Journal français d’ophtalmologie (2014) 37, 804—811
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COMMUNICATION DE LA SFO
Mise au point sur le syndrome de Susac. À propos d’un cas pédiatrique夽 Focus on Susac’s syndrome. A pediatric case report P. Beaujeux , V. Cloché , F. Tréchot , J.-B. Conart , K. Angioi-Duprez ∗ Département d’ophtalmologie, hôpital Brabois, CHU de Nancy, avenue Morvan, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy cedex, France Rec ¸u le 16 juillet 2014 ; accepté le 11 septembre 2014 Disponible sur Internet le 15 novembre 2014
MOTS CLÉS Syndrome de Susac ; Occlusion de branche artérielle rétinienne ; Vascularite rétinienne ; Angiographie ; Encéphalopathie ; Hypoacousie
夽 ∗
Résumé Introduction. — Le syndrome de Susac (SS) est une maladie dysimmunitaire rare associant encéphalopathie, rétinopathie et hypoacousie. Nous rapportons un nouveau cas pédiatrique, révélé par une artérite rétinienne occlusive. Description de cas. — Une enfant de 12 ans consulte en raison de photopsies dans le champ visuel temporal droit. Un an auparavant, une poussée d’encéphalomyélite aiguë disséminée avait été résolutive après corticothérapie. L’acuité visuelle était à 10/10-P2 ODG. L’examen du fond d’œil montrait une artère nasale inférieure droite grêle. L’angiographie retrouvait une occlusion de cette artère et des vascularites artérielles périphériques occlusives. Des bolus de corticoïdes ont été réalisés en urgence. L’IRM cérébrale montrait des lésions du corps calleux. La triade clinique s’est rapidement complétée par une surdité mixte bilatérale. Un traitement par immunoglobulines a été débuté. La survenue d’artérites rétiniennes occlusives controlatérales deux mois plus tard a conduit à débuter un traitement par cyclophosphamide. Après 6 perfusions, l’acuité visuelle est conservée mais il persiste des amputations du champ visuel et des vascularites non occlusives.
Ce sujet a fait l’objet d’un e-poster lors du 120e congrès de la Société franc ¸aise d’ophtalmologie en mai 2014. Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (K. Angioi-Duprez).
http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.005 0181-5512/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mise au point sur le syndrome de Susac
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Discussion. — Trois cents cas de SS ont été rapportés avec une prédominance de femmes jeunes. Les cas pédiatriques sont rares. Le diagnostic est difficile, la triade clinique étant souvent incomplète. L’évolution est imprévisible. Le traitement repose sur l’association de corticoïdes, d’immunosuppresseurs et d’antiagrégants plaquettaires. Comme chez notre patiente, il n’empêche pas toujours la survenue d’une récidive. Conclusion. — L’évolution imprévisible impose un diagnostic et un traitement précoces ainsi qu’une surveillance étroite. Le SS doit être évoqué devant toute artérite rétinienne occlusive même chez l’enfant. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Susac’s syndrome; Branch retinal artery occlusion; Retinal vasculitis; Angiography; Encephalopathy; Hearing loss
Summary Introduction. — Susac’s syndrome (SS) is a rare immune disorder. It combines encephalopathy, retinopathy and hearing loss. We report a new pediatric case, revealed by an occlusive retinal arteritis. Case report. — A 12-year-old girl presented to the emergency room because of sudden onset of photopsias in her right temporal visual field. One year previously, she had developed an acute disseminated encephalomyelitis, resolving with steroids. Visual acuity was 10/10-P2 in both eyes. Fundus examination revealed a thin right inferior nasal artery. Fluorescein angiography revealed an occlusion of this artery and occlusive peripheral arterial vasculitis. An IV steroid bolus was administered urgently. Brain MRI showed high signal intensity abnormalities in