Les conventions pour une appropriation durable des TIC

Les conventions pour une appropriation durable des TIC

Sociologie du travail 43 (2001) 369−387 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0038029601011633/FLA Les conve...

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Sociologie du travail 43 (2001) 369−387 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0038029601011633/FLA

Les conventions pour une appropriation durable des TIC Utiliser un ordinateur et conduire une voiture Dominique Boullier* Résumé – L’appropriation des technologies par le grand public ne se déroule pas dans un face à face dépeuplé entre des machines et des humains. Par conséquent, un travail d’élaboration de conventions est nécessaire si l’on vise une appropriation durable et étendue. L’instabilité de ces TIC ne doit pas faire oublier que des formes naissantes de ces conventions peuvent être observées (à travers les services propriétaires, les moteurs de recherche ou encore les agents intelligents), même si un clivage des usages est aussi en cours, qui les sort du seul univers technique du micro-ordinateur. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS TIC / conventions / appropriation / usages / conduite automobile / socialisation Abstract – The ‘conventions’ needed for durably adopting new information technology. The general public does not adopt technology in a faceless situation with nothing standing between users and machines. Intermediaries of several sorts – physical, social, technical and affective – transform this situation. The ways ‘conventions’ have been worked out in drivers’ education can be used to assess what must still be done for the new information technology to be widely and lastingly adopted. Despite this technology’s instability, the emergence of such conventions can be observed (through owner services, search-engines or intelligent agents), even though a cleavage is placing the uses of this new technology outside the purely technical universe of computers. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS new (communication and information) technology / conventions / uses / drivers’ education / socialization

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont une incapacité chronique à perdre leur « N », comme si elles demeuraient toujours nouvelles, alors que les principes ou même certains appareillages de la microinformatique datent pourtant de 20 ans. Il est vrai que ces TIC s’étendent à tous les domaines de la vie progressivement, que leurs applications évoluent constamment et que les modes opératoires de ces techniques s’enrichissent et se transforment sans cesse, notamment depuis qu’internet a ouvert des pistes infinies de services et de façons de faire (la navigation hypertextuelle généralisée entre autres). Dans les discours des managers comme dans celui des politiques, il est de bon ton de considérer ces TIC comme un élément fondamental des savoir-faire de demain. Certes, la diffusion généralisée du microprocesseur et du réseau (Boullier, 1999) finit par étendre leur domaine à tous les objets et à toutes les activités. Pour autant, les *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (D. Boullier). Unité de recherches Connaissances, organisations, systèmes techniques (Costech), université de technologie de Compiègne, BP 649, 60206 Compiègne cedex, France.

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formes matérielles accessibles à l’utilisateur peuvent être très diverses et les apprentissages de base nécessaires restent beaucoup plus difficiles à définir. Si les enjeux culturels et sociaux sont à la hauteur de ce qui est annoncé, il devient crucial d’analyser les conditions d’une appropriation durable des TIC, qui évite ce qu’on appelle déjà le « fossé numérique ». Deux savoir-faire techniques sont formalisés et en même temps répandus massivement dans toute la population, écrire et conduire, mais seule la conduite donne lieu aux mêmes confrontations à des modes de production industriels et à des produits complexes. D’autres savoir-faire techniques sont aussi indispensables à la vie quotidienne, tels que cuisiner, manger, nettoyer, téléphoner, prendre le train, mais certains sont inégalement répartis entre les sexes d’une part et ils ne donnent pas lieu à abstraction ni à formalisation comme la conduite automobile d’autre part (même si les « arts ménagers » ont été longtemps présents dans les cursus scolaires... féminins). Nous montrerons en premier lieu que les médiations mises en œuvre pour socialiser massivement une population à une technique sont multiples, complexes et ensuite que les NTIC n’ont pas encore donné lieu à cet « investissement de forme » (Thévenot, 1986). Nous verrons enfin que, dans le cas spécifique d’internet, apparaissent des stratégies différentes de prise en charge de l’ajustement homme– machine, qui sont autant de pistes de construction des futures médiations stables de socialisation à un univers instable. C’est ainsi que nous pourrons rendre compte du travail de construction de conventions dans cet univers, non seulement du point de vue des constructeurs ou des régulateurs mais du point de vue des utilisateurs.

1. Les savoir-faire comme investissements et médiations naturalisés Les TIC (pour lesquelles nous adopterons une définition large comportant la micro-informatique et les usages des réseaux avec des terminaux plus ou moins évolués) n’ont rien de naturel : malgré leur omniprésence, elles restent « étrangères » pour la plupart de nos contemporains (10 millions d’internautes en France est l’estimation la plus élevée fin 2000). À l’opposé, la conduite automobile fait partie intégrante de notre monde socio-technique, au point de paraître, elle, naturelle : ce qui devient « saillant » par rapport à un monde supposé commun, c’est l’absence de voiture dans une île, la « dépendance » ou même le « handicap » de celui qui ne sait pas conduire. Cette naturalisation n’a rien de naturel mais signale une appropriation profonde de ces techniques. Au point d’oublier, même dans les discours, l’investissement considérable qu’a représenté l’acquisition de ces savoir-faire. Certains n’hésitent ainsi pas à revendiquer la « simplicité d’usage » de tous les appareils en prenant comme étalon la simplicité de la conduite automobile, qui a pourtant nécessité en moyenne 30 heures de formation, souvent 10 000 F de frais et la réussite à un examen ! C’est en référence à ce succès d’une socialisation à une technique complexe que nous pourrons prendre la mesure de ce qui serait nécessaire pour les TIC. Les médiations multiples nécessaires à cette naturalisation doivent alors être inventoriées et leur statut de « convention » discuté.

