Les enfants Roms: problématique de santé

Les enfants Roms: problématique de santé

Table ronde La santé des enfants migrants Les enfants Roms : problématique de santé L. Seban*, P. Lanusse-Cazalé, F. Vu-Dinh, D. Bridier Mission Rom,...

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Table ronde La santé des enfants migrants

Les enfants Roms : problématique de santé L. Seban*, P. Lanusse-Cazalé, F. Vu-Dinh, D. Bridier Mission Rom, Médecins du Monde, Bordeaux, France

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nviron 600 « Roms », dont près de 300 enfants de moins de 16 ans, vivent dans des squats ou bidonvilles disséminés sur la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB). Ils sont issus principalement de Bulgarie, quelques-uns de Roumanie. Médecins du Monde (MdM) Bordeaux intervient depuis de nombreuses années auprès de ces familles, grâce à une équipe bénévole mobile (médecins, infirmiers, accompagnateurs sociaux) qui a développé des actions de veille sanitaire, d’informations, d’orientations et d’accompagnements médico-sociaux pour aller au devant et essayer de répondre aux besoins de ces familles. Il apparaît que la dénomination «  Roms  » n’est pas juste, car les populations vivant sur ces squats sont très hétérogènes. Les Roms représentent la majorité, les autres ne sont pas Roms (bulgares bulgarophones, bulgares turcophones, roumains…). Mais tous sont citoyens originaires des pays d’Europe de l’Est ayant migré en France et y séjournant dans des conditions d’extrême précarité. Ce sont des familles qui viennent chercher une issue à leur situation personnelle, mais avec des motivations différentes  : installation temporaire ou installation pérenne en vue d’une insertion durable dans la société française. Cela a un intérêt à être connu : celui de savoir que la quasi-totalité de ces familles sont dans la même situation administrative et économique, mais que leurs représentations culturelles et leurs comportements face à la santé peuvent être différents.

1. Les conditions de vies et risques sanitaires Les conditions de vies des enfants sont marquées par des logements insalubres, un accès à l’eau courante et/ou à l’électricité très restreint. La promiscuité augmente considérablement le risque de contagion de maladies infectieuses préoccupantes (VRS, coqueluche, BK…), dans un contexte où souvent toutes les générations de la famille sont regroupées dans une pièce unique. Les familles se chauffent au moyen de poêles à bois de fortune, produisant de fortes émanations de fumées. À ce jour, aucune intoxication aiguë au monoxyde de carbone n’a été enregistrée à Bordeaux. Les intoxications chroniques, plus pernicieuses à diagnostiquer, restent néanmoins possibles. Le risque d’accident domestique est réel et les enfants sont les plus exposés. L’absence de latrines et d’assainissement sur les lieux de vie s’accompagne d’une prolifération de nuisibles (rats, cafards.) et parasites (punaises, puces.).

*Auteur correspondant. e-mail : [email protected].

278 © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2012;19:278-279

Les pathologies le plus souvent rencontrées par notre équipe sont par ordre de fréquence  : les pathologies ORL (OMA, OSM à répétitions, rhinopharyngites), dentaires (caries), respiratoires (toux chroniques, pneumopathies), cutanées (impétigo, prurigo, eczéma, gale), gastro-intestinales (diarrhées virales, bactériennes, parasitaires). Il n’existe pas de pathologies réellement spécifiques à cette population, mais une augmentation de l’incidence des pathologies communes du fait de la précarité.

2. Prise en charge et suivi Dans le cadre de pathologies chroniques ou aiguës nécessitant un suivi particulier, une étude réalisée en 2010 à Bordeaux  [1], incluant 23 adultes et enfants suivis pendant 7 mois, a permis d’identifier des freins à la prise en charge médicale pour cette population. C’est majoritairement l’instabilité géographique (pour 17 patients, soit 73,9  %) et le manque d’éducation pour la santé, ou les motifs culturels (pour 15 patients, soit 65,2  %) qui ont été identifiés comme étant des obstacles majeurs. Les autres freins rencontrés sont  : la barrière linguistique (pour 5 patients, soit 21,7 %), un manque de coordination entre les divers professionnels de santé (pour 5 patients, soit 21,7 %), une réponse médicale inadaptée (pour 4 patients, soit 17,3 %). Par exemple, la prise en charge des toux chroniques de l’enfant est particulièrement difficile. L’interrogatoire des parents est peu contributif. Le recours à un traducteur est souvent indispensable. Ensuite, des investigations, parfois coûteuses, sont souvent essentielles et nécessitent l’accession à une couverture médicale. Ce parcours d’ouverture de droits est difficilement accessible pour ces parents (prises de rendez-vous, respect des horaires, barrière de la langue, nécessité de se déplacer dans plusieurs structures…). Enfin le suivi de l’enfant est complexe. D’une part, la santé n’est pas une priorité pour ces populations précaires, engagées dans des processus de survie. Le manque d’éducation pour la santé, l’instabilité géographique, les représentations de la maladie, la perception du temps rendent le suivi d’autant plus complexe. D’autre part, les difficultés d’adaptation de nos structures de soins à ces publics posent de réels problèmes : difficultés d’accéder à un traducteur, méconnaissance de la précarité par manque de formation des acteurs de santé, cloisonnement des professionnels (ville-hôpital)… Cela aboutit quelquefois à des réponses médicales inadaptées qui font état du manque d’informations quant aux conditions de vie et quant à la culture de la population rencontrée. Au total, peu d’enfants porteurs d’une toux chronique ont une prise en charge aboutissant à un diagnostic et encore plus rares sont ceux qui bénéficient d’un

