Rev Méd Interne 2002 ; 23 : 292-307 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0248866301005549/SSU
Mise au point
Les surdités brusques idiopathiques T. Mom*, P. Avan, L. Gilain Service d’ORL et de chirurgie cervicofaciale et laboratoire de biophysique sensorielle (EA 2667), CHU, 30, place HenriDunant, 63000 Clermont-Ferrandcedex, France (Reçu le 14 mars 2001 ; accepté le 10 août 2001)
Résumé Propos. – Les surdités brusques idiopathiques sont des surdités neurosensorielles sans cause déclenchante reconnue au moment de leur installation. L’atteinte neurosensorielle est habituellement cochléaire, mais certaines lésions rétrocochléaires (tumorales de l’angle pontocérébelleux, dégénératives, ou ischémiques du névraxe) peuvent se révéler ainsi. La prise en charge vise à rechercher une cause et à instaurer un traitement en urgence. Lorsqu’aucune cause n’est trouvée, on pose le diagnostic de surdité brusque idiopathique. Habituellement l’atteinte est cochléaire. La physiopathologie de cette atteinte sensorielle est encore inconnue. Il est très probable que plusieurs causes soient possibles, leur point commun étant une altération de la boucle de rétrocontrôle de l’organe de Corti. Actualités et points forts. – Il est fort probable que parmi les causes, une réactivation de virus neurotropes et/ou une ischémie cochléaire soient fréquentes. Quelle que soit la cause, le traitement doit être instauré en urgence et comprendre une corticothérapie à forte dose. Tout autre traitement n’a jamais prouvé formellement son efficacité. On cherche ensuite, dans un second temps moins urgent, à éliminer une atteinte rétrocochléaire, telle qu’une tumeur de l’angle pontocérébelleux, notamment chez le sujet jeune. Perspectives et projets. – Un des objectifs actuels est de pouvoir déterminer les cas d’ischémie cochléaire de façon mini-invasive, notamment par vélocimétrie laser doppler, afin d’optimiser le traitement. Sur le plan thérapeutique, la protection acoustique précoce est bénéfique en cas d’ischémie cochléaire, au moins chez l’animal. Son efficacité en cas de surdité brusque, toute étiologie confondue, est en cours d’évaluation, dans un projet multicentrique. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS surdité / cochlée / ischémie / vélocimétrie laser doppler / neurinome de l’acoustique
Summary – Sudden idiopathic deafness. Purpose. – Sudden idiopathic deafness is a sensorineural hearing loss with no recognized causes at the time of onset. The impairment site is usually localized in the cochlea, but some cases of retrocochlear lesions (e.g., cerebellopontine angle tumors, degenerative neural diseases, neuraxial ischemic lesions) can induce sensorineural deafness. The medical management of patients presenting with sudden deafness aims at detecting a causal mechanism, and at administering emergency therapeutic drugs. The diagnosis of idiopathic sudden deafness can be definitely made when no causes are found. Usually, the impairing mechanism involves the cochlea. The pathophysiology of this sensorineural alteration is still unknown. It is most likely that several mechanisms are associated together, their common point being an impairment to the feedback loop of the organ of Corti. Current knowledge and key points. – It is very likely that reactivation of neurotropic viruses and/or cochlear ischemia are frequent etiologies. Whatever the cause, the treatment is to be administered *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (T. Mom).
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urgently, and consists of a high-dose corticotherapy at the least. Other treatments have never really proven to be effective. It is secondarily checked that no retrocochlear pathological processes, such as a cerebellopontine angle tumor, is present, in particular in young people. Future prospects and projects. – One of the current objectives is to determine when cochlear ischemia is involved, in a mini-invasive manner, such as with laser Doppler flowmetry, so that the treatment can be optimized. From a therapeutic point of view, early acoustic protection has been proven to be effective in cases of cochlear ischemia in small laboratory animals. Its efficacy in case of sudden deafness, non-exclusive of other causes than ischemia, is being assessed in a multicentric project. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS sudden deafness / cochlea / ischemia / laser Doppler flowmetry / acoustic neuroma
Une surdité brusque est une surdité neurosensorielle d’installation brutale, sans cause déclenchante reconnue, dont la gêne est suffisante pour être ressentie par le patient [1]. Cette entité est à distinguer des surdités progressives, de déterminisme encore incertain (probablement génétique [2] ou auto-immun [3]). Une surdité brusque survient brutalement, est le plus souvent unilatérale et ne s’aggrave qu’occasionnellement dans le temps, contrairement aux surdités progressives, volontiers bilatérales, dont l’aggravation dans le temps est constante. L’incidence des surdités brusques est difficile à estimer car il est vraisemblable qu’une bonne partie des personnes atteintes de cette affection la néglige. Comme beaucoup d’entre elles sont prises en charge en dehors de toute hospitalisation, leur recensement n’est pas facile. On estime à environ cinq à 20 cas pour 100 000 personnes par an l’incidence des surdités brusque [4]. Les causes peuvent être nombreuses, car le traitement neurosensoriel d’une stimulation acoustique comprend différentes étapes. Un son subit d’abord, au sein de la cochlée, la transduction auditive, c’est-àdire sa transformation en une série de potentiels d’action qui parcourront le nerf acoustique. Ce signal emprunte ensuite les voies auditives centrales jusqu’au cortex temporal auditif (zones de Heschl droite et gauche). Plusieurs sites lésionnels sont ainsi possibles. Le plus souvent, en cas de surdité brusque, l’atteinte est cochléaire, mais il existe des lésions dites rétrocochléaires, de l’angle pontocérébelleux ou du tronc cérébral par exemple, qui peuvent se révéler par une surdité brusque. La physiopathologie est complexe et encore incomplètement connue mais sa connaissance est à la base des traitements que l’on peut proposer. Il nous semble pour cela important de rappeler comment fonctionne la cochlée avant de
donner des recommandations sur la prise en charge des patients atteints de surdité brusque. PHYSIOPATHOLOGIE Données générales On écarte du cadre des surdités brusques les surdités de transmission, induites par un obstacle à la progression des stimuli sonores à travers le conduit auditif externe, à la vibration de la membrane tympanique et au déplacement de la chaîne ossiculaire. La cochlée n’est qu’une partie du labyrinthe, qui comprend un appareil dédié à l’équilibre (labyrinthe postérieur), et un autre à l’audition (cochlée). Ces deux parties comprennent des cavités et canaux remplis de liquides ainsi qu’un épithélium sensoriel, vestibulaire dans le labyrinthe postérieur, et cochléaire ou organe de Corti dans la partie antérieure. Un point particulier est que ces deux compartiments sont intimement liés par une connexion canalaire directe (canalis reuniens entre saccule et cochlée membraneuse). Ainsi, une effraction vestibulaire (traumatique ou tumorale, par exemple) entraînant une fuite de liquide endolabyrinthique (fistule labyrinthique) peut retentir sur la cochlée. C’est aussi grâce à ce lien direct que les stimuli sonores parviennent à faire vibrer l’organe de Corti (figure 1). La mise en jeu du système tympano-ossiculaire par une stimulation acoustique provoque en premier lieu un enfoncement de l’étrier dans le vestibule, c’est-à-dire dans le labyrinthe postérieur. Le déplacement liquidien qui s’ensuit se propage ensuite à tout le labyrinthe et notamment à la membrane basilaire sur laquelle est placé l’organe de Corti, responsable de la transduction auditive. Depuis les travaux de von Békésy [5], on sait que ce déplacement liquidien est grossière
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une série de potentiels d’action qui cheminent le long du nerf acoustique. La finesse de cette transduction nécessite une boucle de rétrocontrôle, dont l’existence fut suspectée dès 1948 par Gold [8]. Ce n’est que 30 ans plus tard que le fonctionnement de cette boucle de rétrocontrôle a été compris, en grande partie grâce aux travaux de Kemp [9]. La boucle de rétrocontrôle de la cochlée
Figure 1. Schéma d’une coupe transversale de cochlée. L’organe de Corti (OC) où s’effectue la transduction auditive est situé sur la membrane basilaire (MB). Le pôle apical des cellules ciliées est en contact avec l’endolymphe. La strie vasculaire (St Vas) génère le potentiel endolymphatique. Les fibres du nerf auditif (FibN), issues du ganglion spiral (Gsp), sont connectées directement à l’OC. Lig Sp : ligament spiral ; SV : scala vestibuli ; ST : scala tympani.