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La voie la plus couramment pratiquée en ce domaine s’appuie sur les modèles de la diffusion, dont Everett Rogers (Rogers, 1983) a défini les principes. Nous en avons fait ailleurs une présentation et une critique systématique (Boullier, 1989b) : identifier les pionniers et les retardataires, vérifier les décalages entre connaissance, attitude et pratique, mettre en évidence des atouts comme la simplicité ou le caractère démonstratif de la technologie ne nous paraissent pas d’un grand secours, ni sur le plan de la recherche pour comprendre comment une société « fait corps » techniquement, ni sur le plan opérationnel, pour guider des stratégies. Il est cependant utile de ne pas oublier, comme l’indique E. Rogers, que le processus prend du temps et que, de ce fait, ce n’est pas le même système technique qui est adopté selon le moment où on l’adopte. E. Rogers avait en effet, plus tardivement, pris en compte la notion de « réinvention » (Rice et Rogers, 1980) pour analyser le cycle de vie d’un produit, y compris après sa mise sur le marché. Nous chercherons plutôt à identifier les conditions, les ressources, et plus généralement les médiations nécessaires pour rendre « conventionnel » l’univers socio-technique dit NTIC, dans la lignée des travaux de Laurent Thévenot, Luc Boltanski, Pierre Livet, et aussi de Michel Callon, Bruno Latour et Antoine Hennion. Le savoir-faire de la conduite automobile est certes adapté par chacun à son environnement propre, à ses visées et à ses compétences, mais il possède un « univers de validité » qui dépasse une situation donnée : ce savoir-faire s’intègre à des conventions parce qu’il est « étayé » par de nombreuses médiations devenues elles-mêmes conventionnelles, partagées, reconnues, contrôlées et révisables selon des procédures établies et déclarées. Leur « univers de validité » n’est même pas limité à un pays et ce sont au bout du compte les développements techniques qui deviennent eux-mêmes dépendants de cet état du marché des savoir-faire. Par contraste, tout se passe comme si les savoir-faire des utilisateurs de l’industrie de l’informatique et des télécoms n’étaient pas encore irréversibles (Callon, 1992) autorisant ainsi toutes les innovations, quitte à reporter la charge d’adaptation permanente sur l’utilisateur. Nous cherchons donc à identifier les médiations (Hennion, 1993) et les conditions propres à la conjoncture qui permettraient de percevoir la formation des conventions dans le domaine des NTIC, en nous appuyant sur une comparaison systématique avec la conduite automobile.

2. Les médiations de l’univers socio-technique de la conduite automobile Dans les cas de la conduite automobile, quelques types de médiations peuvent être identifiés : médiations physiques, sociales, techniques et désirantes. Cette analyse rend compte de nos compétences humaines (Gagnepain, 1994) mais a surtout l’avantage d’obliger à un inventaire complet et à ne pas écraser certaines de ces médiations par d’autres, supposées « déterminantes ». Le risque serait de les réifier et de ne plus voir que ces propriétés sont en permanence mêlées dans chaque situation.

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2.1. Des médiations « physiques » Pour la conduite, l’exercice demandé aux apprentis est directement relié à des gestes, à des postures, à une forte dimension de dressage physique. Les gestes comme tourner le volant, regarder dans un rétroviseur, embrayer/débrayer avec le pied tout en manipulant à la main le levier de vitesse sont des exercices physiquement éprouvants pour un débutant. La coordination y est cruciale et leur passage à un « régime automatique » (Rasmussen, 1986 ; Boullier, 1996) apporte un soulagement qui marque une étape d’appropriation1. L’exercice ou l’entraînement fonctionnent à la répétition, aux essais-erreurs mais toujours en acte : il n’est nul besoin de « théorie » de la voiture pour se lancer. C’est bien une affaire de corps qui va aussi garantir la naturalisation du dispositif technique et du savoir-faire, la machine-voiture devenant un simple prolongement de ce corps, une extension aux frontières indéfinies, comme la canne de l’aveugle de Bateson. 2.2. Des médiations « sociales » Cette expérience éminemment individuelle car inscrite dans le corps, est pourtant d’emblée prise dans des univers sociaux multiples. Conduire est une activité perçue par l’enfant comme naturelle : l’enfant s’en imprègne (Gagnepain, 1994 ; Quentel, 1995), elle fait partie de l’univers qui lui est donné, il n’a donc aucun sentiment d’étrangeté à surmonter. Mieux, les parents, les frères et sœurs, les voisins ou les amis peuvent aider à acquérir ce savoir-faire, puisqu’il est très commun. La conduite accompagnée récemment instituée prenait acte d’une pratique déjà fort répandue. Les réseaux de transmission des savoir-faire sont donc multiples et surtout proches culturellement des milieux d’appartenance : nul besoin de faire appel à un « spécialiste » au sein de la famille. Pour autant, ce sont des institutions lourdes et anciennes qui assurent le principal travail de transmission. Des entreprises privées, dites « auto-écoles » précisément, ont été instituées et vivent du paiement direct de leurs clients. C’est un corps de professionnels formateurs qui s’est ainsi constitué, ce qui suppose déjà une certaine formalisation des savoirs à transmettre, des expériences sur les méthodes de transmission, etc. Cette formalisation n’a pas pour autant fait disparaître la dimension apprentissage physique de la manipulation qui suppose une pratique répétée, comme on le voit pour les leçons de conduite. Ce caractère « pratique » de l’enseignement tranche avec tous les autres savoirs fournis à l’école : nombreux sont les automobilistes qui n’ont pas la moindre notion de mécanique. La coupure entre savoirs abstraits (voire théoriques) et savoir-faire semble accompagner la diffusion de masse de ce savoir-faire : peut-il en être de même pour les TIC ? À ce sujet, on se souviendra que les premiers centres de formation grand public pour la micro-informatique, autour de 1985, formaient avant tout à des notions d’algorithmique et de programmation... 1

On distinguera cet « automatisme » transférable dans des situations diverses, grâce à la standardisation industrielle des produits et à leur maintenance régulière, de la « familiarité » (Thévenot, 1993), qui crée aussi un régime d’ajustement « replié », mais localisé et non transférable hors d’un environnement personnalisé, hors d’un monde domestique.

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Enfin, élément clé du montage institutionnel, la certification de ces savoir-faire : un titre officiel est délivré, le permis de conduire. Il marque la responsabilité du conducteur, il est apparu très rapidement après l’innovation technique de l’automobile (dès 1898 à Chicago, puis dans l’État de New York en 1901) (Flink, 1975). Ce permis ne supposait alors ni formation ni la connaissance du code de la route (voté uniformément pour l’ensemble des États des États-Unis seulement en 1926, soit bien après les États européens). L’extension de l’univers de validité de ces savoir-faire ne se fait ainsi pas d’un seul coup, le caractère local de procédures qui se veulent pourtant conventionnelles, dure parfois longtemps, la remontée vers des certifications des compétences en amont se fait, elle aussi, plus tard. Notons enfin que ces médiateurs des auto-écoles sont des formateurs en titre et n’ont rien à voir avec des vendeurs attachés à la commercialisation des produits. Les vendeurs effectuent pourtant un important travail d’ajustement et de mise à jour des connaissances qu’il ne faut pas négliger mais, dans le cas des automobiles, ils ne peuvent que s’appuyer sur des compétences déjà acquises ailleurs. 2.3. Des médiations « techniques » Ces formes de socialisation semblent à première vue indépendantes des formes techniques elles-mêmes : ce serait ignorer tout le travail fait par les entreprises, par les producteurs du secteur automobile. Il a fallu un travail de convergence technique, de conventions entre tous ces producteurs pour rendre possible une formation à des savoir-faire génériques transférables d’une voiture à l’autre. Ce travail de production d’un univers partagé a pris des formes techniques directes ou des formes quasi légales ou normatives. Les constructeurs automobiles en viennent même à produire des voitures extrêmement ressemblantes, jusque dans le design. Les rapports de force industriels et le succès de certains comme Ford n’ont cependant jamais atteint dans l’automobile l’effet de monopole que l’on peut voir avec Microsoft par exemple pour les TIC. Les instances industrielles et administratives de standardisation (Afnor, Din, Iso, etc.) sont de plus en plus appelées à traiter ce travail de convergence technique, de mise en compatibilité (Dodier, 1995) technique élargie, qui produit de fait un « univers de validité » plus ou moins étendu pour les savoir-faire. L’introduction du démarrage électrique (Dupuy, 1995) a ainsi permis d’élargir le marché aux femmes, pénalisées par l’usage de la manivelle. Ces convergences techniques, des conventions construites sur le très long terme, sont encore renforcées par une normalisation effective, prise en charge par l’État (et les États) à travers le code de la route : arbitraire des règles, certes, et cela est souvent contesté, mais effet d’uniformisation des pratiques qui facilite le déplacement entre univers socio-techniques et la coordination des êtres dans des ensembles « supposés partagés ». Mais cette normalisation s’inscrit dans les machines elles-mêmes, et dans l’environnement d’usage : le premier feu rouge apparaît ainsi aux États-Unis en 1914 et le stop à la même date à Détroit. C’est tout l’environnement urbain qui va devoir être normalisé (production des formes et du revêtement de la route, signalisation, etc.) sans oublier l’industrie qui permet de fournir l’énergie (stations-service, carburants, etc.) ou le tourisme, produisant ainsi un « véritable système intégrant » (Dupuy, 1995). L’absence éventuelle d’alignement de toutes ces médiations (Hen