the corpus callosum. The clinical triad was rapidly completed by a bilateral hearing loss. Intravenous immunoglobulins were initiated. The occurrence of contralateral occlusive retinal arteritis two months later led to treatment with cyclophosphamide. After 6 infusions, visual acuity was stable, but the visual field remained, and regression of the vasculitis remained incomplete. Discussion. — Three hundred cases of SS have been reported with predominance in young women. Pediatric cases are rare. Diagnosis is difficult, because the typical clinical triad is often incomplete. Occurrence of relapses is unpredictable. Visual prognosis depends on the location of the occluded retinal territories. Treatment, based on a combination of steroids, immunosuppressive and antiplatelet agents is not always able to prevent relapse, as in our case. Conclusion. — Unpredictable progression of SS requires early diagnosis and treatment as well as close monitoring. It must always be considered in the case of any occlusive retinal arteritis, even in children. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
Description du cas
Le syndrome de Susac ou SICRET syndrome (small infarction of cochlear, retinal and encephalic tissue) est une maladie dysimmunitaire, rapportée pour la première fois en 1979 par Susac et al. [1,2]. Cette pathologie rare est caractérisée par une triade clinique associant inconstamment une encéphalopathie, des occlusions artérielles rétiniennes et une hypoacousie. Le diagnostic repose sur la découverte de lésions caractéristiques du corps calleux à l’IRM cérébrale, d’occlusions artérielles rétiniennes à l’angiographie et d’une surdité de perception à l’audiogramme. Le syndrome de Susac affecte préférentiellement les jeunes femmes âgées de 20 à 40 ans [3]. À ce jour, environ 300 cas ont été rapportés dans la littérature [4] dont seulement 4 chez l’enfant [5—8]. Nous ferons une mise au point sur ce syndrome après avoir décrit un nouveau cas pédiatrique révélé par des artérites rétiniennes occlusives.
Une jeune fille de 12 ans se présente aux urgences ophtalmologiques en raison de l’apparition brutale de photopsies dans le champ visuel temporal droit, associées à des céphalées récentes et récidivantes. Ses parents rapportent pour seul antécédent notable une poussée d’encéphalomyélite aiguë disséminée (ADEM), survenue un an auparavant et totalement résolutive après trois bolus de corticoïdes intraveineux. L’acuité visuelle corrigée est de 12/10—P2 au niveau des deux yeux. L’examen du segment antérieur est normal. L’examen du fond d’œil droit retrouve une artère nasale inférieure grêle associée à un œdème rétinien ischémique dans le territoire de cette artère (Fig. 1). Le fond d’œil gauche est normal. Le champ visuel de Goldmann objective une amputation dans le champ visuel temporal droit (Fig. 2), correspondant au territoire vasculaire occlus. L’examen de l’œil gauche retrouve également un
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P. Beaujeux et al.
Figure 1. Rétinophoto OD : l’artère nasale inférieure est grêle et associée à un œdème rétinien blanc ischémique dans le territoire de cette artère.
déficit dans le champ visuel temporal inférieur asymptomatique (Fig. 3). L’angiographie à la fluorescéine de l’œil droit met en évidence un retard de perfusion de l’artère nasale inférieure et une zone d’ischémie dans le territoire vasculaire associé témoignant de l’occlusion de branche artérielle. Il existe une diffusion au niveau des artères proximales et périphériques en rapport avec une vascularite (Fig. 4). Il n’y a pas d’anomalie au niveau de l’œil gauche. Devant la présence de vascularites artérielles rétiniennes occlusives, un bilan neuropédiatrique est rapidement réalisé. L’examen clinique neurologique est sans particularité. La ponction lombaire est subnormale avec 5 cellules de
Figure 2. occlus.
