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ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 65 (2017) 180–187
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L’insertion scolaire des élèves issus de l’immigration – enjeux et perspectives de prévention Children of migrants’ school integration – concerns and prevention perspectives A. Sarot a,∗,b , L.-C. Girard c , M. Chomentowski d , A. Revah-Lévy e , B. Falissard f , M.-R. Moro g a
Maison de Solenn-Maison des adolescents (Cochin), centre Babel, Inserm U1178, 97, boulevard de Port-Royal, 75014 Paris, France b Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, 71, avenue Édouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt cedex, France c International laboratory for child and adolescent mental health development, Inserm U1178, université de Montréal, 2900, boulevard Édouard-Montpetit, Montréal, QC H3T 1J4, Canada d Université de Fribourg, avenue de l’Europe-20, 1700 Fribourg, Suisse e Pôle adolescent de l’hôpital d’Argenteuil, Inserm U1178, université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, 69, rue du Lieutenant-Colonel-Prudhon, 95107 Argenteuil, France f Inserm U1178, universités Paris-Sud et Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, Paris, France g Service de la maison de Solenn–maison des adolescents de l’hôpital Cochin, université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, 71, avenue Édouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt cedex, France
Résumé Cadre théorique. – Les élèves issus de l’immigration sont particulièrement représentés dans les chiffres de l’échec scolaire. La clinique transculturelle a identifié trois périodes de vulnérabilité spécifiques à leur développement : les interactions précoces, l’entrée dans les grands apprentissages et l’adolescence – trois périodes clés dans le processus de séparation-individuation. Elle a également souligné l’impact des réactions transféro-contretransférentielles dans la relation pédagogique. Méthodologie. – Nous discutons ici les cas d’Ali et Eva, deux adolescents de 16 ans, nés en France d’origine maghrébine, entrant en CAP cuisine en situation d’illettrisme. Nous les avons rencontrés dans le cadre d’une recherche de doctorat portant sur les facteurs de vulnérabilité et de protection des enfants de migrants dans leur rapport aux savoirs. Nous avons suivi au cours d’une année scolaire et avons également interviewé leurs parents et enseignants, afin de croiser les regards et d’identifier les facteurs déterminants de l’insertion scolaire des enfants de migrants. Discussion. – Notre analyse nous a permis de faire ressortir la nécessité de prendre en compte la dimension anthropologique et géopolitique dans les relations clinique et pédagogique, pour favoriser l’alliance éducative autour des enfants et éviter de faux diagnostics de handicap et des prises en charge peu efficaces. Nous avons dès lors pu proposer un dispositif de médiation famille-école, permettant de compenser les facteurs de vulnérabilité et de soutenir les facteurs de protection relatifs aux enfants de migrants. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es. Mots clés : Insertion scolaire ; Migration ; Bilinguisme ; Adolescence ; Contre-transfert culturel ; Médiation ; Prévention.
Abstract Theoretical background. – There is currently a high risk of school failure in France, especially as it pertains to migrants’ children. The transcultural clinical field has identified three vulnerability periods in their development : early interactions, when entering formal school at the age of 6 and adolescence – i.e. three key periods in the separation-individuation process. It also underlined the negative effect of transfero-counter-transferential reactions in the pedagogical interactions.
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Sarot).
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2017.03.006 0222-9617/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.
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Methods. – We here discuss the cases of Ali and Eva, two 16-year-olds, born in France of Maghreb origins, and considered as illiterate by the school system. We followed them during their first year of cooking training in a Parisian vocational high school. We also interviewed their parents and teachers, in order to cross perspectives and to identify the determining factors of the pedagogical encounter. Conclusions. – Our analysis allowed us to show the necessity to take into account anthropological and geopolitical factors when it comes to clinical as well as pedagogical assessments, in order to prevent fake diagnosis and inefficient therapies. We thus developed an innovating mediation design between families and school professionals, which helps to compensate for children of migrants’ vulnerability factors and to promote their protection factors. This new transcultural mediation design thereby constitutes a prevention tool for migrants’ children school insertion. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: School insertion; Migration; Bilingualism; Adolescence; Cultural counter-transference; Mediation; Prevention
1. L’insertion scolaire des élèves issus de l’immigration : enjeux et difficultés Les élèves issus de l’immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté, et ce même après contrôle des variables socio-économiques (PISA, 2013). Ceux de la deuxième génération, pourtant nés en France et scolarisés dès la maternelle, accusent en France des scores inférieurs de 60 points à ceux des élèves autochtones, contre 30 points en moyenne dans les pays de l’OCDE1 . Ces constats interrogent l’ensemble des pays occidentaux, qui sont confrontés à la nécessité d’adapter leurs systèmes scolaires à la diversité croissante de leurs élèves. 1.1. Du bilinguisme à l’illettrisme Selon la méta-analyse de Chomentowski [1], beaucoup d’enfants de migrants sortent du système scolaire sans avoir acquis la lecture et l’écriture, et ce en partie parce que l’école les considère, à tort, comme étant francophones et néglige donc de leur transmettre sa langue, empêchant l’accès aux apprentissages essentiels pour les plus fragiles. Le rapport d’August et Shanahan [2] montre que les difficultés en lecture ne peuvent pas être imputées au bilinguisme lui-même, mais que des aménagements des conditions d’instruction sont nécessaires pour les enfants bilingues : réduction des différences entre l’école et la maison pour favoriser la participation en classe et expression ostentatoire d’un respect de la diversité culturelle. De plus, être locuteur d’une langue minorée altère l’estime de soi, la motivation et les opportunités d’apprentissage. Enfin, les ressources parentales sont souvent mésestimées. D’autres auteurs ont mis en évidence l’influence des facteurs socioculturels [3,4] et l’importance de la transmission des culture et langue d’origine [5], à l’oral mais aussi à l’écrit, le cas échéant [2,6–9]. L’adaptation de nos systèmes scolaires monolingues à des enfants bilingues, désormais majoritaires dans le monde [10], constitue un défi pour le monde occidental. Toutes les études font ressortir les avantages conférés par le bilinguisme, tant sur le plan cognitif qu’affectif et social (pour une revue de la littérature [11]. Mais les conditions d’instruction monolingues empêchent ces enfants de devenir bilettrés et leurs compétences, perc¸ues
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Regards sur l’éducation, OCDE, 2012.