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nion, 1993) leur serait fatale commercialement. On mesure à quel point la stabilité d’un univers socio-technique, certes avantageuse pour la socialisation, se paye d’une irréversibilité parfois pénalisante et d’une dépendance réciproque des acteurs, où certains sont « plus égaux » que d’autres ! La normalisation et la construction d’un univers technique compatible (plutôt que commun) n’ont pas été obtenues par la seule standardisation (de fait, par monopole ou concertée) : c’est un mixte d’intervention des États et de coordination des industriels qui a permis de constituer un univers socio-technique intégré, et donc stable et propice à la socialisation. 2.4. Des médiations « désirantes » Il serait hâtif de tout faire reposer sur la seule régulation qui tendrait à produire une uniformisation peu attractive. Dans le même temps, en effet, la diversité sociale des formes techniques et des usages a pu se manifester. Le principe « industriel » (Boltanski et Thévenot, 1991) qui prévaut pour la normalisation des savoir-faire ne s’étend pas jusqu’aux domaines d’application de ces savoir-faire. La diversité des usages de l’automobile est d’emblée présente, comme en témoignent les compétitions sportives qui naissent aussitôt avec l’invention elle-même. Si l’on peut dire qu’il se crée au bout du compte une forme de captivité socio-technique vis-à-vis de ce monopole radical qu’est l’automobile (Illitch, 1973), c’est à un niveau macrosocial, chaque utilisateur ayant, lui, le sentiment de pouvoir inventer ses usages (comme le rappellent les travaux de William Ogburn, faisant même un lien entre la voiture et les modes de formation des couples aux États-Unis... ! (Ogburn et Umkoff, 1953). Cette diversité des usages est même de plus en plus encouragée par les constructeurs : au modèle standard de base du fordisme succédera la politique de la gamme de Sloan (General Motors), qui manifeste le souci du particulier, de la distinction (fonctionnelle et symbolique) dans un monde socio-technique qui reste pourtant cohérent. Les craintes supposées de la massification liée à l’industrie sont ainsi par avance détournées par cette « individualisation de masse » des produits et des usages. Une « politique industrielle », faite à la fois de standardisation (des composants) et de diversification, comme dans la « lean production » japonaise, finit ainsi par délimiter les frontières d’un « univers socio-technique supposé partagé » fait à la fois de frontières techniques dures (la voiture n’est pas l’avion !) et de frontières plus perméables : le camping-car cohabite avec le coupé sport dans le même univers d’usage, en l’occurrence à travers une coprésence vécue sur la route, ce qui ne sera pas le cas de tous les usages des TIC. L. Boltanski notait en 1975 que cet impératif de partage du même réseau routier continuait à générer des conflits tout en limitant la différenciation (Boltanski, 1975).

3. Les médiations des TIC et la production des conventions nécessaires à leur socialisation Peut-on faire la comparaison avec l’état de la socialisation aux TIC et dresser le tableau des médiations qui contribuent à en faire un univers socio-technique partagé ?

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3.1. Des médiations « physiques » et non virtuelles Les technologies d’information et de communication ont beau reposer sur le numérique, elles n’ont pas pour autant fait disparaître l’engagement physique de l’opérateur. La « manipulation de données » reste un atout nouveau dans la conception des interfaces et son mode opératoire repose encore sur des moyens hétérogènes. Le plus familier, la souris (inventée dès les années 1960 par Douglas Engelbart et chez Xerox mais diffusée seulement au début des années 1980), a fini par se répandre mais les souris elles-mêmes évoluent rapidement et surtout la tendance au portable les fait disparaître au profit des « trackpads », « trackballs » et autres outils de pointage tous aussi déroutants à l’origine. La vitesse d’exécution est décisive pour créer cet effet dit, par antiphrase, de « transparence » recherché dans les interfaces. Et nous n’oublions pas les joysticks, volants et autres pédales qui, dans le monde des jeux, sont appropriés à grande vitesse par les adolescents. Le temps consacré à cette activité conditionne la performance et contribue ainsi à socialiser au monde socio-technique des TIC. Par contraste, on mesure le temps que devrait investir un adulte novice pour parvenir à la dextérité de ces experts, à ces mêmes automatismes que tous possèdent avec leur voiture par exemple. Les écrans tactiles semblaient inaugurer la fin des souris pour désigner les items sélectionnés : leur extension reste limitée à quelques situations d’usage public (automates de gare) (Boullier, 1996), ils n’ont pas créé un standard dans l’accès grand public. Le cas du clavier2 est encore plus pénalisant pour la socialisation, pour l’intégration dans cet univers des TIC. C’est l’obstacle essentiel à tout usage a priori pour certains, ou à l’usage de certaines applications pour d’autres (il est en effet possible de surfer voire de jouer à certains jeux sans avoir de dextérité au clavier). Les formations aux TIC portent rarement sur la dactylographie elle-même. Pourtant, dans un dialogue en ligne, il est extrêmement aisé de repérer ceux qui connaissent la dactylographie et ceux qui ne la connaissent pas : les formes abrégées des dialogues sous formes d’icônes ou d’abréviations sont en grande partie dues à cette difficile maîtrise du clavier classique. Les problèmes sont renforcés dans le cas des outils portables de type téléphonique (avec claviers réduits, touches identiques pour plusieurs lettres, pointeurs pour sélectionner) car l’apprentissage est nécessaire et la performance limitée par la surface disponible. De même pour les appareils à reconnaissance d’écriture, tout dépend là encore du temps pris pour apprendre à écrire correctement pour cet appareil particulier. Les investissements importants que doit faire un utilisateur pour créer des automatismes restent donc risqués car aucun modèle ne s’est réellement imposé, si ce n’est le clavier dactylographique, qui nécessite des heures de formation méthodique pour être exploité efficacement. Cette incertitude est renforcée par le fait que la commande vocale apparaît sur le marché (téléphones, magnétoscopes), en complément de la dictée vocale, et qu’elle nécessitera elle aussi un apprentissage. L’écran demeure aussi une médiation omniprésente à l’heure actuelle : il est probable qu’il sera intégré à tout type d’appareils et prendra d’autres formes 2

