MÉMOIRE ORIGINAL
L’image de soi de l’alcoolodépendant à travers l’échelle Tennessee du concept de soi Étude comparative entre hommes et femmes C. AUBRY (1), M.-C. GAY (2), L. ROMO (3), S. JOFFRE (4) Résumé. L’hypothèse d’une image de soi négative chez les alcooliques a été validée par des études des années 1970. À travers les changements de la société, les représentations de la maladie se sont modifiées. On peut se demander si le fait que l’alcoolisme soit aujourd’hui davantage perçu comme une maladie peut avoir influencé l’image de soi des alcooliques. L’échelle Tennessee du Concept de soi et l’Inventaire d’estime de soi ont été administrés à 30 patients alcooliques et à 30 participants contrôles. Les résultats montrent que les alcooliques ont une image d’eux-mêmes plus négative que le groupe contrôle. Les femmes alcooliques ont une estime de soi plus faible que les hommes alcooliques. L’évolution de la représentation de la maladie alcoolique semble avoir contribué à améliorer l’image de soi des alcooliques. Les changements de la condition féminine ont permis aux femmes alcooliques une amélioration de leur image de soi, qui tend à se rapprocher de celle des hommes alcooliques. Mots clés : Alcoolisme ; Estime de soi ; Femme alcoolique ; Image de soi.
The alcoholic’s self-image : a comparative study between men and women Summary. Self-image is a central problem in alcoholism. Most theories about the relationships between the self-image of alcoholics and their behaviour have been derived from clinical observations rather than empirical research. Most observations have pointed out that alcoholics are prone to underevaluation of themselves and that low self-image is the basis of much of the problem drinker’s behaviour. All the research on self-image has concluded that alcoholics have a lower self-image than non-alcoholics. Some empirical research has been conducted on the self-image of alcoholics ; it has, however, been carried out only a few times, restricted to small samples, and concerned with a limited
number of aspects of self-image. Moreover, most of these studies are not recent, and it seems that this area of research is not well covered. Even though the hypothesis of a bad selfimage in alcoholics was validated by various older studies, the representation of alcoholism has since changed. Because of this evolution, the ways in which the disease has been viewed have changed. One can question to what extent changes in society can influence the self-image of alcoholics. This question seems all the more pertinent for alcoholic women, given the evolution of the female condition since the Seventies. The objectives of this study are to evaluate the self-image of alcoholics and non-alcoholics, and to compare the self-image of male and female alcoholics. Our hypotheses are that : 1) the self-image of an alcoholic is more negative than that of a non-alcoholic, and that : 2) female alcoholics have a more negative self-image than male alcoholics. Two groups of 30 subjects each were made up : a group of alcoholics recruited in an alcohol-dependency unit and a group of non-alcoholics recruited in a public place. The comparison of socio-demographic data between the alcoholic group and the control group does not show a significant difference except for age and level of schooling. The average age of the control group is younger than that of the alcoholic group. The level of schooling of the control group is higher than that of the alcoholic group. These differences can be explained by the mode of recruitment of the participants. The significant differences between the alcoholic men and women are at the level of the number of years of alcoholism, the age at which the disorder began and the number of detoxification episodes. These differences are probably due to cultural background. Indeed, the age at which alcoholism begins is later in women and they consult more quickly than men. The two groups were assessed using the Tennessee Self Concept Scale and the Self Esteem Inventory. Other tests were used to control factors capable of influencing self-image (depression, socio-demographic data). The results show that the
(1) Étudiante en DESS de psychologie, Université Paris VIII. (2) Docteur en psychologie, Maître de Conférence à l’Université Paris X. (3) Docteur en psychologie, Hôpital Louis-Mourier, Service du Pr. Adès, Enseignante à l’Université Paris X et Paris VIII. (4) Praticien Hospitalier, CCAA des Portes de l’Oise. Travail reçu le 16 septembre 2002 et accepté le 10 mars 2003. Tirés à part : C. Aubry (à l’adresse ci-dessus). 24
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 24-31
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 24-31
L’image de soi de l’alcoolodépendant à travers l’échelle Tennessee du concept de soi
alcoholics have a more negative self-image than the control group. The alcoholics perceived themselves significantly less favourably on the identity (what I am), self-satisfaction (how I feel about myself), and behaviour (what I do) scores than did those in the control group. The alcoholics also saw themselves in a significantly more negative light than did those in the control group on the scores relating to physical self (body, health…), moral-ethical self (moral worth), personal self (evaluation of personality), family self (adequacy and value as a family member) and social self (adequacy and worth in interaction with others). The self-criticism subscale provided further evidence that the alcoholics were more open and selfcritical than were those in the control group. Female alcoholics had a lower self-image than male alcoholics, but not in every aspect. There was a significant difference between the scores of alcoholic women and alcoholic men, for three of the subscales measured by the Tennessee Self Concept Scale : « general self-image », « personal self » and « self-criticism ». The alcoholic women perceived themselves more negatively when it came to « self-satisfaction », « personal self » and « social self ». They were however more positive than the men in the sectors of « identity », « behaviour », « physical self », « moral-ethical self », and « family self ». The alcoholic men were more openly self-critical than the alcoholic women. Our results confirm the conclusions of empirical studies and of clinical observations. Alcoholics see themselves as generally inadequate and unworthy of respect. The changes in representations of this disease seem to have influenced the alcoholic’s self-image, but it remains however very negative. The alcoholics’negative self-image is generalised and not specific to personality and behaviour. The representation of alcoholism seems to have contributed to an improvement in the self-esteem and self-image of alcoholics, and in particular of female alcoholics. Even if the self-image of alcoholic women remains more negative than that of alcoholic men, it tends to bring back the self-image of alcoholic women to a level close to that of the men. Key words : Alcoholism ; Gender ; Self-esteem ; Self-image ; Women alcoholics.