type lymphocytaire, une normoglycorrachie et une hyperprotéinorrachie à 1,15 g/L. Le reste du bilan biologique inflammatoire et infectieux est normal. En l’absence de tout argument infectieux, un traitement par bolus intraveineux de 1 g de corticoïdes est débuté en urgence, pendant 3 jours consécutifs. Un relais par corticoïdes per os (prednisone) est débuté à la posologie de 1 mg/kg/j. Dans les jours qui suivent, l’IRM cérébrale réalisée retrouve des lésions suset sous-tentorielles de la substance blanche juxta-corticale hyper-intenses en T2, FLAIR, et rehaussées après injection de gadolinium. Ces lésions prédominent au niveau de la substance blanche centrale du corps calleux (Fig. 5). L’artériographie cérébrale est normale. L’EEG réalisé dans le bilan des épisodes de photopsies récidivants montre des pointes ondes occipitales d’allure épileptique. Un traitement symptomatique par topiramate est instauré. Du fait de l’association d’occlusions artérielles rétiniennes et d’une neuropathie inflammatoire prédominante au niveau du corps calleux, le diagnostic de syndrome de Susac est posé. Un mois plus tard, la triade clinique du syndrome se complète avec l’apparition d’une hypoacousie et de vertiges rotatoires. L’audiogramme objective une surdité de perception bilatérale prédominant à droite et sur les basses fréquences. Sur le plan thérapeutique, une injection intraveineuse d’immunoglobulines polyvalentes est réalisée et la corticothérapie est maintenue à la même posologie. Deux mois plus tard, durant la phase de décroissance de la corticothérapie, la patiente revient en urgence en ophtalmologie en raison de photopsies permanentes au niveau de l’œil gauche. L’examen du fond d’œil gauche met en évidence l’occlusion d’une branche artérielle temporale inférieure associée à un œdème rétinien blanc ischémique et des nodules cotonneux dans le même territoire vasculaire (Fig. 6). À droite, on retrouve deux nodules
Champ visuel de Goldmann OD : amputation du champ visuel temporal, correspondant aux photopsies et au territoire vasculaire
Mise au point sur le syndrome de Susac
Figure 3.
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Champ visuel de Goldmann OG : amputation du champ visuel temporal inférieur (asymptomatique).
Figure 4. Angiographie à la fluorescéine OD : retard de perfusion de l’artère nasale inférieure et ischémie dans le territoire vasculaire associé témoignant de l’occlusion de branche artérielle ; diffusion du colorant au niveau des artères proximales en rapport avec une vascularite.
cotonneux au pôle postérieur en rapport avec des occlusions artériolaires. Le champ visuel de Goldmann objective un large déficit de type quadranopsique dans le champ nasal supérieur gauche et un rétrécissement concentrique de l’isoptère périphérique à droite. L’angiographie à la fluorescéine retrouve une absence de perfusion rétinienne dans le territoire temporal inférieur gauche ainsi que des vascularites artérielles bilatérales (Fig. 7). Un nouveau protocole thérapeutique est initié en urgence associant 3 bolus de 1 g de corticoïdes (méthylprednisolone) suivis d’un relais per os (prednisone) à 1 mg/kg/j progressivement dégressif, et une cure mensuelle de cyclophosphamide
Figure 5. IRM cérébrale : lésions sus- et sous-tentorielles de la substance blanche juxta-corticale hyper-intenses en T2, prédominant au niveau de la substance blanche calleuse.
750 mg/m2 -solumedrol 1 g pendant 6 mois. Ce traitement immunosuppresseur et anti-inflammatoire stabilise l’état clinique de la patiente pendant plus de 8 mois. Sur les contrôles angiographiques, on note une régression incomplète des vascularites, mais il ne survient pas de nouvelle occlusion. Il existe un caractère migratoire et fugace de ces vascularites ainsi qu’une reperfusion partielle des territoires rétiniens occlus. Au terme des 6 mois de protocole de cyclophosphamidesolumédrol et en l’absence de récidive du syndrome, une fenêtre thérapeutique de 3 mois est décidée. Elle
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Figure 6.
P. Beaujeux et al.
Rétinophoto OG : OBACR temporale inférieure.