Cf. le numéro 87 de la revue Réseaux sur ce thème en 1998.

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(Norman, 1998 ; Boullier, 1999) mais un système de perception des informations sera de toutes façons nécessaire. Visuel-image, visuel-texte, sonore, sonore-vocal, tactile, etc. : toutes les combinaisons sémiotiques sont possibles à terme. Mais l’acquisition de l’une ou de l’autre suppose un travail. On a souvent mentionné l’absence de culture de lecture de l’image télé (sans doute parce qu’elle ne se « lit » pas, d’ailleurs). La lecture des autres supports ne se diffusera jamais à l’échelle de celle de l’écriture sur papier si l’on reste dans l’état actuel d’incertitude sur les montages techniques et sémiotiques. 3.2. Des médiations « sociales » abondantes mais non certifiées La socialisation aux TIC ne souffre pas d’un manque d’environnement social. On peut presque dire le contraire quant à l’offre, en constatant qu’au bout du compte nombreux sont les utilisateurs qui se retrouvent pourtant très isolés. L’entraide informelle est la condition pour que se construisent les usages des TIC. Nous l’avions vu pour la voiture : la famille surtout mais aussi les amis ou les voisins pouvaient jouer un rôle de bain culturel essentiel pour faciliter l’imprégnation. C’est aussi le cas pour les TIC. On observe à quel point le niveau de maîtrise de cet environnement dépend autant de la qualité du réseau d’entraide créé que des performances individuelles : c’est un groupe qui sait, une « organisation qui apprend », comme cela se dit désormais. La famille fait de même. Les rôles y sont aussi distribués en faveur des plus jeunes et des hommes, que ce soit pour les jeux vidéo ou pour internet (Le Douarin, 2000). La transmission entre générations est souvent inversée, le sentiment de péremption peut envahir les adultes (Boullier, 1989a) et l’absence relative des femmes dans cet univers reste un handicap pour la diffusion familiale (70 % des internautes sont des hommes). Le poids de ce « réseau social » est d’autant plus déterminant qu’une bonne partie des applications relève de la communication interpersonnelle. Nous avions pu observer au tout début d’internet la difficulté de certains utilisateurs ordinaires (non professionnels) à utiliser le potentiel du courrier électronique dès lors qu’ils étaient seuls à avoir cet outil : ce qui sera décisif dans l’extension de l’usage, ce sera plutôt l’équipement de tout un groupe, familial (enfants à l’étranger par exemple) ou associatif, ce qui se nomme « communautés » dans le marketing internet, ou encore « effet club ». Ces médiations informelles sont souvent complétées, dans le grand public même, par les revues dont le marché a explosé : internet et la micro-informatique, aussi numériques soient-ils, font vendre encore du papier. Et ce soutien semble indispensable pour la plupart des utilisateurs, même s’il reste occasionnel, à un niveau inconnu pour l’automobile qui propose pourtant de solides revues. Les fournisseurs de matériels ou d’accès à internet peuvent parfois offrir une assistance sous forme de hotline, d’aide en ligne (intégrée au logiciel) ou de documentation technique. Les chances de cette dernière d’être lue varient selon les postures des utilisateurs comme nous l’avons montré (Boullier et Legrand, 1992) et selon leur acceptation de la prise en charge que constitue une assistance. Le cas le plus fréquent sera celui d’une aide en cas de difficulté, pour « réviser » (Livet, 1994)

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les schémas d’appropriation supposés. L’informatique suppose cependant, même pour être assistée, de partager certaines connaissances, voire un métalangage (ne serait-ce que pour décrire sa situation), qui ne naissent pas de la seule pratique. Pour être complet sur ces médiations, il faut reconnaître que les médiateurs de la vente, comme pour la voiture, sont des intervenants « faibles », sans grand rôle didactique ou régulateur. Parmi ces médiations didactiques, il ne faudrait pas négliger les formations professionnelles nombreuses qui se sont mises en place, ni les stratégies d’accueil du public dans des centres d’initiation de divers types créés par les collectivités locales notamment. Pour les formations reconnues, l’offre est centrée d’emblée sur l’utilisation de certains logiciels, surtout bureautiques ou de gestion. Malgré les agréments que doivent recevoir ces organismes, les qualifications qu’ils peuvent garantir ne sont en rien certifiées, contrairement au permis de conduire automobile. D’un centre de formation à l’autre, les programmes peuvent varier et c’est précisément ce que demandent les entreprises, souvent prises par l’urgence d’une adaptation de leurs personnels. Dans le cas des accueils grand public, l’offre reste toujours peu conventionnalisée, au sens où l’on y vise d’abord à lever les craintes de certains utilisateurs adultes d’une part ou à faciliter la découverte personnelle pour des adolescents d’autre part. Cette démarche ne permet pas de certifier une quelconque compétence à ce public. Le problème est redoublé par une incertitude sur la nature des apprentissages à fournir. Au tout début de la micro-informatique, nous avions rendu compte (Boullier, 1989a), de la formation du grand public dans les centres dits « X2000 » ou dans d’autres équipements socioculturels qui fondaient leur démarche pédagogique sur une initiation à l’algorithmique, d’autant plus abstraite qu’elle ne débouchait guère sur des applications. Il est vrai que les applications étaient si pauvres pour le grand public qu’il était difficile de se lancer dans une politique plus séduisante. Aujourd’hui, la situation est quasiment inverse : les applicatifs sont si attractifs et, pour certains d’entre eux, de prise en main suffisamment rapide, qu’on évite de poser la question des bases en informatique. On rejoint alors le principe de la conduite qui ne suppose pas de connaissances en mécanique. Cependant, le caractère transférable de ces savoir-faire propres à un logiciel reste lui aussi problématique, même si le « couper-coller » commun à tous les traitements de texte indique pourtant la voie pour la production de conventions de manipulation. Les problèmes naissent surtout de la multiplicité des versions, des fournisseurs, de l’incompatibilité maintenue entre certains d’entre eux, des échanges de plus en plus fréquents avec d’autres partenaires sur d’autres plates-formes, etc. Plus avant dans la production de ces conventions, se trouvent les cursus offıciels de l’Éducation nationale. Une seule filière comporte au baccalauréat des épreuves sur ordinateur, le bac Sciences et technologies du tertiaire (STT). La formation ne permet pourtant pas de fournir une « computer literacy » (alphabétisation informatique) aussi développée que celle obtenue par l’usage spontané et intensif à domicile : là encore, ceux qui pratiquent chez eux prennent une aisance supérieure à ceux qui ne font que se conformer aux exigences des programmes scolaires. La

