L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ?

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Modele + JMV-542; No. of Pages 7 ARTICLE IN PRESS Journal des Maladies Vasculaires (2015) xxx, xxx—xxx Disponible en ligne sur ScienceDirect www.s...

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Modele + JMV-542; No. of Pages 7

ARTICLE IN PRESS

Journal des Maladies Vasculaires (2015) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

MISE AU POINT

L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ? Paroxysmal nocturnal hemoglobinuria: An unknown cause of thrombosis? C. Doutrelon a,∗, S. Skopinski a, C. Boulon a, J. Constans a, J.-F. Viallard b, R. Peffault de Latour c a

Service de médecine vasculaire, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux, France Service de médecine interne et maladies infectieuses, hôpital Haut-Lévêque, avenue Magellan, 33600 Pessac, France c Service d’hématologie, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France b

Rec ¸u le 23 f´ evrier 2014 ; accepté le 6 juin 2015

MOTS CLÉS Hémoglobinurie paroxystique nocturne ; Thromboses ; Aplasie médullaire

Résumé L’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN) ou maladie de Marchiafava-Micheli est une maladie rare de la cellule souche hématopoïétique. La mutation somatique acquise du gène PIG-A sur le chromosome X entraîne un blocage de la synthèse des molécules d’ancrage de glycophosphatidylinositol (GPI) qui permettent une fixation des protéines à la surface cellulaire. L’HPN est la conséquence d’un déficit en CD59 et CD55, protéines GPI-ancrées, molécules inhibitrices du complément, à l’origine d’une hémolyse chronique. Cette hémolyse est incluse dans une triade comprenant complications thromboemboliques et aplasie médullaire. Les complications thromboemboliques ont une incidence de 30 % à 10 ans et sont le mode d’entrée dans la maladie d’un patient sur dix. Les deux localisations les plus fréquentes sont les veines sus-hépatiques et cérébrales. Ces localisations sont corrélées au risque de décès. Les thromboses sont la première cause de décès liés à la maladie, il s’agit donc d’un facteur pronostique majeur. Actuellement, ces données sont à pondérer avec l’utilisation d’un anticorps monoclonal (Eculizumab, dirigé contre la fraction C5 du complément) qui a nettement amélioré le pronostic avec une survie superposable à la population générale après 36 mois de suivi. Le traitement anticoagulant est discuté en prophylaxie secondaire mais n’a plus sa place en prophylaxie primaire. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant. Service de médecine interne et médecine vasculaire, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux, France. Adresse e-mail : [email protected] (C. Doutrelon).

http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.006 0398-0499/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Doutrelon C, et al. L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ? J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.006

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C. Doutrelon et al.

KEYWORDS Paroxysmal hemoglobinuria; Thrombosis; Aplasia

Summary Paroxysmal nocturnal hemoglobinuria (PNH) is a rare acquired disorder of hematopoietic stem cells. Somatic mutation in the phosphatidylinositol glycan class A (PIG-A), X-linked gene, is responsible for a deficiency in glycosphosphatidylinositol-anchored proteins (GPI-AP). The lack of one of the GPI-AP complement regulatory proteins (CD55, CD59) leads to hemolysis. The disease is diagnosed with hemolytic anemia, marrow failure and thrombosis. Thromboembolic complication occurs in 30% of patient after 10 years of follow-up and is the first event in one out of 10 patients. The two most common sites are hepatic and cerebral veins. These locations are correlated with high risk of death. Currently, these data are balanced with the use of a monoclonal antibody (Eculizumab), which has significantly improved the prognosis with a survival similar to general population after 36 months of follow-up. Anticoagulant treatment is recommended after a thromboembolic event but has no place in primary prophylaxis. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

L’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN) ou maladie de Marchiafava-Micheli est caractérisée par une triade comprenant anémie hémolytique acquise à test de Coombs négatif, aplasie médullaire et thromboses veineuses ou artérielles. Tous les éléments de la triade ne sont pas forcément présents lors du diagnostic de la maladie. Il s’agit d’une maladie hématologique non maligne rare mais grave. Les patients atteints d’HPN sont généralement diagnostiqués à l’âge médian de 33 ans avec une médiane de survie de 20 ans [1]. L’HPN est une prolifération clonale de cellules souches hématopoïétiques ayant acquis une mutation sur le gène phosphatidylinositol glycan anchor biosynthesis, class A (PIG-A). Les complications thromboemboliques de la maladie sont fréquentes et graves. L’incidence cumulée est d’environ 40 % à 10 ans [1]. Il s’agit de la première cause de décès dans cette population [1].