INTRODUCTION Pour Adès et al. (1), les principales perturbations dans l’alcoolisme sont en rapport avec la perte de la capacité de se juger, de s’apprécier par rapport aux autres. D’après Alonso Fernandez (2), les conséquences de l’alcoolisme (violence familiale, rupture du travail…) font que l’alcoolique a « une image dépréciée, dégradée et primitive de luimême. » Sessions (15) pose même l’hypothèse qu’une image de soi négative est la base de la plupart des conduites alcooliques, et qu’elle est associée à une estime de soi moindre. Mais rappelons ce que l’on définit par les termes « image de soi » et « estime de soi ». L’image de soi [Toulouse (16)] désigne l’évaluation que l’individu fait de luimême, évaluation qui exprime une attitude d’approbation, ou de désapprobation. C’est donc un jugement personnel
que l’individu développe à son égard et qui se manifeste par le comportement ou la communication. Elle se compose de 2 sous-ensembles inter-reliés. Le premier sousensemble est celui qui concerne les idées, les images et les opinions que la personne a d’elle-même (on parle alors de structure cognitive du concept de soi). Le deuxième sous-ensemble est celui des évaluations subjectives des impressions, des sentiments que la personne éprouve à son égard. L’estime de soi est étroitement liée à l’image de soi. L’estime de soi est une évaluation, un jugement que la personne porte sur différents aspects de sa personnalité. Elle comporte un niveau cognitif (les idées à l’égard de soi), un niveau émotif (l’évaluation et les sentiments positifs ou négatifs envers soi) et un niveau comportemental (l’influence sur la motivation et le comportement). Pour Coopersmith (8), l’estime de soi est le résultat d’une attitude fondamentalement personnelle fondée sur une perception et une évaluation faites à partir de critères propres à l’individu. Le regard de l’autre est fondamental, il permet et influence la construction de l’image de soi. Chaque personne cherche à se conformer à l’image modèle qu’elle a d’elle-même. Plus la personne se sent éloignée d’une image, d’un modèle idéal, plus l’estime qu’elle se porte diminue, ce qui conduit à une image de soi négative. L’image de soi est un problème important, voire central, dans l’alcoolisme. En effet, une image de soi négative facilite le recours à l’alcool, et inversement, le recours à l’alcool diminue l’estime de soi. Pour obtenir une abstinence, l’estime de soi doit constituer un des axes centraux des interventions de soins [Beckman (4)]. La plupart des recherches sur l’image de soi des alcooliques et leur comportement dérivent d’observations cliniques plutôt que de recherches empiriques. Beaucoup d’observations ont noté que les alcooliques sont enclins à la sous-évaluation de soi, et Sessions (15), en 1967, a précisé qu’une basse estime de soi est la base des problèmes de comportement des alcooliques. Quelques études ont été conduites sur l’image de soi des alcooliques [Armstrong et al. (3), Berg (5), Vanderpool (17)]. Tous ces auteurs concluent à une plus mauvaise image de soi dans le groupe alcoolique. Cependant, ces recherches ont été limitées à de petits échantillons et appréhendaient l’image de soi de manière globale. Nous ne savons pas, par exemple, comment se perçoivent les alcooliques dans les aspects sociaux, ou encore moraux de leur image de soi. À notre connaissance, seule une étude de Gross et Alder (11), en 1970, a évalué les différents aspects de l’image de soi des alcooliques. Ils ont montré que les alcooliques se perçoivent moins favorablement au niveau de l’identité (qui je suis), de la satisfaction (ce que je pense de moi), et du comportement (ce que je fais) que les nonalcooliques. Ils ont également une image d’eux-mêmes plus négative au niveau du soi physique, du soi moral, du soi personnel, du soi familial et du soi social. En somme, la perception négative de soi chez les alcooliques est globale et générale, elle n’est pas spécifique ou limitée à certaines sphères de la personnalité et du comportement. 25
C. Aubry et al.
La femme alcoolique est particulièrement concernée par le contexte social. On a souvent suggéré que le problème central dans l’alcoolisme féminin était une préoccupation d’être insatisfaisante et incapable d’assumer les rôles attribués traditionnellement à la femme [Beckman (4)]. Si de nombreux auteurs font référence à une image de soi négative chez les femmes alcooliques, les études concernant l’image de soi des femmes alcooliques sont rares. Bien que les références cliniques à l’image de soi des femmes alcooliques soient communes, il existe seulement quelques études, ne donnant qu’une idée générale de l’image que ces femmes ont d’elles-mêmes. Les résultats de ces recherches [Beckman (4), McLachlan et al. (12), Wood et Duffy (18)] soutiennent l’hypothèse que les femmes alcooliques sont susceptibles d’avoir une estime de soi extrêmement basse. Elles ont en effet une image de soi plus mauvaise que les hommes alcooliques et que les femmes non alcooliques. Mais lorsqu’on s’intéresse à la méthodologie de ces recherches psychométriques, on s’aperçoit qu’elles sont toutes basées sur des entretiens ou le test d’estime de soi de Rosenberg qui ne permet pas de mesurer les différentes composantes ou secteurs de l’image de soi. Ces études ne sont pas, pour la plupart, récentes. Or, la société a changé. À travers les évolutions de la société, les représentations de l’alcoolisme se sont modifiées, lequel est davantage perçu désormais comme une maladie [Gaussot (10)]. On peut donc se demander si le fait que l’alcoolisme soit de moins en moins perçu comme « un vice » ou « une faiblesse » peut avoir influencé leur image d’eux-mêmes. Ce questionnement semble encore plus prégnant pour la femme alcoolique. Les objectifs de cette étude sont d’évaluer l’image de soi des alcooliques et des non-alcooliques, et de comparer l’image de soi des hommes et des femmes alcooliques. Nos hypothèses sont que : a) les alcooliques ont une image d’eux-mêmes plus négative que les nonalcooliques ; b) les femmes alcooliques ont une image d’elles-mêmes plus négative que les hommes alcooliques.