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décision récente d’introduire une qualification de base en informatique au niveau du brevet des collèges constitue, elle, en revanche, une source de convention qui peut avoir des effets intéressants pour toute la chaîne de diffusion des savoir-faire liés aux TIC. Restera à vérifier sur quel socle de savoir supposé commun sera conçu ce contrôle et comment se construira le consensus sur cette question. Il faut noter que dans le même temps s’est développée sans grand bruit une initiative européenne intitulée le « Permis de conduire informatique européen » (ECDL en anglais) : 60 centres sont agréés en France alors que certains pays délivrent déjà un grand nombre de ces permis (en 1998, Autriche : 45 000, Finlande : 50 000, Norvège : 22 000, etc.). S’il constitue un effort typique de cette recherche de conventions, rien ne dit que ce dispositif prendra valeur de référence pour étalonner les compétences de base en TIC : le terme « permis de conduire » l’inscrit bien dans un dispositif connu mais il ne s’appuie pas sur une dimension réglementaire qui justifie son usage pour l’automobile (personne n’oserait prétendre qu’il faut un permis pour toucher à un ordinateur !). 3.3. Des médiations « techniques » proliférantes et monopolisées Du point de vue de l’utilisateur ordinaire, et non pour les compagnies et les développeurs, la dimension technique se résume souvent au choix d’une machine, d’un logiciel, d’un périphérique et se traduit par un acte d’achat. Dès sa première tentative, il constatera qu’il s’agit d’un système technique complet et complexe. Le poste numérique ne s’est jamais résumé à l’ordinateur : une imprimante y a toujours été associée, et les problèmes de compatibilité et de consommables n’étaient pas des moindres. Mais cette extension semble infinie avec tous les périphériques qui s’y ajoutent même pour un poste standard : le modem (qui finit de façon significative par intégrer le PC), le scanner, les périphériques de stockage, les commandes déjà évoquées (joysticks, volants, pédales pour les jeux) et enfin l’appareil photo numérique voire la caméra numérique. D’autres extensions sont possibles selon les spécialisations (ex. : la musique). C’est d’ailleurs ainsi que l’adoption des outils numériques peut se faire dans de larges couches de la population. L’appareil photo numérique est très significatif à cet égard : son utilité est plus directement perçue par le grand public que celle des outils textuels jusqu’ici privilégiés sur les ordinateurs, notamment pour les échanges interpersonnels. L’image est sans aucun doute un nouveau vecteur de la socialisation au numérique qui se démarque des pratiques des TIC issues du monde universitaire. Mais ce sont encore d’autres termes et principes techniques qu’il faut s’approprier (les pixels et les choix de définitions par exemple). Ainsi, la diversité des machines, des logiciels ou des applications ne permet pas de dire que nous partageons encore un « monde commun » au même titre que dans la conduite. Pourtant, le travail des instances de standardisation a permis de maintenir une zone de compatibilité, dont les formats XML, JPEG, MPEG 3/ 4/ 7, etc., ou encore les versions du protocole IP (Internet Protocol) sont les indices les plus visibles et les opérateurs les plus performants. Ce niveau des quasiinfrastructures que sont les protocoles de réseaux ou les formats d’échange sont

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certes des obstacles levés, mais il en reste beaucoup d’autres pour fluidifier les relations des utilisateurs avec le système technique et donc entre eux. C’est plutôt à travers la domination quasiment sans partage d’une compagnie privée (Microsoft) que s’est construite une convergence technique de fait. On sait les critiques sur ses insuffisances techniques, sur ses méthodes pour imposer son standard de fait, mais le résultat marque durablement l’univers des TIC : ses logiciels, plus encore que son système d’exploitation, sont la référence pour tous les utilisateurs. Cette situation ne s’est jamais rencontrée pour l’automobile, même à l’échelle nationale qui était celle de ces systèmes industriels à leurs débuts. Elle produit à la fois un monde partagé et en même temps un monde contrôlé par un seul acteur. Il ne s’agit donc pas en l’occurrence de conventions, même si Microsoft sait aussi s’appuyer sur les normes et contribuer à leur édition, mais plutôt d’un standard de fait. Le monde commun ainsi créé ne résulte en rien d’un processus de production d’accords, ni d’une mise en place « d’épreuves » pour qualifier les techniques ainsi développées, ce qui nécessiterait légitimité (mise en forme et contrôle), réflexivité et stabilité des êtres engagés dans l’épreuve (Boltanski et Chiapello, 1999). Il suscite de ce fait de nombreuses tentatives pour créer les bases techniques de véritables conventions, comme cela se passe à travers la promotion d’un système d’exploitation ouvert comme Linux ou dans les campagnes pour les logiciels libres. Le mode de validation de ces développements mériterait à lui seul une analyse sur le plan même des formes d’accord qui y sont trouvées, le modèle annoncé du consensus ne permettant pas de rendre compte avec précision des médiations mises en place dans ces réseaux de développeurs (Raymond, 1999). Mais la tâche reste colossale pour que ces systèmes soient exploitables au quotidien par tous les utilisateurs, surtout en prenant le risque de déstabiliser un univers déjà partagé construit sur les standards Microsoft. Les choix politiques qui consisteraient à annoncer que toutes les formations qui serviront de référence (dans l’Éducation nationale notamment) ne se feront plus que sur du logiciel libre seraient à la fois lourds à assumer dans un premier temps mais créateurs de normes ouvertes à plus long terme : le travail de production de conventions y serait dès lors ouvertement rendu nécessaire et facilité. 3.4. Des médiations « désirantes » qui individualisent à l’extrême Le caractère de système de tout cet environnement fait de réseau et de numérisation, marqué par une domination privée, ne doit pas pour autant laisser croire là aussi que la diversité ne peut se maintenir. Au contraire, on peut même s’étonner que, malgré cette exigence de compatibilité constante, une telle hétérogénéité ait encore pu survivre, sans se prononcer sur la valeur qu’il faut lui attribuer. Ainsi, parler des entreprises en réseau, c’est oublier les niveaux d’équipement très variés que l’on peut observer dans la plupart de ces entreprises. De même, pour les particuliers, les usages peuvent être extrêmement divers, et du coup, c’est même le système technique utilisé qui sera réinventé pour correspondre aux habitudes ou aux goûts de chacun. C’est ce qui est toujours promis d’ailleurs par les discours de promotion des TIC sous le nom de « personnalisation » et qui constitue un des ressorts commerciaux essentiels de ces technologies, au-delà de la

