerveuses périphériques font défaut dans le SDRC de type I (anciennement connu sous le nom de dystrophie sympathique réflexe, maladie de Sudeck, dystrophie sympathique Manuel pratique d'algologie © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

réflexe, algodystrophie, dystrophie neurovasculaire réflexe ou encore syndrome épaulemain). Il s’agit de la forme la plus courante. • Le SDRC de type  II, anciennement causalgie, implique une lésion nerveuse périphérique manifeste, et les douleurs sont plus importantes et plus difficiles à contrôler. Après l’introduction des critères de Budapest, environ 15 % des patients anciennement porteurs du diagnostic de SDRC n’entraient plus dans la classification de types  I et  II. Une troisième catégorie a été créée pour catégoriser ces patients « sans diagnostic », le SDRC-NOS, Not Otherwise Specified, « non spécifié autrement ») [1].

Épidémiologie Le SDRC est une pathologie peu fréquente dont l’incidence varie selon les critères diagnostiques utilisés (5-20/100 000). L’incidence est plus élevée dans la quatrième décade et chez les femmes selon un rapport allant de 2:1 à 4:1. Le membre supérieur est atteint deux fois plus souvent que le membre inférieur. L’incidence varie entre 4,5 % et 40 % après aponévrectomie de Dupuytren, entre 2 % et 5 % après une cure de tunnel carpien, entre 22 % et 39 % après une fracture du poignet [2]. Les incidences les plus élevées sont associées aux fractures intra-articulaires multifragmentaires du radius distal avec atteinte de la styloïde ulnaire, et aux fractures traitées par réduction fermée et plâtrée (par opposition à un embrochage percutané)  [3]. Un plâtre trop serré ou mal posé représente également un facteur de risque  [4].

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Le tabagisme est régulièrement associé au SDRC, la vasoconstriction et l’hyperactivité sympathique constituant des facteurs prédisposants. L’incidence du SDRC est de 12  % après un traumatisme cérébral [5], de 12 à 48 % après accident vasculaire cérébral avec hémiparésie séquellaire et de 5 % après un infarctus myocardique [6]. Dans 10 à 26 % des cas, aucun facteur déclenchant ne peut être mis en évidence  [7]. L’incidence de récidive du SDRC de type I est de 1,8 % par an, dont la moitié est spontanée  [8]. Sept pour cent des patients souffrant de SDRC d’un membre développent un SDRC dans un autre membre.

Physiopathologie Chez la majorité des patients atteints de SDRC, l’anamnèse révèle un événement déclenchant (traumatisme, chirurgie, ischémie, compression nerveuse). La raison pour laquelle seule une minorité de ces événements conduit à un SDRC reste toutefois inconnue. La diversité et l’hétérogénéité des symptômes ne peuvent être expliquées par un seul et unique mécanisme pathophysiologique, d’où le terme de syndrome « complexe ». Parmi les mécanismes possiblement impliqués, figurent [9] : • des altérations de l’innervation cutanée (faible densité des petites fibres C et Aα) ; • une sensibilisation centrale et périphérique médiée par certains neuropeptides, dont la substance P, la bradykinine ou le glutamate (via les récepteurs NMDA) ; • une dysfonction du système nerveux sympathique ; • un niveau de catécholamines circulant bas, une augmentation des cytokines locales et systémiques (TNF-α, interleukines-1, -2 et -6) ; • une diminution des cytokines anti-inflammatoires systémiques (interleukines-10) ; • une réorganisation corticale  (aire sensorielle S1) ; • des facteurs génétiques (incidence augmentée associée aux allèles HLA-DQ1, HLA-DQ8, HLA-DR13, HLA-A3, HLA-B7 et HLAb62) ;

• un mécanisme auto-immun contribuant au développement initial et au maintien de la sensibilisation centrale et périphérique.