MÉTHODE Participants Nous avons constitué un échantillon de 60 personnes dont 30 patients alcooliques (15 hommes et 15 femmes) et 30 participants contrôles (15 hommes et 15 femmes). Les participants alcooliques ont été recrutés à l’Unité d’Alcoologie de l’Hôpital Intercommunal des Portes de l’Oise. Le groupe contrôle a été recruté dans une population « tout-venant » dans une médiathèque. Les critères d’inclusion pour les participants du groupe alcoolique étaient les suivants : être alcoolique (remplir les critères diagnostiques du DSM IV pour l’alcoolodépendance et avoir un score supérieur à 5 au Michigan Alcoholism Screening Test), être suivi à l’Unité d’Alcoologie de l’Hôpital Intercommunal des Portes de l’Oise et être âgé de 20 26
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 24-31
à 65 ans. Les critères d’exclusion pour ce groupe étaient les suivants : ne pas savoir lire et écrire ou avoir des difficultés pour lire et comprendre les consignes des tests, avoir des complications médicales importantes, des problèmes neurologiques, des pathologies autres associées. Les critères d’inclusion choisis pour constituer le groupe contrôle étaient les suivants : ne pas être alcoolique (avoir un score inférieur à 5 au Michigan Alcoholism Screening Test), et être âgé de 20 à 65 ans. Les critères d’exclusion étaient : ne pas savoir lire et écrire, avoir des difficultés pour lire et comprendre les consignes des tests, avoir des problèmes psychiatriques ou neurologiques tels qu’ils empêcheraient la compréhension des consignes, avoir des problèmes médicaux graves ou un handicap.
Caractéristiques socio-démographiques Les sujets alcooliques sont âgés en moyenne de 46 ans (7,6), le groupe contrôle est âgé en moyenne de 36 ans (11,6). La différence d’âge est significative entre les deux groupes (tableau I). 57 % des sujets alcooliques sont mariés contre 37 % des personnes composant le groupe non alcoolique. Les deux groupes ont en moyenne 2 enfants. Ils sont majoritairement d’origine française. Les revenus mensuels moyens des ménages du groupe alcoolique (66,6 %) sont compris entre 1 524 et 3 048 O Le groupe alcoolique a atteint au niveau de la scolarité le niveau secondaire (60 %), le groupe non alcoolique a atteint le niveau supérieur (57 %) ; 43 % des sujets alcooliques n’ont pas d’activité actuellement contre 20 % des sujets non alcooliques. L’échantillon du groupe expérimental (n = 30) est composé de 15 hommes alcooliques âgés en moyenne de 47 ans (8,1), et de 15 femmes alcooliques âgées en moyenne de 44 ans (8,5). Les hommes alcooliques sont majoritairement mariés (67 %), tout comme les femmes alcooliques (47 %). Les hommes et les femmes alcooliques ont en moyenne 2 enfants. Les deux groupes sont majoritairement d’origine française. Les revenus mensuels des ménages des hommes alcooliques (67 %) et des femmes alcooliques (67 %) sont en moyenne de 1 524 à 3 048 O. Les hommes (60 %) et les femmes (60 %) alcooliques ont atteint au niveau de la scolarité le niveau secondaire ; 67 % des hommes alcooliques ont une activité professionnelle actuellement contre 47 % des femmes alcooliques. Les hommes et les femmes sont généralement suivis depuis moins de 6 mois (47 %) ou depuis plus d’un an (37 %) à l’Unité d’Alcoologie. Les hommes alcooliques ont des problèmes d’alcool depuis environ 18 ans, les femmes depuis 8 ans. Les hommes ont commencé à boire plus jeunes, en moyenne à 29 ans (8), les femmes à 36 ans (7,5). Les hommes alcooliques ont suivi environ 2 cures de sevrage, contre une pour les femmes. À la question « pour quelles raisons estimez-vous être malade ? », les hommes et les femmes évoquent majoritairement l’alcool. Les femmes parlent également du couple, de troubles psychiques et de la profession.
