Les glaucomes chroniques par fermeture de l’angle

Les glaucomes chroniques par fermeture de l’angle

J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 6, 697-700 © Masson, Paris, 2004. ARTICLE Les glaucomes chroniques par fermeture de l'angle F. Valtot Institut du Glauco...

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J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 6, 697-700 © Masson, Paris, 2004.

ARTICLE

Les glaucomes chroniques par fermeture de l'angle F. Valtot Institut du Glaucome, Fondation Hôpital Saint-Joseph, 185, rue Raymond Losserand 75674 Paris Cedex 14. Chronic closed-angle glaucoma

INTRODUCTION

F. Valtot J. Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 6: 697-700 Five times more frequent than the acute form, chronic closed-angle glaucoma often goes unrecognized for a long time, resulting in considerable visual field deficiencies, even in loss of the eye. It is sometimes confused with chronic glaucoma and treated as such, which is inadequate to halt the progression of the disease. Only gonioscopy can diagnose it. If doubt persists, UBM (ultrasound biomicroscopy) can detect goniosynechiae, a malposition of the ciliary body or of the lens, or the existence of iridociliary cysts. Nine times out of ten, pupillary block initiates the process and an iridotomy should always be done to remediate it, even if this procedure alone does not always suffice to solve the problem.

Key-words: Chronic closed-angle glaucoma, gonioscopy, UBM, goniosynechiae, pupillary block, iridotomy.

La grande fréquence des angles étroits en Chine, où 28 millions de sujets ont un angle susceptible de se fermer, et où la plupart des patients développent des formes asymptomatiques, bilatérales, fréquemment cécitantes, a relancé l'intérêt de la communauté ophtalmologique sur le glaucome chronique par fermeture de l'angle (GFA).

Les glaucomes chroniques par fermeture de l'angle Cinq fois plus fréquente que la forme aiguë, la forme chronique du glaucome par fermeture de l'angle est souvent longtemps méconnue, aboutissant à des déficits considérables du champ visuel, voire à la perte de l'œil. Elle est quelquefois confondue avec le glaucome chronique et traitée comme tel, ce qui ne suffit pas à arrêter l'évolution de la maladie. Seule la gonioscopie permet le diagnostic. En cas de doute, l'UBM (biomicroscopie aux ultra-sons), permet de visualiser des goniosynéchies, une malposition du corps ciliaire ou du cristallin, ou l'existence de kystes irido-ciliaires. Neuf fois sur dix c'est le blocage pupillaire qui initie le processus, et l'iridotomie qui le supprime doit toujours être faite, même si elle n'est pas toujours suffisante à elle seule, à régler le problème.

Mots-clés : Glaucome chronique par fermeture de l'angle, gonioscopie, UBM, goniosynéchie, bloc pupillaire, iridotomie.

DÉFINITION La nouvelle nomenclature [1] définit le glaucome chronique par fermeture de l'angle par l'association de : - un angle étroit, - la présence de goniosynéchies, - l'atteinte du nerf optique matérialisée par une excavation, - et un déficit du champ visuel en périmétrie automatique. Il s'oppose au glaucome "aigu" par son caractère insidieux, évolutif et asymptomatique.

LES SPÉCIFICITÉS DE LA FORME CHRONIQUE La forme "chronique" du glaucome par fermeture de l'angle est beaucoup plus grave que la forme aiguë. On sait en effet que 60 à 75 % des sujets se tirent sans séquelles campimétriques d'un épisode aigu de fermeture de l'angle [2]. La forme chronique aboutit toujours, au moins dans un œil, et quelquefois dans les deux, à de graves déficits

