DIRECTIVE CLINIQUE DE LA SOGC N° 325, juin 2015
Lignes directrices pour la prise en charge d’une patiente enceinte ayant subi un traumatisme La présente directive clinique a été rédigée par le comité de médecine fœto-maternelle, analysée par le comité de pratique clinique - obstétrique, le comité médico-juridique et le comité consultatif de médecine familiale, et approuvée par le comité exécutif et le conseil d’administration de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. AUTEURS PRINCIPAUX Venu Jain, MD, Edmonton (Alb.) Radha Chari, MD, Edmonton (Alb.) Sharon Maslovitz, MD, Tel Aviv, Israël
Résumé Objectif : Une femme enceinte sur 12 en vient à subir des traumatismes physiques et ceux-ci exercent des effets importants sur la mortalité et la morbidité maternelles, ainsi que sur l’issue de la grossesse. La mise en œuvre d’une approche multidisciplinaire s’avère justifiée pour assurer l’optimisation des issues, et ce, tant pour la mère que pour son fœtus. Le présent document a pour but d’offrir, aux fournisseurs de soins obstétricaux, une approche systématique factuelle qu’ils pourront utiliser pour assurer la prise en charge des patientes enceintes ayant subi un traumatisme. Issues : Issues sanitaires et économiques considérables, par comparaison avec les pratiques de rechange.
Stephanie Cooper, MD, Calgary (Alb.)
Résultats : La littérature publiée a été récupérée par l’intermédiaire de recherches menées dans Medline, CINAHL et The Cochrane Library entre octobre 2007 et septembre 2013 au moyen d’un vocabulaire contrôlé (« pregnancy », « Cesarean section », « hypotension », « domestic violence », « shock ») et de mots clés (« trauma », « perimortem Cesarean », « Kleihauer-Betke », « supine hypotension », « electrical shock ») appropriés. Les résultats ont été restreints aux analyses systématiques, aux études observationnelles et aux essais comparatifs randomisés / essais cliniques comparatifs publiés en anglais entre janvier 1968 et septembre 2013. Les recherches ont été mises à jour de façon régulière et intégrées à la directive clinique jusqu’en février 2014.
Katy Gouin, MD, Québec (Québec)
Dan Farine, MD, Toronto (Ont.) COMITÉ DE MÉDECINE FŒTO-MATERNELLE Emmanuel Bujold (coprésident), MD, Québec (Québec) Robert Gagnon (coprésident), MD, Montréal (Québec) Melanie Basso, inf. aut., Vancouver (C.-B.) Hayley Bos, MD, Victoria (C.-B.) Richard Brown, MD, Montréal (Québec)
N. Lynne McLeod, MD, Halifax (N.-É.) Savas Menticoglou, MD, Winnipeg (Man.) William Mundle, MD, Windsor (Ont.) Christy Pylypjuk, MD, Winnipeg (Man.) Anne Roggensack, MD, Calgary, (Alb.) Frank Sanderson, MD, Saint John, (N.-B.) Tous les collaborateurs nous ont fait parvenir une déclaration de divulgation.
J Obstet Gynaecol Can 2015;37(6):572–574
La littérature grise (non publiée) a été identifiée par l’intermédiaire de recherches menées dans les sites Web d’organismes s’intéressant à l’évaluation des technologies dans le domaine de la santé et d’organismes connexes, dans des collections de directives cliniques, dans des registres d’essais cliniques et auprès de sociétés de spécialité médicale nationales et internationales.
Valeurs : La qualité des résultats a été évaluée au moyen des critères décrits dans le rapport du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (Tableau). Avantages, désavantages et coûts : Nous nous attendons à ce que la présente directive clinique facilite l’offre de soins optimaux et uniformes dans les cas de grossesse compliquée par un traumatisme. DÉCLARATION SOMMAIRE Lésions traumatiques particulières
Mots clés : Abruption, electrical, fall, fetal, injury, maternal, MVC, penetrating, perimortem, pregnancy.