Présentation clinique La douleur persistante est le symptôme cardinal du  SDRC. Elle est spontanée et/ou évoquée (allodynie mécanique ou thermique), fréquemment décrite comme lancinante, sous forme de brûlure, de coup de couteau, de serrement dans un étau, son intensité est disproportionnée par rapport à la lésion initiale. La douleur a une localisation régionale, ne correspondant ni à un dermatome ni à un territoire nerveux spécifique. Le processus inflammatoire joue aussi un rôle central dans le SDRC étant donné la présence des signes classiques d’œdème, de rougeur, d’hyperthermie et d’altération de la fonction dès les premiers stades du SDRC. En plus des douleurs, le SDRC est caractérisé par des atteintes sensorielles, motrices, trophiques, psychologiques et une dysautonomie (figure 10.1). Le SDRC est divisé en trois stades en fonction de l’évolution des symptômes [10]. Bien que cette chronologie ne soit pas systématique chez tous les patients, reconnaître le stade d’évolution permet d’optimiser la prise en charge (figure 10.2). • Stade I (stade inflammatoire, de 0 à 3 mois) : caractérisé essentiellement par les symptômes douloureux et les anomalies sensorielles (hyperalgésie, allodynie). Présence d’une dysfonction vasomotrice (tuméfaction extra-articulaire, chaleur, rougeur) et sudomotrice (peau sèche ou hyperhydrose). • Stade II (stade dystrophique, de 3 à 9 mois) : débute avec la réduction de l’hyperactivité sympathique. Caractérisé par l’augmentation de la douleur, une peau froide, cyanotique et moite, une fonte musculaire, un épaississement des ongles et une pilosité rugueuse. • Stade III (stade atrophique, de 9 à 18 mois) : caractérisé par une diminution des symptômes douloureux et sensoriels, une persistance de l’atteinte vasomotrice et une augmentation marquée des troubles trophiques et moteurs, incluant une peau fine et luisante, une hyper-



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Figure 10.1. Présentation clinique du SDRC.

Figure 10.2. SDRC des extrémités à différents stades. À gauche : SDRC du genou gauche au stade atrophique, avec présence d’un livedo reticularis (haut) ; SDRC de la main gauche au stade dystrophique : peau froide et moite (bas). À droite : SDRC de la main gauche au stade atrophique : peau fine et luisante (haut) ; SDRC du pied gauche au stade atrophique, avec présence d’un livedo reticularis (bas).

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kératose, une contracture articulaire, une ostéopénie. Certains auteurs distinguent le SDRC forme chaude et le SDRC forme froide. Le SDRC chaud reflète l’hyperactivité sympathique associant chaleur, rougeur et tuméfaction, alors que dans le SDRC froid, le membre atteint est froid, cyanosé, raide, et présente des troubles fonctionnels importants. L’évolution de la forme froide est généralement moins favorable. Les asymétries de température sont mesurées à l’aide d’un thermomètre à infrarouge (précision ±  0,1  °C). Une différence de 1  °C est considérée comme significative. Le syndrome épaule-main est un cas particulier du SDRC  : il se manifeste par une douleur et une raideur de l’épaule, associées à une tuméfaction douloureuse de la main ipsilatérale. Les caractéristiques habituelles du  SDRC sont également présentes. Cette atteinte fait généralement suite à un accident vasculaire cérébral, un traumatisme cérébral, un infarctus myocardique ou une lésion médullaire cervicale. L’apparition et la sévérité du syndrome épaule-main après un accident vasculaire cérébral semblent être liées à la gravité et à la récupération du déficit moteur, de la spasticité et des troubles sensoriels. Une héminégligence représente un risque

supplémentaire. La subluxation scapulohumérale constitue un autre facteur étiologique important. En effet, durant la phase initiale, le muscle supraépineux est flasque et le poids du bras peut conduire à la subluxation de la tête humérale dans la cavité glénoïde.

Diagnostic Le diagnostic est principalement clinique et repose l’anamnèse et l’examen clinique. Les premiers critères diagnostiques définis en 1994 par l’IASP avaient une sensibilité adéquate (0,98), mais leur faible spécificité (0,36) conduisait régulièrement à un surdiagnostic. L’IASP modifia donc ces critères en 2003 pour les rendre plus spécifiques (0,69) tout en maintenant une bonne sensibilité  (0,85). Ces critères diagnostiques modifiés, validés en  2010, sont connus sous le nom de «  critères de Budapest » (tableau 10.1). Les critères  1 et  4 doivent toujours être remplis. Le critère 4 (diagnostic d’exclusion) justifie la réalisation d’examens paracliniques (imagerie, par exemple) dans le processus diagnostique.