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 24-31
L’image de soi de l’alcoolodépendant à travers l’échelle Tennessee du concept de soi
TABLEAU I. — Caractéristiques socio-démographiques des participants. Groupe alcoolique
Origine Revenus
Scolarité
Activité professionnelle
Âge Nombre d’enfants Française Autre Moins de 1 524 O 1 524 à 3 048 O Plus de 3 048 O Aucune Primaire Spécialisée Secondaire Supérieure Oui Non
Nombre d’années depuis début des problèmes d’alcool Âge de début des troubles Nombre de cures de sevrage Suivi depuis Moins de 6 mois 6 mois à 1 an Plus d’un an
Groupe contrôle
X = 46 (7,6) X = 36 (11,6) X = 1,6 (1) X = 1,2 (1,4) 27 27 3 3 5 7 20 13 5 10 1 0 1 3 4 1 18 9 6 17 17 24 13 6 13,1 (8,7) –
Hommes alcooliques
Femmes alcooliques
T/2
p.
X = 44 (8,5) X = 1,5 (1,1) 13 2 3 10 2 0 0 3 9 3 7 8 8,4 (4,8)
1 1,5 0,4
ns ns ns
5,7
ns
7,55
ns
6,7
ns
–
X = 47 (8,1) X = 1,7 (1) 14 1 2 10 3 1 1 1 9 3 10 5 17,8 (9,3)
3,8
*
T/2
p.
3,9 1,3 0
* ns ns
7,8
ns
13,8
*
12,9
ns
–
33 (8)
–
–
–
29 (8)
36 (7,5)
10,2
*
1,3 (1,2)
–
–
–
1,7 (1,3)
0,8 (0,8)
2,4
*
14 5 11
– – –
– – –
– – –
7 2 6
7 3 5
0,3
ns
X : moyenne ; ( ) : écart-type ; * différence significative à p. < 0,05 ; ns : non significatif.
La comparaison des données socio-démographiques entre le groupe alcoolique et le groupe contrôle ne montre pas de différence significative, excepté pour l’âge et le niveau scolaire. La moyenne d’âge du groupe contrôle est plus jeune que celle du groupe alcoolique. Le niveau scolaire du groupe contrôle est supérieur à celui du groupe alcoolique. On peut expliquer ces différences par le mode de recrutement des participants. Les participants du groupe contrôle ont été recrutés dans un lieu public et, compte tenu des difficultés de recrutement d’une population générale, les deux groupes n’ont pu être appareillés sur le plan des données socio-démographiques. Les différences significatives entre les hommes et les femmes alcooliques se situent au niveau du nombre d’années d’alcoolisme, de l’âge de début des troubles et du nombre de cures de sevrage. Elles sont probablement dues à la dimension culturelle. En effet, l’âge de début des troubles alcooliques est plus tardif chez la femme et elles consultent plus rapidement que les hommes [Mourad et al. (13)].
Instruments Le choix des outils méthodologiques a été déterminé afin d’évaluer d’une part l’image de soi, l’estime de soi et
d’autre part des facteurs pouvant influencer l’image de soi. L’autoquestionnaire anamnestique [Bobon (6)] permet un recueil systématique des données socio-démographiques, des événements « vitaux » et des antécédents personnels et familiaux. Nous avons choisi d’utiliser ce questionnaire afin de recueillir des informations précises sur la situation de chaque participant : l’état civil, les revenus, la scolarité, la situation professionnelle actuelle, les raisons pour lesquelles le patient estime être malade, les événements marquants de son existence. Pour compléter le questionnaire anamnestique et surtout discriminer d’éventuels sujets alcoolodépendants dans la population « toute-venante » qui constitue le groupe contrôle, nous avons utilisé le Michigan Alcoholism Screening Test, créé par Selzer (14) en 1971. Ce test est une autoévaluation en 25 questions sur la consommation d’alcool. Il mesure la dépendance à l’alcool et permet l’identification des problèmes de dépendance alcoolique. Le score le plus courant est de 4 ou 5 points pour les personnes « probablement dépendantes », et de plus de 5 points pour les personnes « manifestement dépendantes ». Il dispose d’excellentes caractéristiques opérationnelles : sensibilité, spécificité, valeurs prédictives. La cohérence interne, la fiabilité test-retest indiquent une grande fiabilité du MAST. 27
C. Aubry et al.
Afin de mesurer l’image de soi, nous avons utilisé l’Echelle Tennessee du Concept de soi (TSCS). Cette échelle a été créée par Fitts (9) en 1969, puis traduite au Québec par Toulouse (16) en 1979. Elle est composée de 100 items, l’échelle de réponse varie de 1 à 5, de « complètement faux » à « complètement vrai ». Cent items, divisés en affirmations positives et négatives, composent les 10 sous-échelles de ce test décrivant l’image de soi. Les sous-échelles sont divisées en 2 dimensions : référence interne (« identité », « satisfaction de soi », « perception de ses comportements ») et référence externe (« soi physique », « soi moral », « soi personnel », « soi familial » et « soi social »). Dix des items, que la plupart des personnes admettent comme étant vrais pour elles, composent la sous-échelle critique de soi. Nous donnerons pour chaque sous-échelle un exemple d’items : – estime de soi générale : « je me méprise » ; – identité : « je suis une personne bien » ; – satisfaction de soi : « je suis satisfait de mon comportement moral » ; – perception de ses comportements : « parfois, il m’arrive de me mettre en colère » ; – soi physique : « j’ai un corps sain » ; – soi moral : « je suis une personne honnête » ; – soi personnel : « quelle que soit la situation, je peux toujours me tirer d’affaire » ; – soi familial : « je suis membre d’une famille qui m’aiderait dans n’importe quelle difficulté » ; – soi social : « j’essaie de plaire aux autres sans exagérer » ; – critique de soi : « je ne dis pas toujours la vérité ». Dans sa version américaine et au Québec, ce test présente de bonnes qualités psychométriques, mais n’a pas été adapté pour la population française. Nous avons souhaité contrôler les résultats obtenus au TSCS avec ceux de l’Inventaire d’estime de soi de Coopersmith (8), qui est validé en France. Il mesure l’estime de soi : générale, sociale, familiale, personnelle. L’inventaire comprend 58 items décrivant des sentiments, des opinions, auxquels le sujet doit répondre en cochant « me ressemble » ou « ne me ressemble pas ». La consistance interne est satisfaisante ainsi que la fidélité test-retest. La limite de ce questionnaire est le peu de stabilité de sa structure factorielle. Cependant, il est l’outil le plus employé pour évaluer l’estime de soi. Le questionnaire de Zung (19), créé en 1965, est un autoquestionnaire qui concerne les sentiments habituels du sujet, il comprend 20 items. Cette échelle de dépression est un instrument fiable et valide pour mesurer la gravité des symptômes dépressifs.
