Manifestations articulaires associées à la présence de l’anticorps anti-Jo-1

Manifestations articulaires associées à la présence de l’anticorps anti-Jo-1

Rev Rhum [E´d Fr] 2001 ; 68 : 264-7 Arthropathy associated with anti-Jo-1 antibody – Joint Bone Spine 2001 ; 68 : 166-9 © 2001 Éditions scientifiques ...

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Rev Rhum [E´d Fr] 2001 ; 68 : 264-7 Arthropathy associated with anti-Jo-1 antibody – Joint Bone Spine 2001 ; 68 : 166-9 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833001000072/SCO

FAIT CLINIQUE

Manifestations articulaires associées à la présence de l’anticorps anti-Jo-1 Xavier Delbrel1*, Thierry Schaeverbeke2, François Lifermann3, Joël Dehais2 1 Service de médecine interne et maladies tropicales, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux cedex, France ; 2service de rhumatologie, Hôpital Pellegrin, 33076 Bordeaux cedex, France ; 3service de médecine interne C, CHG de Dax, 40107 Dax cedex, France

(Reçu le 14 avril 2000 ; accepté le 7 décembre 2000)

Résumé – L’anticorps anti-Jo-1 est associé à un syndrome de chevauchement caractérisé par l’association d’une fibrose pulmonaire, d’une myopathie inflammatoire idiopathique et d’une polyarthrite. Nous rapportons trois observations illustrant différents aspects des manifestations articulaires associées à la présence de l’anticorps anti-Jo-1. Deux patientes avaient une polyarthrite érosive et déformante des mains associée à des calcifications périarticulaires et à une luxation de l’interphalangienne du pouce. La troisième patiente, pour qui le recul est moins important, avait simplement une polyarthrite non érosive des mains associée à des calcifications périarticulaires. Les trois patientes avaient une fibrose pulmonaire et seulement deux une atteinte musculaire. Une arthropathie caractérisée par une arthrite érosive des doigts, avec une dislocation de l’interphalangienne du pouce et des calcifications périarticulaires semble être spécifiquement associée à la présence de l’anticorps anti-Jo-1. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS anticorps anti-Jo-1 / anticorps antisynthétase / arthropathie / myosite Summary – Arthropathy associated with anti Jo-1 antibody. Anti-Jo-1 antibody is associated with an overlap syndrome usually described as the association of idiopathic inflammatory myopathy, pulmonary fibrosis and polyarthritis. We report three observations illustrating different aspects of arthropathy associated with anti-Jo-1 antibody. Two patients presented with a deforming and erosive arthritis affecting the hands, periarticular calcifications and dislocation of the interphalangeal (IP) joint of the thumb. The third patient, who had a short disease course, presented only with a mild non erosive polyarthritis of both hands, metacarpophalangeal joint narrowing and periarticular calcifications. All the patients had interstitial pulmonary syndrome. Only two of them had myositis. An arthropathy characterized by erosive arthritis of the fingers, with dislocation of IP joint of the thumb and periarticular calcifications, seems to be specifically associated with anti-Jo-1 antibody. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS anti-Jo-1 antibody / antisynthetase antibody / arthropathy / myositis

*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (X. Delbrel).