Tableau 10.1. Critères diagnostiques de Budapest (IASP, 2010). 1. Douleur persistante et disproportionnée par rapport à l’événement initial 2. Au minimum un symptôme dans trois des quatre catégories suivantes : a. Sensoriel : symptômes évocateurs d’une hyperalgésie, hyperpathie ou allodynie b. Vasomoteur : description d’une asymétrie de couleur ou de température ou un changement de couleur c. Sudomoteur : description d’un œdème ou d’une asymétrie de sudation d. Moteur/trophique : description d’une raideur ou de troubles moteurs (faiblesse, trémor, dystonie) ou d’un changement trophique (pilosité, ongle, peau) 3. Au minimum un signe dans deux des quatre catégories suivantes : a. Sensoriel : confirmation d’une hyperalgésie, hyperpathie ou allodynie b. Vasomoteur : confirmation d’une asymétrie de couleur ou de température ou un changement de couleur c. Sudomoteur : confirmation d’un œdème ou d’une asymétrie de sudation d. Moteur/trophique : confirmation d’une raideur ou de troubles moteurs (faiblesse, trémor, dystonie) ou d’un changement trophique (pilosité, ongle, peau) 4. Il n’existe pas d’autre diagnostic qui explique de façon plus convaincante les symptômes et les signes cliniques



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Figure 10.3. Radiographie de la main : présence d’une ostéopénie périarticulaire au niveau des articulations métacarpophalangiennes de la main gauche.

Investigations Radiographie standard Les signes radiologiques du SDRC sont tardifs, inconstants et peu spécifiques. Apparaissant le plus souvent sous la forme d’une déminéralisation, ils consistent en une ostéoporose ou une ostéopénie périarticulaire, située principalement au niveau métaphysaire, une résorption osseuse sous-périostée, une résorption osseuse intracorticale conduisant à une striation corticale, une résorption osseuse endostéale à l’intérieur de la diaphyse élargissant le canal médullaire, une érosion sous-chondrale et juxtaarticulaire entraînant des érosions périarticulaires et des lacunes intra-articulaires dans l’os sous-chondral (figure 10.3).

Scintigraphie La scintigraphie osseuse est une technique d’imagerie de médecine nucléaire permettant de visualiser tout ou partie du squelette en un seul examen  (figure  10.4). Grâce à l’injection d’un

traceur radioactif se fixant sur l’os (ostétrope), les zones hypercaptantes (fracture, tumeur, inflammation, infection) ou hypocaptantes (nécrose, métastase lytique) peuvent être identifiées au moyen d’une gamma-caméra. L’acquisition des images se déroule en trois phases : • phase dynamique  : au moment de l’injection, appréciation de la perfusion vasculaire ; • phase précoce  : dans les 3  minutes suivant l’injection, évaluation de l’imprégnation tissulaire ; • phase tardive  : 2 à 3  heures après l’injection, évaluation de la captation osseuse. Les observations scintigraphiques du membre atteint de SDRC dépendent du stade d’évolution de la maladie [11] : • stade inflammatoire  : perfusion asymétrique en phase dynamique, hypercaptation en phase tardive ; • stade dystrophique : perfusion normale et persistance de l’hypercaptation en phase tardive ; • stade atrophique  : hypoperfusion vasculaire et normalisation de l’hypercaptation en phase tardive. En raison de la tendance naturelle de l’os à retrouver un aspect normal, une scintigraphie

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Figure 10.4. Scintigraphie d’un patient présentant un SDRC des deux mains (hypercaptation en phase tardive).

négative n’exclut pas un  SDRC (surtout lors d’évolution longue). Une récente méta-analyse démontre également la mauvaise concordance entre une scintigraphie osseuse positive et la présence ou l’absence d’un SDRC [12]. De ce fait, la scintigraphie osseuse permet surtout d’exclure d’autres pathologies (arthrose, tumeur, fracture ou maladie métabolique).

