Les facteurs de risques de rupture du ligament croisé antérieur : le genre féminin

Les facteurs de risques de rupture du ligament croisé antérieur : le genre féminin

Journal de Traumatologie du Sport (2014) 31, 58—62 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Les facteurs de risques de rupture d...

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Journal de Traumatologie du Sport (2014) 31, 58—62

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Les facteurs de risques de rupture du ligament croisé antérieur : le genre féminin夽 Risk factors for anterior cruciate ligament injury: The female gender N. Lefevre a,∗,b, S. Klouche a, S. Herman a,b, Y. Bohu a,b a b

Clinique du sport Paris V, 36, boulevard Saint-Marcel, 75005 Paris, France Institut de l’appareil locomoteur Nollet, 23, rue Brochant, 75017 Paris, France

Disponible sur Internet le 21 janvier 2014

Introduction La rupture du ligament croisé antérieur (LCA) est l’une des lésions les plus fréquentes chez le sportif. De nombreuses études ont montré qu’à niveau de pratique équivalent le risque de lésion du LCA chez les femmes était quatre à sept fois plus important que chez les hommes [1—4]. Aux États-Unis, environ 38 000 lésions du LCA surviennent chez les athlètes féminines par an [5]. En Norvège, la fréquence des ruptures du LCA est de 85 ruptures pour 100 000 individus par an, chez les 16—39 ans, avec un nombre plus important chez les filles dans la tranche d’âge 15—19 ans [6]. Le coût lié à ces lésions pour la santé publique est important puisqu’il est de 17 000 dollars par ligament, pour un patient opéré et de 2000 dollars pour les patients non opérés [5,7]. Le coût sociétal dû aux arrêts de travail est difficile à évaluer. Une étude belge a estimé que les traumatismes sportifs engendraient des coûts indirects annuels en Flandres de 111 420 813 D [8]. Différentes théories tentent d’expliquer cette différence de sex-ratio. L’une d’entre elles serait une théorie



8th European Sport Medicine Congress of EFSMA & 6th Joint Meeting SFMES & SFTS du 25 au 28 septembre 2013 — Strasbourg. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Lefevre).

anatomique mais qui, à elle seule, ne peut expliquer cette différence. D’autres auteurs ont rapporté un déséquilibre de contrôle neuromusculaire [9]. Enfin, les variations des hormones sexuelles du cycle menstruel pourraient avoir une part de responsabilité [10]. L’identification des facteurs de risque de traumatismes spécifiques aux athlètes féminines et le développement de programme de prévention adapté à cette population à haut risque de lésion du LCA constituent un enjeu important aussi bien de santé publique, qu’économique. L’objectif principal de cette mise au point était d’analyser ces facteurs de risque.

Risque de rupture du LCA chez les femmes selon les sports pratiqués La plupart des lésions du LCA chez les athlètes féminines se produisent au cours d’un accident de pivot sans contact, généralement pendant la décélération, un pivotement (changement de direction) ou une réception de saut [2,11,12]. La différence de sex-ratio est variable en fonction des sports pratiqués [4,13] (Tableau 1). Parkkari et al. [14] ont également montré que cette différence était fonction du niveau sportif. Cette étude a été faite à partir des registres de santé publique de Finlande avec, comme critère d’inclusion, tout patient hospitalisé

0762-915X/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jts.2013.12.001

Les facteurs de risques de rupture du ligament croisé antérieur : le genre féminin Tableau 1

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Incidence des lésions du ligament croisé antérieur selon le sexe et le sport pratiqué.

Étude

Sport

Incidence féminine (/100 000)

Incidence masculine (/100 000)

Sex-ratio

Prodromos [12]

Basket Football Handball Sports de combat Handball

29 32 56 77 82

8 12 11 19 31

3,6 2,77 5,1 4,01 2,65

Myklebust [13]

ayant un diagnostic de lésion du ligament croisé antérieur ou postérieur. L’incidence était de 61 lésions du LCA/100 000 individus/an avec 96 ruptures du LCA/ 100 000 garc ¸ons/an et 30 ruptures du LCA/100 000 filles/an, sexe ratio 3,2. Le risque relatif (RR) était deux fois plus important pour les filles ayant une activité sportive supérieure à quatre fois par semaine que pour les garc ¸ons (RR 8,5 versus 4,3). Il n’y avait pas de différence pour une activité sportive inférieure à trois fois par semaine.

Facteurs de risque extrinsèques Ces facteurs sont certes communs aux deux sexes, mais certains semblent jouer un rôle plus important chez les athlètes féminines.

Compétition versus entraînement Myklebust et al. [4] ont signalé que les athlètes hommes ou femmes courent un risque plus élevé de lésion du LCA lors d’un match de handball que lors de l’entraînement. Cette constatation a également été faite dans le football [15—17], le risque de lésion étant 10 à 27 fois plus élevé [17] lors d’un match.

