Les maisons des adolescents : une vieille histoire ? Les MDA vues comme modèles de nos manières de considérer les adolescents

Les maisons des adolescents : une vieille histoire ? Les MDA vues comme modèles de nos manières de considérer les adolescents

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 70–74 Article original Les maisons des adolescents : une vieille histoire ? Les MDA vues...

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 70–74

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Les maisons des adolescents : une vieille histoire ? Les MDA vues comme modèles de nos manières de considérer les adolescents The adolescents’ houses: An old story? Adolescents’ houses seen as models in the manner of considering adolescents P. Huerre 1 Centre Joan-Rivière, 18, rue Camille-Pelletan, 92120 Montrouge, France

Résumé Il n’est pas étonnant que l’inflation que connaît l’adolescence depuis sa création au milieu du xixe siècle débouche sur la mise en place de « maisons » pour l’héberger. Aujourd’hui, en France, chaque département se dote progressivement d’un tel dispositif. Leur diversité témoigne de celle de leurs initiateurs et des conceptions qui sont les leurs de la manière dont il convient de traiter les adolescents. L’actualité de ces maisons impose de les remettre en perspective, au vu de l’histoire de l’adolescence et des précurseurs qui en ont permis l’émergence. C’est en effet à la confluence de nos représentations concernant l’adolescence, d’une part, et de l’évolution de nos institutions, d’autre part, qu’il est possible de rendre compte des questions qui se posent aux maisons des adolescents aujourd’hui et d’imaginer ce qu’il pourrait en advenir demain. © 2010 Publi´e par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Adolescence ; Maison des adolescents ; Histoire des prises en charge ; Soins aux adolescents

Abstract Since the period of adolescence was first identified in the mid nineteenth century, its evolution has, unsurprisingly, lead to the creation of “houses” to accommodate adolescents. Today, each department of France is developing its own respective system. The diversity originates from their founders’ unique perspective and the ideas of how adolescents should be treated. The stake of these houses relies on putting them back into perspective by looking at the history of adolescence and its precursors. In fact, by studying, on the one hand, the confluence of our representations regarding the period of adolescence and, on the other hand, the evolution of our institutions, it is possible to report issues with the adolescent houses of today and deduce what they will be like tomorrow. © 2010 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Adolescence; Adolescent houses; Adolescent care

1. Introduction La prescription gouvernementale d’une maison des adolescents par département est à l’évidence bien intentionnée. Elle vise à pallier des manques reconnus par tous en matière d’accueil et d’aide pour les adolescents.

Adresse e-mail : [email protected] Psychiatre, psychanalyste. Responsable de pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dans les Hauts-de-Seine (EPS Erasme à Antony, secteur 92 I 06), vice président de la maison des adolescents des Hauts-de-Seine, expert près la cour d’appel de Versailles. 1

0222-9617/$ – see front matter © 2010 Publi´e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.neurenf.2010.07.006

Les initiatives se multiplient, à l’image de la diversité des départements qui les voient naître, dessinant l’esquisse d’un tableau très riche, en fonction de celles et ceux qui les conc¸oivent, autant que des soutiens financiers et institutionnels dont elles bénéficient. Mais cette dynamique, encore toute jeune, mérite d’être interrogée et mise en perspective si l’on veut qu’elle produise les fruits attendus. En effet, le groupe d’âges des adolescents n’a jamais laissé indifférent. Toutes les sociétés animales comme humaines en témoignent, cherchant à faire avec l’arrivée d’une nouvelle génération plus souvent vécue comme concurrente que comme espoir.