Pour l’instant, nous ne disposons pas de données probantes suffisantes pour soutenir la désactivation des coussins gonflables dans le cas des femmes enceintes. (III)
Ce document fait état des percées récentes et des progrès cliniques et scientifiques à la date de sa publication et peut faire l’objet de modifications. Il ne faut pas interpréter l’information qui y figure comme l’imposition d’un mode de traitement exclusif à suivre. Un établissement hospitalier est libre de dicter des modifications à apporter à ces opinions. En l’occurrence, il faut qu’il y ait documentation à l’appui de cet établissement. Aucune partie de ce document ne peut être reproduite sans une permission écrite de la SOGC.
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Lignes directrices pour la prise en charge d’une patiente enceinte ayant subi un traumatisme
Critères d’évaluation des résultats et de classification des recommandations, fondés sur ceux du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs Niveaux de résultats*
Catégories de recommandations†
I:
Résultats obtenus dans le cadre d’au moins un essai comparatif convenablement randomisé.
A. On dispose de données suffisantes pour appuyer la mesure clinique de prévention.
II-1: Résultats obtenus dans le cadre d’essais comparatifs non randomisés bien conçus.
B. On dispose de données acceptables pour appuyer la mesure clinique de prévention.
II-2: Résultats obtenus dans le cadre d’études de cohortes (prospectives ou rétrospectives) ou d’études analytiques cas-témoins bien conçues, réalisées de préférence dans plus d’un centre ou par plus d’un groupe de recherche. II-3: Résultats découlant de comparaisons entre différents moments ou différents lieux, ou selon qu’on a ou non recours à une intervention. Des résultats de première importance obtenus dans le cadre d’études non comparatives (par exemple, les résultats du traitement à la pénicilline, dans les années 1940) pourraient en outre figurer dans cette catégorie. III:
Opinions exprimées par des sommités dans le domaine, fondées sur l’expérience clinique, études descriptives ou rapports de comités d’experts.
C. Les données existantes sont contradictoires et ne permettent pas de formuler une recommandation pour ou contre l’usage de la mesure clinique de prévention; cependant, d’autres facteurs peuvent influer sur la prise de décision. D. On dispose de données acceptables pour déconseiller la mesure clinique de prévention. E. On dispose de données suffisantes pour déconseiller la mesure clinique de prévention. L. Les données sont insuffisantes (d’un point de vue quantitatif ou qualitatif) et ne permettent pas de formuler une recommandation; cependant, d’autres facteurs peuvent influer sur la prise de décision.
*La qualité des résultats signalés dans les présentes directives cliniques a été établie conformément aux critères d’évaluation des résultats présentés dans le Rapport du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs. †Les recommandations que comprennent les présentes directives cliniques ont été classées conformément à la méthode de classification décrite dans le Rapport du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs. Woolf SH, Battista RN, Angerson GM, Logan AG, Eel W. Canadian Task Force on Preventive Health Care. New grades for recommendations from the Canadian Task Force on Preventive Health Care. CMAJ 2003;169:207–8.