Imagerie par résonance magnétique L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est utile en phase aiguë du  SDRC où un épaississement cutané, un œdème périarticulaire et des tissus mous (rehaussement de contraste au niveau des fascias superficiels), ainsi qu’un œdème diffus de la moelle osseuse localisé au niveau de l’articulation atteinte sont mis en évidence avec une haute sensibilité et malheureusement une faible spécificité (nombreux faux positifs  !). Dans le stade dystrophique, l’IRM est peu contributive, seul un amincissement cutané est parfois visible. Durant le stade atrophique, l’atrophie musculaire est la principale caractéristique retrouvée à l’IRM. Tout comme la scintigraphie osseuse, l’IRM joue surtout un rôle dans le diagnostic différentiel.

Thermographie à infrarouge La thermographie à infrarouge est une technique permettant d’obtenir une image thermique du corps et de détecter des différences de température entre deux régions. Pour minimiser les influences de facteurs externes, la consommation de nicotine, de caféine et l’ingestion de médicaments vasoactifs sont interrompues quelques jours avant l’examen. Les images infrarouges sont réalisées au niveau du membre sain et du membre atteint, ainsi qu’à d’autres endroits du corps (visage, abdomen ou dos) à titre de référence. Une fois les images de repos obtenues, on pratique des tests fonctionnels pour évaluer le réflexe de vasoconstriction au froid en plongeant le membre sain dans de l’eau à 20 °C pendant 5  minutes. Si le système nerveux autonome fonctionne correctement, le membre atteint refroidit également. À l’inverse, le réchauffement du membre atteint signe une dysautonomie.

Test à la sueur Lorsqu’on suspecte l’implication du système végétatif, on peut vérifier la présence d’une lésion en effectuant un test à la ninhydrine. Lors de ce test, simple d’utilisation, la sueur est collectée sur un papier puis colorée.



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Quantitative sensory testing Le Quantitative sensory testing (QST) évalue la fonction des petites fibres nerveuses en mesurant le seuil de perception à différents stimuli sensoriels (toucher, pression, douleur, température, vibration). Ce test permet notamment d’objectiver une hyperalgésie ou une allodynie thermique lors de diminution du seuil douloureux à la chaleur. Ce test, long à réaliser, est utilisé davantage à des fins de recherche qu’en pratique clinique.

Prévention Le traitement du traumatisme chirurgical, la surveillance régulière du plâtre et autres contentions, une bonne position du membre lésé, une rééducation douce et précoce, le contrôle des perturbations circulatoires secondaires et une prise en charge optimale de la douleur constituent la prévention primaire du SDRC. Plusieurs études démontrent l’efficacité de l’administration de hautes doses de vitamine  C (>  500  mg/j pendant  45 à 50  jours après le traumatisme) dans la prévention d’un  SDRC après une fracture du poignet ou de la cheville.

Bien que non élucidé, le mécanisme d’action semble lié aux propriétés antioxydantes de l’acide ascorbique. Une étude comparant quatre prises en charge anesthésiques différentes de l’aponévrotomie percutanée de Dupuytren a montré que l’incidence de SDRC est significativement réduite lors d’anesthésie par bloc axillaire ou anesthésie intraveineuse (AVR) à la lidocaïne et clonidine [13]. La prévention du syndrome épaule-main après  AVC inclut l’immobilisation de l’épaule plégique au moyen de dispositifs de soutien (écharpe ou orthèse) pour limiter le risque de subluxation.

Traitement Le traitement du SDRC a pour objectifs de contrôler les douleurs et de restaurer la fonction du membre atteint. Un traitement précoce (avant 6  mois) a un meilleur pronostic. Malheureusement, le temps moyen entre le début des symptômes et une consultation dans un centre spécialisé est généralement supérieur à 2 ans. Une approche interdisciplinaire permet d’obtenir de meilleurs résultats (figure 10.5).

Figure 10.5. Algorithme de traitement selon la présentation du SDRC.