comme un frein aux apprentissages, ne sont pas reconnues dans le cadre scolaire2 [12]. Les élèves franc¸ais allophones doivent de plus acquérir le franc¸ais par immersion dans le bain linguistique en maternelle. Celui-ci ne suffit pas et génère de surcroît des troubles identitaires si tous les enfants dans la classe n’ont pas le même niveau en langue scolaire et si la langue maternelle n’est pas parallèlement enseignée et valorisée [13]. Ces conditions ne sont pas respectées en France. Au contraire, il a longtemps été conseillé aux parents de parler le franc¸ais à la maison, quand bien même ils ne maîtrisent pas cette langue. 1.2. Apports de la clinique transculturelle Moro [14] a montré comment la situation de migration pouvait entraîner trois grandes périodes de vulnérabilité pour les enfants de migrants, qui correspondent aux trois étapes clés d’affiliation au monde d’accueil et de séparation d’avec le monde familial : les interactions précoces, l’entrée dans les apprentissages scolaires fondamentaux – lecture, écriture, calcul –, au moment du CP, et l’adolescence. La situation de migration peut en effet priver la mère de son cadre culturel habituel, fragiliser la transmission à l’enfant, le holding, handling et la présentation du monde à petite dose [15], qui requiert d’être reconnue comme membre à part entière de ce monde [16]. La non-transmission de la langue maternelle notamment [17] peut considérablement fragiliser le développement affectif, cognitif et identitaire de l’enfant. Au moment de l’entrée dans les grands apprentissages, il peut être pris dans un clivage phénoménologique entre ses différents mondes d’appartenance [14], ou dans un conflit de loyauté [18], susceptibles d’empêcher les acquisitions instrumentales. À l’adolescence se pose de nouveau la question sensible des affiliations, susceptible d’entraver la réalisation du processus de séparation-individuation [19] et du mandat transgénérationnel [20]. L’adolescence implique en effet un processus de métissage entre filiation et affiliations, particulièrement délicat en situation migratoire. Cependant, l’école peut jouer un rôle majeur dans la prévention de ces difficultés [4,21–23]. Moro [17] a montré que les enfants de migrants qui réussissent bien à l’école sont ceux qui ont une image positive de leur langue maternelle, qui n’opèrent
2 Résolution du Parlement européen du 2 avril 2009 sur l’éducation des enfants des migrants.
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pas de hiérarchisation entre les langues et qui ont rencontré sur leur route un passeur de frontière, c’est-à-dire un adulte issu du monde d’accueil mais qui valorise le monde familial. Les enseignants sont les mieux placés pour jouer ce rôle de passeurs, mais le contre-transfert culturel peut les en empêcher. 1.3. Le contre-transfert culturel de l’enseignant Devereux [24] a montré comment la rencontre interculturelle pouvait raviver les angoisses existentielles (péril de mort ou de mutilation, menace de castration) et menacer de saper les défenses offertes par la culture du sujet, entraînant une menace de régression et suscitant dès lors des réactions défensives de rejet. Selon lui, les enseignants sont concernés par ces mouvements contre-transférentiels au même titre que les cliniciens. En France, le passé colonial, partagé par les enseignants et les élèves issus des anciennes colonies, qui reste un sujet sensible bien que récemment intégré dans les programmes scolaires, est également susceptible d’interférer dans leurs relations actuelles. Mais en France, l’ouverture interculturelle est perc¸ue comme une menace des valeurs de la république3 , ce qui empêche les enseignants de prendre en compte les besoins spécifiques des élèves, de même que leurs antécédents scolaires, afin de les protéger de toute discrimination. En effet, la subjectivité de l’enseignant pourrait influencer négativement leurs évaluations et orientations scolaires et entraîner la réalisation de leurs prophéties pessimistes [8,25]. Nous allons voir que, bien au contraire, c’est l’absence d’élaboration de la subjectivité découlant de ces directives qui s’avère discriminante. 2. Les cas d’Ali et d’Eva Depuis 5 ans, nous menons une recherche qualitative concernant les facteurs de vulnérabilité et de protection des enfants de migrants dans leur rapport aux savoirs. Nous avons interviewé individuellement 23 adolescents, entrant au sein de 7 lycées professionnels parisiens en situation d’illettrisme, dans le cadre d’une étude rétrospective de leur parcours scolaire et de leur histoire familiale, avec une attention accrue concernant les trois périodes de vulnérabilité identifiées. Nous avons également rencontré 14 de leurs parents et 30 de leurs enseignants. Nous présenterons ici deux situations représentatives des difficultés rencontrées par les enfants de migrants dans leur rapport aux savoirs, celles d’Ali et d’Eva, tous deux âgés de 16 ans, nés en France d’origine maghrébine et entrant en première année de CAP cuisine. Les deux adolescents bénéficient d’un statut socio-économique élevé. Eva s’exprime très bien oralement. Ali est plus inhibé, parle peu, à voix basse et semble rencontrer certaines difficultés d’expression au niveau de la prononciation et du vocabulaire. Nous les avons également suivis tout au long de l’année scolaire, dans le cadre des ateliers « Maîtrise de la langue, clef de la réussite en lycée professionnel », animés par leur professeur de lettres-histoire-geographie, Madame LHG. 3 Study on educational support for newly arrived migrant children, rapport de la commission européenne de janvier 2013.