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C’est pourquoi il importe de ne pas ignorer comment d’autres, ailleurs et dans d’autres temps, ont fait avec les jeunes, le plus souvent tiraillés entre des exigences contradictoires de protection de la génération adulte en place, d’une part, et le souci de faire une place aux suivants, d’autre part. Les maisons des adolescents n’ont aucune raison d’échapper à ces enjeux, quelles que soient les bonnes intentions de celles et ceux qui les font naître et vivre. 2. L’adolescent : ici, ailleurs et en d’autres temps Entre famille et société, entre enfance et âge adulte, l’adolescent est au cœur des enjeux de notre monde. Pour mieux penser les réponses que nous lui apportons, il importe d’interroger la fac¸on dont nos pratiques professionnelles se sont progressivement mises en place et sont aujourd’hui réfléchies en relation avec l’évolution des données pédagogiques, sociologiques, culturelles, économiques, démographiques. . . Quelques témoignages anthropologiques, animaux et historiques peuvent contribuer à éclairer le propos. Dans de nombreuses espèces animales, quand vient le temps de la puberté, les juvéniles sont exclus du groupe d’appartenance. Cela est dû au danger qu’ils représentent pour la cohésion sociale hiérarchisée du fait de leur sexualité. C’est le cas en particulier des cervidés comme les rennes et les bouquetins qui doivent vivre en horde unisexuée. C’est ce même mécanisme qui conduit les jeunes mâles gorilles à être rejetés et à vivre en solitaires. Les chevaux sauvages de Mongolie connaissent le même sort, les jeunes mâles chassés se regroupant en un troupeau qui suit le groupe adulte. On retrouve cette manière de faire avec les pubères chez des vertébrés aussi différents que les oies, les renards, les castors, les blaireaux et les rhinocéros. . . Ces mécanismes sont d’autant plus actifs que la survie du groupe est menacée par des conditions défavorables. Mais attention, ce sont des animaux. Toute ressemblance avec les groupes humains serait certainement abusive ! Quoique. . . Justement, allons voir du côté des humains sous d’autres cieux. C’est dans « la maison des hommes » que les jeunes Baruyas vont vivre et apprendre ce qui sera nécessaire à leur vie adulte future tant du point de vue des techniques de chasse que de la sexualité. Les jeunes Masais, quant à eux, quittent le village à partir de 12 ou 14 ans pour vivre dans un autre village construit par eux, le « village des adolescents » pourrait-on dire. Dans beaucoup de groupes humains, les jeunes ont leur territoire propre jusqu’au temps de leur réintégration dans la société adulte. Ainsi les espaces attribués à chaque classe d’âge chez les Indiens Canella au Brésil, « la maison des garc¸ons » aux îles Trobriand, les grandes cabanes, à distance du village, des jeunes d’Afrique centrale et orientale. Autant de formes de maisons des adolescents, au sens plein du terme, car c’est bien là qu’ils vivent ! Il apparaît que ces différents modèles prennent bien entendu des formes évolutives selon les lieux et au fil des temps, mais ils témoignent surtout du besoin de mettre les adoles-

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cents en « cases » (maisons, diagnostics, institutions. . .) et à distance. 3. Et dans nos sociétés occidentales ? Regardons à présent dans nos sociétés occidentales industrialisées, le parallélisme entre l’invention de l’adolescence au milieu du xixe siècle et les créations institutionnelles destinées à y répondre [1]. Ou plutôt, de répondre aux angoisses comme à la fascination que suscitent les adolescents. Des « maisons » de redressement aux « maisons » de correction, en passant par l’île de la Désirade vers laquelle étaient envoyés les jeunes indésirables. . . Nos organisations et nos théorisations reflètent bien souvent notre crainte d’un débordement, à l’image des risques du débordement pulsionnel qui menace les adolescents et réactive vraisemblablement le nôtre. Si les romanciers et poètes, de Rousseau à Stendhal, en passant par Rimbaud, pour ne parler que des siècles proches, se sont intéressés aux adolescents de longue date, les pédagogues ont attendu plus longtemps, ainsi que les éducateurs, précédant de peu les psychologues et les sociologues au tout début du xxe siècle, puis les psychanalystes et enfin les psychiatres ! Les premiers témoignages de l’intérêt de la psychiatrie pour les adolescents, après la création de la notion d’adolescence dans la seconde moitié du xixe siècle, sont les descriptions d’anorexie mentale par Marcet en 1860 et Lasègue en 1873. C’est aux États-Unis, il y a un peu plus d’un siècle, en 1896, que Stanley Granville Hall crée une chaire d’hébélogie. Cette « science de la jeunesse » s’appuie sur un triptyque – déjà ! – : la physiologie, la psychologie, le social. . . Mais il oublie la sexualité. . . Ailleurs on s’intéresse à l’hébéphrénie, la « folie de la puberté ». Le souci dominant au sujet des jeunes est alors celui de l’intégration sociale permise par l’école. Mais au début du xxe siècle, l’attention est surtout portée sur le vice, l’indiscipline et les transgressions. Duprat peut écrire en 1909 que « l’adolescent est un malade en puissance », tandis que Durkheim dans Le suicide dit que « l’appétit sexuel de l’adolescent le porte à la violence, à la brutalité, voire au sadisme. Il a le goût du sang et du viol ». August Aichhorn va créer en 1923 à Vienne, en Autriche, une consultation psychopédagogique pour les jeunes, et Adler, en 1920, une consultation psychoéducative afin de développer leur « sens social ». Plus tard, en France, dans la première moitié du xxe siècle, apparaît l’intérêt pour les « anormaux scolaires », suite à la thèse de Georges Heuyer puis les travaux de psychologie appliquée à la pédagogie avec Claparède. De 1946 à 1967, l’impact du baby-boom succédant au drame de la seconde guerre mondiale va rendre à la jeunesse une image nouvelle. C’est le temps de la « fureur de vivre ». Mais aussi de quelques changements fondamentaux. C’est après-guerre seulement en France que l’adolescent va faire l’objet d’un intérêt nouveau, à la suite d’une extension de la scolarisation à une classe d’âge plus large (le collège pour