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Physiothérapie et ergothérapie La physiothérapie constitue un des piliers thérapeutiques du  SDRC  [14]. Les objectifs de la rééducation sont multiples  : maintien d’une mobilisation volontaire, permettant la conservation des amplitudes articulaires et de la trophicité musculaire, réduction de l’œdème et maintien d’une capacité fonctionnelle. Elle doit idéalement commencer le plus tôt possible. Un traitement antalgique efficace est souvent nécessaire pour que la rééducation puisse être effectuée dans de bonnes conditions. Si le traitement médicamenteux est insuffisant, il faut recourir aux techniques interventionnelles. En cas de troubles sensoriels (allodynie ou hyperalgésie), il est recommandé de commencer un traitement d’ergothérapie de rééducation sensitive. La thérapie du miroir est une technique facile à appliquer et peu coûteuse. On peut opter pour du matériel conçu spécifiquement (www.reflexpainmanagement.com) ou pour un simple miroir placé verticalement et un dispositif masquant le membre atteint. Le patient effectue une série de mouvements simples avec son membre sain (ouverture et fermeture de la main, flexion-extension du poignet, par exemple) et se concentre sur l’image réfléchie en imaginant que les mouvements sont effectués par le membre atteint. Les exercices ne doivent pas excéder 5  minutes et sont répétés  5 à 6  fois par jour. L’objectif est de diminuer la kinésiophobie par l’interruption de la relation entre le mouvement d’un membre et la douleur provoquée par ce même mouvement. En effet, le retour visuel congruent, bien qu’illusoire, l’emporte sur les informations proprioceptives et douloureuses. La transmission d’influx pertinents est ainsi rétablie entre le cortex pariétal postérieur et le cortex prémoteur, ce qui limite les phénomènes douloureux et permet de récupérer, à terme, une représentation corticale normale du membre atteint. Les résultats publiés dans la littérature sont encourageants. Le succès de la thérapie semble corrélé avec la durée d’évolution du  SDRC, les meilleurs résultats étant obtenus lorsque cette technique est appliquée précocement, à l’exception peut-être du syndrome

épaule-main post-AVC où la thérapie du miroir paraît également efficace au cours des stades plus avancés. Toutefois, il n’existe actuellement pas de consensus quant aux modalités d’application de cette technique en raison de l’absence de randomisation et de groupe contrôle dans la plupart des travaux [15-17]. Le programme d’imagerie motrice (ou Graded Motor Imagery) développé par Moseley a obtenu de bons résultats dans des cas de  SDRC d’évolution supérieure à 6 mois [18]. Cette thérapie se déroule en trois étapes, les deux premières utilisant l’imagerie motrice et la dernière la thérapie du miroir. Plusieurs études utilisant ce protocole rapportent des résultats positifs sur la douleur, l’œdème et la fonction du membre atteint, avec un effet persistant 6  mois après la thérapie. Le protocole comporte trois périodes de 2  semaines chacune. Durant les deux premières semaines, les sujets sont soumis à des exercices de reconnaissance de latéralité de membre à partir de photographies placées dans des positions différentes. Le patient doit reconnaître le plus rapidement possible s’il s’agit du membre droit ou gauche. Au cours des 2 semaines suivantes, le patient doit s’imaginer effectuer le mouvement représenté sur la photographie, en insistant cette fois-ci sur la qualité et non sur la rapidité du geste. La thérapie du miroir intervient dans le courant des 2 dernières semaines. La thérapie physique avec exposition à la douleur (Pain exposure Physical Therapy) est un concept aux antipodes de la rééducation sensitive. Le patient, directement exposé aux stimulations douloureuses, est encouragé à retrouver une activité quotidienne normale aussi rapidement que possible, sans l’aide de médicaments et en se forçant à ignorer la douleur. Il lui est expliqué que la douleur chronique ne constitue pas un signal d’alarme et qu’elle ne le protège d’aucune lésion potentielle. Au fur et à mesure du traitement, l’amélioration fonctionnelle s’accompagne d’une diminution des douleurs. Cette thérapie a été jugée dans plusieurs études rétrospectives et prospectives comme sûre et efficace. Une seule étude randomisée en double aveugle comparant la thérapie physique avec exposition à la douleur à la physiothérapie



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conventionnelle est disponible dans le cadre du SDRC de type I. L’amélioration dans le premier groupe a été observée après cinq séances seulement. Toutefois, l’efficacité était comparable dans les deux groupes [19].