Nous avons également interviewé la mère d’Ali, qui n’a pas souhaité que nous rencontrions le père d’Ali. La mère d’Eva a refusé de participer à la recherche : « si c’est pour revenir sur le passé, je ne veux pas, je viens de perdre ma mère ». Ce décès remonte à 8 ans. Eva ne connaît pas son père. Enfin, nous avons interviewé deux professeurs d’Ali et Eva : leur professeur principale et d’anglais, Madame A, et leur professeur de lettres-histoire-géographie et d’ateliers MDL, Madame LHG. Les deux enseignantes ont préféré être interviewées à leur domicile. Les autres entretiens, d’une durée moyenne d’une heure et demie, se sont déroulés au sein de l’établissement scolaire. Afin d’autoriser la parole, la consigne précisait que beaucoup de gens étaient en colère contre l’école et que nous cherchions à recueillir l’avis des principaux intéressés, afin d’améliorer le contexte scolaire. De même, les élèves et parents étaient positionnés à la place de l’enseignant, afin de matérialiser l’inversion d’expertise préconisée par [26]. Avec chaque protagoniste, nous avons interrogé l’histoire avec l’école, l’histoire familiale et la rencontre famille-enseignants. Le guide d’entretien s’est inspiré de la méthode transculturelle, qui s’intéresse aux affiliations au monde d’origine et au monde d’accueil, au à la transmission transgénérationnelle et au processus de métissage. Tous les entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits. 2.1. Altération de la fonction maternelle dans la migration Eva ne connaît pas du tout sa langue maternelle. « Avec l’école et tout, [ma mère] pensait que c’était difficile pour moi ». Ali va au pays tous les étés, mais « même là-bas, tout le monde parle franc¸ais » (mère d’Ali) et, en France, les échanges parentsenfants se font en franc¸ais. Les mères se privent ainsi de la dimension affective permise lors de la transmission des éléments culturels hérités de leurs mères, tels que les contes ou les chants pour enfants, remplacés par les « chants qu’on apprend à l’école, [qu’on] entend à la télé, LA culture » (Ali). La transmission religieuse permet parfois de limiter cette rupture, mais la religion a-t-elle aussi souvent été abandonnée, entraînant parfois d’importantes confusions entre nationalité, langue, religion et identité. Eva utilise le même mot (« marocain/e ») pour désigner ces quatre dimensions différentes et elle doute de son appartenance : elle se souvient que sa mère lui a dit « C’est pas grave, mange », alors qu’il y avait du porc dans son plat, « donc je pense qu’elle me prend pour une athée ». À l’âge où Eva devrait se poser la question de ses propres choix identitaires, elle est prise dans une confusion liée à un manque de transmission transgénérationnelle. Son processus de métissage adolescent, entre filiation et affiliations, s’en trouve entravé. Ces carences dans la transmission transgénérationnelle semblent à mettre en lien avec un désir des mères de protéger leurs enfants des expériences de racisme vécues, en les inscrivant exclusivement dans la culture franc¸aise : « Ils disent les “Arabes c’est des voleurs”, donc quand ils entendent un prénom un prénom arabe, c’est tout de suite. . . C’est pour c¸a que je m’appelle Eva en fait, ma mère elle s’est dit c’est mieux pour moi » (Eva). La mère d’Ali, en France depuis l’âge de 7 ans, n’avait pas connu ces expériences de racisme, ce qu’elle explique par le fait d’avoir grandi en milieux multiculturels. Mais là, dans le 16ème, « c’est
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catastrophe. C’est un quartier qu’il faut s’occuper parce que tout le monde a le droit de vivre, que ce soit dans le centre ou dans les banlieues, tout le monde a le droit de réussir. Qu’on soit X ou Y, qu’on soit noir ou blanc [. . .] On cherche pas de quelle religion ni d’où on vient ». Les enseignants trouvent qu’elle « protège beaucoup [Ali] du monde extérieur » (Mme LHG). La présentation du monde à petite dose semble avoir laissé place à la transmission d’un sentiment d’insécurité, issu de l’intériorisation de la hiérarchisation occidentale des cultures. De même, le désir maternel de protéger l’enfant en l’inscrivant dans une nouvelle lignée franc¸aise semble engendrer des relations mère-enfant fusionnelles, privées de tiers, qu’il s’agisse du père ou des grands-parents, associés à la garance de la culture d’origine. La mère d’Ali lui a ainsi choisi un prénom qui signifie « premier homme d’une nouvelle lignée » et refuse toute identification d’Ali à son père. Eva n’a jamais connu son père. « Quand ils se sont séparés, elle a enlevé son nom de famille