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gamme ou de la « customization » : chacun peut y faire ce qu’il veut, y vivre sa vie, nous dit-on, avec ce qu’il faut de fantasme de toute-puissance. Pourtant, la nature perverse du discours « Fais ce que voudras », emprunté à Thélème, apparaît rapidement lorsque l’utilisateur est sommé de dire ce qu’il veut, dès lors qu’on lui a dit que tout était possible (et donc qu’élire un objet de désir constitue déjà une limite et une perturbation). C’est pour cela d’ailleurs que l’on continue de vanter des machines toujours plus puissantes, car c’est bien cette puissance potentielle qui est toujours le ressort désirant de la décision d’équipement et non la « fonction » ou le supposé « besoin ». Un « effet indésirable » peut ainsi être observé lorsque le paramétrage d’un logiciel ou d’un périphérique aboutit à décourager l’utilisateur novice qui voit cela comme autant de « barrières à l’entrée » dans ce monde particulier : il faut en effet savoir ce qu’on veut faire (et pour cela avoir déjà une idée des possibles), savoir si on peut le faire (et donc avoir une « image du système ») (Norman, 1988), et savoir déclarer ce qu’on veut faire, ce qui suppose souvent une appropriation du vocabulaire spécifique à ce système technique. Or il n’est pas toujours aisé de transférer des savoir-faire mais encore moins d’effectuer les traductions entre dénominations différentes d’un logiciel à l’autre par exemple. C’est ensuite que se pose le problème du « comment le faire ». On ne s’étonnera donc pas de la faible utilisation de nombreuses fonctions des machines et des logiciels, d’autant plus que cela se constate pour tous les appareils. Malgré ces difficultés, il faut noter que ces objets, dès lors qu’ils rentrent dans la sphère d’usage d’un utilisateur spécifique, perdent leur caractère générique ou standard pour s’inscrire dans une activité, dans un environnement, dans des codes culturels propres à cet utilisateur. Le cas d’internet est assez frappant de ce point de vue. Nous avons été amenés à rendre compte de cette diversité des usages et des réalités d’internet en employant l’expression : « À chacun son internet » (Boullier et Charlier, 1997). Entre un surfer indépendant, un surfer guidé par les sélections de son fournisseur d’accès, un utilisateur contraint du courrier électronique, un pratiquant assidu du chat et un abonné à un forum très pointu sur un thème technique, il n’existe pas tant d’univers partagés qu’on le suppose. Être sur internet en même temps, ou même en temps différé, n’oblige guère à s’ajuster dans une « action commune », comme on le fait sur la route (Livet et Thévenot, 1994). On parlera alors plutôt d’une « action à plusieurs », où le souci des comportements des autres est a priori absent : d’autres activités collectives beaucoup plus conventionnelles existent aussi mais le mode ouvert d’engagement dans ce monde rend problématique son degré de partage.

4. De l’instabilité à la recherche de conventions Les débats juridiques qui prolifèrent autour d’internet constituent un indice fort de la nécessité de fournir un cadre conventionnel à un univers dont l’extension se trouve freinée par une diversité et une incertitude trop importante. La qualification des êtres qui participent à la construction de cet univers ne fait guère l’objet d’épreuves ordonnées. Les start-up défient toutes les lois de rentabilité, les utilisateurs ne

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possèdent pas de formation répertoriée, les logiciels sont diffusés dans des versions provisoires, l’assistance des fournisseurs n’est pas certifiée, les données ne font pas l’objet de règles d’édition mais seulement de présentations voisines, les étiquettes des sites ne sont pas normalisées. On aboutit ainsi à ce que L. Boltanski et E. Chiapello (Boltanski et Chiapello, 1999) notent, à propos de la cité connexionniste, la tendance au « déplacement » constant, c’est-à-dire à une absence de construction de principes et « d’épreuves » communes qui permettraient de créer des catégories, des équivalences ou des hiérarchies. Ces « déplacements » qui créent incertitude et instabilité et fonctionnent comme « épreuves de force », rendent plus difficiles la socialisation élargie à cet univers. Il ne faut pas négliger la prégnance de cet « impératif d’incertitude » dans toutes les pratiques sociales contemporaines et leur valorisation dans un monde de « projets ». Cela oblige dès lors à se tenir prêt à remettre sans cesse en cause les bases de ses savoir-faire précédemment acquis. Ce modèle ne permet pourtant pas de socialiser toute une population à un univers socio-technique, comme le montre a contrario l’exemple de la conduite, et il est idéologique, conjoncturel et contreproductif pour l’industrie des TIC elles-mêmes. Il transparaît dans tous les discours sur « l’évidence » et la « simplicité » des technologies et sur leur « appropriation spontanée », qui se reproduisent pour chaque innovation, bien avant qu’elle ne se soit « pliée » aux utilisateurs (Akrich et al., 1988). Des conventions sont pourtant en cours de formation et contredisent ces discours de l’instabilité. Dans les services liés à internet, qui sont le plus soumis à cette règle d’instabilité, on peut cependant voir se dessiner trois filières de construction de conventions, encore inégalement développées, mais qui sont des gages de socialisation plus étendue. Nous distinguerons ainsi les services propriétaires, les moteurs de recherche et les agents intelligents. Pour le dire rapidement, chacun de ces dispositifs travaille à la codification d’un des éléments de l’interaction : les services propriétaires pour les clients, les moteurs de recherche pour les informations, les agents intelligents pour les fournisseurs. Les services propriétaires (ex. : AOL) recrutent des abonnés, ils cherchent à les fidéliser : leur savoir-faire est avant tout dans cette gestion de clientèle et dans la capacité à combiner des offres de produits et de services qui rencontrent et attirent ces cibles commerciales. Produits, contenus et services qu’ils sont parfois prêts à créer de toutes pièces en devenant auteurs. La force des conventions qu’ils construisent tient avant tout à la stabilité de leur univers et aux habitudes qu’ils créent : on finit par vivre dans un monde bien balisé avec une prise en charge importante si on le souhaite (tout est présélectionné). Les moteurs de recherche (ex. : Alta Vista) sont des robots spécialistes de la gestion de données sur des corpus très hétérogènes (l’ensemble des sites web), qu’ils ne structurent pas mais qu’ils traitent à partir d’un repérage automatique de métadonnées qu’ils indexent à l’aide de modèles statistiques, toujours plus sophistiqués. D’autres services voisins, les annuaires (ex. : Yahoo), font appel à une indexation humaine et structurent l’information à partir de leurs catégories. La diversité des sites et la variété des demandes rendent quasiment impossible de fixer