Surface et terrain Lambson et al. [18] ont constaté que le risque de lésion du LCA était plus élevé chez des footballeurs dont les chaussures avaient un plus grand nombre de crampons et lorsque l’interface de jeu était plus adhérente. Olsen et al. [19] ont retrouvé un risque de lésion du LCA plus élevé dans les équipes féminines de handball qui jouaient sur des sols artificiels (avec une adhérence plus élevée) plutôt que sur des planchers en bois. Cette relation n’existait pas pour les athlètes masculins. Arson et al. [20] ont retrouvé un risque plus élevé d’atteinte du LCA chez les footballeurs pratiquant sur un sol artificiel par rapport au gazon naturel. Ce n’était pas le cas dans l’étude de Fullet et al. [15,16] qui n’ont retrouvé aucune différence majeure en termes d’incidence, de sévérité ou de catégorie de lésion selon le type de surface de jeu et, ce, dans les deux sexes.

Équipement et genouillère Kocher et al. [21] ont retrouvé, chez des skieurs professionnels ayant une fragilité du LCA, un plus grand risque de

blessure au genou chez ceux qui ne portaient pas d’attelle fonctionnelle par rapport aux autres, risque relatif 6,4. En revanche, Mc Devitt et al. [22] n’ont trouvé aucune différence chez des jeunes militaires opérés d’une ligamentoplastie du genou : le nombre de rupture itérative était identique avec ou sans genouillère.

La météorologie Orchard et al. [23] ont signalé que les ruptures du LCA (pivot sans contact) des équipes de football australiennes étaient plus fréquentes pendant les périodes de faible pluviométrie et de forte évaporation. Ce travail émet l’hypothèse selon laquelle les conditions météorologiques ont un effet sur le mécanisme d’adhérence entre chaussures et surface de jeu et donc sur le risque de rupture du LCA.

Antécédent d’entorse du genou Myer et al. [24] ont montré dans leur étude que les athlètes féminines opérées d’une rupture du ligament croisé antérieur avaient un antécédent d’entorse du genou (sans lésion du LCA) dans 37 % des cas, versus 29 % dans un groupe témoin de sportives sans antécédent et du même niveau.

Autres Dans la plupart des études, les athlètes féminines présentant une lésion du LCA sont plus jeunes que leurs homologues masculins. Dans l’étude de Walden et al. [17] portant sur des cohortes de footballeurs, la différence d’âge de survenue du traumatisme entre les deux sexes était statistiquement significative, ce qui laisse penser que la prévention doit cibler les footballeuses les plus jeunes. D’autres facteurs mériteraient d’être explorés tels que les compétences sportives et le profil psychologique de l’athlète.

Facteurs de risque intrinsèques Facteurs anatomiques Hyperlaxité Ramesh et al. [25] ont constaté que les lésions du LCA sont plus fréquentes chez les patients ayant une hyperlaxité globale des articulations et, en particulier, des genoux. De nombreuses études indiquent que l’hyperlaxité est plus répandue chez les adolescentes que chez leurs homologues masculins [26—28]. Huston et al. [26] ont signalé une plus

60 grande laxité du genou chez les femmes sportives d’âge adulte par rapport aux hommes, tandis que Cheng n’a montré aucune différence chez les enfants pré-pubères [29]. Une étude prospective biomécanique et épidémiologique chez les athlètes féminines a montré un risque plus élevé de lésions du LCA en cas d’hyperlaxité du genou [24].

Anatomie de l’échancrure L’anatomie de l’échancrure intercondylienne est différente chez la femme et chez l’homme. En effet, Griffin et al. [30] ont montré que l’échancrure était plus étroite et le LCA plus petit chez la femme.

Offset condylien Une étude [31] a été réalisée chez 38 patients ayant présenté un traumatisme des parties molles, dont 26 lésions du LCA. Sur le genou controlatéral sain, a été mesurée au scanner 3-D la distance entre l’axe transcondylien et l’axe anatomique du fémur (offset condylien) puis le Condyle offset ratio a été calculé (OC/rayon du condyle). Le COR était significativement plus important chez les femmes que chez les hommes. Il était également plus grand chez celles qui avaient présenté une lésion du LCA par rapport à celles qui avaient eu une lésion du ligament croisé postérieur ou une rupture méniscale.