De la physiopathologie à la clinique Bases moléculaires La structure d’une ancre glycophosphatidylinositol (GPI) comprend une molécule de phosphatidylinositol, une protéine glycane (1 glucosamine et 3 mannoses) et un phosphate éthanolamine [2]. L’ancre GPI est synthétisée et assemblée dans le réticulum endoplasmique. Elle est ensuite transférée en bloc vers le terminus carboxylé d’une protéine signal membranaire permettant la fixation de l’ancre GPI à la couche bi-lipidique. L’ancre GPI mature, ainsi formée, est alors transportée à la surface plasmatique de la cellule. Une fois à la surface des cellules hématopoïétiques, l’ancre GPI permet de fixer plus d’une douzaine de protéines GPIliées telles les protéines du groupe sanguin, les protéines régulatrices du complément, les molécules d’adhésion, des enzymes et des récepteurs. . . [3]. La biosynthèse des ancres GPI dépend d’une dizaine de réactions et de plus de 20 gènes différents [3]. Le gène PIG-A est nécessaire pour amorcer l’assemblage de l’ancre GPI. Toute mutation somatique du gène PIG-A peut être à l’origine d’un déficit partiel ou total en ancre GPI et par conséquent à l’origine d’un clone HPN. Le gène PIG-A est localisé sur le bras court du chromosome X.

Hémolyse chronique et déficit en NO Les protéines régulatrices du complément CD55 (decay accelerating factor [DAF]) et CD59 (membrane inhibitor of reactive lysis [MIRL]) sont liées à la surface des cellules sanguines par l’ancre GPI. Le déficit en ancre GPI est responsable d’un déficit en CD55 et CD59 à la surface des cellules sanguines. Le déficit en CD55 et CD59 entraîne une absence d’inhibition du complément. L’activation permanente de la voie alterne du complément et la formation du complexe d’attaque de membrane (CAM) aboutissent à une hémolyse chronique (Fig. 1) [4]. Cette hémolyse est responsable d’une libération massive d’hémoglobine libre dans le plasma, saturant rapidement les mécanismes d’élimination de l’hémoglobine. L’hémoglobine se lie et consomme rapidement l’haptoglobine, la rendant indétectable au dosage. L’hémoglobine en excès lie de fac ¸on irréversible l’oxyde nitrique (NO) (Fig. 2). D’autre part, l’hémolyse libère dans le plasma de l’arginase érythrocytaire diminuant ainsi la l-arginine, substrat nécessaire à la production de NO. La consommation et la diminution de production sont responsables d’un déficit en NO (Fig. 2). Le déficit en NO entraîne une diminution de la concentration intracellulaire du Guanosine monophosphate cyclique (GMPc) qui a un rôle dans l’élimination du calcium intracellulaire au niveau des muscles lisses. La surcharge calcique intracellulaire des muscles lisses serait alors responsable d’une dystonie musculaire se manifestant par une dysphagie, des douleurs abdominales et une dysfonction érectile. Le déficit en NO est à l’origine d’une vasoconstriction pouvant favoriser les complications thrombotiques.

Déficit en NO et activation de la cascade de coagulation La physiopathologie des thromboses dans l’HPN est complexe et fait toujours l’objet d’intenses recherches. Aucune cause précise ne permet d’expliquer en 2014 ces thromboses et leurs sites électifs (foie/digestif). Néanmoins, les épisodes emboliques sont associés à des pics d’hémolyse [5]. Les hypothèses citées ne sont que des pistes

Pour citer cet article : Doutrelon C, et al. L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ? J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.006

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Figure 1 Cascade d’activation du complément et rôle de CD55 et CD59. La protéine CD55 inhibe la formation de C3 et la protéine CD59 la formation de C5. La perte de fonction de ces molécules inhibitrices du complément entraîne la formation permanente du complexe d’attaque membranaire à l’origine de la lyse cellulaire. Complement activation cascade: role of CD55 and CD59.