Traitement psychologique La douleur prolongée a, par définition, toujours un retentissement psychologique. Un traitement psychologique constitue un soutien pour le patient souffrant de  SDRC, d’autant plus que l’entourage et la famille (et parfois les médecins) peuvent considérer, à tort, que le patient se plaint

de façon exagérée. L’éducation thérapeutique permet également de rassurer le patient et son entourage. La grande fréquence de comportements inappropriés justifie l’utilisation des thérapies cognitivocomportementales dans la prise en charge thérapeutique. Les techniques utilisées sont en général la relaxation, le biofeedback et l’hypnose. L’efficacité de ces thérapies est bien établie dans le SDRC [20].

Traitements médicamenteux Le choix du traitement dépend de l’intensité des douleurs et de la présentation du SDRC (figure 10.6).

Figure 10.6. Résumé de l’efficacité des traitements pharmacologiques dans le SDRC. D’après Wertli et al. [33].

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Lors de la phase aiguë, en présence de signes inflammatoires prédominants, les anti-inflammatoires non stéroïdiens  (AINS) traditionnels ou  COX-2 sélectifs peuvent s’avérer utiles. Les corticoïdes sont potentiellement efficaces dans la phase aiguë, même s’il n’existe pas de consensus à propos des doses et de la durée du traitement  [21]. Plusieurs schémas sont décrits  : prednisone  0,5 à 1  mg/kg per os avec diminution progressive sur 3 mois ; méthylprednisolone 80 mg intramusculaire tous les 15 jours pendant 2  mois (quatre injections au total). Les traitements systémiques au long cours sont déconseillés en raison des effets secondaires. Dans le syndrome épaule-main après un accident vasculaire cérébral, une étude a démontré la supériorité de la prednisone (40 mg/j pendant 2 semaines suivi d’une diminution progressive de 10  mg/semaine) par rapport au piroxicam (AINS) en ce qui concernait l’amélioration des douleurs et de l’amplitude des mouvements de l’épaule, ainsi que la diminution de l’œdème [22]. L’efficacité des capteurs de radicaux libres ou antioxydants, comme le diméthy­ lsulfoxyde  (DMSO) 50  % ou le N-acétylcystéine  (NAC) a été prouvée dans une étude randomisée incluant 146  patients traités soit par DMSO  50  % en application topique 5  fois par jour, soit par NAC 600 mg 3 fois par jour per os pendant 17  semaines. Le DMSO  50  % semblait être plus efficace dans les cas de SDRC-I chaud, le NAC en cas de SDRC-I froid [23]. L’administration d’anti-TNF alpha semble bénéfique selon plusieurs petites séries de cas [24]. Lorsque le SDRC s’accompagne de douleurs à composante neuropathique (allodynie, hyperalgésie ou hyperpathie), un traitement antiépileptique et/ou antidépresseur est souvent prescrit. Il n’existe pourtant aucune évidence de l’efficacité de la prégabaline, des antidépresseurs tricycliques ou inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et noradrénaline  (SNRI) en cas de SDRC  [25]. La gabapentine, administrée précocement (dans les 2  premiers mois), à des doses entre  600 et 1  800  mg par jour, peut apporter une diminution modérée des douleurs et possiblement de l’allodynie et de l’hyperalgésie dans le  SDRC de type  I  [26].