Procédure Les différents questionnaires ont été administrés aux participants alcooliques à l’Unité d’Alcoologie de Beaumont-sur-Oise et aux sujets contrôles dans une médiathèque. Les participants ont passé les tests dans l’ordre 28
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 24-31
suivant : l’autoquestionnaire anamnestique, le Michigan Alcoholism Screening Test, l’échelle Tennessee du concept de soi, l’échelle de dépression de Zung, et enfin l’Inventaire d’estime de soi de Coopersmith. Nous nous sommes inspirés des propositions de Caverni (7), en 1998, pour mettre en place notre méthodologie (anonymat, confidentialité, accord écrit des participants, restitution des résultats…).
RÉSULTATS Rappelons nos hypothèses : a) les alcooliques ont une image d’eux-mêmes plus négative que les nonalcooliques ; b) les femmes alcooliques ont une image d’elles-mêmes plus négative que les hommes alcooliques. Afin d’analyser les données, le test t de Student est apparu comme étant le test le plus approprié pour comparer les résultats moyens obtenus pour les deux groupes aux différents tests. Par ailleurs, le test du χ2 a été utilisé pour comparer les résultats obtenus au questionnaire informatif AMDP. Ce test statistique permet de connaître s’il y a une relation significative entre les deux variables en cause.
Image de soi Comme montré dans le tableau II, les alcooliques présentent une image de soi plus négative [X = 316 (39,5)] que les non alcooliques [X = 355 (35,9)] à l’échelle Tennessee du concept de soi. Le test t démontre une différence significative entre ces deux moyennes (t = 16,4, dl = 58, p. < 0,05). De plus, il y a une différence significative entre les scores du groupe alcoolique et ceux du groupe contrôle, pour les dix sous-échelles du concept de soi. Les alcooliques se perçoivent plus négativement pour l’« identité » [X = 104,2 (16,5)], la « satisfaction de soi » [X = 92,7 (14,6)] et pour le « comportement » [X = 112 (19,6)], par rapport au groupe contrôle [X = 123,7 (12,6), X = 105,1 (11,8), X = 126,2 (22,8)], et cela de façon significative (identité : t = 19,6, dl = 58, p. < 0,05, satisfaction : t = 13,8, dl = 58, p. < 0,05, et comportement : t = 9,8, dl = 58, p. < 0,05). Le groupe alcoolique se perçoit également plus négativement que les sujets du groupe contrôle sur les points concernant le « soi physique » [X = 56,9 (11,2)], le « soi moral » [X = 65,3 (12,3)], le « soi personnel » [X = 64,6 (13)], le « soi familial » [X = 62,7 (11,3)], le « soi social » [X = 60,7 (11,1)] que le groupe non alcoolique [« soi physique » : X = 61,8 (10,5) ; « soi moral » : X = 73,1 (8,1) ; « soi personnel » : X = 87,2 (8,9) ; « soi familial » : X = 63,4 (8) ; « soi social » : X = 69,5 (12,8)]. Le test t démontre une différence significative entre les moyennes des 2 groupes, pour ces 5 souséchelles (physique : t = 6,7, dl = 58, p. < 0,05 ; personnel : t = 29,8, dl = 58, p. < 0,05 ; moral : t = 8,1, dl = 58, p. < 0,05 ; familial : t = 2,9, dl = 58, p. < 0,05 ; social : t = 37,8, dl = 58, p. < 0,05). Les alcooliques [X = 33,9 (6,2)] sont
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 24-31
L’image de soi de l’alcoolodépendant à travers l’échelle Tennessee du concept de soi
TABLEAU II. — Comparaison des moyennes des scores obtenus à l’échelle Tennessee du concept de soi. N = 60
Sous échelles Image de soi générale Identité Satisfaction Comportement Soi physique Soi personnel Soi moral Soi familial Soi social Critique de soi
Groupe alcoolique (n = 30) Écarttype
X
Groupe non alcoolique (n = 30) X
Hommes alcooliques (n = 15)
Écarttype
t
p.
X
Écarttype
Femmes alcooliques (n = 15) X
Écarttype
t
p.
