Table ronde
Douleurs musculo-squelettiques de l’enfant : comment aborder le diagnostic ?
L’écoute de la plainte et l’abord global en unité douleur B. Tourniaire Unité douleur, AP-HP, hôpital d’enfants Armand-Trousseau, Paris
I
l est difficile de se repérer dans la littérature sur les douleurs musculo-squelettiques diffuses du fait de l’absence de définition précise. Devant ces plaintes, les premières étapes concernent le plus souvent uniquement la recherche d’une pathologie organique, articulaire, musculaire, ligamentaire ou osseuse : consultations auprès du médecin référent, examens complémentaires, consultation auprès de kinésithérapeutes ou ostéopathes, avis orthopédique et rhumatologique. Une pathologie « organique » éliminée, le soulagement de la famille et de l’enfant est souvent de courte durée. De nouvelles questions surviendront : à quoi est-ce dû ? Que faire ? Dans ce contexte une « consultation douleur » est parfois proposée.
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1. Le déroulement de la consultation douleur dans le cadre de ces douleurs diffuses 1.1. La première étape La première étape consistera à faire raconter à l’enfant ou l’adolescent son parcours. Presque toujours la description spontanée sera précise, le discours « médicalisé ». Il est important de leur faire préciser ce qui leur a été dit jusqu’alors, ce qu’ils en pensent et ce qu’ils attendent de la consultation douleur. Rarement un élément apparaît, suggérant une pathologie organique non évoquée auparavant, un bilan assez exhaustif ayant presque toujours été déjà réalisé.
1.2. « Raconte-moi l’histoire » Pour sortir de ce vocabulaire trop médicalisé et éclairer leur histoire d’un œil nouveau il est très intéressant de proposer plutôt de raconter « ce qui leur arrive » : « ce qui s’est passé… comment « cela » s’est installé… en quelle classe ils étaient, comment était cette classe à ce moment-là, sa famille… Ces questions, posées progressivement en « accompagnant » l’histoire, sur le mode d’une discussion ouverte, en étant attentif aux émotions qui s’y rapportent, aux mots utilisés par l’enfant… permettront que soit racontée une toute autre histoire que purement médicale, une histoire de vie que l’ensemble de la famille est elle-même surprise d’entendre, et qui concerne fréquemment l’ensemble de sa famille, des difficultés et souffrances plus ou moins intriquées et anciennes. Cette « médecine narrative » peut être en soi thérapeutique [1,2].
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262 © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2011;18:262-263
1.3. L’importance de la durée de la consultation Du temps est nécessaire pour qu’apparaissent ces intrications, que la confiance s’installe. La qualité de l’écoute n’est possible que si le médecin dispose de temps et non d’une consultation rapide « rajoutée » à un planning déjà plein. Ainsi, une 1re consultation douleur de ce type prendra souvent 1 h 30 à 2 h, avec ou sans temps individuels pour les membres de la famille.
2. Le « diagnostic » 2.1. Quels mots, quelles explications ? Grâce à cette nouvelle façon de voir la situation, des mots simples permettent de parler de l’intrication des facteurs psychologiques et de leur retentissement sur le corps. Le mot « fonctionnel » est parfois utile, mais régulièrement il n’est pas nécessaire de proposer des termes particuliers, l’intrication corps, psyché et problèmes et retentissements sociaux étant souvent bien compris.
2.2. Le modèle biopsychosocial Le Dr Vannotti psychiatre, le résume bien dans ce passage : « Il existe en médecine deux modèles complémentaires : le modèle biomédical (application en médecine de la méthode analytique des sciences exactes) et biopsychosocial (tient compte des interrelations entre les aspects biologiques, psychologiques et sociaux de la maladie). L’attention à la dimension biopsychosociale devrait faire partie intégrante du raisonnement clinique et, plus largement, du mode de pensée de la médecine [3].
2.3. Faut-il parler de fibromyalgie chez l’enfant ? La fibromyalgie est une entité à la fois controversée et très « à la mode », décrite aussi sous le nom de syndrome polyalgique idiopathique diffus. Le Dr Cathébras, précise que le terme musculo-squelettique est un anglicisme trompeur [4] : « Ainsi, si les patients ressentent les douleurs dans les os, les articulations, les tendons ou les muscles, il semble bien que ces organes ne soient pas impliqués dans la pathogénie de la fibromyalgie ». Le diagnostic se fait le plus souvent sur les critères fixés par l’American College of Rheumatology, (points douloureux considérés comme spécifiques du diagnostic). Ces critères ne concernent que la plainte douloureuse, mais de nombreux autres symptômes sont souvent rapportés : asthénie, difficultés de sommeil, paresthésies, troubles digestifs, sensations vertigineuses, troubles de concentration, modification de l’humeur.