physiopathologiques qui pourraient contribuer à un état d’hypercoagulabilité. D’une part, le déficit tissulaire en oxyde nitrique est associé à une augmentation de l’agrégation et de l’adhésion plaquettaire qui entraîne une accélération de la formation du clou plaquettaire et favorise la production de thrombine [6]. L’activation du complément par les plaquettes et les érythrocytes se manifeste alors par une exocytose de microvésicules contenant de la phosphatidylsérine. Cette molécule extrêmement pro-coagulante in vitro

est présente à de fortes concentrations dans le plasma des patients HPN [7], elle stimule la prothrombinase et déclenche la cascade de la coagulation. La génération de C5a augmente, elle, significativement l’expression du facteur tissulaire (TF) déclenchant aussi la coagulation [8]. Le rôle de l’hémoglobine libre a été démontré in vivo par activation de l’agrégation et de l’adhésion plaquettaire entraînant une obstruction vasculaire [5]. De plus, la présence d’hémoglobine libre dans le plasma inhibe une métalloprotéase (l’ADAMTS 13) qui limite la formation de thrombi plaquettaires [5]. D’autre part, le déficit en ancre GPI entraîne une dérégulation de la fibrinolyse et de l’expression du tissue factor plasminogen inhibitor (TFPI) à la surface des cellules endothéliales. En l’absence d’inhibition du facteur tissulaire, la coagulation est favorisée et par là même le développement de thromboses [8]. Chez le patient atteint d’HPN, on assiste ainsi à un déséquilibre de la coagulation en faveur d’un état procoagulant. La coagulation est stimulée par l’activation du complément. La fibrinolyse est diminuée par l’absence de TFPI (protéine GPI ancrée à la surface des cellules endothéliales) et par l’inhibition de l’ADAMTS13 (métalloprotéinase inhibée par l’hémoglobine libre) [5].

Activation de la cellule endothéliale

Figure 2 Physiopathologie du déficit en oxyde nitrique. Pathophysiology of nitric oxide deficiency.

Pour évaluer l’activation de la cellule endothéliale dans l’HPN, une équipe franc ¸aise a analysé 23 patients atteints d’une forme purement hémolytique d’HPN [9]. Parmi les 23 patients, 15 n’avaient pas d’antécédents thrombotiques et n’étaient pas sous anticoagulant au moment des prélèvements. Plusieurs marqueurs de la dysfonction endothéliale ont été analysés. Ils ont retrouvé des taux élevés de vWF

Pour citer cet article : Doutrelon C, et al. L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ? J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.006

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(facteur de Von Willebrand), un agent de la phase initiale de la coagulation qui peut être sécrété par la cellule endothéliale, de sVCAM-1 (de l’anglais : vascular cell adhesion molecule) et de microvésicules endothéliales, tous témoins d’une activation endothéliale importante avec un phénotype pro-thrombotique. Ces taux élevés ne pouvaient pas être expliqués par une inflammation systémique ; le taux de CRP étant normal chez ces patients au moment des prélèvements. L’absence d’inflammation systémique expliquerait également l’absence d’ICAM-1 (de l’anglais : intercellular adhesion molecule) à la surface des microvésicules endothéliales. Les valeurs normales des thrombomodulines (TM solubles) retrouvées dans cette étude s’expliqueraient par l’absence d’inflammation systémique. L’ensemble de ces marqueurs d’activation de la coagulation était diminué après institution d’un traitement par Eculizumab [9].

Signes cliniques La forme classique de l’HPN est celle d’une anémie hémolytique acquise d’origine corpusculaire accompagnée d’une hémoglobinurie le matin et d’un ictère modéré [7]. En pratique, l’HPN est diagnostiquée dans deux circonstances : la forme classique ou la forme aplasique. En réalité, cette présentation est très schématique et il existe un polymorphisme clinique important [10]. Au niveau clinique, le mode d’entrée dans la maladie est une thrombose pour un patient sur dix et une infection dans 15 % des cas. Sur le plan biologique, un tiers des patients ont une anémie isolée et 40 % une pancytopénie [1].