ment accordé en fréquence à la stimulation acoustique. Il existe un gradient de rigidité progressif de la membrane basilaire entre la base et l’apex de la cochlée, de telle sorte que les sons aigus (de fréquence élevée) font vibrer la membrane basilaire à la base alors que les sons graves (de fréquence plus basse) peuvent se propager jusqu’à l’apex de la cochlée. Ces propriétés physiques de la cochlée donnent une première explication à l’organisation fréquentielle du traitement du signal acoustique de la cochlée, ce qui est appelé tonotopie cochléaire. Toutefois ces particularités anatomiques ne suffisent pas à expliquer la finesse du filtre cochléaire ni sa capacité à amplifier considérablement des sons de faible énergie. On sait, par exemple, que la cochlée peut percevoir des sons porteurs d’une énergie aussi faible que celle de l’agitation thermique (in [6]). On ne peut pas non plus expliquer par une seule mécanique passive la capacité cochléaire de compression des sons forts, c’est-à-dire la capacité de la cochlée à minimiser à l’extrême leur amplification. Il existe donc un véritable « amplificateur » cochléaire pour reprendre les termes de Davis [7]. Plus qu’une simple amplification, la cochlée reconnaît le signal acoustique en termes de fréquence, d’intensité et de rythme, l’amplifie à la demande, puis le transcrit en
L’organe de Corti contient deux types de cellules dont l’architecture rappelle celles des cellules sensorielles : les cellules ciliées internes et externes (CCE). Les véritables cellules sensorielles sont les cellules ciliées internes. Elles sont directement couplées aux fibres nerveuses afférentes du nerf acoustique, par de véritables synapses. Le neurotransmetteur principal à ce niveau est le glutamate [10]. D’emblée on peut en déduire la possibilité de phénomènes d’excitotoxicité, du fait de cette connexion synaptique glutamatergique. Cela a été très clairement montré [11]. En bref, après agression de cette synapse (par ischémie ou traumatisme acoustique), le glutamate relâché en excès sera responsable d’une aggravation des dégâts synaptiques. Les cellules ciliées internes sont stimulées par le déplacement de leur touffe ciliaire sous l’influence des déplacements d’endolymphe provoqués par le travail des CCE qui leur font face. Les CCE ne sont pas des cellules sensorielles, mais sont d’une importance capitale à la transduction auditive. Ce sont en fait des cellules contractiles, capables de se contracter à une fréquence qui leur est propre lorsque leur touffe ciliaire est mise en mouvement [12]. Le moteur cellulaire permettant cette contraction est située sur la membrane cellulaire et a récemment été isolé [13]. Les CCE sont ancrées à la membrane basilaire par l’intermédiaire de cellules de soutien, et à la membrane tectoriale directement par leur touffe ciliaire. La boucle de rétrocontrôle cochléaire est centrée sur leur action. La figure 2 schématise cette boucle. Lorsqu’un son fait vibrer la membrane basilaire, les cils des CCE sont cisaillés du fait du double ancrage des CCE à la membrane basilaire et à la membrane tectoriale. Ce cisaillement permet l’ouverture au niveau des cils, de canaux ioniques [6]. Un flux entrant de potassium peut s’effectuer, ce qui entraîne une dépolarisation cellulaire. En réponse à cette dépolarisation, la CCE se contracte à sa fréquence propre. À l’endroit de l’organe de Corti où cette fréquence est accordée à la vibration de la membrane
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Figure 2. La boucle de rétrocontrôle de la cochlée. Une stimulation sonore externe (E ext) met en mouvement les liquides endolabyrinthiques. Il en résulte une vibration de la membrane basilaire qui porte l’organe de Corti. La touffe ciliaire des cellules ciliées externes (CCE) est cisaillée au rythme de la stimulation, du fait de l’ancrage de ces cellules par leur cils à la membrane tectoriale, et par l’intermédiaire de cellules de soutien à la membrane basilaire. Cette oscillation ciliaire permet l’ouverture de canaux ioniques et par suite un courant entrant de potassium (∆I). Ce courant entraîne une dépolarisation cellulaire (∆V), d’autant plus forte que la différence de potentiel entre potentiel endolymphatique et milieu intracellulaire est importante. La réponse cellulaire est une contraction à une fréquence propre à la CCE. À l’endroit accordé à la stimulation externe, cette réinjection d’énergie (E int) générée dans la cochlée amplifie la vibration de la membrane basilaire. L’information finale est transmise aux cellules ciliées internes (CCI) qui sont couplées par synapses aux fibres afférentes.