Figure 7. Angiographie à la fluorescéine OG : défaut de perfusion artérielle du territoire temporal inférieur associé à l’apparition de nouvelles vascularites artérielles.
est marquée au deuxième mois par une nouvelle poussée inflammatoire diagnostiquée au cours d’un contrôle systématique. L’angiographie révèle de nouvelles vascularites sur tous les troncs artériels proximaux de l’œil gauche, sans plainte fonctionnelle associée. Ceci nous a contraints à reprendre de manière anticipée les cures de cyclophosphamide-solumédrol dans le but d’éviter une nouvelle occlusion de branche artérielle rétinienne. Lors de la dernière consultation, la patiente garde une acuité visuelle de 10/10-P2 aux deux yeux, avec peu de gêne ressentie sur le plan du champ visuel, mais une réelle gêne en rapport avec les phénomènes vertigineux et les troubles de l’audition.
Discussion Le syndrome de Susac ou SICRET syndrome est une pathologie rare et souvent méconnue. Son diagnostic repose sur l’association de 3 entités cliniques : une atteinte neurologique polymorphe mais constante, associée de fac ¸on
variable à des occlusions de branches artérielles rétiniennes et à une hypoacousie. Seuls deux éléments de la triade sont indispensables pour poser le diagnostic [9]. Le syndrome affecte trois fois plus de femmes que d’hommes, le plus souvent entre 20 et 40 ans [3]. Il atteint exceptionnellement l’enfant avec quatre cas rapportés dans la littérature (7, 9, 14 et 16 ans). L’évolution, marquée par des poussées inflammatoires récidivantes, est imprévisible. Toutefois, elle excède rarement cinq ans [10]. Le traitement repose sur une association non consensuelle de corticoïdes, immunosuppresseurs et antiagrégants plaquettaires [11]. La physiopathologie de ce syndrome reste mal élucidée. Il semble admis qu’il s’agisse d’une maladie auto-immune comme le montre l’efficacité des traitements anti-inflammatoires et immunosuppresseurs [12,13]. Elle pourrait s’apparenter à une vascularite des artérioles pré-capillaires à jonctions serrées de diamètre inférieur à 100 microns à la fois présents dans cerveau, la rétine et la cochlée [14,15]. D’autres préfèrent le rapprocher de certaines connectivites comme le lupus ou la dermatopolymyosite en raison respectivement de la positivité possible des anticorps anti-phospholipides ou d’une atteinte musculaire inflammatoire infra-clinique [16—18]. Certains ont incriminé le rôle d’un agent viral dans le déclenchement de la maladie. Même si des troubles de l’hémostase (résistance à la protéine C, mutation du facteur V Leiden. . .) ont été rapportés dans le bilan de certains patients, il est communément admis que la maladie n’en résulte pas [10,13]. Poser le diagnostic de syndrome de Susac est difficile. Dans de rares cas, les auteurs rapportent le développement simultané des trois atteintes cliniques de la maladie [19]. Mais le plus souvent la triade clinique est incomplète, et même si deux entités cliniques suffisent au diagnostic, leur apparition généralement différée sur 6 à 24 mois est souvent responsable d’une difficulté supplémentaire [10]. L’atteinte neurologique, bien que très polymorphe, est systématiquement présente lors du tableau initial. Il semble donc pertinent devant une atteinte neurologique atypique, de proposer un examen ophtalmologique systématique avec angiographie afin de dépister une atteinte infra-clinique, de même qu’un examen ORL. Dans notre observation, la survenue d’une poussée d’encéphalomyélite aiguë disséminée un an avant l’apparition du tableau ophtalmologique nous a amené à reconsidérer cet épisode comme le premier symptôme du syndrome de Susac. Les symptômes en étaient des céphalées fronto-orbitaires, des troubles du comportement avec agressivité, agitation, désorientation, hémiparésie et aphasie fugace. Les principaux diagnostics différentiels sont la sclérose en plaques, l’encéphalomyélite aiguë et les vascularites cérébrales. L’imagerie cérébrale est un examen indispensable dans ce cadre nosologique. La présence de lésions de la substance blanche calleuse très évocatrice du syndrome de Susac n’élimine pas pour autant la sclérose en plaques ou l’encéphalomyélite [20]. Le diagnostic de syndrome de Susac est d’autant plus difficile chez l’enfant qu’il est exceptionnel. Les cas pédiatriques de Susac représentent 1 % des cas décrits [5—8]. Parmi les diagnostics différentiels à évoquer devant une atteinte inflammatoire du système nerveux central chez