Les complications thromboemboliques Thromboses veineuses digestives Les veines viscérales sont le site de thrombose le plus fréquent dans l’HPN. Le syndrome de Budd-Chiari (SBC) est la complication la plus fréquente soit 41 % des thromboses et la 1re cause de mortalité [2]. Dans la cohorte franc ¸aise de patients suivis dans 58 centres entre 1950 et 2005, le SBC était responsable de 21 décès sur les 96 recensés [2]. L’étiologie d’un SBC la plus fréquemment retrouvée selon le « groupe EnVie » est un syndrome myéloprolifératif ou une mutation de JAK2 (39 % des patients), le syndrome des antiphospholipides serait la deuxième cause (25 %), l’hyperhomocystéinémie la troisième (22 %) et l’hémoglobinurie paroxystique nocturne la quatrième. L’HPN est donc plus fréquente chez les patients SBC que les troubles héréditaires de la coagulation pris séparément (mutation du facteur V Leiden G1691A, 12 % ; mutation de la prothrombine G20210A, 3 % ; déficit en protéine C, 4 % ; déficit de la protéine S, 3 % ; déficit en antithrombine, 3 %) [11]. La thrombose porte serait la deuxième complication thrombotique intra-abdominale soit 10 % de celles-ci [12]. Le groupe de la Société franc ¸aise d’hématologie (SFH) n’a pas identifié de thrombose porte dans la cohorte de patients HPN [2]. Le groupe « EnVie » n’a pas identifié de patient HPN dans la cohorte de patients ayant une thrombose de la veine porte [13].

La thrombose des veines mésentériques supérieure et inférieure serait responsable de 6 % des thromboses dans l’HPN. La thrombose de la veine mésentérique supérieure entraîne des douleurs abdominales aiguës et une ischémie sévère. L’ischémie serait à l’origine d’ulcération et de prolifération endothéliale [12]. Des thromboses de la veine duodénale ont été rapportées. Un cas d’HPN a été diagnostiqué chez une jeune patiente qui se plaignait d’une douleur épigastrique récurrente et de vomissements biliaires, avec une image congestive et un épaississement duodénal à la tomodensitométrie et une lésion ischémique à l’endoscopie [13].

Thrombose veineuse cérébrale La complication neurologique la plus fréquente est la thrombose du sinus sagittal supérieur avec une mortalité de 30 %. La thrombose du sinus sagittal peut être compliquée par un accident vasculaire cérébral (AVC) hémorragique. D’où la difficulté à évaluer l’étiologie des AVC hémorragiques chez les patients atteints d’HPN [5]. Les thromboses des sinus sagittal, latéral, caverneux et sigmoïde peuvent se manifester par des signes et symptômes neurologiques variés. La thrombose du sinus sagittal se présente par des signes et symptômes d’hypertension intracrânienne comme des céphalées sévères, des vomissements et un œdème papillaire. Une occlusion veineuse associée peut entraîner un déficit focal avec une hémiplégie. Celle du sinus latéral se présente par une paralysie du nerf oculaire externe (VI) ou facial (VII) ; celle du sinus caverneux par la triade chémosis, ptosis et ophtalmoplégie douloureuse (qui débute par l’atteinte du VI, puis celle du III et du IV) [12]. Des signes cérébelleux ou pseudobulbaires peuvent apparaître quand la thrombose touche le sinus sigmoïde [12].

Thrombose des veines dermiques Les patients peuvent présenter une décoloration cutanée douloureuse quand des thromboses touchent les veines de la peau. Ces complications sont rarement de type ulcéré. Les patients peuvent développer dans une situation distincte une atteinte ressemblant à un purpura fulminans ; ces lésions pouvant être nécrotiques et toucher une grande surface cutanée [5].

Embolie pulmonaire (EP) Dans une revue de la littérature, 339 cas de thromboses ont été identifiés chez des patients atteints d’HPN dont 26 cas d’EP et 10 embolies pulmonaires fatales [12]. La présence d’EP n’était pas en principe associée à une thrombose veineuse profonde ce qui pourrait être expliqué par une formation in situ de thrombi. Dans la cohorte anglaise de patients HPN, il y avait 9 cas d’EP sur un total de 49 événements thromboemboliques. L’EP était la complication thrombotique la plus fréquente [7]. Dans la cohorte franc ¸aise plus récente, l’EP n’a pas été identifiée comme l’une des complications les plus fréquentes des patients atteints d’HPN [1].

Pour citer cet article : Doutrelon C, et al. L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ? J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.006

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Thromboses artérielles Les thromboses artérielles sont moins fréquentes que les thromboses veineuses dans l’HPN [14]. Dans la cohorte anglaise de Leeds, les thromboses artérielles représentaient 16 % des complications thrombotiques des patients atteints d’HPN [7]. Dans une méta-analyse de 363 événements thrombotiques, Ziakas et al. ont rapporté 10 % de thromboses artérielles qui touchent le plus fréquemment les artères cérébrales (5 %) et coronaires (3 %). Malgré leur faible incidence, les événements artériels étaient un facteur prédictif fort de la mortalité liée à la thrombose. Il faut noter la survenue des ces événements chez des sujets jeunes avec une médiane d’âge de 35 ans pour la survenue d’ischémie myocardique et 41 ans pour la survenue d’un AVC ischémique [12]. Des cas d’ischémie digestive ont été rapportés [15].