basilaire, se produira un phénomène de résonance aboutissant à une amplification considérable du stimulus d’entrée. Ailleurs cette contraction des CCE rentrera en contradiction avec la stimulation entrante et l’amortira. La dépolarisation de la CCE, et par conséquent sa réponse, sera d’autant plus importante qu’il existe au préalable une différence de potentiel importante, d’environ 160 mV entre compartiment endolymphatique et milieu intracellulaire. Cette forte
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différence de potentiel est fournie par un potentiel intracellulaire très fortement négatif au repos (de l’ordre de moins 70 mV) et par l’existence d’un potentiel endolymphatique élevé aux alentours de 90 mV. Ce potentiel endolymphatique est généré par la strie vasculaire, dense réseau de capillaires uniques dans l’organisme, capable de générer cette différence de potentiel par la mise en jeu de pompes à sodium et à protons [14]. On peut comprendre ici que si la strie vasculaire est altérée, la différence de potentiel entre CCE et endolymphe s’effondrera, avec des conséquences sur l’acuité auditive. Cela est connu de longue date, après constatation, par exemple, de l’effet de diurétiques (furosémide, acide éthacrinique) toxiques pour la strie vasculaire [15]. Ce rôle primordial de la strie vasculaire pour une bonne audition est encore confirmé par la mise en évidence de surdités génétiques dues à sa malformation [16]. En résumé, la finesse et les capacités d’amplification du filtre cochléaire sont dues au travail des CCE, en présence d’un potentiel endolymphatique élevé. L’énergie générée par les CCE est transmise ensuite aux cellules ciliées internes puis au nerf acoustique. On comprend que même si les CCE ne sont pas des cellules sensorielles, elles sont indispensables au fonctionnement optimal de la cochlée. D’ailleurs il est bien connu que leur destruction, ou le blocage de leurs canaux ioniques, entraîne une surdité neurosensorielle. Cela est rapporté depuis les années 1980 pour le cisplatine [17] et depuis plus longtemps encore pour les aminoglycosides [18]. Il existe même des modèles de souris mutantes qui ne possèdent pas de CCE et qui présentent une surdité neurosensorielle indubitable [19]. On doit remarquer que le fonctionnement de cette boucle nécessite un couplage parfait entre ses différents acteurs. Une surdité peut ainsi survenir en cas de fistule labyrinthique ou de rupture de la membrane basilaire. Mécanismes de l’atteinte cochléaire en cas de surdité brusque La plupart des surdités brusques sont dues à une altération cochléaire [20]. On ne saurait toutefois négliger la possibilité d’altération des voies nerveuses de l’audition, au niveau de l’angle pontocérébelleux, du tronc cérébral ou même, exceptionnellement, du cortex auditif. Lorsque l’atteinte est cochléaire, la strie
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vasculaire peut être touchée, de même que les CCE, les cellules ciliées internes ou les cellules ganglionnaires (fibres afférentes). On peut même penser qu’une atteinte élective des cellules soutien est capable d’entraîner une surdité neurosensorielle. On retient deux hypothèses majeures, d’une part l’atteinte virale de l’organe de Corti ou de la strie vasculaire et, d’autre part, l’ischémie cochléaire. L’hypothèse d’une atteinte virale de la cochlée Il est bien connu que certaines affections virales peuvent entraîner des surdités neurosensorielles (oreillons, rougeole et rubéole, par exemple [21]). Le cytomégalovirus est aussi indubitablement responsable de certaines surdités congénitales [22]. C’est sur la base de constatations histologiques de destruction des neurones ganglionnaires, que Ishii et Toriyama [23], puis Schuknecht et Donnovan [24] ont évoqué la possibilité d’une atteinte virale comme cause première de surdité brusque. D’autres équipes s’appuient sur des arguments sérologiques pour évoquer une cause virale [25]. Certains auteurs suspectent fortement les virus Herpès simplex car ce type de virus et/ou leur ADN a été isolé à partir de prélèvements du ganglion spiral [26]. Toutefois, le lien causal entre ces virus et une atteinte auditive neurosensorielle n’a jamais été formellement montré. Le virus de la varicelle et du zona a été directement désigné comme responsable de surdité brusque, souvent accompagnée d’une paralysie faciale [27]. D’autres virus sont probablement à l’origine de surdités neurosensorielles mais dans ces cas, la cause de la surdité semble souvent multifactorielle. Dans l’hypothèse virale, la réactivation d’un virus neurotrope est une hypothèse plus vraisemblable qu’une infection virale systémique [28]. L’hypothèse vasculaire Beaucoup d’arguments prouvant que l’altération de la vascularisation cochléaire entraîne une surdité neurosensorielle immédiate sont incontestables Dès la fin des années 1950, Perlman et al. [29] montrèrent l’extrême sensibilité de la cochlée à l’ischémie. Par la suite, de nombreuses expériences menées chez le mammifère de laboratoire confirmèrent ce fait [3032]. Comme la vascularisation cochléaire provient uniquement des artères du système labyrinthique, la survenue d’épisodes d’ischémie cochléaire ayant un retentissement clinique est plausible, ce qui expliquerait certains cas de surdité brusque. Il a ainsi été
rapporté des cas de surdité brusque associés à un ralentissement de la circulation vertébrobasilaire [33]. De Felice et al. ont rapporté une plus grande fréquence d’artère communicante postérieure non fonctionnelle en cas de surdité brusque [34]. Dans une étude cas–témoins, une augmentation de la fréquence de survenue des surdités brusques a été remarquée en cas de mutation du gène de la prothrombine associée à une thrombophilie [35]. D’une manière générale, on retrouve plus de facteurs de risque vasculaire chez les patients atteints de surdité brusque [36]. Toutes les équipes chirurgicales opérant des schwannomes vestibulaires ont rapporté des cas de surdité postopératoire alors que la cochlée et le nerf acoustique avaient été préservés [37]. Le mécanisme est alors probablement ischémique. Si l’ischémie est totale et définitive, il n’y a bien sûr aucune chance de récupération fonctionnelle. En revanche, s’il s’agit d’une ischémie partielle et temporaire, comme au cours d’un spasme de l’artère labyrinthique, on peut espérer une récupération fonctionnelle [38]. En effet, si la cochlée est très sensible à l’ischémie, elle est capable de récupérer sa fonction, même après plusieurs minutes d’interruption totale de sa vascularisation (jusqu’à cinq à six minutes [31]). Selon Tange [39], l’atteinte élective des branches artérielles de la cochlée et du vestibule expliquerait les différentes associations cliniques que l’on rencontre : par exemple, atteinte auditive sur les fréquences aiguës par ischémie de la base de la cochlée avec atteinte de l’équilibre par ischémie du canal semi-circulaire postérieur (artère cochléovestibulaire) ou atteinte auditive isolée sur les fréquences graves et médium (artère cochléaire propre). Ces constatations représentent le fondement de certaines mesures thérapeutiques visant à diminuer la viscosité sanguine (hémodilution) ou à améliorer l’oxygénation cochléaire (vasodilatateurs, médicaments augmentant la déformabilité du globule rouge). Il existe un syndrome associant atteinte rétinienne et cochléaire. Ce syndrome appelé syndrome de SUSAC pourrait être dû à des micro-infarctus cochléaires et rétiniens [40]. Des cas de surdité brusque survenant à la suite d’une anesthésie générale, au cours de chirurgie non otologique, ont été rapportés [41]. La cause de ces surdités est incomprise, mais il est possible qu’il s’agisse d’une ischémie cochléaire, par bas débit dans le territoire vertébrobasilaire.