Le point de vue de l’orthopédiste
2.4. Intrication des douleurs diffuses et des facteurs psychologiques Une étude récente [5] (57 enfants de 10 à 18 ans souffrant de fibromyalgie) a montré un impact plus important sur leur qualité de vie des tracas quotidiens que des épisodes majeurs de la vie. Une autre étude [6] (102 adolescents fibromyalgiques ; âge moyen 14,9 ans) a révélé une déscolarisation pour 12 % d’entre eux, liée à un syndrome dépressif et non à la douleur. Enfin, les critères de la fibromyalgie et les plaintes douloureuses étaient présents chez 32 adolescents sur 62 adolescents de 12 à 18 ans hospitalisés en pédopsychiatrie [7], avec un nombre élevé de maltraitance.
2.5. Prononcer ou non ce diagnostic en pédiatrie Devant ces patients dont les plaintes nous désarment, nous questionnent, avec souvent une discordance entre l’intensité des douleurs énoncées et l’impression clinique, la mise en évidence de points douloureux peut être une façon enfin d’objectiver quelque chose, mais aussi parfois de « classer » le patient : le travail est fait, un diagnostic est posé, une étiquette. Rendons-nous ainsi service et à qui ? Qu’apporte un diagnostic de fibromyalgie ? Aucun traitement spécifique n’a prouvé son efficacité. Un diagnostic permet parfois de faire cesser la recherche éperdue d’une cause, mais risque d’enfermer le patient dans une maladie chronique, ce d’autant qu’un certain « lobbying » existe autour de cette pathologie. Je citerai ici ID. Yalom, psychiatre [8] : « la formulation diagnostique standard ne dit rien au thérapeute de la personne singulière qu’il rencontre ; des preuves substantielles indiquent que les étiquettes diagnostiques entravent ou déforment l’écoute. Trop souvent, la catégorisation diagnostique s’apparente à un exercice intellectuel stimulant dont la seule fonction est de conférer au thérapeute un sentiment d’ordre et de maîtrise ».
3. Que proposer ? Si l’intrication psyché/soma est bien admise par l’enfant et sa famille, les éléments thérapeutiques pourront être proposés sur ce canevas : moyens physio-thérapeutiques, reprise d’une activité physique, méthodes psychologiques adaptées au patient : psychothérapie individuelle ou familiale et/ou méthodes psychocorporelles. Il est important de nommer l’arrêt des examens complémentaires et le risque à poursuivre des investigations inutiles. De même, il faut conseiller l’arrêt des traitements médicamenteux jusqu’alors inefficaces. Les traitements médicamenteux n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Une méta-analyse récente [9] sur les méthodes psychologiques dans les douleurs chroniques de l’enfant et de l’adolescent montre, sur les 25 études retenues (1247 enfants) une
efficacité de ces méthodes sur la douleur (thérapie comportementale, relaxation, biofeedback). Parfois, la consultation est thérapeutique en elle-même et des modifications personnelles et familiales se mettront en place par la famille elle-même. D’autres fois, les méthodes psychologiques citées ci-dessus mettront un temps à apporter une amélioration. Parfois une hospitalisation est nécessaire pour rompre avec le milieu familial, mettre en place un traitement physique et psychologique, et reprendre la scolarité souvent interrompue. Les centres pour adolescents sont adaptés à cette situation. Enfin, des situations plus complexes persisteront, avec parfois des maladies psychiatriques ou des problèmes de maltraitance qui se révèleront secondairement.
4. Conclusion La spécificité de la consultation douleur est cette approche globale du patient : comment et pourquoi ces douleurs se sont « installées » dans la vie du patient. Cette histoire devient signifiante, le discours se libère, l’intrication de nombreux facteurs de vie (médicaux, sociaux, familiaux…) apparaissent et permettent de proposer des moyens thérapeutiques physiques et psychologiques adaptés, pour l’enfant et sa famille.
Références [1] Girard E, Cedraschi C, Rentsch D, et al. Approche narrative des attributions causales dans la fibromyalgie. Rev Méd Suisse 2007;116:32354, du 20/06/2007. [2] Goldman B, Kaplan A. Évaluation et prise en charge de la douleur chronique: rôle potentiel de la médecine narrative. Point de vue clinique, Mai 2008. [3] Vannotti M. Le métier de médecin : Entre utopie et désenchantement. éd Médecine et Hygiène, Genève 2006, 251 p. [4] Cathebras P. Troubles fonctionnels et somatisation. Comment aborder les symptômes médicalement inexpliqués. Masson, Paris 2006, [5] Libby CJ, Glenwick DS. Protective and exacerbating factors in children and adolescents with fibromyalgia. Rehabil Psychol 2010;55:151-8. [6] Kashikar-Zuck S, Johnston M, Ting TV, et al. Relationship between school absenteeism and depressive symptoms among adolescents with juvenile fibromyalgia. J Pediatr Psychol 2010;35:996-1004. [7] Lommel K, Kapoor S, Bamford J, et al. Juvenile primary fibromyalgia syndrome in an inpatient adolescent psychiatric population. Int J Adolesc Med Health 2009;21:571-9. [8] Yalom ID. Thérapie existentielle. Galaade Editions 2008. [9] Palermo TM, Eccleston C, Lewandowski AS, et al. Randomized controlled trials of psychological therapies for management of chr[ic pain in children and adolescents: an updated metaanalytic review. Pain 2010;148:387-97.
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