Mise au point sur le syndrome de Susac l’enfant, l’ADEM reste rare (0,4 cas pour 100 000 habitants par an) tout comme la SEP infantile (2 à 4 % des cas de la maladie). Il convient donc de ne pas négliger le diagnostic de Susac devant une neuropathie inflammatoire centrale de l’enfant. L’atteinte ophtalmologique est rapportée chez un patient sur deux et est exceptionnellement inaugurale. L’examen du fond d’œil retrouve de manière caractéristique la présence de multiples occlusions de branches artérielles rétiniennes, souvent bilatérales et asymétriques [13]. Ces occlusions peuvent être proximales et responsables d’une amputation majeure du champ visuel, de scotomes et d’une baisse d’acuité selon le territoire vasculaire concerné. Lorsqu’elles sont plus distales, elles sont pauci-symptomatiques et se manifestent davantage par des photopsies. L’angiographie à la fluorescéine est l’examen de choix dans le diagnostic du syndrome de Susac. Il permet le diagnostic précis des territoires occlus. Les occlusions artérielles peuvent être accompagnées ou précédées de vascularites artérielles en rapport avec une diffusion de la fluorescéine et doivent orienter le diagnostic. Malgré des occlusions rétiniennes bilatérales et récidivantes, notre patiente est restée pauci-symptomatique sur le plan ophtalmologique. L’acuité visuelle a pu être préservée du fait de l’épargne des régions maculaires lors des poussées inflammatoires itératives. La patiente rapporte la persistance de rares photopsies. L’angiographie nous a permis de mettre en évidence des vascularites rétiniennes persistantes sous traitement immunosuppresseur et corticoïde en dehors de toute symptomatologie. Celles-ci ne sont jamais oblitérantes, mais restent diffuses, migratrices et fugaces. Nous retiendrons que toute OBACR chez un sujet ne présentant pas de facteur de risque cardiovasculaire, a fortiori chez l’enfant, doit faire évoquer le diagnostic. De même, toute vascularite artérielle doit faire évoquer un syndrome de Susac [21]. L’atteinte neurologique est constamment présente et inaugurale de la maladie. Elle est très polymorphe et peut se manifester par des céphalées, un déficit sensitivomoteur, une confusion, une dysarthrie, un tableau psychiatrique [3,22]. Les atteintes multiples sont fréquentes. L’évolution peut se faire en une ou plusieurs poussées récidivantes. Des séquelles neurologiques souvent psychiatriques intéressent un patient sur deux [10,23]. L’IRM cérébrale en séquences T1 sans et avec injection de gadolinium, T2 et T2 FLAIR est une aide importante au diagnostic. On y retrouve des hypersignaux des substances blanches et grises sus- et sous-tentorielles, proches de ceux de la sclérose en plaques. Toutefois, une localisation dans le corps central de la substance calleuse est constante et donc tout à fait évocatrice d’un syndrome de Susac. À l’instar des maladies démyélinisantes, ces lésions peuvent être migratrices et fugaces dans le temps, et leur rehaussement par le gadolinium suggère leur activité [20]. La ponction lombaire est le plus souvent normale [13]. Elle peut aussi montrer une méningite infra-clinique comme dans notre cas, ce qui a pu égarer le diagnostic vers une poussée d’ADEM d’étiologie virale. Parfois, la présence de bandes oligoclonales oriente faussement vers une sclérose en plaque [10]. L’artériographie cérébrale est souvent normale puisque le calibre des artères cérébrales