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des conventions qui aideraient l’usager à se repérer dans la masse des sites proposés pour une même requête. L’effort fait pour trouver de nouvelles méthodes de recherche semble ignorer à la fois la nécessaire normalisation des formats de conception et d’indexation des sites en amont et l’activité des utilisateurs en aval pour donner la pertinence finale à toute recherche d’information (quitte à l’assister à travers des dispositifs de « navigation sociale » (Dieberger et al., 2000) ou d’indexation subjective (Boullier, 2000). Les conventions qui pourraient exister chez les créateurs de site et chez les usagers sont inexploitées. Les étiquettes des sites sont souvent fantaisistes et conçues pour attirer des visiteurs, mais elles pourraient être contrôlées plus strictement en produisant des normes. La technologie des agents intelligents commence à intégrer des services à base de transaction marchande ou même de traitement de nombreuses requêtes sur des corpus importants. Des « systèmes multi-agents » aux actions limitées peuvent déclencher des opérations lorsque certains événements interviennent ou vont accomplir des séquences de tâches, longues, diverses en fonction d’un but. Le cas typique en est l’agent (entité informatique !) assistant de réservation aérienne capable non seulement de collecter des informations en fonction de la demande de l’utilisateur mais aussi de les comparer et d’aider à la décision en fonction de plusieurs critères, voire même d’apprendre à partir des acceptations et refus des résultats de recherche par l’utilisateur et de modifier ses priorités, ses méthodes. Les agents du type « collaborateurs » (Ferber, 1995) mettent en relation des prestataires hétérogènes, avec capacité de négociation en tant que représentants de l’utilisateur. La technologie des systèmes multi-agents pourrait devenir le support d’une nouvelle forme d’opérateurs commerciaux mais, pour le moment, elle peut servir à tout type d’acteurs. Il est intéressant de voir que le travail de ces agents dépend de la bonne volonté des services divers pour offrir des accès à ces intrus (qui peuvent comparer les prix entre les concurrents !). Pour cela, il faut développer des normes, des langages d’interrogation communs (par exemple KQML, Knowledge Query and Manipulation Language). C’est dès lors une contrainte technique qui pousse des fournisseurs de services à s’entendre (mais l’affaire est seulement en cours). Ces trois outils ou services agissent en fait sur des composantes différentes de l’ajustement et parviendront peut-être à en faire des accords : – les services propriétaires reprennent en fait des savoir-faire de gestion de clients (ou d’audience chez les programmateurs de télé), – les moteurs de recherche modifient les propriétés des données (en demandant de tagger les pages par exemple) pour les rendre exploitables comme le font les éditeurs spécialistes de gestion de grande quantité de données, – les agents intelligents s’activent à coordonner plus rapidement et plus finement les prestataires de services eux-mêmes autour d’une demande personnalisée, ce que font déjà les sociétés d’assistance (Gille et Mathonnet, 1994). 4.1. Des cadres pour formater les usages Les usages formatés par chacun de ces services empruntent en fait à des « cadres d’usages », pour exploiter le concept de Erving Goffman (Goffman, 1974) sur les

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« cadres de l’expérience », repris par Patrice Flichy (Flichy, 1995). Chacun d’eux prétend contribuer à réguler l’ajustement client–service de façon particulière en faisant porter la charge du travail sur les fournisseurs, sur les clients ou sur la machine. Les conventions ainsi construites sont plus ou moins résistantes. Les services propriétaires (dont il ne reste presque plus qu’AOL et Infonie comme tels, avec interfaces et logiciel de navigation spécifiques, même si les autres portails comme Wanadoo adoptent le même modèle) se situent clairement et explicitement dans le modèle classique des mass media : l’habillage, la programmation (selon les jours de la semaine ou les moments de la journée), la spécialisation des publics mais aussi leur agrégation, relèvent de la création de chaînes, désormais affichées sous le nom générique de « portails ». Pour l’usager, il est donc aisé de se fondre dans un cadre d’usage aussi classique qui reprend comme convention celui des médias, pourtant bien différent. Mais AOL, monde fermé à ses débuts, a dû s’ouvrir à la diversité d’internet et de ses usages, au point de n’apparaître parfois que comme un prestataire avantageux parmi d’autres, un point de passage qui ne structure plus rien. Le pouvoir de production de conventions se trouve dès lors singulièrement limité. Les moteurs de recherche présentent d’emblée une parenté avec des banques de données et leur utilisation, même restreinte, des opérateurs booléens pour les requêtes, manifeste bien cette filiation. Pourtant, nous l’avons dit, les moteurs de recherche d’internet n’ont, pour l’instant, aucun pouvoir de structuration des contenus d’origine : de ce fait, leurs indexations demeurent sommaires et leurs traitements des requêtes à base purement statistique. Plus qu’à une base de données, c’est en fait à un annuaire que font penser les moteurs de recherche. Malgré la sophistication du robot de recherche, il reste ancré dans ce cadre d’usage et laisse en fait tout le travail aux utilisateurs pour formuler correctement leur requête et ensuite évaluer sa pertinence. La requête sur banque de données ou la manipulation de l’annuaire sont cependant des activités qui possèdent leurs conventions reposant sur des modes de structuration de l’information qui ne sont guère transférables. C’est en cela que le travail sur les conventions de mise en forme des contenus du net est encore à faire pour que les moteurs contribuent efficacement à la socialisation étendue à ces techniques plutôt que d’accroître, comme c’est le cas, la désorientation. Les agents intelligents, de leur côté, mobilisent un triple schéma selon les types d’agents adoptés : un schéma maître-serviteur (tâches automatisées déléguées), un schéma assistant qui rappelle le stéréotype de la secrétaire (de direction, bien sûr) et un schéma du courtier (de l’intermédiaire ou du mandataire selon la personnalisation adoptée). Le schéma technique client-serveur et le célèbre archétype philosophique du maître et de l’esclave se situent toujours en arrière-fond. C’est bien la machine qui est chargée du maximum de travail. Les cadres d’usage de ces agents pourront s’appuyer sur des modèles sociaux existants de façon à faciliter l’appropriation de ces outils. Cependant, c’est un long travail de coordination entre fournisseurs qui reste nécessaire pour rendre seulement possibles des accès de services concurrents par ces agents : nous l’avions observé en son temps pour le développement d’applications de télépaiement par Minitel.