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tous institué en 1963, après que l’âge de l’obligation scolaire soit passé de 14 à 16 ans en 1959) et aux deux sexes à partir des années 1930, grâce à Victor Duruy. Après avoir été inventée en 1956 pour traiter les troubles menstruels, la pilule est dispensée comme contraception, sur prescription, à partir de la loi Neuwirth en 1967. L’augmentation de la délinquance préoccupe. L’adolescence étant considérée comme une maladie la plupart du temps à évolution favorable, Winnicott rappellera qu’il n’en est rien et que c’est plutôt l’absence de crise qui doit être vue comme pathologique. En psychiatrie, les pionniers sont Hubert Flavigny, Pierre Mâle, André Berge, Serge Lebovici qui créeront respectivement le centre familial de jeunes de Vitry, une consultation à l’hôpital Sainte-Anne, le centre Alfred-Binet. Puis, quelques années plus tard, Thérèse Tremblais-Dupré et Henri DanonBoileau qui ouvriront le centre Étienne-Marcel pour l’une et la clinique Dupré pour l’autre. Et encore Évelyne Kestemberg qui évoquera la psychopathologie spécifique de l’adolescence dans un article de 1962. De 1968 à 1980, la question de l’adolescence explose. Elle fait vendre autant qu’elle fait peur. C’est « la crise de générations » dont parle Gérard Mendel, « le fossé des générations » de Margaret Mead. La majorité est ramenée à 18 ans. La mixité est instituée en milieu scolaire. Les mineurs accèdent en 1974 aux soins gratuits et anonymes dans les centres de planning familial. La puissance paternelle laisse la place à l’autorité parentale à partir de la loi du 4 juin 1970. La psychiatrie de l’adolescent est prise dans la tourmente des idées. C’est l’adolescence de la spécialité : elle est en quête d’une identité entre l’antipsychiatrie, les approches familiales, la sectorisation (en mars 1972), le développement des psychotropes, la place de la psychanalyse. . . Faut-il agir sur le monde interne et/ou sur le monde externe ? Les débats sont vifs et passionnés. On passe de l’adolescence comme crise à la notion de processus. Des auteurs comme P. Mâle et P.C. Racamier attirent l’attention sur les risques de fixer les troubles des adolescents par des réponses trop lourdes. Ils soulignent les potentialités évolutives de cet âge et l’intérêt des mesures qui les soutiennent. Ayant pu constituer dans le département de l’Essonne, grâce au soutien du Dr Tony Lainé, un réseau intersectoriel de réflexion et de réponses pour les adolescents en difficulté, autour d’un pôle d’accueil et de soins dans lequel intervenaient psychiatres d’adultes, psychiatres d’enfants et d’adolescents, médecin généraliste, psychologues, anthropologue. . . en liens étroits avec l’éducation nationale, les institutions éducatives et les hôpitaux généraux, j’ai, à l’époque (1976), rencontré l’étonnement, voire la réprobation face à ce projet. Pourquoi diable s’occuper d’adolescents ? N’y avait-il pas d’autres priorités ? Ce dispositif a pu néanmoins voir le jour en 1979 (autour de « L’entre-temps », centre d’accueil et de soins pour adolescents, à Savigny-sur-Orge), préfigurant sous une autre appellation ce qui s’appelle aujourd’hui « maison des adolescents » !