RECOMMANDATIONS Examen primaire 1. La présence d’une grossesse devrait être présumée chez toutes les femmes en âge de procréer ayant subi des blessures considérables, jusqu’à ce que le contraire ait été prouvé au moyen d’une échographie ou d’un test de grossesse définitif. (III-C) 2. Chez les femmes enceintes blessées inconscientes ou à demi conscientes, une sonde nasogastrique devrait être insérée afin de prévenir l’aspiration de contenu gastrique acide. (III-C) 3. Une oxygénothérapie devrait être mise en œuvre pour garantir le maintien d’une saturation maternelle en oxygène > 95 %, de façon à assurer une oxygénation fœtale adéquate. (II-1B) 4. Chez les femmes enceintes blessées, l’insertion d’une sonde de thoracostomie (à un endroit se situant à un ou deux espaces intercostaux de plus que d’habitude) pourrait être envisagée, au besoin. (III-C) 5. Chez les femmes enceintes gravement blessées, deux lignes intraveineuses de gros calibre (14-16) devraient être mises en place. (III-C) 6. En raison des effets indésirables qu’ils exercent sur la perfusion utéroplacentaire chez les femmes enceintes, les vasopresseurs ne devraient être utilisés qu’en présence d’une hypotension réfractaire qui ne réagit pas à la réanimation liquidienne. (II-3B) 7. Chez les femmes enceintes gravement blessées qui ont passé le cap de la mi-grossesse, l’utérus gravide devrait être repositionné de façon à ce qu’il ne comprime plus la veine cave inférieure, et ce, dans le but d’accroître le retour veineux et le débit cardiaque. Ce repositionnement peut être obtenu en déplaçant l’utérus manuellement ou en plaçant la patiente en position latérale gauche (en s’assurant alors d’immobiliser la moelle épinière de la patiente au préalable). (II-1B)
8. Pour prévenir l’allo-immunisation rhésus D chez les femmes Rh négatives, du sang O négatif devrait être transfusé, au besoin, jusqu’à ce que du sang provenant d’un donneur compatible soit obtenu. (I-A) 9. La partie abdominale du pantalon pneumatique hypotenseur ne devrait pas être gonflée en présence d’une grossesse, car cela pourrait atténuer la perfusion placentaire. (II-3B) Transfert vers un établissement de santé 10. Le transfert vers un service de maternité (service de triage d’une unité de travail et d’accouchement) est recommandé lorsque la patiente en question ne présente pas de blessures potentiellement mortelles ou pouvant mener à la perte d’un membre et lorsque le fœtus est viable (≥ 23 semaines); le transfert vers une salle des urgences est recommandé lorsque le fœtus n’a pas encore atteint l’âge gestationnel de 23 semaines ou lorsqu’il n’est pas considéré comme étant viable. En présence d’un traumatisme majeur, la patiente devrait être transférée ou transportée vers une unité de traumatologie ou une salle des urgences, sans égard à l’âge gestationnel. (III-B) 11. Lorsque la gravité du traumatisme est indéterminée ou lorsque l’âge gestationnel est incertain, la patiente devrait faire l’objet d’une évaluation menée dans une unité de traumatologie ou une salle des urgences en vue d’écarter la présence de blessures majeures. (III-C) Évaluation, au sein d’une salle des urgences, d’une patiente enceinte ayant subi un traumatisme 12. En présence d’un traumatisme majeur, la priorité doit être accordée à l’évaluation, à la stabilisation et à la prise en charge de la femme enceinte; par la suite, lorsque le fœtus est viable (≥ 23 semaines), l’auscultation de la fréquence cardiaque fœtale et un monitorage fœtal peuvent être mis en œuvre. De plus,
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une consultation en obstétrique devrait être obtenue dès que possible. (II-3B) 13. La tenue d’une consultation d’urgence en obstétrique est recommandée en ce qui concerne les femmes enceintes dont le fœtus est viable (≥ 23 semaines) et chez qui l’on soupçonne la présence de contractions utérines, d’un décollement placentaire ou d’une rupture utérine traumatique. (II-3B) 14. En présence de saignements vaginaux à 23 semaines ou par la suite, la tenue d’un examen vaginal au moyen d’un spéculum ou des doigts devrait être reportée jusqu’à ce que la présence d’un placenta praevia ait été écartée par échographie (préalable ou actuelle). (III-C) Tests d’appoint dans le cadre de