L’efficacité de la prégabaline est pratiquement identique à celle de la gabapentine et elle est souvent mieux tolérée. La prégabaline représente une alternative acceptable même en l’absence de preuve. Une étude randomisée chez des patients souffrant de  SDRC de type  I conclut que la prise de 600  mg/j de carbamazépine pendant 8  jours diminue considérablement les douleurs par rapport au placebo [27]. L’efficacité des opiacés a été largement documentée en cas de douleurs neuropathiques en général, mais jamais spécifiquement dans le SDRC. La prescription d’opiacés est néanmoins raisonnable comme traitement de  2e ou 3e  ligne des douleurs modérées à sévères dues au SRDC. Le tramadol et la méthadone sont les opiacés de choix pour leurs effets additionnels respectivement SNRI et anti-NMDA. Les antagonistes des récepteurs NMDA (kétamine, amantadine ou dextrométhorphane) ont été étudiés spécifiquement dans le  SDRC. Leurs effets toxiques aux doses efficaces limitent considérablement leur utilisation. L’efficacité de la kétamine intraveineuse à dose subanesthésique (10 à 50  mg/h) a été évaluée chez 33  patients présentant un  SDRC de type  I ou  II. Douze patients ont récidivé et bénéficié d’une deuxième perfusion, trois patients ont reçu une troisième perfusion. La durée moyenne de l’effet antalgique était de 9,4 mois [28]. Les biphosphonates sont de puissants inhibiteurs de la résorption osseuse et sont captés par le squelette au niveau des sites de remodelage actif. Les indications principales sont l’ostéoporose, les maladies métaboliques (maladie de Paget, par exemple) et les métastases osseuses douloureuses. Les bisphosphonates agissent par réduction de l’activité ostéoclatique, mais dans le cas du SDRC, le mode d’action est probablement plus complexe (réduction de la production d’acide lactique, inhibition des macrophages et de la prolifération des monocytes, diminution du Nerve Growth Factor et différentes cytokines, prévention de l’apoptose des ostéoblastes et ostéoclastes)  [29]. Plusieurs études de bonne qualité démontrant le bénéfice des bisphosphonates (alendronate, clodronate, pamidronate ou neridronate) dans le  SDRC ont été publiées ces dernières années.



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Le nombre nécessaire de patients à traiter  (NNT) pour obtenir une diminution d’au moins 50  % des douleurs est de  2,0 avec le clodronate (40 mg per os pendant 2 à 4 mois) [30] et de 2,4 avec le neridronate (100 mg IV, quatre doses espacées de 3  jours chacune)  [31]. Généralement bien tolérés, les bisphosphonates n’ont que peu d’effets secondaires  : intolérance gastro-intestinale avec clodronate per os et douleurs musculaires lors d’administration intraveineuse de neridronate. L’efficacité des bisphosphonates peut être évaluée par une scintigraphie au Technetium 99m. Un examen bisphosphonate-positif indique une meilleure captation et accumulation du médicament. La calcitonine est une hormone secrétée par les cellules parafolliculaires de la thyroïde. Elle inhibe la résorption osseuse et régule la calcémie et la phosphatémie. Son mécanisme d’action dans le SDRC reste incertain et implique possiblement des mécanismes sérotoninergiques ou catécholaminergiques, des influx de Ca2+, une inhibition des cyclo-oxygénases et une action sur les récepteurs aux opiacés. En clinique, la calcitonine de saumon est disponible en spray nasal. Les effets secondaires les plus fréquents sont une rhinite, une épistaxis et des arthralgies. L’efficacité de la calcitonine dans le SDRC est controversée : une méta-analyse effectuée en  2001 a conclu à son efficacité lors d’application intranasale à raison de 100-200  U par jour  [32]  ; d’autres études ont abouti à des conclusions opposées. Toutefois, dans une métaanalyse récente, les biphosphonates apparaissent comme le traitement de choix dans les formes évoluant depuis moins d’une année alors que la calcitonine est plus efficace dans les formes chronique de plus d’une année [33]. En raison d’une association avec une incidence augmentée de néoplasies, l’administration de calcitonine devrait être limitée à 6 semaines [34]. La dystonie, les myoclonies et les spasmes musculaires sont traités par baclofène (oral, intrathécal), diazépam, clonazépam ou toxine botulique  A. Dans les formes froides du  SDCR, un traitement vasodilatateur à base d’anticalcique (nifédipine 20 mg/j) ou d’antagoniste alpha-adrénergique (phénoxybenzamine jusqu’à 120 mg/j) peut s’avérer efficace [35].