316
39,5
355
35,9
16,4
*
321,8
42,4
310,1
35,3
2,2
*
104,2 92,7 112 56,9 64,6 65,3 62,7 60,7 33,9
16,5 14,6 19,6 11,2 13 12,3 11,3 11,1 6,2
123,7 105,1 126,2 61,8 87,2 73,1 63,4 69,5 33,3
12,6 11,8 22,8 10,5 8,9 8,1 8 12,8 5
19,6 13,8 9,8 6,7 29,8 11 2,9 37,8 4,1
* * * * * * * * *
103,8 94,13 111,4 56,8 66,8 64 62,7 58,93 35,5
20,32 13,92 18,05 11,47 12,4 11,6 11,9 12,3 6,4
104,5 91,2 112,6 57 62,2 66,7 62,8 59,9 32,3
12,3 15,5 21,7 11,3 12,9 13,2 11,2 12 5,7
0,3 1,4 0,4 0,1 2,6 1,5 0,1 2 9,6
ns ns ns ns * ns ns ns *
X : moyenne ; * différence significative à p. < 0,05 ; ns : non significatif.
plus ouverts et se critiquent davantage que les sujets non alcooliques [X = 33,3 (5)]. Le test t démontre une différence significative entre les moyennes des 2 groupes (critique de soi : t = 4,1, dl = 58, p. < 0,05). Comme le montre le tableau II, les femmes alcooliques [X = 310,1 (35,3)] présentent une image de soi plus négative que les hommes alcooliques [X = 321,8 (42,4)]. Le test t démontre une différence significative entre ces deux moyennes (t = 2,2, dl = 28, p. < 0,05). Il y a une différence significative entre les scores des femmes alcooliques et des hommes alcooliques, pour 2 des sous-échelles mesurées par l’échelle Tennessee du concept de soi : le « soi personnel » et la « critique de soi » (« soi personnel » : t = 2,6, dl = 28, p. < 0,05), « critique de soi » (t = 9,6, dl = 28, p. < 0,05). Les femmes alcooliques se perçoivent plus négativement pour la « satisfaction de soi » [X = 91,2 (15,5) versus X = 94,13 (13,9)], le « soi personnel » [X = 62,2 (12,9) ver-
sus X = 66,8 (12,4)] et le « soi social » [X = 59,9 (12) versus X = 58,9 (12,3)]. Elles se perçoivent de façon plus positive que les hommes dans les secteurs de l’« identité » [X = 104,5 (12,3) versus X = 103,8 (20,32)], la « perception de ses comportements » [X = 112,6 (21,7) versus 111,4 (18)], le « soi physique » [X = 57 (11,3) versus X = 56,8 (11,5)], le « soi moral » [X = 66,7 (13,2) versus X = 64 (11,6)], le « soi familial » [X = 62,8 (11,2) versus X = 62,7 (11,9)]. Les hommes alcooliques [X = 35,5 (6,4)] sont davantage ouverts à la critique d’eux-mêmes que les femmes alcooliques [X = 32,3 (5,7)]. Les résultats obtenus à l’Inventaire d’estime de soi, présentés dans le tableau III, montrent que le groupe alcoolique [X = 14,3 (5,6)] s’estime moins que le groupe contrôle [X = 20,1 (4,2)]. La différence est significative (t = 15,8, dl = 58, p. < 0,05), comme pour toutes les sous-échelles [soi général : t = 17,3, dl = 58, p. < 0,05 ; soi social : t = 8,9, dl = 58, p. < 0,05 ; soi familial : t = 9,4, dl = 58, p. < 0,05 ;
TABLEAU III. — Comparaison des moyennes des scores obtenus à l’Inventaire d’estime de soi de Coopersmith (n = 60). Sous échelles Soi général Soi social Soi familial Soi professionnel Échelle mensonge
Groupe alcoolique (n = 30) X = 14,3 (5,6) X = 5,5 (2) X=5 (2,5) X = 5,3 (1,8) X = 3,1 (2,2)
Groupe non alcoolique t Student (n = 30) X = 20,1 (4,2) X = 6,6 (1,6) X = 6,4 (1,8) X = 6,1 (1,7) X=3 (1,7)
p.
17,3
*
8,9
*
9,4
*
6,8
*
0,5
ns
Hommes alcooliques (n = 15)
femmes alcooliques (n = 15)
X = 15,4 (6,8) X = 5,7 (2,1) X = 5,7 (2,55) X = 5,53 (2,26) X = 3,6 (2,1)
X = 13,1 (3,6) X = 5,3 (1,9) X = 4,15 (2,3) X=5 (1,2) X = 2,5 (2,3)
t Student
p.
3,1
*
1,5
ns
4,5
*
2,2
*
3,5
*
X : moyenne ; ( ) = écart-type ; * différence significative à p. < 0,05 ; ns : non significatif. 29
C. Aubry et al.
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 24-31
soi professionnel : t = 6,8, dl = 58, p. < 0,05)]. Les résultats des femmes alcooliques confirment les résultats de l’Echelle Tennessee du concept de soi. Elles [X = 13,1 (3,6)] s’estiment moins bien que les hommes [X = 15,4 (6,8)]. La différence est significative dans toutes les souséchelles (soi général : t = 3,1 dl = 28, p. < 0,05 ; soi familial : t = 4,5, dl = 28, p. < 0,05 ; soi professionnel : t = 2,2, dl = 28, p. < 0,05 ; échelle mensonge : t = 3,5, dl = 28, p. < 0,05), excepté l’estime de soi sociale (t = 1,5, dl = 28, p. < 0,05). Dépression Au niveau de la dépression (tableau IV), le groupe alcoolique présente une moyenne supérieure [X = 48,3 (9,5)] au groupe non alcoolique [X = 37,7 (11,4)]. Le test t démontre une différence significative entre ces 2 moyennes (t = 12, dl = 55, p. < 0,05). Le score moyen des 2 groupes de sujets ne correspond pas aux critères de dépression. TABLEAU IV. — Comparaison des moyennes des scores obtenus à l’échelle de dépression de Zung. N = 60
Moyenne
Écart type
t de Student
p.