809 majoritairement atteintes (inférieur à 100 microns) est indétectable sur cet examen. L’EEG souvent altéré reflète l’atteinte encéphalique. Pour notre patiente, la détection de pointes ondes occipitales d’allure épileptique a fait instaurer un traitement par topiramate, ce qui a permis de diminuer la récurrence des phénomènes photopsiques. Ceci suggère dans notre cas que les photopsies pourraient avoir une physiopathologie double par atteinte rétinienne et encéphalique. Chez notre patiente, les premiers symptômes neurologiques du syndrome de Susac sont apparus 15 mois avant l’atteinte ophtalmologique. Le jeune âge de la patiente, l’absence de bande oligoclonale et la présence de lymphocytes dans le liquide cérébrospinal ont conduit au diagnostic d’ADEM. L’IRM cérébrale montrait déjà des hypersignaux du centre du corps calleux. Après résolution complète des symptômes sous corticothérapie, nous n’avons pas constaté de récidive encéphalique au cours du suivi. La patiente ne garde pas de séquelle neurologique. L’atteinte ORL est inconstante. Elle correspond à l’atteinte oblitérante des artérioles pré-capillaires de la cochlée et des canaux semi-circulaires [3]. Elle se caractérise par une surdité de perception bilatérale et asymétrique prédominant sur les basses fréquences et par des vertiges. Elle peut être infra-clinique et doit être recherchée par un audiogramme. Elle peut être responsable de séquelles à type d’hypoacousie, d’acouphènes ou de vertiges récurrents. Ces 3 séquelles ont été jugées les plus invalidantes par notre patiente, mais ont partiellement régressé avec le temps. L’évolution du Susac est classiquement imprévisible avec une évolution par poussées inflammatoires itératives. Aucun facteur déclenchant de ces récidives n’a pu être mis en évidence. Le pronostic évolutif de la maladie peut se décliner selon 3 formes [24]. Dans la forme monophasique, une rémission est observée après 6 à 18 mois de fluctuation des symptômes. C’est le cas de la plupart des patients ayant une expression neuropsychiatrique prédominante. La forme polyphasique est caractérisée par l’alternance de périodes inflammatoires et de périodes de rémission pendant plus de 2 ans. Elle est l’apanage des formes à expression ophtalmologique ou ORL prédominante. Enfin, la forme chronique est la plus sévère, évoluant au-delà de 2 ans sans rémission. Toutes formes confondues, la durée moyenne d’évolution du syndrome de Susac est de 46 mois [10]. Au-delà de 5 ans, les récidives sont exceptionnelles [10]. Les séquelles à long terme sont possibles et marquées par des troubles neuropsychiatriques, des baisses d’acuité visuelle, des amputations du champ visuel, une hypoacousie et des vertiges. Dans notre observation, le profil évolutif est particulier puisqu’il peut être considéré comme initialement monophasique avec une inflammation cérébrale isolée, suivie 15 mois plus tard d’une inflammation rétinienne et cochléaire marquant le début d’une évolution polyphasique de la maladie. Toutefois, la présence d’anomalies du champ visuel gauche lors de la prise en charge initiale suggère des OBACR périphériques infra-cliniques concomitantes à l’atteinte neurologique, qu’un examen ophtalmologique précoce aurait pu déceler. La prise en charge thérapeutique des patients est difficile. Il n’existe à ce jour aucune étude prospective concernant le traitement du syndrome de Susac. Il semble