Blocs et anesthésie régionale L’anesthésie intraveineuse (AVR) avec de la lidocaïne et des stéroïdes a été étudiée dans le SDRC avec des résultats inconstants [36]. Le bloc sympathique (lombaire ou du ganglion stellaire) a longtemps été considéré comme le gold standard dans le traitement du SDRC. Seule une minorité d’études est de bonne qualité (randomisation et contrôle par placebo). La brève durée de l’effet antalgique et de la réduction des symptômes vasomoteurs devrait être mise à profit pour améliorer la mobilisation et la rééducation  [37]. Des blocs sympathiques répétés chez des patients sélectionnés peuvent contribuer à une meilleure participation à un programme de physiothérapie. L’administration continue d’anesthésique local, de clonidine ou d’opiacé par cathéter épidural a été évaluée dans le  SRDC. La clonidine s’est révélée efficace dans une étude randomisée [38], de même que l’administration de baclofène, clonidine, bupivacaïne, morphine ou ziconotide par pompe intrathécale dans plusieurs séries de cas.

Neuromodulation L’application d’un TENS (Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation) est limitée par la présence d’une allodynie ou d’une hyperalgésie. Une étude randomisée contrôlée chez 36 patients souffrant de SDRC réfractaire au traitement conventionnel a conclu que l’adjonction de la stimulation médullaire à la physiothérapie diminue de manière significative (statistique et clinique) la sévérité des symptômes [39]. L’effet est maintenu pendant 2 ans. Une revue systématique de la littérature portant sur 25 travaux (plus de 500 cas) suggère que la stimulation médullaire diminue les douleurs d’au moins 50  % chez des patients soigneusement sélectionnés [40]. Il s’agit certes d’une technique coûteuse présentant certains risques (infection, migration d’électrode), mais elle est considérée actuellement comme une option thérapeutique bénéficiant d’une bonne validité d’efficience clinique. La stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) à haute fréquence a été décrite

116

Syndromes douloureux chroniques

chez 23 patients avec un SRDC type I du membre supérieur. Les effets positifs obtenus sur la diminution des douleurs pendant la période de stimulation (10  sessions) offre des perspectives intéressantes pour les atteintes réfractaires [41].

Chirurgie L’efficacité de la sympathectomie chirurgicale a été étudiée dans une revue systématique  [42], portant sur l’analyse rétrospective de cohortes incluant de  7 à 73  personnes. Toutes les études rapportent une nette réduction de la douleur après la sympathectomie, avec toutefois une perte d’efficacité au fil du temps. Les études à long terme montrent que les chances de succès sont plus grandes si le traitement est réalisé précocement (< 1 année) après le traumatisme initial. Une amputation est parfois proposée pour améliorer la qualité de vie de patients atteints de  SDRC qui présentent des complications sérieuses, surinfection ou handicap fonctionnel important. Deux études rétrospectives ont évalué les résultats de l’amputation  : dans la première [43], parmi les sept patients amputés, trois se disaient satisfaits et quatre insatisfaits ou indécis. Dans la seconde étude  [44], sur les 28  patients amputés, seuls deux patients ne ressentaient plus de douleur. Une amélioration fonctionnelle était obtenue chez neuf patients. L’amputation d’un membre atteint de SDRC doit rester une solution exceptionnelle et de dernier recours, après échec de toutes les autres options thérapeutiques. Références 1. Wilson PR, Stanton-Hicks M, Harden RN. CRPS. Current Diagnosis and Therapy. Progress in Pain Research and Management Series, Vol. 32. Seattle, WA: IASP Press; 2005. 2. Li Z, Smith BP, Tuohy C, Smith TL, Andrew Koman L. Complex regional pain syndrome after hand surgery. Hand Clin. 2010;26:281–9. 3. Zyluk A. Complex regional pain syndrome type I. Risk factors, prevention and risk of recurrence. J Hand Surg Br. 2004;29:334–7. 4. Collins E. Complex regional pain syndrome. In: Trumble T, Budoff J, Cornwall R, editors. Hand, elbow, and shoulder: Core knowledge in orthopedics. Philadelphia: Mosby Elsevier; 2006. p. 255–9.

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Chapitre 10. Le syndrome douloureux régional complexe 117

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