Groupe alcoolique (n = 30) Groupe non alcoolique (n = 30)
48,3 37,7
9,5 11,4
14,9
*
Hommes alcooliques (n = 15) Femmes alcooliques (n = 15)
45,73 51,7
11,03 6,4
4,8
*
* différence significative à p. < 0,05 ; ns : non significatif.
Les femmes alcooliques présentent une moyenne supérieure [X = 51,7 (6,5)] aux hommes alcooliques [X = 45,7 (11)]. Le test t montre une différence significative entre ces deux moyennes (t = 4,1, dl = 26, p. < 0,05). Le score moyen des femmes alcooliques (X = 51,7) les classe au niveau II « dépression minime à moyenne » de l’échelle de dépression de Zung, le score moyen des hommes alcooliques n’a pas de signification pathologique d’après cette échelle.
DISCUSSION Les résultats de notre étude montrent un lien entre l’image de soi et l’alcoolisme. Nos résultats confirment les conclusions des études empiriques et des observations cliniques : les alcooliques se voient comme généralement insatisfaisants et non dignes de respect. Les alcooliques de notre échantillon diffèrent de manière significative, dans une direction négative, du groupe contrôle sur de nombreux et importants aspects de l’image de soi. On peut suggérer que la perception négative de soi des alcooliques est globale et générale, non spécifique et limitée à certaines sphères de la personnalité et du comportement. Cette configuration de 30
l’image de soi très négative peut être centrale, pour ce que certains ont nommé « la personnalité alcoolique ». L’Échelle Tennessee du concept de soi et l’Inventaire d’estime de soi montrent que les femmes alcooliques obtiennent des scores inférieurs aux hommes alcooliques. L’image de soi des femmes alcooliques reste plus négative que celle des hommes alcooliques ; nous pouvons « imaginer » que les changements de la société et de la condition féminine participent à ramener l’image de soi des femmes alcooliques à un niveau proche de celles des hommes. Au niveau général, les femmes se perçoivent toujours de manière plus négative que les hommes alcooliques. Les scores obtenus pour les deux sont faibles et montrent une image de soi pathologique. Une personne qui ne s’estime pas est sensible à l’influence sociale. L’image de soi négative des femmes alcooliques semble renforcée, et probablement confirmée par la stigmatisation sociale de l’alcoolisme féminin. La différence entre les hommes et les femmes alcooliques se retrouve essentiellement dans leur impression de valeur personnelle. Les hommes tendent vers un sentiment d’adéquation personnelle, tandis que les femmes ont une impression de non-valeur. « Le soi personnel », qui permet cette évaluation, ne prend pas en compte les aspects sociaux et physiques de la personnalité. Ainsi, les femmes alcooliques, dans le face-à-face avec ellesmêmes, loin du regard de l’autre, ont des sentiments très négatifs pour elles-mêmes. De même, les résultats « satisfaction » montrent que les hommes et les femmes alcoolodépendants éprouvent des sentiments très négatifs envers eux-mêmes. Les hommes ne s’acceptent pas davantage que les femmes. Les hommes et davantage encore les femmes alcooliques se perçoivent négativement dans les relations avec les autres. « Je me trouve dans une solitude totale » est une phrase qui revient souvent dans le discours des alcooliques. Mal à l’aise avec eux-mêmes, les relations sociales deviennent difficiles, ils ont toujours le sentiment que l’autre ne les apprécie pas. Se sentant coupables, ils renvoient la faute sur euxmêmes et se considèrent comme « indignes » de l’amour ou de l’intérêt d’un autre. Il est vrai que l’alcoolisme a d’importantes répercussions sociales, juridiques… Peutêtre davantage chez l’homme, comme les réponses obtenues au Michigan Alcoholism Screening Test ont pu nous le montrer. Les démêlés avec la justice, les séparations, les pertes d’emploi ne donnent pas une image de soi positive sur le plan social. Les hommes alcooliques se critiquent davantage que les femmes alcooliques. Le recueil des données confirme que les femmes alcooliques sont plus défensives et méfiantes. En effet, il a été beaucoup plus difficile de trouver des femmes alcoolodépendantes pour répondre aux questionnaires. Étant donné l’intérêt des résultats trouvés et la concordance des résultats entre l’Échelle Tennessee du concept de soi et l’Inventaire d’estime de soi, cette étude laisse présager des possibilités d’adaptation en France de l’Échelle Tennessee du concept de soi, ce que nous nous proposons de faire dans une étude ultérieure.