De 1980 à 1996, la situation économique se dégrade, en particulier celle de l’emploi. Ce qui constituait l’un des derniers rites d’accès à l’âge adulte disparaît. Dès 1981, Bertrand Schwarz insistait pourtant, bien que mal entendu, sur le fait de ne pas séparer les exigences de la formation des jeunes de celle des plus âgés pour éviter leur exclusion de la société. Le sida modifie radicalement la relation à la sexualité pour les adolescents, en rupture d’avec ce que leurs parents avaient pu connaître. La jeunesse devient de plus en plus étrangère aux adultes qui ont remisé leur adolescence dans les caves de leur mémoire. La pré-adolescence et la post-adolescence gagnent du terrain promettant aux spécialistes de l’adolescent un bel avenir et aux adolescents une dépendance prolongée dont témoigne l’âge moyen de départ de « la maison ». . . des parents. Les « maisons des jeunes et de la santé » créées en faveur des jeunes en 1995 dans le cadre des « mesures Balladur » n’auront tenu que peu de temps. Les bonnes intentions et les projets préventifs se multiplient. Est-ce un hasard si dans le même temps les expressions symptomatiques adolescentes prennent de l’ampleur : alcoolisation aiguë, absentéisme scolaire, fugue, tentative de suicide, scarification, abus des écrans, troubles des conduites alimentaires, violence. . . ? Plus l’adolescence enfle en repoussant les limites d’amont que représente la puberté (en réduisant d’autant la période de latence et ses vertus) et celles d’aval auparavant ritualisées lors de l’accès à l’âge adulte, plus il faudrait répondre à cet âge nouveau qui a été généré, comme s’il s’agissait d’un phénomène naturel. L’adolescence est une construction artificielle, datée historiquement et répondant aux nécessités conjoncturelles de sociétés industrialisées, à l’inverse de la puberté qui, de tous temps, fait passer de l’état d’enfant à celui d’adulte. Il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui, sous couvert de bonnes intentions, soient créées des « maisons des adolescents » censées répondre à toutes les questions que pose ce groupe d’âges aux générations précédentes, avec le risque de confondre ce qui relèverait de prises en charge individuelles et ce qui témoigne de la difficulté croissante de nos contemporains à faire place à la génération suivante, tant dans la vie professionnelle que dans l’indépendance économique et dans l’accès au logement. Nous connaissons bien par ailleurs les capacités de nos institutions à justifier leur bien-fondé par rapport à des modes d’expression préoccupants (alcoolisation aiguë, tentative de suicide, troubles des conduites alimentaires, scarifications, absentéisme scolaire, fugues. . .), contribuant ainsi à éviter d’interroger les dysfonctionnements sociétaux qui contribuent, chez les plus vulnérables des adolescents, à organiser et donner une forme à leur symptomatologie du moment. Toute autre est la problématique psychopathologique. En effet, l’approche plurielle des difficultés adolescentes ne signifie pas pour autant que nous devrions considérer la souffrance psychique comme simple résultante de ces influences ou comme effet des violences externes infligées à l’être humain. L’objet principal de notre métier en psychiatrie est bien l’attention et

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les soins que nous portons au monde interne de l’adolescent en souffrance. Mais à cet âge, plus encore qu’à d’autres, afin de ne pas s’engager dans une approche réductrice, nous ne pouvons méconnaître ce qui pèse sur nos patients au-delà des troubles qu’ils présentent et qui justifient nos soins. N’oublions pas que dans le même temps où l’on se saisit rapidement des troubles les plus visibles et les plus bruyants (passages à l’acte au sens large, essentiellement), les pathologies psychiatriques adolescentes tardent souvent à être prises en compte sérieusement, faute de repérage suffisamment rapide et par défaut de réponses soignantes adaptées. 4. Alors, quid des maisons des adolescents ? Les maisons des adolescents, quand elles sont construites autour d’un projet « réponse à tout sur place », ne signentelles le décret d’incompétence pour les réponses déjà apportées aux adolescents et à leurs questions dans un département donné ? N’invalident-elles pas – quand bien même elles ne le souhaiteraient pas – les multiples initiatives le plus souvent discrètes des dispositifs sanitaires, sociaux, culturels, éducatifs. . . qu’ils opèrent dans le service public, dans le champ associatif ou dans le secteur libéral ? N’accréditentelles pas en miroir, avec ce modèle, l’illusion et l’espoir adolescent de trouver par soi-même une réponse à toutes les questions qui se posent, sans rien devoir à quiconque d’autre ? Par ailleurs, lorsqu’elles sont construites autour des problématiques pathologiques de l’adolescence, ne sont-elles pas davantage des « maisons thérapeutiques pour adolescents », pour ne pas dire des hôpitaux, que des lieux – au sens « maison pour tous » les adolescents – ouverts aux questions d’éducation, de culture, de droit. . . ? La maison des adolescents n’est-elle pas celle où vit leur famille ? Comment ne pas tomber dans ces panneaux ? Si ce n’est en créant des dispositifs valorisants les réponses existantes et en facilitant l’accès. Et c’est de plus en plus souvent le cas, les nouvelles « maisons des adolescents » s’inscrivant dans un réseau de partenaires sanitaires, mais aussi éducatifs, pédagogiques, culturels, judiciaires. . . Et lui donnant une visibilité plus nette et une raison supplémentaire de fonctionner utilement. La quête de modèles identificatoires par l’adolescent pour la construction de son « moi » nous confère en effet une responsabilité particulière dans la manière dont nous l’accueillons avec la diversité de ses questions. Cautionnons-nous le modèle de la grande surface où chacun fait ses emplettes en fonction de ses besoins, chaque stand cherchant à promouvoir ses produits, sans lien avec les autres ? Il faudra alors un grand hall d’accueil, idéalement avec musique d’ambiance, des écrans, un logo dont la promotion sera faite largement. Soutenons-nous plutôt l’éclatement des réponses, à charge pour l’adolescent et ses parents de se débrouiller dans la jungle institutionnelle d’où ressortirait de fac¸on plus visible la maison des adolescents du département qui, si ses prestations sont