Arthrites et Ac anti-Jo-1

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Les myopathies inflammatoires idiopathiques (MII) sont un groupe hétérogène de maladies dont le caractère commun est une atteinte musculaire inflammatoire chronique [1]. Au sein des MII, il existe un tableau original, caractérisé par la grande fréquence de l’atteinte pulmonaire et articulaire, et la présence d’anticorps anti-Jo-1 [2]. Cette atteinte articulaire peut correspondre à une polyarthralgie, à une véritable polyarthrite prédominant aux extrémités ou une arthropathie déformante originale qui semble associée de façon spécifique avec l’anticorps anti-Jo-1 (Ac anti-Jo-1) [3]. Nous présentons ici trois observations illustrant ces différents tableaux articulaires. OBSERVATION 1 En 1985, une femme blanche de 47 ans, ayant un syndrome de Raynaud ancien, présenta brutalement une fièvre à 38,5 °C, une polyarthralgie et une faiblesse musculaire des ceintures avec myalgies. Le bilan immunologique était négatif. Le diagnostic de polymyosite fut confirmé par l’électromyogramme (EMG) et la biopsie musculaire. Elle fut traitée par prednisolone (0,5 mg/kg/j) qui permettait l’amélioration des symptômes. À la diminution de la corticothérapie, le déficit musculaire récidiva et une dyspnée d’effort en rapport avec la survenue d’une fibrose pulmonaire apparu. De février 1987 à juin 1988, l’azathioprine (100 mg/j) permit une disparition complète des signes cliniques et fonctionnels. En juin 1988, à l’arrêt de l’azathioprine, une récidive des arthralgies des mains survint avec apparition d’une subluxation de l’interphalangienne (IP) du pouce droit, d’une déformation en maillet des index et d’une camptodactylie du 5e doigt droit. La radiographie des mains, outre les déformations, révélait de discrètes érosions marginales des IP proximales (IPP) et des IP distales (IPD) et des calcifications en regard de l’IP du pouce gauche, de l’IPP et l’IPD de l’index gauche, de l’IPP des 2e et 3e doigts droits (figure 1). Malgré la réintroduction de l’azathioprine, les déformations articulaires se majorèrent : luxation complète de l’IPP du pouce droit, subluxation de l’IP du pouce gauche, déformation en maillet des index (figure 2). On nota l’apparition d’une sclérodactylie sans autre signe de sclérodermie (pas de dysphagie, ou de télangiectasie) et sans syndrome sec. La fonction respiratoire se dégradait progressivement. En juin 1990, apparurent des Ac antinucléaires au 1/500 (immunofluorescence sur Hep2) et la présence d’Ac anti-Jo-1 (technique d’immunodiffusion et en Elisa) et d’anti-SSA sans Ac anticen-

Figure 1. Patiente 1 en 1988 : subluxation de l’interphalangienne du pouce droit. Calcifications péri-articulaires et érosions marginales discrètes.

tromère. En octobre 1997, survint une poussée systémique sévère avec fièvre, majoration du tableau respiratoire et des déformations articulaires. Trois bolus de 500 mg de méthylprednisolone suivis de prednisone (30 mg/j) permirent de stabiliser les symptômes. OBSERVATION 2 Une femme blanche de 57 ans (en 1968), présenta une arthropathie des deux mains étiquetée polyarthrite rhumatoïde. Elle fut traitée uniquement par antiinflammatoire non stéroïdiens. Hospitalisée en 1995, elle présentait une calcinose sous-cutanée, un syndrome de Raynaud, une sclérodactylie, des télangiectasies et

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X. Delbrel et al.

Figure 2. Patiente 1 avec une majoration des déformations : luxation complète du pouce droit et déformation en maillet de l’index.

Figure 3. Patiente 2. Luxation de l’interphalangienne du pouce, ankylose des interphalangiennes proximales et distales, calcifications péri-articulaires.

une arthropathie déformante évolutive, associée à une dyspnée. Il n’avait pas de signe musculaire. L’examen retrouvait en effet une luxation des IP des pouces, une luxation de la MP du pouce droit, des luxations des IPP des 2e, 3e, 4e doigts de la main droite, une luxation de la MP du 5e doigt droit. La radiographie des mains montrait une érosion osseuse importante avec ankylose des IPP et des IPD des deux mains associée à une calcinose périarticulaire (figure 3). Les enzymes musculaires étaient normales. Le bilan immunitaire objectivait des Ac antinucléaires au 1/640, avec présence d’Ac antiSSB et d’Ac anti-Jo-1. Du facteur rhumatoïde était présent. La radiographie pulmonaire était en faveur d’une fibrose pulmonaire et l’EFR objectivait un syndrome restrictif avec des troubles de la diffusion du CO (DLCO à 60 % de la normale). Une corticothérapie fut instituée (prednisone : 1 mg/kg/j), elle entraîna une amélioration de la symptomatologie articulaire.