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Les autres hypothèses Atteinte auto-immune L’atteinte auto-immune de certaines surdités est suspectée depuis de nombreuses années [3, 42]. Plusieurs maladies auto-immunes peuvent induire une surdité neurosensorielle qui peut s’installer brutalement, comme le syndrome de Cogan, la polychondrite atrophiante chronique, la périartérite noueuse, la granulomatose de Wegener, la maladie de Behçet, le lupus érythémateux disséminé ou la polyarthrite rhumatoïde parmi les plus connues. Dans le syndrome de Cogan associant une kératite interstitielle non syphilitique à une atteinte auditive périphérique, il est fréquent de retrouver une atteinte par vascularite [43]. Toutefois il n’a pas été, à ce jour, formellement mis en évidence d’autoanticorps dirigés contre la cochlée et la cornée dans ce syndrome [44]. Joliat et al. ont pu mettre en évidence chez des patients atteints de surdité neurosensorielle des autoanticorps dirigés contre les fibres collagènes de type II et IX et contre une protéine cochléaire de 30 kDa [45]. De même Mayot et al. ont mis en évidence des autoanticorps anticochlée chez des patients présentant une surdité neurosensorielle [46]. Dans la maladie de Wegener, bien que l’atteinte otologique soit le plus souvent liée à l’atteinte de l’oreille moyenne [47], l’atteinte de l’oreille interne par vascularite a été rapportée [48]. En dehors de maladies auto-immunes identifiées, il est possible que les surdités brusques soit induites par un désordre auto-immun. Cela pourrait rendre compte de l’efficacité des corticoïdes dans le traitement des surdités brusques tout venant. En 1997, Toubi et al. montrèrent la forte proportion (près d’un tiers) de sujets porteurs d’anticorps anticardiolipides chez les patients atteints de surdité brusque ou progressive, alors qu’aucune des personnes de leur groupe témoin ne possédait ce type d’anticorps [49]. Bien que cette étude mérite d’être confirmée par de plus amples séries (il n’y avait que 30 patients atteints de surdité), elle apporte un argument de poids en faveur de cette hypothèse pathogénique. Atteinte pressionnelle L’atteinte de la cochlée par hydrops répond au substratum histologique de la maladie de Menière. L’hydrops correspond à une inflation de liquide endolymphatique pouvant entraîner une véritable dilatation du canal cochléaire. Cela conduit la plupart des auteurs à penser qu’il y a une augmentation de pres-
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sion endocochléaire. Pourtant cela n’a jamais été directement démontré. Les études les plus récentes se proposent d’estimer la pression endocochléaire à partir des altérations du mouvement de l’étrier lorsque le réflexe stapédien est mis en jeu. Le test de Marchbanks [50] permettrait de déduire indirectement, par l’intermédiaire de la mesure du déplacement de la membrane tympanique, la position de l’étrier lorsque le réflexe stapédien se déclenche. Schématiquement, le réflexe stapédien engendre un déplacement stapédien dont la direction (vers la caisse du tympan ou vers l’oreille interne) dépend de la position initiale (de repos) de l’étrier. Ce déplacement se répercute sur celui de la membrane tympanique. L’hypothèse de base de ce test est que la position de repos de l’étrier est dépendante de la pression périlymphatique. On peut a priori déduire de ce test, l’état pressionnel intralabyrinthique du sujet testé par rapport à une population normative. Ce test pourrait ainsi orienter le diagnostic vers une maladie de Menière [51]. La diminution brutale de pression endocochléaire peut aussi entraîner une perturbation de l’audition. Il a été rapporté des cas de surdité neurosensorielle après anesthésie locorégionale par ponction lombaire [52]. La perméabilité de l’aqueduc cochléaire est un des facteurs prédisposant au retentissement auditif des baisses brutales de pression intracrânienne [53]. On rencontre régulièrement en pratique clinique des cas de surdités et vertiges en rapport avec une fistule labyrinthique. Ces fistules surviennent soit après traumatisme (traumatisme crânien, blast auriculaire, traumatisme direct sur le système tympanoossiculaire, traumatisme par hyperpression dans la caisse du tympan lors d’un mouchage violent) soit au cours de l’évolution d’une otite chronique le plus souvent cholestéatomateuse. L’atteinte auditive, généralement neurosensorielle, peut récupérer après fermeture de la fistule. Le mécanisme de la surdité peut être plus complexe et faire intervenir, par exemple, des perturbations ioniques endo- et périlymphatiques. Une hypertension intracrânienne peut aussi engendrer des troubles auditifs [54]. Toutefois la surdité est exceptionnellement au premier plan. Atteinte génétique De nombreux syndromes malformatifs comprenant une atteinte cochléaire ont été décrits. Nous ne les
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énumèrerons pas ici. En principe, le diagnostic est fait dans l’enfance et le mode de révélation n’est pas une surdité brusque. On rencontre toutefois des cas de surdité neurosensorielle se révélant par des épisodes de surdité brusque, ne récupérant pas toujours et pouvant évoluer vers une surdité profonde. Le substratum génétique de ces surdités est fortement suspecté, et dans certains cas prouvé. Une des entités clinique bien identifiée est la surdité associée à un aqueduc vestibulaire élargi [55]. Il s’agit de sujets jeunes présentant une surdité neurosensorielle volontiers révélée puis aggravée par des traumatismes crâniens souvent mineurs. Sur les images des rochers en tomodensitométrie et IRM, on note un élargissement de l’aqueduc du vestibule. L’étiopathogénie de ce syndrome est mal connue. Des arguments morphologiques [56] et génétiques [55] rapprochent ce syndrome de l’association malformative de Pendred, comprenant une surdité neurosensorielle et un goitre diffus se révélant le plus souvent chez le grand enfant, avec hypothyroïdie modérée. D’autres malformations de la capsule otique peuvent exister isolément, comme un enroulement insuffisant de la cochlée (malformation de Mondini, par exemple). L’audition est souvent altérée dès la naissance, mais peut s’aggraver de façon brutale. En dehors de toute malformation objective décelable, on rencontre des cas de personnes présentant une surdité neurosensorielle pouvant évoluer par perte brutales de l’audition vers une surdité profonde où l’altération génétique est suspectée mais non prouvée.
Le neurinome de l’acoustique et les tumeurs de l’angle pontocérébelleux Improprement appelés neurinomes de l’acoustique, ces tumeurs sont développées à partir de la gaine de Schwann du nerf vestibulaire. Il s’agit donc de schwannomes vestibulaires. L’audition est vraisemblablement altérée par compression nerveuse directe à l’intérieur du méat acoustique interne ou par ischémie du nerf ou même de la cochlée. En effet, l’artère labyrinthique parcourt le méat acoustique interne sur toute sa longueur pour atteindre le labyrinthe. Elle est donc susceptible d’être comprimée par une tumeur se développant dans ce méat. Selon les séries, 3 à 19 % de patients porteurs d’un neurinome de l’acoustique perdent l’audition de façon brutale (figure 3) [37, 57]. Il est utile de se rappeler ici, que ces tumeurs de l’angle pontocérébelleux, qui ne sont pas développées à partir des fibres auditives, peuvent ne pas entraîner de surdité et évoluer à bas bruit. On peut trouver ainsi des neurinomes de plus de 2 cm à audition normale ou quasi normale [37]. D’autres tumeurs peuvent comprimer le pédicule acousticofacial, comme un méningiome. L’audition est pertur
Les atteintes rétrocochléaires Ces atteintes auditives intéressent le nerf acoustique, les voies auditives centrales ou le cortex auditif. Pour certains auteurs, même si leur révélation est brutale, ces altérations de l’audition ne rentrent pas dans le cadre des surdités brusques (alors considérées exclusivement comme cochléaires) [4]. Quoi qu’il en soit, ces patients se présentent avec les mêmes symptômes que ceux rencontrés en cas d’atteinte cochléaire et bénéficient de la même prise en charge initiale. Le diagnostic n’est souvent redressé que secondairement. Le mécanisme délétère est vraisemblablement une compression du nerf acoustique ou de la vascularisation cochléaire.
Figure 3. Exemple de neurinome de l’acoustique gauche révélé par une surdité brusque (cophose). Aspect en coupe IRM coronnale, en séquence pondérée en T1 avec injection de gadolinium. La tumeur prend massivement le produit de contraste. Le neurinome occupe la totalité du méat acoustique interne et bombe dans l’angle pontocérébelleux. Malgré la taille tumorale modérée (moins de 13 mm de grand axe), il existait une atteinte cochléaire probablement par ischémie (otoémissions acoustiques absentes) contribuant à la cophose.