de chez moi, elle a repris son nom de famille, elle l’a mis sur le mien ». Elle en a perdu le nom et se rattache à un héritage physique : « J’ai un truc qui restera à vie de mon père, euh. . . quand il a eu un accident il a eu c¸a (fossette au menton) et moi quand je suis née j’ai eu c¸a aussi ». Quant à son histoire familiale, « c’est une fausse histoire que ma mère elle veut pas me raconter ». Eva, ne parlant pas la langue maternelle, ne peut interroger personne d’autre pour accéder à son histoire familiale. De même, les grands-parents, qui peuvent aussi trianguler la relation parents-enfant, sont souvent absents physiquement ou psychiquement, associés à un monde archaïque et source de honte. « De mon enfance, c’était. . . hum. . . ma mère lisait pas de livres. Elle sait pas lire mais elle racontait des histoires euh. . . orales. Moi c’était autre chose, lire un livre et expliquer, comme tous les enfants quoi » (mère d’Ali). Au pays, « les règles sont un peu plus strictes, sauf [. . .] là où il y a plus de voyageurs » (Eva). Les mondes d’origine sont ainsi souvent dénigrés, associés à l’analphabétisme, la misogynie et la mise en danger des enfants. L’impossibilité qui en découle pour les parents de prendre appui sur la génération précédente les rend à la fois trop « fragile[s] » et trop « fort[s] » aux yeux de leurs enfants (Ali). Ceux-ci ne s’autorisent donc pas à leur poser des questions, de peur qu’ils s’effondrent. Ils les protègent et se protègent eux-mêmes d’évocation de souvenirs perc¸us comme douloureux. Cette vulnérabilité parentale entrave le processus de séparation mère-enfant. Ali « est trop préservé dans une posture de petit garc¸on auprès de sa mère » (Mme LHG). Eva est décrite comme évitant toute opposition à sa mère, ce qui est considéré comme un signe de maturité par les enseignants. Eva confirme qu’elle est calme et transparente depuis sa naissance. « [Ma mère] s’énerve ou elle change de sujet, alors vaut mieux pas parler » (Eva). 2.2. Une rencontre avec l’école vécue comme traumatique Le sentiment d’insécurité ressenti dans le monde extérieur concerne également le monde scolaire, qui nécessiterait, lui aussi, d’être présenté à petite dose à l’enfant. Au contraire, cette présentation semble avoir été emprunte des angoisses et conflits hérités de l’histoire scolaire des parents eux-mêmes, et ce
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malgré leur réussite : les parents d’Ali sont propriétaires d’un snack dans le 15e arrondissement et y travaillent ensemble, Monsieur en cuisine, Madame à la comptabilité. Le père d’Ali a fait sa scolarité au pays puis a voyagé en Europe avant de s’installer en France pour le travail. La mère d’Ali est arrivée en France à l’âge de 7 ans, a alors été scolarisée en CP et dit avoir réussi sa scolarité sans difficulté. Mais elle reste évasive, évoquant en toussant un diplôme en informatique. La mère d’Eva travaille dans l’immobilier. Elle est née en France et a brillamment réussi sa scolarité mais au prix d’une souffrance identitaire perc¸ue par sa fille : elle a quitté le domicile familial dès ses 18 ans, a élevé seule Eva tout en poursuivant ses études. « Elle est jamais contente », « elle veut toujours plus », entraînant des déménagements incessants. « Pour sa santé, c¸a va pas trop » s’inquiète Eva. Prise au cœur d’un conflit de loyauté entre culture familiale et culture scolaire, la mère d’Eva semble avoir choisi le camp de l’école. Il en est de même pour la mère d’Ali, ce qui a des répercussions sur la génération suivante. La mère d’Eva a déscolarisé sa fille dès le début de la maternelle, suite à un banal accident entre enfants. Eva a ensuite été rescolarisée au moment du CP, mais là encore, la rencontre ne s’est pas faite : « j’avais appris à lire et tout mais à la maison. À l’école j’arrivais pas. [. . .] En fait je suis gauchère. Et euh enfin y en a y disent “C’est pas bien d’écrire à la main gauche parce que c’est la main du diable, parce que ceci parce que cela”. J’écris dans cette main là, j’y peux rien. [Le maître] me forc¸ait en fait. Dès qu’y m’voyait à la main gauche il arrêtait pas de crier sur moi ». Eva s’est sentie rejetée par cet enseignant qui ne la “voyait pas”, aidait tout le monde, mais sauf [elle] ». Un véritable sentiment de persécution s’est ensuite développé au fil de sa scolarité : « Un jour j’avais une prof et elle était raciste, et normalement je méritais une bonne note et elle a écrit “sale Arabe” ou un truc comme c¸a et elle avait mis une mauvaise note. [. . .] Et puis après ils ont vu qu’elle était raciste, ils l’ont virée. C ¸ a se voit par le regard, les gestes et la parole ». À l’âge de 8 ans, Eva a connu une période particulièrement traumatique : le décès de sa grand-mère maternelle a entraîné une dépression maternelle qui persiste encore et une rupture de lien entre sa mère et le reste de la famille, Madame n’ayant pas accepté le remariage rapide de son père. Eva a alors subi une agression sexuelle dans la rue. Elle en a informé sa mère mais aucune plainte n’a été déposée, Eva ne pouvant identifier son agresseur. Au collège, Eva a subi une seconde agression sexuelle du fait d’un élève populaire du collège. Elle n’a pas souhaité en informer sa mère, craignant sa réaction, et déplore que l’élève n’ait été sanctionné que d’une exclusion de deux semaines. Pour Ali, la maternelle s’est bien passée. Mais les difficultés ont commencé au CP. Comme Eva, il n’a pas pu entrer dans l’écrit et tous deux sont aujourd’hui considérés comme illettrés par les enseignants. Ils ont connu un redoublement précoce, associé à une expérience traumatique que seule Eva mentionne. Ces décisions sont attribuées à un rejet de la part de l’enseignant, « une histoire de racisme qui a mal tourné sur mon fils » (mère d’Ali), privant l’enfant de toute « confiance en soi » (mère d’Ali et Eva). De même, l’orientation vers des aides extérieures (orthophoniste, psychologue, soutien scolaire) est perc¸ue comme un rejet de la part de l’enseignant. « Ils croyaient que j’étais
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perturbée, ils sont venus me voir et ils ont dit qu’étais. . . pas normale. J’suis allée voir un psy. Bien sûr c’était l’école qui payait » (Eva). « On a fait de l’orthophoniste donc on a commencé par détruire l’enfant, voilà faut les psychologues. . . J’ai emmené mon fils, j’avais pas le choix. On me dit qu’il faut qu’on passe par ce dossier malheur de handicapé. On doit signer, j’étais obligée. J’ai signé, que mon fils il était handicapé. Vous cassez un enfant. C’est injuste ! C’est traumatisant ! Il m’a reproché ! Il m’a reproché ! À la fin, c’est moi que j’ai été voir des psychologues ». Ces réactions défensives reflètent une culpabilité massive sous-jacente : la mère d’Ali se défend d’avoir elle-même « handicapé » son fils : « j’occupe même pas de mon fils ! [. . .] C’est même pas moi qui fait les devoirs avec lui [mais une] ancienne professeur d’une école très connue, pas n’importe quelle professeur. [. . .] Je quitte l’école avec une grande tristesse. Et je suis pas la seule victime. Des fois, c’est vrai, on peut créer un handicap qui n’existe pas ». 2.3. Effet négatifs du contre-transfert culturel, en écho au transfert culturel des familles Les deux enseignantes, Mmes LHG (professeur de lettres histoire géographie) et Madame A (professeur d’anglais) mettent également en doute le diagnostic de handicap posé pour Ali, issu de « malentendus scolaires » et d’un manque de « transition » entre les mondes et les langues. Comme beaucoup d’enfants de migrants, il aurait eu besoin d’une « médiation FLS4 » telle que celle des UPE2A réservées aux élèves migrants. Mais les enseignantes peinent à comprendre les difficultés d’Eva. Elle maîtrise parfaitement la langue franc¸aise mais son écriture reste illisible, toutes les lettres se télescopant. Nous observons qu’en début d’année, Eva justifie ses textes à gauche, selon le code franc¸ais, et en fin d’année à droite, selon le code arabe. Le fait que ce second code, celui de la culture d’origine qui, au-delà de la langue, régit l’organisation familiale, ne lui ait pas été transmise, pourrait expliquer les difficultés d’Eva au niveau de la latéralisation. Les enseignantes expriment leur souffrance liée à un sentiment d’incapacité à aider Eva à progresser. Elles confirment que certains élèves sont « maltraités » et « mal aimés » par les enseignants parce qu’ils ne « réussissent pas » (Mme LHG). Ce rejet défensif face à l’échec est partagée par les enseignants, les parents et les élèves. Pour Ali et Eva, un désinvestissement précoce des apprentissages scolaires semble avoir constitué un mécanisme de défense dans une tentative de sauvegarde narcissique : Ali préfère « oublier l’école ». Son pire souvenir de l’école, c’est « tout le temps. Tous les jours. Je vois les autres qui travaillent et je me dis que je vais pas comprendre. Surtout en franc¸ais ». « On en a marre de l’école. C’est la même chose qu’en CP sauf que c’est multiplié » (Eva). Derrière un apparent désintérêt, ils expriment un besoin exacerbé d’amour dans la relation pédagogique, de même qu’un besoin de respect et d’équité, et 4
Franc¸ais langue seconde.