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Le travail de formatage des clients, des données et des services que réalise chacun de ces médiateurs peut contribuer à l’émergence d’un monde commun sur internet. Le risque est grand cependant qu’ils en restent à un déplacement de plus sans se contraindre à construire le dispositif de justification nécessaire aux conventions et par là à la socialisation du plus grand nombre. 4.2. Vers un clivage des usages du numérique ? Ces pistes de conventions potentielles sur internet dépendent fortement d’une mise en forme des usages de l’informatique en général, tant que le terminal dominant pour les usages reste le micro-ordinateur. Voilà en effet qui complexifie l’affaire et accentue l’instabilité : rien ne dit que les usages futurs dominants d’internet resteront liés à ce type d’outil informatique. La diffusion de services pratiques, ou d’images comme nous l’avons évoqué, peut constituer à elle seule un créneau d’usage très différencié de celui plus classique (et issu du monde académique) d’accès à des masses de données textuelles, comme c’est le cas actuellement. Le Japon, s’appuyant déjà sur le succès de ses terminaux portables (i-mode), montre une voie de redéfinition complète de ce supposé « monde internet » qui reposerait sur des cadres d’usage plus proches du téléphone et permettrait une appropriation plus large. La socialisation aux technologies informatiques doit paradoxalement rester indépendante de certains usages trop particuliers pour prétendre durer. Mais elle ne peut non plus demeurer purement théorique au point de repousser le problème des usages pratiques. On peut ainsi imaginer deux univers de socialisation assez éloignés entre d’un côté, l’usage quasi professionnel de l’informatique, avec les connaissances de base et les savoir-faire pour l’utilisation des logiciels, et de l’autre le monde des usages ordinaires de technologies numériques, comme les jeux et les services de communication interpersonnels, sans connaissance pré-requise de l’informatique ni du clavier. On assisterait alors à un découpage du monde numérique analogue à celui de la route, entre les professionnels de la route (les routiers) qui ont des connaissances techniques et qui conduisent des machines spéciales nécessitant des contrôles particuliers, et les conducteurs ordinaires qui se contentent de leur permis de conduire, sans jamais rien connaître à la mécanique. Il est vrai que ces deux populations cohabitent sur les mêmes infrastructures alors que dans le monde des télécommunications, la diversité des réseaux ne fera que s’accentuer malgré le caractère universel des protocoles : les chercheurs américains réclament de pouvoir disposer de leur propre internet rapide, non dépendant des usages de masse. Les stratégies de formation des usages sont alors, on le voit, doubles et quasiment séparées : – la production des conventions dans un univers professionnel, notamment à travers la formation et la certification des usagers (même entendus au sens large car nombreux sont les salariés qui utiliseront des dérivés de l’informatique), – la diffusion de produits de consommation de masse, à usage plus ciblé mais pour un public plus large, avec les médiations d’assistance et de vente classiques.

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5. Conclusion Les montages nécessaires à la naturalisation de la conduite automobile ont représenté un long travail d’investissement et d’alignement de médiations hétérogènes. Cette stabilisation et cette irréversibilité étaient nécessaires à la socialisation de masse à ces savoir-faire. Évaluées à cette aune, les TIC ont encore un long chemin à parcourir et on ne s’étonnera pas de voir les chiffres des abonnés à internet augmenter tout autant que ceux du désabonnement (plus de 30 % par an aux États-Unis) : les conventions qui rendent cet univers « commensurable » et donc mesurable en commun, sont encore en chantier. Elles ne sont pas absentes, nous l’avons vu. Mais l’ancrage de certaines innovations dans des usages anciens (comme le téléphone pour le portable) offre immédiatement une extension considérable du public et ne génère pas autant de barrières. Rappelons aussi qu’en France uniquement, la diffusion du Minitel avait fini par marquer certains usages de transaction et de recherche d’informations, acquis non réexploitables quasiment par les utilisateurs de l’ensemble technique « micro-informatique/internet ». Cela seul signale que les investissements considérables que doivent faire les usagers pour s’approprier ces innovations ne peuvent pas être renouvelés au gré des incessantes variations techniques. D’autres acteurs, publics notamment, jouent déjà et devront jouer un rôle essentiel pour identifier, unifier et faire appliquer des références en ce qui concerne les savoir-faire considérés comme élémentaires. Certes, ce « formatage des usagers » produit à son tour une forme d’irréversibilité. Son programme n’est donc pas anodin et peut faire craindre à certains un blocage de l’innovation, mais il permet surtout de ne pas être captif d’un seul constructeur ou de normes qui ne parviennent pas à approfondir leurs propres marchés (au sein d’un même pays). Comme le rappelle la technique de la conduite automobile, la formation aux TIC reste incontournable pour produire des références et nous rendre « contemporains », c’est-à-dire ici partageant un « univers socio-technique supposé commun » (car les diversités demeurent). De même, les systèmes d’orientation que sont les moteurs et les métadonnées devront être normalisés comme le fut la signalisation routière. Enfin, les chaînes de production (depuis les systèmes d’exploitation jusqu’aux services) devront se coordonner à la fois sous la forme des réseaux de coopération pour le logiciel ouvert et à l’aide de protocoles de transactions pour les agents intelligents. Tout ce travail considérable n’en est encore qu’à ses débuts et sera la condition pour une socialisation de masse à ces produits et services des TIC, au-delà du cercle actuel. Mais l’idéologie libertaire qui a présidé aux débuts des réseaux d’un côté et le monopole d’une seule entreprise informatique de l’autre tirent en fait cet univers à contresens de la mise en place de véritables conventions. Ces blocages sur le versant des technologies informatiques basées sur les PC rendent possible l’ouverture d’un autre chantier d’usages, centré sur la filière technique de la téléphonie, des portables et des objets domestiques. Le contexte d’usage y est plus contraint (ex. : petits écrans). L’offre technique et de contenus devra y être bien différente, contrairement aux espoirs de transfert du web sur les portables ou sur la télé, qui relèvent d’autres cadres d’usage. Un travail de

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construction de conventions alternatives est ainsi en émergence. Il peut aboutir à cliver ce supposé monde des TIC proliférant et instable et ainsi à le diversifier. Après tout, longtemps après l’invention de l’imprimerie, les deux mondes que sont la presse et l’édition des livres restent certes voisins car relevant de la lecture, mais ils sont bien identifiés. De même que la machine à vapeur a engendré à la fois le train et l’automobile, qui a divergé fortement, tout en relevant encore des pratiques de transports. Le processeur a un potentiel d’insertion dans des dispositifs très variés. C’est en cela que les conventions sont indispensables à l’extension des usages de ces systèmes techniques nouveaux mais peuvent aussi prendre appui sur des cadres d’usage différents pour structurer des univers socio-techniques divergents. Dans le cas des filières informatique et télécoms (que l’on disait pourtant convergentes), la socialisation concerne des usagers différents (même si une part est commune) et relève de montages de médiations déjà distincts.

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