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suivi dans le temps. Les étiologies identifiées de ces toux chroniques sont l’asthme (1 cas), le RGO (4 cas). Ces étiologies ont été identifiées au cours d’une exacerbation (crise d’asthme, malaise et cyanose) nécessitant une prise en charge par les urgences pédiatriques. Il est fort probable que nous sous-estimions aussi la présence de la tuberculose. Un travail d’investigation devrait être mené sur ce thème pour évaluer l’incidence de cette pathologie dans ces squats.

3. Prévention primaire, l’exemple de la vaccination En ce qui concerne la couverture vaccinale, elle est faible. En juin 2011, MdM a réalisé une enquête vaccinale nationale [2] dont nous avons extrait les données pédiatriques locales. A Bordeaux, l’étude a porté sur 93  personnes dont 45  enfants de moins de 16  ans, bulgares ou roumains migrants vivant en squat. Seulement 30 % des enfants avaient leurs vaccinations obligatoires à jour. C’est majoritairement la méconnaissance du retard vaccinal (40 %), la méconnaissance des lieux de vaccinations (20 %) et les représentations d’ordre culturel qui apparaissent être des freins à l’obtention d’un calendrier vaccinal à jour. Sur la totalité des enfants de moins de 6  ans, seulement 25  % sont suivis par la PMI. Très logiquement, lorsque ceux-ci sont suivis par la PMI, cela favorise la possession d’un carnet de santé (70 % des cas) et un calendrier vaccinal à jour (environ 80 % des cas à jour pour le DTP et le ROR). Il est également intéressant de noter qu’environ 80 % des personnes interrogées accepteraient la vaccination dès lors qu’on leur explique pourquoi, quand, comment et où. En outre, 75  % des enfants de moins de 16  ans n’avaient pas de droits ouverts à une couverture médicale bien qu’ils soient présents en France en moyenne depuis 2,5 ans au moment de l’enquête. Un travail a été initié avec une des PMI proche d’un squat, formalisé par un Atelier Santé-Ville, pour identifier les freins à l’accès à la PMI et à la vaccination. L’objectif est d’introduire un espace de médiation sanitaire permettant une meilleure connaissance

et compréhension entre l’usager et le professionnel de santé. La formation, les rencontres interprofessionnelles, l’accès à la traduction et à une médiation interculturelle, la possibilité de faire des accompagnements physiques sont au centre des actions menées par cet atelier santé-ville.

4. Conclusion La prise en charge de ces enfants en situation de précarité est complexe. Il faut souligner l’importance d’avoir une approche globale d’une problématique de soins primaires et la nécessité pour une population précaire ou marginale de disposer d’un lieu de soin repère. Le contexte de vie, l’aspect culturel, les obstacles financiers et administratifs d’accès aux soins doivent être pris en compte afin de formaliser un projet de soins adapté et à bas seuil d’exigence. Pour tous les acteurs intervenant auprès de la santé des enfants migrants, dont les Roms, il existe des familles qui ne sont pas « motivées » pour la santé. Il ne s’agirait que d’une question de mauvaise volonté… En réalité à ce terme de motivation il serait préférable de substituer «  ordre de priorité  ». La santé passe souvent au second plan quand il s’agit de trouver à manger, à se chauffer. Parler de priorité permet d’ouvrir de plus nombreux horizons d’action  : agir en prenant en compte des priorités de quelqu’un semble plus facile que d’agir sur ses motivations, qui sont plus difficiles à cerner et à comprendre…

Références [1] Duprat V. Difficultés rencontrées dans la prise en charge médicale de la population Rom [Thèse]. Bordeaux : Université Bordeaux 2-Victor Segalen ; 2011. [2] Rapport d’enquête sur la couverture vaccinale des populations roms rencontrées par les équipes de Médecins du Monde en France, Médecins du Monde, Direction Missions France, Juillet 2011. www.medecinsdumonde.org

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