ce afin de compenser un sentiment initial d’illégitimité dans le cadre scolaire. Ils réinvestissent les apprentissages auprès des enseignants qui s’intéressent à eux en tant que personnes, pas seulement en tant qu’élèves, sont capables d’obtenir une atmosphère sécurisante dans la classe, prennent soin de leurs élèves et pensent qu’ils peuvent réussir. Ils sont particulièrement sensibles à la dimension maternelle au sein de l’école et requiert des enseignants qui adoptent une posture de mère suffisamment bonne et authentique, capables de jouer, particulièrement lorsque ces qualités font défaut dans le cadre familial. Mme LHG s’attend à une « vraie attitude de résistance » de la part de ceux, comme Ali, « pour qui le parcours a été tellement ardu qu’ils n’ont plus le goût » de l’école. Elle ne le prend donc pas comme un rejet personnel et continue de solliciter ces élèves, en prenant soin de ne pas entrer dans une confrontation brutale. Elle se positionne « en tant qu’adulte » et répond au besoin des adolescents d’être considérés comme de jeune adultes. Ali et Eva apprécient cette enseignante, capable d’obtenir une atmosphère sécurisante dans la classe. Ali souligne qu’elle est « bilingue aussi » (Ali) et semble de ce fait avoir pu l’investir comme modèle identificatoire. Au contraire, ils souffrent auprès d’enseignants qui « crient pour rien », ce que les élèvent associent à un manque de contenance émotionnelle découlant d’un mal-être personnel de l’enseignant. Certains enseignants présentent en effet la même hypersensibilité au regard de l’autre que leurs élèves. Mme A. sentait qu’Eva la « regardait avec son œil noir, fixe. Elle voulait pas me parler. Je ne savais pas comment lui parler ». Elle décrit une certaine méfiance chez Eva, quant aux contenus scolaires et à l’enseignant. Eva n’est pas scolaire dans la mesure où elle refuse de faire un exercice si elle n’en comprend pas le sens et l’utilité. De plus, elle semble reprocher à Mme A. son comportement rejetant envers un camarade, Bahir, perc¸u comme misogyne et futur terroriste par les enseignants. Mme A., comme beaucoup d’enseignants hommes comme femmes, généralise cette misogynie à « tous les adolescents musulmans ». Elle l’attribue à « un problème d’acceptation de l’ordre féminin », « lié à la culture, à la famille » (Mme A.). Pourtant, initialement dans le discours, cette « cristallisation sur l’autorité féminine », ce « refuge » que certains adolescents trouveraient dans l’opposition basique homme-femme, étaient associés à « tout ce qui se passe en Afrique en ce moment », en l’occurrence l’intervention armée de la France au Mali, et que les adolescents leur « rebalancent puissance 1000 dans la figure » (Mme A.). Mais ils ne font pas le lien entre les réactions négatives des adolescents et certains contenus scolaires, qui ravivent les blessures coloniales et esclavagistes, comme « se glisser dans la peau de Christophe Colomb pour aller explorer une île sauvage » ou obéir à des ordres criés pour aller faire les toilettes, ni entre leur propre peur et un sentiment de culpabilité hérité de l’Histoire. Tous les élèves en sont affectés, soit parce qu’ils s’identifient au pair rejeté, soit parce qu’ils pâtissent de l’insécurité émotionnelle de l’enseignant. C’est surtout l’insécurité des enseignants et leur incapacité à jouer, en écho aux problématiques parentales, qui semblent vulnérabiliser les élèves.
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2.4. Le CAP cuisine comme stratégie de reprise dans l’après-coup Contre toute attente, Ali et Eva avaient choisi la voie professionnelle et ne rapportent aucun ressenti de discrimination quant à cette orientation scolaire. Ils y trouvent des contenus utiles et des méthodes pédagogiques qui font sens pour eux. « Les jeux c’est toujours à c¸a, pour qu’on parle bien, pour pas qu’on fasse d’erreurs, pour pas que les gens ils nous prennent pour euh des imbéciles quand on doit parler » (Eva). Ali a ainsi pu prendre conscience de ses compétences et reprendre confiance en lui. Il a ensuite pu réinvestir les apprentissages scolaires et a développé une « passion tout à coup » pour le thème « Culture mondiale et diversité des cultures », qui permet de construire « une culture commune », « entre ce que l’on est soi et ce qu’on a hérité de nos origines » (Madame LHG). La cuisine se prête particulièrement à la reprise du processus de séparation-individuation, dans la mesure où elle permet à l’adolescent d’investir la sphère nourricière par et pour luimême. Pour Ali, elle est associée à une identification au père et s’accompagne d’un rapprochement concret du père et de la culture d’origine, ce qui suscite maintes résistances maternelles. Il m’a dit « maman, même mon prénom je ne veux plus l’entendre, un prénom en arabe, peut-être c¸a changera tout dans ma vie », nous dit sa mère en pleurant. Et puis, s’il est très content en cuisine, c’est « parce que là dans sa tête c’est euh y a pas le choix ». Cependant, Ali ne se situe pas dans une opposition stérile à sa mère, mais dans une recherche de compromis. Il envisage ainsi d’aller ouvrir un restaurant aux États-Unis