Facteurs biomécaniques : cinématique et cinétique Des études sur cadavre [32] ont montré que c’est la force du tiroir antérieur qui crée le plus de tension sur le LCA avec un effet augmenté par le varus, le valgus ou la rotation interne et externe. En revanche, une rotation externe isolée appliquée sur le genou augmente relativement peu la tension du LCA. Hewett et al. [33] ont étudié le risque de valgus, en réception de sauts chez des athlètes féminins, grâce à un système d’analyse du mouvement au cours d’une série de sauts à la verticale, au départ d’un socle haut de 31 cm avec les pieds positionnés à 35 cm de distance. Cette étude a montré que les sujets à risque avaient une augmentation significative du valgus en réception de sauts par rapport au groupe témoin. Ces résultats indiquent que les athlètes devraient être encouragés à modifier leur technique de réception de sauts (sans valgus) pour réduire le risque de blessure au genou.

Facteurs neuromusculaires Un déséquilibre neuromusculaire pourrait expliquer en partie le mécanisme de blessure : les femmes sont plus « quadriceps dominant » dans leur schéma corporel que les hommes [9]. Or, une vigoureuse contraction excentrique du quadriceps est une des causes principales de rupture du LCA. Une étude récente [34] a également montré que les skieuses avaient deux fois plus de risques que leurs homologues masculins de présenter une lésion du LCA du côté non dominant. Ceci s’expliquerait par un déficit musculaire et proprioceptif de la jambe non dominante.

N. Lefevre et al.

Facteurs hormonaux Les lésions du LCA ne sont pas constantes durant le cycle menstruel. Il existe de manière significative une plus grande fréquence de ruptures pendant la phase pré-ovulatoire que lors de la phase postovulatoire [35—39]. Une étude prospective [40] a été réalisée durant la saison 2010—2011 auprès des femmes ayant présenté une rupture du LCA lors de la pratique du ski en France. Un questionnaire était rempli par la patiente lors de la consultation avec le médecin de montagne. Les patientes étaient invitées à préciser la date des dernières règles (DDR) et leur méthode contraceptive. Cent soixante-douze patientes âgées en moyenne de 34 ± 8,7 ans ont été incluses. Cinquante-huit (33,72 %) étaient en phase folliculaire, 63 (36,63 %) en phase ovulatoire et 51 (29,65 %) en phase lutéale. La différence par rapport à la distribution théorique (risque identique quel que soit le jour du cycle menstruel) était fortement significative (␹2 = 48,32 ; p = 0,00001). Cinquante-trois patientes sur 172 (30,8 %) étaient sous contraceptifs oraux. Les lésions du LCA étaient 2,4 fois plus nombreuses en phase pré-ovulatoire qu’en phase postovulatoire, aussi bien chez les patientes sous contraceptifs oraux que celles ayant un autre mode de contraception : 85/119 (71,4 %) vs 36/53 (67,9 %), p = 0,64. Les auteurs ont conclu que le risque de rupture du LCA au ski chez la femme n’est pas constant durant le cycle menstruel, les lésions étant 2,4 fois plus nombreuses en phase pré-ovulatoire qu’en postovulatoire. La contraception orale ne semble pas avoir d’effet protecteur.

Autres facteurs intrinsèques Une prédisposition familiale aux ruptures du LCA dans les sports sans contact a été évoquée. Dans une étude castémoins [41], l’entourage familial immédiat des blessés présentait une incidence de rupture du LCA de 35 % contre 4 % dans le groupe témoin. Des facteurs génétiques ont été identifiés dans une étude cas-témoins réalisée dans une population sud-africaine [42—44]. Un polymorphisme a été noté sur les gènes COL1A1, COL5A1 et COL12A1, le génotype AA de l’allèle COL12A1 étant surreprésenté chez les femmes présentant une rupture du LCA [43]. Un indice de masse corporelle élevé serait également un facteur de risque de lésion du LCA [45].

Combinaison des facteurs de risque intrinsèques et extrinsèques Une étude portant sur le ski de loisir [46] a comparé, sur la base d’un auto-questionnaire, un groupe de skieuses ayant présenté une lésion du LCA à un groupe témoin. Un modèle de régression logistique multivarié intégrant les facteurs de risques intrinsèques et extrinsèques connus a permis d’identifier les facteurs indépendants suivants : le verglas (OR 24,33), le ski pendant les chutes de neige (OR 16,63), l’utilisation de skis traditionnels (OR 10,49) et la phase préovulatoire du cycle menstruel (OR 2,59).

Conclusion Le risque de blessures du LCA dans la population sportive est plus élevé chez les athlètes féminines. Cette différence de

Les facteurs de risques de rupture du ligament croisé antérieur : le genre féminin sex-ratio s’explique par une combinaison de facteurs aussi bien extrinsèques qu’intrinsèques. Une généralisation des analyses statistiques multivariées permettraient de prendre en compte les interactions possibles et de quantifier le risque pour chaque facteur. Des programmes de prévention complets, spécifiques à chaque sport, intégrant l’ensemble des facteurs pourront être alors proposés.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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