OBSERVATION 3 Une femme de 44 ans, sans antécédent notable, présenta progressivement, six mois avant son hospitalisation, un tableau de polyarthrite modérée affectant les MP des deux mains et l’IPP de l’index droit, ainsi que l’IP du pouce droit. Parallèlement apparaissait une acrocyanose des mains, un érythème œdémateux facial, une dyspnée d’effort et une fatigabilité musculaire extrême. Le bilan biologique montrait un syndrome inflammatoire (CRP à 63 mg/L [N < 5mg/L]), une myolyse (CPK : 5 130 UI/L [N < 175 UI/L], aldolase : 63 UI/L [N < 8]), des Ac antinucléaires au 1/500, des Ac antimuscles lisses au 1/250, l’absence d’Ac anti-ADN natif et la présence d’Ac anti-Jo-1. La sérologie rhumatoïde était faiblement positive (latex : 32 UI/L [N < 15], Waaler Rose : 16 UI/L [N < 12]). Le groupage HLA était le suivant : HLA A02.30, HLA B51.00, HLA DR 52.00, HLA DQ 01.00.

Arthrites et Ac anti-Jo-1

Les radiographies des mains ne montraient pas d’érosions articulaires mais un épaississement des parties molles en regard des articulations touchées. La radiographie et le scanner thoracique mettaient en évidence un syndrome interstitiel. Les EFR montraient une diminution de la capacité de transfert de DLCO de 30 % par rapport la normale. L’EMG montrait un aspect typique de myosite. Un bilan exhaustif permettait d’éliminer une néoplasie profonde. L’évolution a été marquée par la survenue d’une agranulocytose sous azathioprine. L’association de méthotrexate (10 mg/semaine) à de l’acide folique (5 mg/semaine) et à de la prednisone (15 mg/L) a permis une amélioration clinique et biologique rapide. Cependant, alors que la patiente était toujours en rémission clinique, l’aspect radiologique après deux ans d’évolution mettait en évidence des calcifications se projetant en regard de l’IPP du deuxième doigt de la main droite et du ligament triangulaire du carpe ainsi qu’un pincement et une subluxation de la MP des pouces. DISCUSSION L’Ac anti-Jo-1 est un Ac anti-amino-acyl-tRNA synthétases, initialement rapporté comme spécifique des MII [2]. L’analyse de la littérature confirme la présence quasi constante de la myopathie, mais également l’association fréquente d’atteintes systémiques définissant un véritable syndrome de chevauchement [4]. Comme l’Ac anti-RNP a pu être spécifiquement relié au syndrome de Sharp, les expressions « syndrome des antisynthétases et même syndrome des anti-Jo-1» deviennent de plus en plus usitées [5]. Ce syndrome survient chez une femme blanche (sex-ratio : 3 : 1) dont l’âge moyen est de 42 ans et associe une MII, une fibrose pulmonaire, une polyarthrite, un syndrome de Raynaud et souvent de la fièvre. Contrairement aux autres polymyosites, l’association avec un cancer est exceptionnelle [2, 6]. Quatre vingt onze pour cent des patients ont au moins un allèle HLA-DRw52 et 73 % un allèle HLA DR3 [7]. L’atteinte articulaire est présente dans 90 % des « syndromes anti-Jo-1 » [4]. Elle correspond le plus souvent à une polyarthrite bilatérale et symétrique et distale [2]. Initialement isolée comme dans nos observations 2 et 3, elle peut donner le change avec une PR, d’autant que le facteur rhumatoïde est présent dans un tiers des cas [2, 3, 8]. Dans de rares cas, l’arthropathie du « syndrome antiJo-1 » évolue de façon originale comme l’ont décrite Bunch et al., puis Schumacher et al. et Oddis et al. [3, 9,