La recherche d’un clone HPN Chez quels patients faut-il rechercher un clone HPN en présence d’une thrombose inexpliquée ? Classiquement, trois formes d’hémoglobinurie paroxystique nocturne sont décrites [16]. La forme aplasique avec une pancytopénie au 1er plan, la forme hémolytique avec une anémie hémolytique à Coombs négatif et la forme frontière associée à une hémolyse et une pancytopénie. L’International PNH Interest Group (I-PIG) a émis une recommandation sur les situations cliniques qui devraient motiver la recherche d’un clone HPN [9] : la présence d’une anémie hémolytique acquise à Coombs négatif, en l’absence de schizocyte, d’une hémoglobinurie, d’une aplasie médullaire, d’une cytopénie réfractaire avec dysplasie uni-lignée, d’une cytopénie d’origine indéterminée, d’une thrombose de localisation atypique : syndrome de BuddChiari, autres sites intra-abdominaux (ex. : veines portes, veines mésentériques. . .), veines cérébrales, veines dermiques.

Comment rechercher un clone HPN ? Le gold standard est l’analyse par cytométrie en flux à la recherche d’un déficit en protéines GPI-liées. C’est un test sensible et spécifique. Il est recommandé d’évaluer le déficit sur au moins deux protéines GPI-liées pour éviter de confondre le diagnostic d’HPN et d’une maladie héréditaire présentant un déficit isolé sur une population de protéine GPI-liée (ces pathologies héréditaires n’ont pas la même présentation que l’HPN) [17]. Une réévaluation annuelle est recommandée en dehors de toute évolution de la présentation clinique.

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les patients qui présentent une thrombose inexpliquée à un âge jeune ou une localisation atypique (veines intraabdominales, veines cérébrales, veines dermiques) ou des signes d’hémolyse ou une cytopénie. L’absence d’élévation des LDH ne devrait pas dissuader de rechercher un clone HPN. En effet, dans certaines situations (telle la présence prédominante d’un clone de type II, c’est-à-dire d’un déficit partiel en protéine GPI-liée), les patients massivement transfusés ou les patients avec un petit clone HPN, l’hémolyse est minimale. Un test de cytométrie de haute sensibilité est particulièrement adapté à la recherche d’un petit clone HPN dans le cadre d’une cytopénie.

Prise en charge thérapeutique de la thrombose Anticoagulation Prophylaxie primaire La place des anticoagulants est loin d’être claire (Fig. 3). Si la mise en place d’un traitement prophylactique primaire par antivitamine K est conseillée par l’équipe anglaise en cas de taille du clone > 50 % (plus de 50 % de cellules déficitaires en ancre GPI), ce dernier n’est pas recommandé en France, du fait du risque hémorragique [10,18]. En effet, les antivitamines K n’empêchent pas les patients HPN de récidiver, et ces derniers ont un risque non négligeable de thrombopénie et donc d’hémorragie. Prophylaxie secondaire La découverte d’une thrombose au diagnostic ou chez un patient non traité est une urgence thérapeutique et relève d’une double thérapie par [19] : • anticoagulation efficace, initialement par héparine puis un relais par antivitamine K. En l’absence de données cliniques, il est conseillé de poursuivre au long cours le traitement anticoagulant. Il est néanmoins important de souligner que le traitement anticoagulant seul n’est pas suffisant pour éviter la récidive des complications thrombotiques ; • initiation d’un traitement par eculizumab (inhibiteur du complément) puisque ce dernier diminue l’extension de la thrombose et le risque de nouvelle thrombose. L’analyse rétrospective des données de 195 patients atteints d’HPN inclus dans les études cliniques de l’eculizumab a montré une réduction de 85 % des événements thromboemboliques dans la totalité de la population des études (p < 0,001) et une réduction de 92 % chez les patients sous anticoagulation (p < 0,001) [20].