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fonctionnels. C'est sans doute la principale cause de cécité actuellement, en Chine:plus d'un million d'aveugles [3]. En effet, la maladie évolue longtemps, silencieusement, et les poussées répétitives se succèdent. Le diagnostic est souvent tardif, au stade irréversible. Malheureusement, cette forme est 5 fois plus fréquente que la forme aiguë [4]. Une étude faite au Cap en Afrique du Sud en 1993 [5] a montré que la majorité des cas de fermeture de l'angle était asymptomatique avec des yeux blancs, calmes, sans œdème de cornée, malgré une tension comprise entre 32 et 72 mmHG… La forme chronique représente moins de la moitié des GFA chez les sujets d'origine européenne, contre les deux tiers chez les Noirs d'Afrique et les Indiens. Chez les chinois, la forme aiguë est rare et presque tous les GFA sont asymptomatiques (creeping glaucoma, avec des goniosynéchies qui s'étendent progressivement à toute la circonférence de l'angle) [6]. Comme dans le glaucome à angle ouvert, le degré de l'hypertonie, et sa durée sont des facteurs de risque de développer une neuropathie et il n'y a aucun parallèle entre la symptomatologie et la gravité de l'atteinte du nerf optique. D'où le danger de cécité (25 % des cas). C'est dire le rôle fondamental de l'examen gonioscopique….. L'atteinte du champ visuel est tout à fait comparable à celle rencontrée dans l'évolution du glaucome à angle ouvert (GPAO) [2].De même pour la tête du nerf optique où les lésions sont les mêmes que dans le GPAO. Elles débutent le plus souvent en inféro-temporal [7], puis l'excavation progresse.

LES FACTEURS PRÉDISPOSANTS Ils sont au nombre de 3 : - Le sexe : les femmes sont atteintes 3 à 4 fois plus souvent que les hommes. - L'âge : la maladie se manifeste après 40 ans, avec une fréquence maximale entre 55 et 70 ans [8]. - L'origine ethnique : Les Esquimaux Inuits sont, de loin, les plus atteints (40 fois plus que leurs voisins de race blanche au Canada!) [9]. Les Chinois sont eux aussi, bien qu'à un moindre degré, particulièrement affectés. Viennent ensuite par ordre de fréquence décroissante, les africains puis les asiatiques (autres que les chinois). Les populations d'origine européenne sont comparativement très épargnées .

LES MÉCANISMES DE SURVENUE Le mécanisme qui induit la pathologie est un contact entre la racine de l'iris et le trabéculum fonctionnel. Il

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est d'abord intermittent et réversible. Puis, des adhérences, les goniosynéchies, se forment. Elles sont définitives. Lorsqu'elles sont suffisamment étendues, une hypertonie s'installe, qui secondairement entraîne l'atteinte de la tête du nerf optique, puis l'altération du champ visuel. La fermeture étant progressive, il n'y a pas de signes fonctionnels bruyants comme dans la forme aiguë. Lowe a décrit cela sous le nom de "creeping glaucoma" (glaucome rampant). Les goniosynéchies ferment l'angle silencieusement d'arrière en avant et parallèlement s'étendent progressivement de façon circulaire [10].

LES CAUSES DÉCLENCHANTES C'est l'utilisation de l'UBM qui a récemment permis de démontrer que les forces capables de provoquer l'apposition de l'iris contre le trabeculum fonctionnel proviennent d'au moins quatre origines [11] : - L'iris, avec le bloc pupillaire. Dans la forme chronique, il est "relatif". Il est responsable d'au moins 90 % des fermetures de l'angle intermittentes qui amènent à la formation progressive de goniosynéchies. L'iris (trop tonique ?) appuie de façon anormalement forte sur la face antérieure du cristallin (trop gros ou situé trop en avant) dans la région péripupillaire, créant une résistance à la circulation de l'humeur aqueuse. L'humeur aqueuse s'accumule dans la chambre postérieure faisant bomber la racine de l'iris vers l'avant pour l'amener au contact du trabéculum, jusqu'à ce que l'augmentation de la pression postérieure parvienne à séparer l'iris de la cristalloide antérieure, laissant échapper un flot d'humeur aqueuse dans la chambre antérieure. La pression s'inverse alors ; l'humeur aqueuse de la chambre antérieure repousse la racine de l'iris vers l'arrière, rouvrant l'angle, si une apposition trop prolongée, dans un contexte rendu inflammatoire, n'a pas constitué de goniosynéchies. Si cette situation perdure durant des années l'installation de goniosynéchies extensives est obligatoire, conduisant au glaucome chronique par fermeture de l'angle. - Le corps ciliaire, trop volumineux et ante-positionné avec l'iris "plateau". On peut y adjoindre le pseudo-iris plateau dû à des kystes de l'épithélium pigmenté de la racine de l'iris et/ou du corps ciliaire. - Le cristallin, devenu trop gros (intumescent), ou luxé vers l'avant par une maladie héréditaire, un traumatisme, une hyperlaxité de la zonule (syndrome exfoliatif), ou une myopie forte. - Les causes rétro-cristalliniennes conduisant au glaucome malin ou bloc cilio-lenticulaire. Survenant classiquement après une opération antiglaucomateuse sur un glaucome chronique par fermeture de