où il deviendrait ainsi un « aventurier », « premier homme » d’une nouvelle lignée, comme son père et selon le désir de sa mère. Ce choix lui permet ainsi de sortir d’un conflit de loyauté entre ses lignées et entre ses cultures. Il peut alors se projeter dans l’avenir et souhaite épouser une femme avec la même double culture que lui et transmettre ses deux langues à ses enfants. Il veut leur donner des noms de prophètes et leur transmettre les contenus culturels dont lui-même s’est senti privé. Eva, elle, ne cherche pas à renouer avec sa culture d’origine, associée à l’archaïsme. Elle fréquente un garc¸on originaire du Nord de la France. Cependant, son choix s’inscrit aussi dans un processus de réparation, d’émancipation et de métissage. Eva souhaite voyager « pour voir les différentes cultures et puis p’être les mettre dans ma pâtisserie », qui constitue un moyen de se faire aimer de tous car « qui n’aime pas les sucreries ? » et de soigner sa mère, qui s’en prive car « le régime et tout, c’est important pour elle » mais « pour sa santé c¸a va pas trop ». Eva semble ainsi tenter de remplacer auprès de sa mère sa grand-mère maternelle, qui serait « morte trop jeune » pour avoir le temps de devenir une mamie-gâteaux. Sa mère a initialement encouragé cette pratique, lorsqu’Eva était enfant. Mais elle semble aujourd’hui s’opposer au choix professionnel de sa fille : selon elle, « c’est que pour les bons à rien on va dire. Elle pense c¸a de moi. [. . .] En faite, je pense que de toute fac¸on je voulais juste être en pâtisserie. Donc c’est pour c¸a qu’moi je fais attention à mes notes et tout ». Eva a su négocier son choix professionnel au nom d’un épanouissement personnel qui semble avoir fait défaut à sa mère. Mais elle reste prise dans un processus de
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réparation maternelle et ne peut se projeter dans l’avenir. Elle ne veut ni se marier ni avoir d’enfants. Le processus de séparationindividuation semble ne pouvoir s’envisager que dans la rupture : comme sa mère avant elle, Eva envisage de quitter le domicile maternel. « Je me débrouillerai toute seule », grâce à l’orientation qu’elle espère en CFA pâtisserie. « En fait en CFA t’es, t’es payé. J’ai tout mis en place ». En cours d’année scolaire, Eva sollicite son placement en foyer auprès de l’assistante sociale du lycée. 3. Discussion et perspectives Les situations d’Ali et Eva abordées dans le présent article illustrent les résultats transversaux de la recherche globale. Nous retrouvons les grands thèmes abordés ici dans l’ensemble des 23 situations analysées. Cette recherche fait ainsi ressortir les conséquences négatives des biais d’évaluation scolaires et médicaux des enfants de migrants, entraînant de faux diagnostics. Les recherchent internationales [2] confirment une tendance à prendre pour des troubles des apprentissages des difficultés découlant de carences en enseignement de la lecture dans la langue seconde. De même, les diagnostics de trouble du langage ne peuvent se poser sans évaluation des compétences en langue maternelle. Les bilans psychologiques sont également biaisés par l’utilisation exclusive de tests en franc¸ais, qui n’ont pas été validés auprès de populations migrantes et dont la dimension culturelle n’est pas prise en compte. La mondialisation impose la création de nouveaux outils d’évaluation, qui prennent en compte non seulement la langue et culture d’origine, mais également les spécificités du bilinguisme. En France, de tels outils sont en cours de validation concernant l’évaluation des compétences langagières (ELAL d’Avicenne) et la personnalité (TEMAS). Mais un tel changement de paradigme au niveau des évaluations scolaires requerrait une révolution [12], les pratiques semblant encore empruntes d’une hiérarchisation impérialiste et postcoloniale des cultures, des langues et des savoirs. En effet, nos résultats font ressortir le poids de l’histoire dans les troubles de l’apprentissage. Les parents semblent avoir intériorisé la hiérarchisation occidentale des cultures et se percevoir de ce fait comme potentiellement handicapants pour leurs enfants. Ils mésestiment les savoirs culturels et linguistiques qu’elles ont à leur transmettre. Ceux-ci sont abandonnés au profit des seuls savoirs scolaires. Le savoir familial, héritage des enfants, reste alors implicite. C’est ce savoir inconscient qui semble parfois violemment heurté par les contenus scolaires ou par le regard de l’enseignant, également porteur d’une histoire, y compris coloniale [14]. Il en résulte un sentiment d’insécurité généralisé dans le cadre scolaire. La révolution scolaire préconisée par certains auteurs [1,12,13] et par les directives internationales5 , implique ainsi de sortir de la hiérarchisation actuelle des savoirs et de changer de regard sur le bilinguisme, pour exploiter la valeur ajoutée que les enfants de
5 Regards sur l’éducation, OCDE, 2012 ; study on educational support for newly arrived migrant children, rapport de la commission européenne de janvier 2013 ; résolution du Parlement européen du 2 avril 2009 sur l’éducation des enfants des migrants.