Traitement interventionnel Faut-il rechercher un clone HPN chez tous les patients qui présentent une thrombose atypique ? Selon le centre de référence anglais, le diagnostic d’HPN doit être considéré lors d’une investigation étiologique de thrombophilie de site ou de contexte évocateurs d’HPN. Ainsi, il serait recommandé de rechercher une HPN chez

L’amélioration des différentes approches thérapeutiques a permis une amélioration de la survie avec une diminution absolue significative de la mortalité de 25 % après 1986. La mortalité projetée pour les thromboses veineuses hépatiques et mésentériques ne cesse de diminuer, probablement par l’amélioration des méthodes diagnostiques et

Pour citer cet article : Doutrelon C, et al. L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ? J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.006

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Figure 3 Recommandation du centre de référence franc ¸ais pour la prise en charge thérapeutique des différentes formes cliniques d’hémoglobinurie paroxystique nocturne. French guidelines for therapeutic management of different forms of paroxysmal nocturnal hemoglobinuria. Adaptée de Loschi et al., 2013.

thérapeutiques. Néanmoins, la mortalité due aux thromboses cérébrales ne diminue pas de fac ¸on significative et cela peut être expliqué par une prise en charge qui reste inchangée [18]. Dans la prise en charge du syndrome de Budd-Chiari, il a été rapporté plusieurs succès avec l’utilisation de la thrombolyse. Néanmoins, l’équipe de Leeds relativise ce succès avec le risque hémorragique dû une nouvelle fois à la présence fréquente d’une thrombopénie chez les patients atteints d’HPN [5,18]. La pose d’un shunt porto-cave est souvent nécessaire pour la prise en charge d’une hypertension portale. L’association d’un traitement coagulant et d’un inhibiteur du complément permet de diminuer le risque de thrombose du shunt porto-cave chez ces patients [5]. Hoekstra et al. considèrent la présence de l’HPN comme une contre-indication à la transplantation hépatique chez les patients présentant un syndrome de Budd-Chiari [21].

Place de l’allogreffe dans la prise en charge de la thrombose dans l’HPN Place de l’allogreffe dans la prise en charge du patient atteint d’HPN Devant une HPN de forme aplasique, l’allogreffe reste le traitement de référence en cas de donneur géno-identique compatible. Le traitement immunosuppresseur par sérum antilymphocytaire en première intention est réservé aux patients n’ayant pas de donneurs géno-identiques [11]. Devant une HPN de forme hémolytique, l’allogreffe de moelle était associée à une mortalité de 14 % à 5 ans. Dans une première étude de survie chez les patients HPN traités par eculizumab, l’équipe de Leeds a montré une survie globale similaire à celle de la population générale [22]. La comparaison du registre de la SFH pour les patients atteints d’HPN et du registre de l’European Group for Blood and Marrow Transplantation (EBMT) pour les patients ayant rec ¸u une allogreffe de moelle pour HPN a en effet montré une

meilleure survie chez les patients non allogreffés en cas de thrombose (p = 0,007) avant l’ère de l’eculizumab [11]. Néanmoins, la greffe est envisageable si un donneur génoidentique compatible est disponible et que le produit n’est pas accessible financièrement. Place de la greffe dans la prise en charge du patient HPN ayant un antécédent thrombotique L’allogreffe n’est pas indiquée en cas de complications thromboemboliques depuis la disponibilité du traitement par eculizumab [10]. L’eculizumab a montré son intérêt dans la prophylaxie et le traitement de la thrombose dans l’HPN, notamment de manière synergique en association avec les anticoagulants [23].

Conclusion L’HPN est une maladie rare mais potentiellement grave. La complication thrombotique est le facteur pronostique majeur de cette maladie avec une atteinte préférentielle des veines abdominales (mésentère ou foie) ou cérébrale. La recherche d’un clone HPN doit être systématique devant une thrombose inexpliquée en cas de localisation évocatrice (foie/abdomen) ou de l’association avec un autre point d’appel hématologique (anémie hémolytique inexpliquée à Coombs négatif ou cytopénie). La prise en charge d’une thrombose chez un patient HPN repose actuellement sur la mise en place d’un traitement anticoagulant en prophylaxie secondaire associé à un traitement par eculizumab. La greffe de moelle osseuse chez les patients HPN ayant un antécédent thrombotique est accompagnée d’un risque de toxicité trop important. La prophylaxie primaire par anticoagulation n’a pas sa place car non toujours efficace et potentiellement toxique (complications hémorragiques). Les causes permettant d’expliquer clairement le surrisque thrombotique dans l’HPN restent pour l’instant inconnues et font l’objet d’intenses recherches internationales.

Pour citer cet article : Doutrelon C, et al. L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ? J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.006

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L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ?

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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Pour citer cet article : Doutrelon C, et al. L’hémoglobinurie paroxystique nocturne : une cause méconnue de thrombose ? J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.006