Vol. 27, 6, 2004

l'angle, il peut arriver après n'importe quelle ouverture chirurgicale du globe, et même après n'importe quelle intervention au laser (iridectomie, cyclophotocoagulation ou ouverture de sutures). Il a aussi été décrit après occlusion de la veine centrale, photocoagulation panrétinienne, effusion uvéale ou utilisation de Pilocarpine sur des yeux porteurs de chirurgie filtrante ! Au moins 2 causes sont identifiées : un décollement et un basculement vers l'avant du corps ciliaire, ou un détournement vers l'arrière de l'humeur aqueuse [11].

LES AUTRES CAUSES De très récentes études [12], ont montré, grâce à l'OCT, qu'une augmentation du volume choroidien, poussant le vitré et le cristallin et l'iris vers l'avant , est sans doute responsable de bon nombre de fermetures chroniques de l'angle, notamment en Chine. L'intérêt des chercheurs se déplace actuellement vers le pôle postérieur, qui peut grâce aux progrès technologiques être mieux étudié. En effet, si le rôle de l'expansion choroïdienne semble établi, on soupçonne que l'augmentation de l'épaisseur sclérale, et les anomalies de la perméabilité vitréenne (décollement du vitré) ne sont pas non plus innocentes.

LE DIAGNOSTIC L'absence de signes fonctionnels retarde le diagnostic de façon tragique. C'est souvent par hasard, au cours d'un examen systématique, que sont dépistées une chambre antérieure étroite ou une papille excavée et pâle. D'autres fois c'est le patient qui vient se plaindre d'une baisse visuelle d'un œil, de céphalées ou de brouillards intermittents. C'est bien entendu la gonioscopie qui fait le diagnostic. Cependant, l'interprétation qui n'est pas toujours facile, est parfois erronée et le patient est traité comme un glaucome chronique, ce qui annihile les quelques signes fonctionnels quand il y en avait, mais n'arrête pas le cours de la maladie… Lorsque le diagnostic est posé, la gonioscopie dynamique (par indentation de la cornée) aide à mesurer l'étendue des goniosynéchies. Dans les cas difficiles, l'UBM est une aide indispensable (iris plateau ou kystes irido-ciliaires). En Chine, où il faut examiner des millions de patients, puisque Foster [3] estime à 28,2 millions le nombre de sujets porteurs d'angles susceptibles de se fermer, et à 9,1 millions le nombre de ceux dont l'angle se ferme réellement, toutes sortes de techniques de dépistage sont à l'étude (par exemple la gonioscopie à l'OCT).

Les glaucomes chroniques par fermeture de l'angle

LE TRAITEMENT Il dépend, bien entendu de la cause de la fermeture de l'angle.