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bée plus tardivement car la tumeur ne se développe pas, en général, dans le méat acoustique interne. Les atteintes dégénératives du nerf acoustique Le nerf acoustique peut être intéressé par un processus dégénératif confirmé par électrophysiologie et imagerie (IRM) comme au cours de l’évolution d’une sclérose en plaques [58]. L’atteinte neurale auditive périphérique est d’ailleurs connue dans cette maladie. Une sclérose en plaques peut se déclarer par une surdité brusque, bien que cela ne soit pas le mode habituel de révélation de la maladie [59]. Les atteintes du tronc cérébral Les noyaux cochléaires et les voies auditives centrales peuvent être atteintes au cours d’un accident ischémique [60]. Ces accidents ischémiques du tronc cérébral donnent volontiers des surdités bilatérales [61]. Les troubles auditifs dus à une atteinte unilatérale sont beaucoup plus difficiles à déceler. De nombreux types d’affections pouvant entraîner des thromboses sont en cause. Il est exceptionnel que l’accident vasculaire se présente sous la forme d’une surdité brusque isolée ou même que la surdité soit au premier plan, mais cela est possible [61]. Le tronc cérébral peut être comprimé par une tumeur de voisinage avec retentissement auditif, mais le plus souvent la compression intéresse d’abord le pédicule vasculonerveux acousticofacial. Les atteintes corticales auditives Les surdités corticales sont très rares. Elles sont dues à l’atteinte du cortex temporal. Leur diagnostic est posé généralement quand l’atteinte est bilatérale. On les distingue de l’agnosie auditive ou de la surdité verbale pure bien que ces trois types d’altération centrale de l’audition soient souvent intriqués [62]. Il existe une entité clinique beaucoup plus difficile à diagnostiquer car elle est unilatérale, c’est l’hémianacousie de Michel [63]. C’est une atteinte unilatérale qui n’est mise en évidence que par des tests auditifs spécifiques, les tests dichotiques. Ce type de test consiste à faire écouter au sujet deux stimulations sonores différentes (deux phrases ou deux moitié de phrases, par exemple) dans chaque oreille simultanément. Normalement les deux stimulations sont perçues. En cas d’atteinte corticale unilatérale, l’oreille controlatérale est « éteinte » du fait de la prédominance des voies croisées. Dans l’hémi-anacousie de Michel les PEA corticaux controlatéraux à l’oreille
éteinte sont abolis [63]. La cause d’une surdité corticale est principalement vasculaire et l’installation peut être brutale [64]. L’origine la plus fréquente de l’atteinte vasculaire est représentée par des embolies temporales cortico-sous-corticales d’origine cardiaque [62]. DIAGNOSTIC Les renseignements donnés par l’interrogatoire et l’examen clinique L’examen clinique vise avant tout à affirmer la surdité neurosensorielle. On recherche ensuite d’autres atteintes neurologiques et neurosensorielles. Affirmer la surdité neurosensorielle consiste tout d’abord à éliminer une surdité de transmission. L’examen du conduit auditif externe et de la membrane tympanique permet rapidement de vérifier leur intégrité. La chaîne ossiculaire peut être facilement testée par acoumétrie, c’est-à-dire en utilisant des diapasons. On utilise plutôt un diapason de fréquence grave (250 Hz) car ce sont ces fréquences qui sont les plus touchées chez l’homme par un défaut de transmission tympano-ossiculaire. Si le test de Weber (stimulation sonore sur le vertex) avec un diapason grave n’est pas latéralisé du côté sourd, c’est qu’il ne s’agit pas, a priori, d’une surdité de transmission. Il faut toutefois se méfier des cas de surdité mixtes bilatérales où le sujet à du mal à indiquer le côté de la perception auditive au test de Weber. L’examen clinique peut orienter le diagnostic étiologique : identification d’une surdité centrale, détection d’un souffle cardiaque et/ou d’une arythmie en faveur d’une surdité centrale, éruption vésiculeuse dans la zone de Ramsay-Hunt et paralysie faciale périphérique en faveur d’une atteinte zostérienne, atteinte trigéminée en faveur d’une tumeur de l’angle pontocérébelleux, signes faisant évoquer une sclérose en plaques, syndrome dysmorphique chez l’enfant, etc. La présence d’un syndrome vestibulaire et d’acouphènes est importante à noter, car non seulement elle permet d’orienter le diagnostic (atteinte plutôt périphérique que centrale) mais elle donne également une idée pronostique (moins de récupération fonctionnelle en cas d’association de ces symptômes en dehors d’une maladie de Menière) [65].
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Les indications données par les explorations acoustiques et électrophysiologiques L’audiométrie C’est l’examen de référence qui permet de mesurer, bien que subjectivement, l’élévation des seuils de perception auditive. On commence par effectuer une audiométrie tonale liminaire. Le sujet entend des sons purs correspondant à des fréquences données, présentés généralement d’octave en octave. Le seuil auditif du sujet est noté pour chaque fréquence, depuis 125 Hz, jusqu’à 8 000 ou 12 000 Hz. On peut grâce aux appareils actuels tester les fréquences supérieures à 12 000 Hz (hautes fréquences) l’oreille humaine pouvant percevoir des sons allant jusqu’à 20 000 Hz. Un progrès relativement récent a été de permettre de tester par balayage fréquentiel automatique toute (ou presque) la partition cochléaire (Audioscant). On fait écouter au sujet en continu, des sons d’intensité croissante, par pas fréquentiel très faible (de 5 Hz, par exemple), jusqu’à ce qu’il les perçoive. Le principe avait déjà été proposé et mis au point par von Békésy, mais de façon moins facilement utilisable. L’audiométrie tonale liminaire est utilement complétée par une audiométrie vocale, qui permet de tester l’intelligibilité auditive (perception correcte des mots prononcés). La tympanométrie et le réflexe stapédien La tympanométrie mesure l’impédance du système tympano-ossiculaire. Cette impédance varie brutalement lorsque le muscle de l’étrier se contracte, ce qui rigidifie la chaîne ossiculaire. Ce réflexe stapédien se déclenche normalement en réponse à une stimulation sonore dont l’intensité est très supérieure au seuil auditif (de 80 dB environ). Si la surdité est d’origine cochléaire, ce réflexe se déclenche pour des stimulations plus faibles, à cause du phénomène de recrutement. À l’inverse, en l’absence de recrutement, on doit suspecter une lésion rétro-cochléaire, c’est-à-dire siégeant entre cochlée et cortex auditif. Enfin, l’étude du déplacement de la membrane tympanique au cours du réflexe stapédien, à l’aide de l’appareil de Marchbanks peut fournir des arguments en faveur d’un hydrops labyrinthique [51]. Les otoémissions acoustiques L’énergie générée par les CCE en réponse au stimulus d’entrée se propage dans toutes les directions. Une partie chemine dans le sens rétrograde et