l’évaluation maternelle 15. Les études de radiographie nécessaires aux fins de l’évaluation maternelle (dont la tomodensitométrie abdominale) ne devraient pas être retardées ni reportées en raison de préoccupations à l’égard de l’exposition du fœtus à des rayonnements. (II-2B) 16. L’utilisation de produits de contraste à base de gadolinium peut être envisagée lorsque les avantages maternels l’emportent sur les risques fœtaux potentiels. (III-C) 17. En plus des tests sanguins qui sont régulièrement menés dans le cadre de l’évaluation des patientes enceintes ayant subi un traumatisme, un profil de coagulation (comprenant la mesure du taux de fibrinogène) devrait être obtenu. (III-C) 18. Chez les patientes enceintes ayant subi un traumatisme, la tenue d’une échographie abdominale ciblée pour l’identification de traumatismes devrait être envisagée aux fins de la détection des saignements intrapéritonéaux. (II-3B) 19. Lorsque la présence de saignements intra-abdominaux est soupçonnée, la tomodensitométrie abdominale pourrait constituer une solution de rechange au lavage péritonéal diagnostique ou au lavage ouvert. (III-C) Évaluation fœtale 20. Toutes les patientes enceintes ayant subi un traumatisme qui présentent une grossesse viable (≥ 23 semaines) devraient faire l’objet d’un monitorage fœtal électronique pendant au moins 4 heures. (II-3B) 21. Les patientes enceintes ayant subi un traumatisme (≥ 23 semaines) qui présentent des facteurs indésirables (dont la sensibilité utérine, des douleurs abdominales considérables, des saignements vaginaux, des contractions soutenues [> 1/10 min], la rupture des membranes, un profil de fréquence cardiaque fœtale atypique ou anormal, un mécanisme de blessure à risque élevé ou un taux sérique de fibrinogène < 200 mg/dl) devraient être hospitalisées pour une période d’observation de 24 heures. (III-B) 22. De l’immunoglobuline anti-D devrait être administrée à toutes les patientes enceintes Rh négatives ayant subi un traumatisme. (III-B)
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23. Chez les patientes enceintes Rh négatives ayant subi un traumatisme, l’hémorragie fœtomaternelle devrait être quantifiée au moyen de mesures telles que le test de Kleihauer-Betke, et ce, dans le but de déterminer la nécessité de procéder à l’administration de doses additionnelles d’immunoglobuline anti-D. (III-B) 24. Une échographie obstétricale devrait être menée d’urgence lorsque l’âge gestationnel est indéterminé et que la nécessité de procéder à l’accouchement est anticipée. (III-C) 25. Toutes les patientes enceintes ayant subi un traumatisme qui présentent une grossesse viable et qui sont hospitalisées aux fins de la tenue d’un monitorage fœtal pendant plus de 4 heures devraient faire l’objet d’une échographie obstétricale avant d’obtenir leur congé de l’hôpital. (III-C) 26. Il est important de disposer, particulièrement à des fins juridiques, d’une documentation rigoureuse du bien-être fœtal dans les cas mettant en cause de la violence. (III-C) Complications obstétricales du traumatisme 27. La prise en charge de la présence soupçonnée d’un décollement placentaire ne devrait pas être différée jusqu’à l’obtention d’une confirmation par échographie; l’échographie ne dispose pas de la sensibilité requise pour l’établissement d’un diagnostic de décollement placentaire. (II-3D) Lésions traumatiques particulières 28. La vaccination antitétanique est sûre pendant la grossesse et devrait être administrée, au besoin. (II-3B) 29. Toutes les femmes qui subissent un traumatisme devraient faire l’objet de questions visant particulièrement la violence familiale ou conjugale. (II-3B) 30. Dans le cadre des consultations prénatales, le fournisseur de soins devrait souligner l’importance du port de la ceinture de sécurité de façon adéquate, en tout temps. (II-2B) Césarienne péri-mortem 31. En présence d’une grossesse viable (≥ 23 semaines), la tenue d’une césarienne est recommandée au plus tard 4 minutes (dans la mesure du possible) à la suite de l’arrêt cardiaque chez la mère, et ce, en vue de faciliter la réanimation maternelle et le sauvetage du fœtus. (III-B)
Le texte intégral du présent document est disponible en ligne à http://www.sogc.org et à http://www.jogc.com.