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 24-31
L’image de soi de l’alcoolodépendant à travers l’échelle Tennessee du concept de soi
CONCLUSION L’objectif de cette étude visait à explorer l’image de soi de l’alcoolodépendant aujourd’hui, ainsi que les différences existantes entre les hommes et les femmes souffrant de cette pathologie. Les hypothèses avancées proposaient de vérifier que l’image de soi de l’alcoolique reste toujours négative, bien que l’alcoolisme soit de plus en plus considéré comme une maladie. Les résultats obtenus ont indiqué un niveau d’estime de soi significativement plus faible chez les alcooliques, et une tendance plus négative dans le jugement de soi des femmes alcooliques. Ces résultats confirment nos hypothèses de recherche, à savoir : a) les alcooliques ont une image d’eux-mêmes plus négative que les non-alcooliques ; b) les femmes alcooliques ont une image d’ellesmêmes plus négative que les hommes alcooliques. L’évolution des représentations de la maladie semble avoir peu influencé le niveau d’estime de soi et l’image de soi des alcooliques. L’image de soi, mesurée par le TSCS, reste dans notre étude dans le seuil pathologique. Toutefois, par rapport à l’étude de Gross et Alder (11), réalisée avec le TSCS en 1970 sur 140 hommes alcooliques, on peut noter une évolution. Dans notre étude, les alcooliques obtiennent un score global de 316 contre 286,23 en moyenne dans le groupe alcoolique de leur étude. Nous pouvons penser que cet écart est dû à l’évolution des représentations de la maladie. L’alcoolisme, même s’il n’est pas toujours perçu comme une maladie, tend à le devenir. Dans les années 1970, cette pathologie subissant l’opprobre social et la réprobation morale était associée à un vice et une faiblesse. Ceci reste encore sous forme d’hypothèses, compte tenu de la taille de notre échantillon. Nos résultats ont cependant un intérêt pour la pratique en alcoologie : le but final des soignants impliqués dans le traitement de l’alcoolisme est de réduire ou d’éliminer le comportement autodestructeur des alcooliques. Ceci peut être mieux accompli en concentrant les modalités de traitement sur le développement d’une image de soi plus adéquate et plus positive. Au-delà de l’abstinence, il faut rebâtir l’image de l’alcoolique, et mettre à jour les conflits intérieurs. Cet axe thérapeutique semble encore plus important pour les femmes alcooliques. Tous les centres de soins impliqués dans le traitement de l’alcoolisme féminin doivent prendre en compte l’estime de soi particulièrement basse de ces femmes pour éviter qu’elle interfère dans le traitement. Au début d’une prise charge pour sevrage, il serait intéressant d’évaluer le niveau d’estime de soi dans les diffé-
rents secteurs. En fonction des résultats de la personne, l’alcoologue pourrait employer différentes techniques afin de permettre à l’alcoolique de s’affirmer, de s’accepter et de s’aimer. Nous pensons que l’image de soi constitue un des axes centraux des interventions auprès de patients alcooliques.
Références 1. ADÈS J, LEJOYEUX M. Complications psychiatriques de l’alcoolisme. Rev Prat 1991 ; 41 (22) : 2259-63. 2. ALONSO-FERNANDEZ F. L’éthique et la personnalité de l’alcoolodépendant. Alcoologie 1995 ; 17 (2) : 129-35. 3. ARMSTRONG RG, HOYT DB. Personality structure of male alcoholics as reflected in the IES test. Q. J Stud Alcohol 1963 ; 24 : 23948. 4. BECKMAN LJ. Self-esteem of women alcoholic. J Stud on Alcohol 1978 ; 39 (3) : 491-8. 5. BERG NL. Effects of alcohol intoxication on self-concept. Q J Stud Alcohol 1971 ; 32 : 442-53. 6. BOBON D. Le système AMDP. Manuel de documentation de quantification de la psychopathologie, 2 e édition. Bruxelles : Mardaga, 1981. 7. CAVERNI JP. Pour un Code de déontologie des chercheurs dans les sciences du comportement humain. Ann Psychol 1998 ; 98 : 83100. 8. COOPERSMITH S. The Antecedents of Self-Esteem. San Francisco : Freeman, 1967. 9. FITTS WR. Manual for the Tennessee Department of Mental Health Self Concept Scale. Nashville : Counselor Recordings and Tests, 1965. 10. GAUSSOT L. Les représentations de l’alcoolisme et la construction sociale du bien boire. Sci Soc Sant 1998 ; 16 (1) : 6-41. 11. GROSS W, ALDER L. Aspects of alcoholics self-concepts as measured by the Tennessee Self Concept Scale. Psychol Rep 1970 ; 27 : 431-4. 12. McLACHLAN JFC, WALDERMAN RL, BIRCHMORE DF. Self-evaluation, role satisfaction, and anxiety in the woman alcoholic. Int J Addict 1979 ; 14 : 459-67. 13. MOURAD I, LEJOYEUX M. L’alcoolisme féminin. In : Adès J, Lejoyeux M, eds. Alcoolisme et Psychiatrie. Paris : Masson, coll Médecine et Psychothérapie, 1997 : 201-19. 14. SELZER ML. The Michigan Alcoholism Screening Test : the quest for a new diagnostic instrument. Am J Psychiatry 1971 ; 127 : 89 - 94. 15. SESSIONS PM. Social casework treatment of alcoholics with the focus on the image of self. In : Fox R, ed. Alcoholism : behavioural research, therapeutic approaches. New York : Springer, 1967 : 299306. 16. TOULOUSE JM. Mesure du concept de soi Tennessee Self Concept Scale. Thèse non publiée, Université de Montréal, Québec, 1971. 17. VANDERPOOL JA. Alcoholism and the self-concept. Q J Stud Alcohol 1969 ; 30 : 59-77. 18. WOOD H, DUFFY E. Psychological factors in alcoholic women. Am J Psychiatry 1966 ; 123 (3) : 341-4. 19. ZUNG WWK. A Self-Rating Depression Scale. Arch Gen Psychiatry 1965 ; 12 : 63-70.
31