s’échappe de la cochlée en empruntant la voie tympano-ossiculaire. Depuis les travaux de Kemp [9], on peut capter, dans le conduit auditif externe, cette énergie acoustique provenant de la cochlée. C’est ce que l’on appelle les otoémissions acoustiques. Les otoémissions acoustiques permettent donc de tester le fonctionnement de la boucle de rétrocontrôle. Si elles sont présentes en cas de surdité, l’atteinte neurosensorielle siègera forcément en aval de la cochlée, en un site appelé classiquement « rétrocochléaire ». Il peut s’agir d’un mauvais fonctionnement du nerf cocléaire, des voies ascendantes du tronc cérébral ou bien d’une altérations des zones temporale de Heschl. Mais il peut aussi s’agir d’une atteinte des cellules ciliées internes, comme dans le cas d’un traitement fortement dosé en carboplatine, par exemple. En pratique clinique, en dehors de ce cas très particulier de traitement par carboplatine les surdités dues à l’altération des cellules ciliées internes sont exceptionnelles. En cas de surdité brusque, les otoémissions acoustiques provoquées sont le plus souvent absentes [66], ce qui est un argument confirmant l’atteinte cochléaire et plus particulièrement celle de la boucle de rétrocontrôle impliquant les CCE. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’une atteinte de la cochlée peut être due à une ischémie provoquée par une lésion rétrocochléaire (certains cas de neurinome de l’acoustique, par exemple). L’absence d’otoémission acoustique ne permet donc pas d’éliminer une lésion rétrocochléaire. Les potentiel évoqués auditifs (PEA) Depuis les travaux de Jewet et al. [67], les PEA sont utilisés très largement en routine. Après stimulation sonore, on peut recueillir par des électrodes de surface, des ondes électriques témoignant du passage d’un influx nerveux dans le nerf auditif et les voies ascendantes. Les plus utilisés en pratique courante sont les PEA précoces, dits du tronc cérébral. Les PEA semi-précoces et tardifs sont utiles lorsque l’on suspecte une lésion haute. Les PEA précoces servent à dépister les lésions rétrocochléaires siégeant dans l’angle pontocérébelleux ou dans le tronc cérébral. On sait que la première onde (I) est générée dans la cochlée (ganglion spiral) et la dernière (onde V) dans le tronc cérébral (colliculus inférieur). On peut, en cas de surdité neurosensorielle, mesurer la latence qui sépare les ondes recueillies, notamment entre les ondes I et V. Cette latence est allongée en cas d’obs
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tacle à la conduction nerveuse, comme en cas de neurinome de l’acoustique. Les PEA précoces sont pris en défaut lorsque le nerf auditif n’est altéré que dans un contingent de fibres non sollicitées par la stimulation acoustique servant à évoquer la réponse auditive. Il est alors possible de ne pas détecter l’altération de conduction nerveuse par les PEA précoces. On peut recueillir les courbes correspondant à plusieurs stimulations sonores filtrées, de fréquence différente, puis mesurer l’amplitude de chaque pic après sommation. C’est ce que l’on appelle les PEA dérivés. Ces PEA dérivés ne méconnaissent aucun obstacle à la conduction nerveuse du nerf auditif, et sont aussi fiables que l’IRM avec injection de gadolinium pour le diagnostic de processus expansif de l’angle pontocérébelleux [68]. Pour l’instant peu de centres en France en sont équipés. L’électrocochléographie En plaçant une électrode au voisinage de la fenêtre ronde, ce qui est effectué par paracentèse, on peut recueillir les potentiels électriques globaux de la cochlée : le potentiel microphonique, le potentiel de sommation, et le potentiel d’action composite, en réponse à une stimulation acoustique. Le potentiel microphonique est généré en majorité par les cellules ciliées externes de la base de la cochlée. En cas d’hydrops labyrinthique l’amplitude de ce potentiel est susceptible de se modifier (augmentation de son amplitude). Le potentiel de sommation est généré à la fois par les cellules ciliées internes et externes mais dépendrait plus des internes. L’interprétation de ses variations est très complexes et encore incertaine. Le potentiel d’action composite résulte de la stimulation des cellules ganglionnaires (premiers neurones auditifs). Sa présence témoigne du déroulement des étapes intracochléaires de la transduction auditive. En pratique l’électrocochléographie peut donner des renseignements intéressants en cas d’hydrops par l’analyse de l’amplitude du potentiel microphonique et du rapport entre les amplitudes du potentiel de sommation et du potentiel d’action composite [69]. Les épreuves vestibulaires L’atteinte de l’équilibre est indispensable à tester en cas de surdité brusque. En plus de sa valeur pronostique, l’atteinte de l’équilibre peut orienter le diagnostic. Il est par exemple exceptionnel de ne pas déceler un déficit vestibulaire, au moins relatif, par rapport au côté opposé, en cas de neurinome de
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l’acoustique. Une des épreuves très simple à effectuer est l’épreuve calorique calibrée de Barany qui consiste à provoquer un nystagmus par irrigation du conduit auditif externe à l’eau chaude et à l’eau froide. La mesure du nystagmus permet une étude absolue et comparative des deux appareils vestibulaires, mais on teste alors essentiellement le fonctionnement des canaux semi-circulaires, c’est-à-dire des cupules ampullaires. Il existe maintenant des appareils automatiques effectuant ces mesures par l’intermédiaire d’une caméra centrée sur la pupille, dont les résultats sont globalement très fiables. Les tests de poursuite oculaire, consistant à demander au sujet de suivre une lumière du regard, permettent par électronystagmographie d’objectiver une altération du couplage interoculaire (ophtalmoplégie internucléaire) que l’on rencontre souvent dans des pathologies dégénératives comme la sclérose en plaques. D’autres altérations de la poursuite oculaire, comme l’apparition de saccades, sont évocatrices de lésions du tronc cérébral. L’équilibre peut être actuellement tester par l’Equitest. Cette procédure permet de tester à la fois les trois sens participant au maintien de l’équilibre, la vision, la proprioception et l’appareil vestibulaire. En cas de surdité brusque, son intérêt n’est pas majeur. Beaucoup d’autres tests sont intéressants pour tester l’appareil vestibulaire, chacun ayant leur spécificité, mais il serait trop long de les détailler ici. La mesure du débit sanguin de la cochlée On devrait très prochainement pouvoir déterminer chez l’homme, comme chez l’animal, en utilisant la vélocimétrie laser doppler [32], si la cochlée est en période d’ischémie. Cela pourrait orienter la prise en charge thérapeutique et permettre de contrôler l’efficacité du traitement. Mais pour l’instant, la technique reste à mettre au point chez l’homme. Elle consiste à placer une sonde spécifique dirigeant un faisceau laser vers les capillaires de la cochlée. Le rayon réfléchi (en grande partie par les globules rouges) est capté également par la sonde, ce qui permet son analyse et la mesure du décalage doppler, lié à la vitesse de déplacement des globules rouges. On peut en déduire les variations de débit sanguin. Mais le positionnement de la sonde nécessite encore un abord chirurgical de la caisse du tympan et pose des problème de stabilisation. De plus l’atténuation du faisceau par la capsule otique impose une position très