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avant tout médicopsychologiques, contribuera à renforcer l’idée que pour être accueilli en tant qu’adolescents, il faut en passer par la case sanitaire, avec les symptômes que cela requiert. Renforc¸ant ainsi lors des bilans ultérieurs le bien-fondé de la démarche ? Ou bien, et ma préférence va bien évidemment de ce côté-là, considérons-nous qu’une des questions importantes qui occupe les adolescents en période de construction identitaire est bien d’établir des liens nouveaux entre corps et psyché, enfance et âge adulte, soi et ses parents, monde interne et monde externe, passé–présent–avenir. . . C’est dire dans ce cas que la qualité des liens entre toutes celles et tous ceux qui ont vocation à les rencontrer sera déterminante : quel espoir donnons-nous aux adolescents de pouvoir assembler les différentes facettes de leurs investissements et de leurs questions, si ce n’est par nos manières d’échanger et de travailler avec les professionnels d’autres domaines d’intervention que le nôtre. Car en effet demain, plus encore qu’aujourd’hui, les capacités d’établissement de liens nouveaux et d’ouverture (tant sur le plan de la culture, des langues, de l’intérêt pour les différences et le nouveau) seront déterminantes. C’est pourquoi il importe, à partir d’une base bien repérée – pourquoi pas la maison de l’adolescent comme instance de coordination puisque nous sommes invités à en constituer – d’améliorer la connaissance mutuelle des dispositifs et des professionnels de tous les domaines concernés (médecine, psychiatrie, psychologie, droit, culture, éducation. . .), et de faciliter l’accès aux réponses existantes (ou à les susciter si elles font défaut) adaptées à un adolescent donné, quel que soit le motif premier qui l’a conduit à ouvrir telle ou telle porte. Une réponse pouvant tout à fait compléter une autre, et non être dans la juxtaposition. C’est le modèle que nous avons choisi dans les Hauts-deSeine : par un développement du travail partenarial au sens large du terme comme préalable à la constitution d’une association loi 1901 « maison des adolescents des Hauts-de-Seine », qui a ellemême pour but de soutenir cette dynamique et de rendre plus facile le recours aux personnes et dispositifs correspondants aux besoins de l’adolescent et/ou de ses parents. Cela à l’aide d’un site Internet et d’un numéro de téléphone unique, de la mise en place de groupes de travail thématiques interprofessionnels, de temps de coordination, sans réception sur place des jeunes ou de leur famille. Dans une période caractérisée par un fonctionnement de type adolescent (priorité au présent ; réactivité ; agir plutôt que réfléchir ; avoir à défaut d’être encore ; illusion d’un autoengendrement. . .), la question se pose aux professionnels de savoir s’ils subiront eux-mêmes cette tendance de fac¸on naïve (ou opportuniste), ou s’ils privilégieront une approche adulte au sens où ils prépareront l’avenir en référence à l’histoire et n’accréditeront pas une soi-disant toute puissante réponse à tout, faisant fi de l’autre et des différences de points de vue. C’est un défi passionnant qui n’a pas fini de se heurter à de l’incompréhension et de l’impatience, mais qui peut aider largement à la construction des adolescents les plus vulnérables,

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en lien avec leurs parents et toutes celles et ceux qu’ils croisent sur leur chemin de vie. Conflit d’intérêt Aucun.

Référence [1] Huerre P, Pagan-Reymond M, Reymond JM. L’adolescence n’existe pas : histoire des tribulations d’un artifice. Préface du Pr Jean Bernard. Paris: Éditions Universitaires; 1990 [Nouvelle édition actualisée : Paris: Éditions Odile Jacob; 2002].