En cas de bloc pupillaire En cas de bloc pupillaire, c'est l'iridotomie au laser, qui, en égalisant les pressions des chambres antérieure et postérieure, brise le cercle vicieux, aplatit la racine de l'iris et rouvre l'angle quand il n'y a pas de goniosynéchies. Comme il y a presque toujours une participation du blocage pupillaire, quelle que soit la cause de fermeture de l'angle, tous ces yeux ne peuvent qu'être améliorés par une iridotomie au laser correctement faite. Actuellement, grâce au matériel dont nous disposons, elle est réalisable quasiment dans tous les cas en une seule séance [11]. Cependant, il arrive que l'hypertonie persiste après l'iridotomie, soit parce que les goniosynéchies sont trop étendues, soit parce que le trabéculum, dans la portion où l'angle est libre, n'est plus fonctionnel. Trois solutions sont alors possibles : - Le traitement médical. - La trabéculoplastie Sélective ou à l'Argon, dans la portion de l'angle qui est libre. Si cela ne suffit pas, ou n'est pas possible, il faut se tourner vers : - La chirurgie filtrante. Si l'angle est ouvert sur au moins 50° dans un secteur de l'hémicirconférence supérieure, une chirurgie non perforante, type sclérectomie profonde avec trabéculectomie externe donne d'excellents résultats. Si l'angle est fermé partout dans l'hémi-circonférence supérieure, il faut faire une chirurgie perforante, type trabéculectomie. En se souvenant bien, dans les suites, que c'est dans ce type d'indication que l'on risque le plus la survenue d'un glaucome malin… Il faut donc surveiller particulièrement ces yeux en post-opératoire, et prescrire dès la fin de l'intervention, et pour plusieurs semaines, systématiquement, de l'atropine et des anti-inflammatoires.

En cas d'iris plateau Une iridotomie au laser doit toujours être pratiquée, d'autant qu'une composante de blocage pupillaire existe le plus souvent. Si l'angle ne se rouvre pas, et que l'UBM confirme le diagnostic, il faut alors faire une iridoplastie au laser Argon. Elle a pour effet, par des brûlures de la racine de l'iris, de rétracter le stroma et de l'éloigner du trabéculum. Si cela ne suffit pas, il faut se tourner vers la trabéculectomie.

Les fermetures de l'angle dues au cristallin Un cristallin devenu trop volumineux, ou subluxé vers l'avant, pousse mécaniquement l'iris vers l'avant au

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contact du trabeculum. Là encore, une iridotomie au laser supprime le blocage pupillaire, mais ne suffit pas toujours à rétablir le circuit normal de l'humeur aqueuse. L'ablation du cristallin est le plus souvent nécessaire. La chambre antérieure s'approfondit notablement, l'angle se rouvre, mais les goniosynéchies, s'il y en a, persistent. Si une hypertonie non équilibrée médicalement en découle, il faut soit faire une filtrante, soit ouvrir chirurgicalement les goniosynéchies. C'est une pratique courante en Chine [13]. Après extraction du cristallin, mise en place d'un implant, la chambre antérieure est remplie de visqueux, un verre de Swan-Jacob est posé et une spatule mousse est introduite dans la chambre antérieure. Elle permet de rouvrir les goniosynéchies de l'hémi-circonférence inférieure de l'angle. La semaine suivante, une iridoplastie au laser Diode est faite dans le même secteur. Sur de petites séries il est vrai, les auteurs rapportent 100 % de succès (TO, inférieure à 21mmHg sans traitement, à 9 mois, alors que la pression initiale était de 33mmHg sous traitement !).

Le glaucome malin, ou bloc cilio-lenticulaire

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Le traitement dépend du mécanisme déclenchant. Le traitement médical est toujours tenté en premier: atropine et corticoïdes locaux plusieurs fois par jour, associés aux hypotonisants. Les corticoïdes généraux sont très utiles. Cela suffit souvent à permettre au corps ciliaire décollé et basculé en avant de reprendre sa place. En cas d'échec, le drainage chirurgical d'une effusion choroidienne complète le traitement. Si le mécanisme déclenchant est le détournement vers l'arrière de l'humeur aqueuse, l'ouverture de la hyaloïde au Yag rétablit le circuit normal. Si cela est insuffisant, la vitrectomie, voire l'ablation du cristallin sont nécessaires.

CONCLUSION La gonioscopie est l'examen qui permet le diagnostic de la fermeture de l'angle. Elle permet en outre la visualisation des goniosynéchies qui expliquent l'altération

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mécanique de l'angle. Mais, c'est l'UBM qui a permis d'élucider les mécanismes physiopathologiques déclenchant la fermeture de l'angle et son évolution vers la chronicité. Actuellement, l'UBM et l'OCT, permettent l'examen du pole postérieur du globe qui a sûrement un rôle important et jusque la méconnu, dans la pathologie chronique.

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