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particulière de la sonde ou de modifier celle-ci, ou enfin d’amincir l’os de la capsule otique [70]. Chez le lapin de Nouvelle-Zélande dont la paroi osseuse de la capsule otique est épaisse également, nous avons pu vérifier que la mesure des variations du débit cochléaire sanguin pouvait être effectuée de façon fiable en plaçant la sonde de l’équipement de vélocimétrie laser doppler en face de la fenêtre cochléaire [32]. Cela est très prometteur, car chez l’homme, on pourrait, si cela est possible comme chez l’animal, effectuer ces mesures par simple paracentèse. La mise au point de cette méthode est actuellement en cours d’évaluation. L’apport de l’imagerie L’imagerie en cas de surdité brusque a deux buts : déceler une anomalie malformative et rechercher une lésion rétrocochléaire, tumorale ou ischémique. Si c’est une anomalie malformative que l’on recherche (suspicion de surdité génétique) le scanner, dans la majorité des cas, donne les informations attendues : défaut d’enroulement de la cochlée, aqueduc vestibulaire élargi, par exemple. Pour rechercher une lésion tumorale de l’angle pontocérébelleux ou du méat acoustique interne ou une lésion ischémique du tronc cérébral, c’est l’IRM avec injection de gadolinium la plus performante [68, 71]. L’imagerie fonctionnelle (IRM fonctionnelle et PET-scan) est très prometteuse pour déceler une altération des voies auditives centrales. Toutefois, en ce qui concerne l’audition, l’utilisation de ces techniques récentes et peu répandues n’est pas encore standardisée. CONDUITE DIAGNOSTIQUE PRATIQUE En pratique, devant une personne atteinte de surdité brusque, l’examen clinique doit déterminer s’il s’agit d’une surdité de transmission ou de perception c’està-dire neurosensorielle. Dans ce dernier cas, si l’on ne trouve pas de cause évidente, on peut poser le diagnostic de surdité brusque idiopathique. Ce diagnostic est aujourd’hui considéré comme une urgence thérapeutique. Il est fortement conseillé d’orienter le patient vers le spécialiste ORL, pour un examen approfondi sous microscope des tympans, ainsi que pour effectuer les tests auditifs de départ. Nous recommandons d’effectuer au moins une audiomé-
trie conventionnelle tonale et vocale, de recueillir les OEA provoquées et d’effectuer une épreuve calorique calibrée de Barany. Les PEA précoces seront effectués à distance pour ne pas stimuler trop intensément une cochlée fragilisée. Les PEA précoces sont en effet couramment recueillis après stimulation à 80 ou 90 dB pendant près d’une demi-heure pour la mesure des latences. Or nous avons montré qu’une cochlée fragilisée par ischémie était très sensible à la stimulation sonore [72]. Les PEA précoces sont ainsi utilement reportés à distance de la surdité (environ un mois). De même, il n’y a quasiment jamais d’indication urgente à effectuer une imagerie des angles pontocérébelleux ou du névraxe, sauf si l’on craint un accident ischémique ou hémorragique du système nerveux central. Si c’est un processus tumoral rétrocochléaire que l’on suspecte, ne s’exprimant que par une surdité, il s’agit bien souvent de lésions évoluant très lentement (neurinome de l’acoustique, méningiome). Ceci est fondamental car l’IRM est pourvoyeuse de traumatisme acoustique [73, 74] et donc capable, elle aussi, de détruire une cochlée en situation critique. En cas de suspicion d’atteinte rétrocochléaire, nous conseillons de demander une IRM avec injection de gadolinium, sous protection acoustique (bouchons de protection acoustique en mousse, par exemple), mais seulement après trois à quatre semaines d’évolution. Comme certains neurinomes de l’acoustique peuvent entraîner une surdité brusque pouvant récupérer totalement, il est conseillé par certaines équipes, si l’on ne dispose pas de PEA précoces dérivés, de prescrire une imagerie par IRM chez tout sujet ayant présenté une surdité brusque pour éliminer formellement une atteinte rétrocochléaire susceptible de s’aggraver ultérieurement, bien que lentement [71]. Un scanner peut compléter utilement l’imagerie si l’on recherche une malformation de la capsule otique mal vue en IRM. Les examens biologiques sanguins recherchent un trouble de la coagulation, notamment une thrombophilie en cas d’antécédent de thrombose dans la famille [35], une maladie des lignées cellulaires pouvant s’exprimer par des thromboses (leucose, thrombocythémie, polyglobulie), un syndrome inflammatoire. Il est peu utile et onéreux, en dehors de protocoles de recherche clinique de demander des sérologies virales. Un bilan métabolique recherche un diabète sucré en vue de la prescription de corticoïdes.
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LES DIFFÉRENTS MOYENS THÉRAPEUTIQUES Le repos général et acoustique Le repos se justifie lorsque l’on pense que le labyrinthe membraneux est fragilisé. En pratique, hormis les cas où un traumatisme de l’oreille interne est suspecté (blast auriculaire, traumatisme direct du système tympano-ossiculaire ou traumatisme crânien direct) il n’y a pas d’arguments valables pour préconiser le repos. Le repos est toutefois conseillé intuitivement la plupart du temps, surtout si la personne est dans une période de surmenage et de stress, même en dehors de toute cause traumatique. La question qui est actuellement posée est celle de la protection acoustique. Puisque la stimulation sonore peut être délétère pour la cochlée en période périischémique [72] et que l’ischémie est une cause plausible de surdité brusque, nous pensons qu’une protection acoustique est justifiée pendant les premiers jours suivant une surdité brusque. Le problème est que spontanément, les personnes malentendantes ont tendance à augmenter le volume sonore de leur environnement. Une protection acoustique apparaît donc comme invalidante pour ces patients. Que penser également du risque de réexposition au bruit après plusieurs jours de protection acoustique ? Nous avons tendance à préconiser une réexposition progressive, mais sans que l’on puisse argumenter cette attitude sur des bases scientifiques. En clair, comme la protection acoustique n’a jamais été recommandée, il est impératif de pouvoir évaluer son impact sur la récupération auditive après surdité brusque dans le cadre d’une étude multicentrique randomisée, comparant deux groupes de patients, protégés ou non contre leur environnement sonore. Ceci est actuellement en cours dans plusieurs CHU (ClermontFerrand, hôpital européen Georges-Pompidou, Lyon et Montpellier) dans le cadre d’un projet hospitalier de recherche clinique. Les corticoïdes Ils représentent le seul traitement dont l’efficacité clinique a été démontrée dans les surdités brusques idiopathiques [75-77]. Le mécanisme de leur action favorable est incertain. S’agit-il d’une action antiinflammatoire simple ou plus spécifique ? Les corticoïdes pourraient agir directement sur la cochlée (pré-
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sence de récepteurs aux gluco- et minéralocorticoïdes). Leur action concernerait la régulation plasmatique et endolymphatique en cations [76, 78], ainsi que l’osmolarité intra- et extracellulaire en activant la Na-K ATPase des cellules ciliées en particuliers [76]. Selon les équipes, la dose varie de 1 à 2 mg/ kg/j. Pour certains la dose est massive (500 à 1000 mg/j pendant trois jours [76]). Nous préconisons une dose de 1 mg/kg/j, qui est déjà une forte dose et expose moins le patient à des complications secondaires spécifiques. Les vasodilatateurs et oxygénateurs Puisque l’ischémie est une étiologie probable de certaines surdités brusques, il est admis de prescrire des agents vasodilatateurs. Il faut garder en tête toutefois que l’efficacité de cette classe de médicaments sur la récupération auditive n’a jamais été démontrée. Les effets secondaires doivent donc être sérieusement pris en compte. Un autre fait à considérer est la toxicité propre à la reperfusion après ischémie, essentiellement par le biais de radicaux libres oxygénés. Cette toxicité est très bien connue pour d’autres organes comme le myocarde [79], par exemple. En toute logique on devrait donc administrer des antiradicalaires lorsque l’on emploie des traitements entraînant un réoxygénation d’une cochlée supposée ischémiée. Ceci n’est qu’exceptionnellement fait. Parmi les vasodilatateurs et oxygénateurs on peut proposer, bien que l’on soit hors AMM, de la pentoxifylline à la dose de 600 mg/j en perfusion étalée sur six heures ou de la trimetazidine, par exemple. Le carbogène (mélange d’oxygène [95 %] et de gaz carbonique [5 %]) est un puissant vasodilatateur que l’on administre par inhalation au masque à 6 L/min pendant dix minutes quatre à six fois dans la journée. Les molécules s’opposant à l’hydrops Comme une surdité brusque peut annoncer une maladie de Menière ou un syndrome apparenté, certaines équipes médicales préconisent d’administrer systématiquement, en cas de surdité brusque, un traitement visant à lutter contre l’hydrops supposé. D’autres, dont nous faisons partie, ne prescrivent ce type de traitement qu’en cas de signes évocateurs d’un hydrops, en particulier, lorsque l’atteinte auditive prédomine dans les graves. A fortiori, quand on