810 primordial que le patient soit traité de fac ¸on précoce, agressive et prolongée afin d’éviter les rechutes inflammatoires. Celles-ci ayant été décrites sous traitement bien conduit, un suivi rapproché des patients est fortement recommandé [11]. Sur le plan ophtalmologique, l’angiographie semble être l’examen de choix du suivi de l’activité de la maladie. Son aide dans le diagnostic des atteintes infra-cliniques et des vascularites inactives impose sa répétition fréquente dans le suivi de la maladie toutes les 4 à 8 semaines. Dans une série rétrospective, Mateen et al. [25] décrivent la prise en charge thérapeutique de 29 patients atteints. Compte tenu du caractère auto-immun suspecté de la maladie, le traitement de première ligne est la corticothérapie. Les atteintes de la maladie pouvant être très sévères tant sur le plan neurologique, qu’ophtalmologique ou ORL, le traitement doit être agressif afin de contrôler l’inflammation active et prévenir les récidives. La corticothérapie est en général instaurée par bolus i.v. durant 3 à 5 jours puis relayée par un traitement per os lentement dégressif. Les récidives inflammatoires sous traitement et l’apparition d’atteintes secondaires rendent fréquente l’utilisation d’immunosuppresseurs [25]. En pratique, la majorité des patients est traité par une association thérapeutique de corticoïdes et immunosuppresseurs. Le cyclophosphamide et le mycophénolate-mofétil sont les plus utilisés dans cette indication. Dans notre observation, la récidive d’OBACR sous corticothérapie suggère l’efficacité insuffisante des anti-inflammatoires stéroïdiens dans la prévention d’une récidive inflammatoire ophtalmologique, comme l’avait évoqué d’autres auteurs. Un traitement immunosuppresseur a dès lors été introduit par cures mensuelles de cyclophosphamide 750 mg/m2 et méthylprednisolone 1 g pendant 6 mois. L’arrêt du cyclophosphamide chez notre patiente est corrélé à une reprise de l’activité inflammatoire au niveau des artères rétiniennes, ce qui nous a contraints à reprendre le traitement. Ceci suggère l’efficacité et la nécessité d’un traitement prolongé par cyclophosphamide dans la prévention de la récidive de l’atteinte ophtalmologique. De plus, l’absence de normalisation de l’angiographie sous traitement nous incite à une grande prudence dans la décroissance tant des corticoïdes que des immunosuppresseurs et à un suivi rapproché [14]. Chez les patients présentant une atteinte ophtalmologique ou ORL sans encéphalopathie majeure, certains auteurs recommandent de poursuivre le traitement immunosuppresseur jusqu’à deux ans après la dernière poussée inflammatoire [25,26]. L’utilisation d’immunoglobulines i.v. et d’échanges plasmatiques a été décrite en cas d’atteinte sévère de la maladie malgré une corticothérapie bien menée. Une injection d’immunoglobulines a été réalisée au cours de notre prise en charge lors de l’apparition des symptômes ORL. L’efficacité de celle-ci a été modérée avec une régression incomplète des symptômes et la survenue d’une nouvelle OBACR 6 semaines plus tard. Récemment, l’équipe de Kleffner [26] a décrit l’intérêt d’injections sous-cutanées d’immunoglobulines dans la prévention des récidives et l’aide à la décroissance des traitements immunosuppresseurs per os et intraveineux. L’adjonction d’un antiagrégant plaquettaire, aspirine ou clopidogrel, est souvent discutée bien qu’elle n’a pas fait
P. Beaujeux et al. la preuve de son efficacité en dehors de l’utilisation des anti-inflammatoires [25].
Conclusion Le syndrome de Susac repose sur une triade clinique associant une encéphalopathie, des occlusions artérielles rétiniennes et une hypoacousie. Il est exceptionnel chez l’enfant. Son diagnostic et son traitement doivent être précoces car son évolution est imprévisible et potentiellement grave tant sur le plan neurologique, qu’ophtalmologique et ORL. Il convient de traiter de fac ¸on prolongée les formes ophtalmologiques par une association de corticoïdes et d’immunosuppresseurs. Le diagnostic doit être systématiquement évoqué chez les sujets jeunes lors de la survenue d’occlusions de branche artérielle ou de vascularites artérielles rétiniennes, et une atteinte ophtalmologique infra-clinique doit être recherchée en présence d’une manifestation neurologique inflammatoire.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.
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