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10]. Cette arthropathie se caractérise alors par des subluxations des IP des pouces, et plus rarement d’une ou plusieurs IPD, des calcifications périarticulaires et des érosions plus ou moins importantes des MP, des IPP, des IPD ou des poignets [11]. Nos deux premières observations entrent dans ce cadre. Pour la troisième patiente, le caractère récent de la polyarthrite ne permet pas de préjuger de son potentiel destructeur. L’absence de toute manifestation musculaire, après 30 ans d’évolution dans notre deuxième observation suggère que l’arthropathie est bien spécifique de l’Ac et non de L’MII, qui comme le souligne Venables n’est présente que dans 83 % des observations de « syndrome des anti-Jo-1 » [4]. Cette arthropathie n’a jusqu’alors jamais été rapportée avec les autres Ac anti-amino-acyl-tRNA synthétases. L’ensemble de ces éléments plaide en faveur de la classification du « syndrome des anti-Jo-1 » comme une entité à part entière [12], même si cette individualisation peut apparaître prématurée. Aucun agent étiologique spécifique n’a encore été identifié. RE´FE´RENCES 1 Plotz PH, Dalakas M, Leff RL, Love LA, Miller FW, Croni ME, et al. Current concepts in the idiopathic inflammatory myopathies : polymyositis, dermatomyositis and related disorders. Ann Intern Med 1989 ; 111 : 143-57. 2 Marguerie C, Bunn CC, Beynon HLC, Bernstein RM, Hughes JMB. So AK, et al. Polymyositis, pulmonary fibrosis and autoantibodies to aminoacyl tRNA synthetases. Q J Med 1990 ; 77 : 1019-38. 3 Oddis CV, Medsger TA, Cooperstein LA. A subluxing arthropathy associated with the anti-Jo-1 antibody in polymyositis/ dermatomyositis. Arthritis Rheum 1990 ; 33 : 1640-5. 4 Venables PJW. Polymyositis-associated overlap syndromes. Br J Rheumatol 1996 ; 35 : 305-8. 5 Glassey-Perrenoud F, Van Lindhoudt D, Ochsner F, Janzer RC, Ott H. Myosite, polysynovite et fibrose pulmonaire : le syndrome anti-Jo-1. Schweiz Med Wochenschr 1996 ; 126 : 120-3. 6 Hochberg M, Feldman D, Stevens MB, Arnett FC, Reichlin M. Antibody Jo-1 in poly/dermatomyositis. J Rheumatol 1984 ; 11 : 663-5. 7 Moder KG, Gaffey TA, Matteson EL. Idiopathic inflammatory myopathy of antisynthetase (Jo-1) type associated with noncaseating granulomas. Arthritis Rheum 1993 ; 36 : 1743-7. 8 O’Neill T, Maddison PJ. Rheumatoid arthritis associated with myositis and anti-Jo-1 antibody. J Rheumatol 1993 ; 20 : 141-3. 9 Bunch TW, O’Duffy D, McLeod RA. Deforming arthritis of the hands in polymyositis. Arthritis Rheum 1976 ; 19 : 243-7. 10 Schumacher RH, Schimmer B, Gordon GV, Bookspan MA, Brogadir S, Dorwart BB. Articular manifestations of polymyositis and dermatomyositis. Am J Med 1979 ; 67 : 287-92. 11 Lifermann F, Schaeverbeke T, Lafage MH, Paty MC, Dehais J. Arthropathie déformante associée à la présence de l’Ac anti-Jo-1 au cours de la polymyosite : une nouvelle observation. Presse Med 1992 ; 21 : 1423-5. 12 Meyer O, Genevay S. Les autoanticorps antienzymes. In : Kahn MF, Kuntz D, Meyer O, Bardin T, Orcel P, Eds. L’actualité rhumatologique 2000. Paris : Elsevier ; 2000. p. 300-15.