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migrants représentent pour la société. Cela aiderait les familles à se réconcilier avec leur monde d’origine et, par-là, avec le monde d’accueil et ses institutions. Elles ont besoin d’être sécurisées, dans le cadre de relations à des enseignants « suffisamment bons » et « authentiques » [27], co-parents issus du monde scolaire, aptes à accompagner les enfants dans leur processus d’individuation, qui implique une réconciliation entre cultures, entre générations et entre lignées, que les histoires familiales et collectives semblent avoir ici divisées, conduisant les mères à chercher de nouvelles affiliations dans la migration. La filière professionnelle s’y prête particulièrement, en raison des conditions d’instruction spécifiques qu’elle offre – effectifs réduits permettant une relation plus proche à des enseignants davantage sensibilisés aux enjeux transculturels et affectifs de la relation pédagogique, activités basées sur le concret. Elle permet aussi aux adolescents de remplir leur mandat transgénérationnel, en respectant leur droit à la reproduction, sans lequel le droit à l’ascension sociale n’a plus de sens. L’échec scolaire pourrait ainsi constituer une stratégie pour être autorisé à choisir une voie autre que celles valorisées dans la hiérarchie des cultures scolaires et professionnelles. Il semble également constituer une résistance plus ou moins consciente aux injonctions maternelles de réussite scolaire et à la reproduction du modèle maternel : la réussite scolaire et sociale des mères semble s’être obtenue au prix d’une renonciation à la culture d’origine, source de fragilité identitaire que les adolescents perc¸oivent et tentent d’éviter pour eux-mêmes. Par ailleurs, cet échec de l’élève est aussi celui de l’enseignant qui, s’il se sent coupable et impuissant à comprendre la difficulté et les besoins de l’élève, peut effectivement recourir à des mécanismes de défenses à visée de sauvegarde narcissique, tels que le rejet et la recherche d’un autre coupable : les parents démissionnaires, le manque de pratique du franc¸ais à la maison, le manque de valorisation de la réussite scolaire par les parents, le manque de respect de l’autorité de la femme dans la culture familiale. Ces mécanismes sont aussi à l’œuvre chez les parents d’élève et se retrouvent dans le sentiment de persécution exprimé. Prendre en compte la dimension transféro-contretransférentielle de la relation pédagogique s’avère ainsi nécessaire, de la même manière que dans la relation clinique [28], sur le plan affectif mais aussi culturel et géopolitique, d’autant plus depuis la gravité des événements de 2015. L’école pourrait ainsi jouer un rôle majeur dans la prévention des troubles psychosociaux liés à une mondialisation conflictuelle [22]. De même, c’est l’accès au soin et aux services d’aide du droit commun qui dépend de l’efficience de ce dialogue famille-école [29]. Nous avons ainsi développé un dispositif de médiation transculturelle au sein des écoles, afin de favoriser l’instauration d’une nécessaire alliance éducative entre familles et professionnels scolaires. Il s’agit du dispositif Métisco du Centre Babel6 . Un psychologue clinicien, spécialisé en clinique transculturelle et sur la question scolaire, réunit une famille migrante et des membres de l’équipe éducative au sein de l’école, avec un interprète-médiateur culturel. Cette rencontre
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http://www.centrebabel.fr/metisco.
unique permet de revenir sur l’histoire scolaire de l’enfant et sur celle des parents, qui y est étroitement liée, et à travers elle sur certains éléments de l’histoire familiale et collective. Elle a pour objectifs de favoriser le sentiment de légitimité de la famille dans le cadre scolaire en l’y accueillant, de modifier en profondeur le regard de chacun sur soi et sur l’autre en élaborant les réactions contre-transférentielles, de réduire les malentendus scolaires, notamment par le recours à la langue maternelle, pour favoriser une communication efficace, à double sens, de travailler sur les représentations et les attentes réciproques dans le cadre d’une négociation des codes scolaires, de valoriser le savoir familial pour permettre l’accès au savoir scolaire sans conflit de loyauté, de transmettre aux équipes éducatives de réelles compétences pédagogiques face à l’altérité, et enfin de favoriser l’accès au soin, si besoin, en explicitant les orientations et en accompagnant réellement les familles7 . Il s’agit de passer de la culpabilité à la recherche de sens, pour resituer les symptômes scolaires dans leur dimension familiale, sociale et géopolitique. Ce dispositif est avant tout conc¸u comme un dispositif de formation des professionnels scolaires, au fil des différentes médiations auxquelles ils participent en faveur de plusieurs familles. Il favorise ainsi la mise en œuvre des préconisations internationales8 , qui vont dans le sens de la promotion de la diversité et du dialogue interculturel, de même que de la lutte contre les quatre sources de discrimination qui persistent à l’école : le genre, l’orientation sexuelle, le handicap et les origines culturelles et religieuses. Celles-ci constituent en effet les différentes sources d’altérité qui restent à élaborer pour permettre à chacun de vivre sereinement dans le monde diversifié, pluriel, qui caractérise la modernité. Dans ce domaine, de lourdes attentes sociales pèsent actuellement sur les professionnels scolaires, notamment depuis les attentats de 2015 et la prise de conscience de la nécessité de prévenir les désaffiliations qui mènent à la radicalisation. Les enseignants ont besoin d’être accompagnés dans cette lourde tâche, pour pouvoir être eux-mêmes serein face à l’altérité et aider les élèves et leurs parents à le devenir à leur tour. L’altérité peut alors devenir une source de créativité par le collectif, pour un changement émancipateur et humanisant [23,30]. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Chomentowski M. L’échec scolaire des enfants de migrants. L’illusion de l’égalité. Paris: L’Harmattan; 2010. [2] August D, Shanahan T. Developing literacy in second-language learners: report of the national literacy panel on language minority children and youth. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates; 2006.
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Ce dispositif fait actuellement l’objet d’une évaluation dans le cadre d’une recherche de doctorat : Lerin T (2017). Retisser les liens familles-école : un chemin vers la prévention scolaire. Thèse de psychologie, sous la direction de Marie Rose Moro, Université Paris 13. 8 Résolution du 2 avril 2009 du Parlement européen.
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