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retrouve la triade typique de l’hydrops, c’est-à-dire surdité prédominant dans les graves, vertiges et acouphènes à type de bourdonnement, il n’y a plus à hésiter à prescrire un traitement luttant contre l’hydrops. Les macromolécules (glycérol, mannitol) sont les substances les plus utilisées en urgence. Leur action serait d’entraîner une diminution du volume des liquides endolabyrinthiques par l’intermédiaire d’une déplétion de liquide céphalorachidien. Les diurétiques sont également classiquement préconisés dans le même but. On évite toutefois les diurétiques de l’anse (furosémide) bloquant le fonctionnement de la strie vasculaire. Le diurétique consacré par l’usage est l’acetazolamide (Diamoxt). Les autres mesures thérapeutiques L’oxygénothérapie hyperbare L’oxygénothérapie hyperbare est incontestablement efficace dans les surdités neurosensorielles faisant suite à un accident de décompression après plongée sous-marine. En cas de surdité brusque idiopathique, son indication, tout comme les autres agents vasodilatateurs et oxygénateurs, n’est fondée sur aucun argument solide. L’hyperpression engendrée par le caisson n’est pas inoffensive. Chez le sujet à risque, des cas de pneumothorax peuvent survenir. On peut penser que l’hyperpression peut se répercuter sur le labyrinthe membraneux, et donc endommager encore plus une zone de faiblesse éventuelle. Enfin l’hyperoxygénation provoquée en dehors de toute revascularisation cochléaire pourrait également provoquer une forte augmentation de radicaux libres oxygénés toxiques. Finalement, nous déconseillons ce traitement dans les surdités brusques idiopathiques du fait de ses risques potentiels alors que son efficacité bénéfique est incertaine. L’hémodilution L’hémodilution est logique lorsque le flux sanguin est ralenti par encombrement cellulaire, comme dans les hémopathies. Depuis le rapport de Yamasoba et al. [33] on sait que le ralentissement de la circulation vertébrobasilaire peut entraîner une surdité brusque. En pratique, en dehors de signes biologiques et/ou physiques (écho-doppler) concrets prouvant le ralentissement de la circulation vertébrobasilaire, il ne nous semble pas licite de pratiquer une hémodilution.
Les antiviraux Peu d’antiviraux sont actuellement disponibles. La plupart d’entre eux possèdent une toxicité non négligeable. L’acyclovir, en revanche, qui n’a que peu d’effets secondaires, semble intéressant si l’on suspecte une étiologie virale à virus du groupe Herpès. Malheureusement, il est très difficile de prouver que ce type de virus est responsable de surdité brusque idiopathique. En effet, en dehors des cas de surdité accompagnant un zona géniculé (avec éruption typique dans la zone de Ramsay-Hunt et paralysie faciale périphérique), aucun moyen de diagnostic non invasif n’est disponible pour mettre en évidence cette atteinte virale du nerf auditif. Si ce traitement est entrepris, il ne peut donc l’être que sur des arguments probabilistes. DURÉE DU TRAITEMENT La durée du traitement est également très variable en fonction des équipes. Si l’on entreprend un traitement, autant le faire à bonne dose et pour une durée suffisante tout en évitant de s’exposer aux effets secondaires du traitement ou d’entraîner des coûts trop importants pour un résultat incertain. La plupart des équipes spécialisées prennent en charge les patients atteints de surdité brusque pendant environ une semaine. Si l’on a des arguments en faveur d’une cause auto-immune, la corticothérapie peut alors être prolongée jusqu’à deux mois pour certains auteurs [42]. Toutefois, il faut mettre en balance les effets secondaires d’un corticothérapie prolongée avec le bénéfice obtenu. Si la cophose unilatérale est un handicap certain, il est la plupart du temps bien toléré. Pour notre part, nous hospitalisons les patients pendant cinq jours et associons corticoïdes, carbogène et pentoxifylline. La prolongation du traitement per os ne doit pas être trop longue toujours par manque de preuve tangible d’une efficacité réelle. On peut prescrire pour trois à quatre semaines au maximum un vasodilatateur ou oxygénateur tissulaire per os, ces médicaments ayant très peu d’effets secondaires après prise orale, afin de consolider le gain thérapeutique obtenu en hospitalisation. Quant à la prolongation de la corticothérapie, nous ne la prescrivons qu’en cas d’effet bénéfique de ce traitement pendant les cinq premiers jours chez les patients n’ayant qu’une oreille fonctionnelle. L’autre cas de figure où une corticothérapie prolongée nous semble indiquée,
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est la survenue d’une surdité brusque chez quelqu’un déjà atteint d’une maladie auto-immune. L’ÉVOLUTION ET LE PRONOSTIC L’évolution est incertaine. Pour être schématique, on peut retenir qu’un tiers des surdités brusques récupèreront complètement, qu’un tiers ne récupèreront que partiellement ou resteront stables, et que le dernier tiers s’aggravera. Ce qui peut être conseillé, c’est d’instaurer le traitement le plus tôt possible. Si les OEA restent présentes dès le début, ou récupèrent, le pronostic semble meilleur. CONCLUSION Les surdités brusques idiopathiques posent un problème fonctionnel important. Malgré nos connaissances en physiologie cochléaire, l’étiologie est toujours à l’heure actuelle inconnue. L’altération des OEA signe une atteinte de la boucle de rétrocontrôle centrée sur les CCE, mais ne permet pas de déterminer si l’atteinte est due à une ischémie ou à une toxicité cellulaire directe ou à une lésion du couplage mécanique entre les différents éléments de l’épithélium sensoriel et de la membrane basilaire ou encore à des troubles ioniques des liquides endocochléaires. Sur le plan thérapeutique, le seul traitement ayant fait ses preuves, et qui paradoxalement n’a pas d’autorisation de mise sur le marché dans cette affection, est la corticothérapie. C’est pourquoi il existe quasiment autant de protocoles différents que de centres médicaux ORL, ce qui désempare souvent le patient anxieux de récupérer son audition. Finalement, devant une surdité brusque, la prise en charge doit être rapide et proposer une corticothérapie en urgence. Les autres mesures sont à discuter au cas par cas et en fonction de l’expérience de l’équipe prenant en charge ces patients, tout en se gardant d’être plus nocif que bénéfique. RE´ FE´ RENCES 1 Mattox DE, Lyles CA. Idiopathic sudden sensorineural hearing loss. Am J Otol 1989 ; 10 : 242-7. 2 Steel KP. Progress in progressive hearing loss. Science 1998 ; 279 : 1870-1. 3 McCabe BF. Autoimmune sensorineural hearing loss. Ann Otol Rhinol Laryngol 1979 ; 88 : 585-9. 4 Mosnier I, Bouccara D, Sterkers O. Les surdités brusques en: hypothèses étiopathogéniques, conduite à tenir, facteurs pronostiques, traitements. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 1997 ; 114 : 251-66.
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