Annales Médico-Psychologiques 169 (2011) 269–275
DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU
Mort subite, antipsychotiques et schizophrénie Sudden death, antipsychotics and schizophrenia C. Vaille a,*, C. Védie b, J.-M. Azorin c a
Hôpital Chalucet, rue Chalucet, 83000 Toulon, France Centre hospitalier Valvert, boulevard des libérateurs, 13391 Marseille cedex 11, France c Hôpital Sainte-Marguerite, boulevard de Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France b
Disponible sur Internet le 13 avril 2011
Résumé Il existe un excès de mortalité et de maladies cardiovasculaires dans la schizophrénie, reposant sur des facteurs de risques cardiovasculaires et sur un sous-diagnostic des comorbidités chez le schizophrène. L’étude des morts subites dans la schizophrénie montre différentes étiologies : d’un côté, les décès liés au stress, de l’autre, les morts subites cardiovasculaires (souvent suite à un allongement de l’intervalle QT), et non cardiovasculaires (fausse route et asphyxie, embolie pulmonaire, épilepsie, occlusion intestinale). La part de responsabilité des antipsychotiques et de la schizophrénie elle-même (maladie génératrice de stress, souvent associée à un défaut de prévention et d’observance des traitements psychiatriques et somatiques) est difficile à déterminer : la question de l’incrimination des antipsychotiques reste polémique et l’épidémiologie ne permet pas de conclure. Ce travail tente de proposer des stratégies de prescription des antipsychotiques et de prévention de la mort subite chez le schizophrène. ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Sudden death is a multidimensional notion that can be defined in several ways. Epidemiologically, sudden death affects from 15 to 30% of the population and 30% of the schizophrenics. Since antipsychotic drugs appeared in 1954, the death rate of the schizophrenic population has decreased but has still remained higher than the death rate of the entire population (standardized mortality rate from 1 to 4). However, there is no proof of a decrease in the number of sudden deaths because of a lack of statistical data about the first period of time. Several factors may explain the excessively high death rate of the schizophrenics but mainly cardiovascular risk factors and an insufficient diagnosis of somatic comorbid conditions. Stress is also a well-known aetiology of sudden death: Ventricular tachycardia can occur in situations of anxiety; the Tako Tsubo syndrome is a coronarian syndrome occurring in a context of emotional stress. Death due to cardiovascular factors is probably the main aetiology of the schizophrenics’ sudden deaths, which are often associated with a prolonged QT interval (it is considered today that the QT interval is prolonged beyond 450 MS). Schizophrenia is partly the cause of these sudden deaths with regard to the stress generated by the disease. The influence of drugs on these deaths, and especially antipsychotic drugs, has also been considered. So, the use of thioridazine and sertindole was suspended after a dose-effect and sudden deaths were observed. Other antipsychotic drugs, such as haloperidol and risperidone are associated with some cases of a prolonged QT interval, with a high dosage. Another aetiology of sudden death is epilepsy: Before the rise of antipsychotic drugs, the comitial crises rate was already higher among the schizophrenics and crises occur today with or without a subjacent treatment; but antipsychotic drugs have also been incriminated in some sudden deaths. In the case of sudden deaths caused by pulmonary embolism, schizophrenia is a predisposition, especially catatonic schizophrenia. Obesity, physical restraints in case of agitated state are also the causes of a restrained mobility that can favour pulmonary embolism. As for antipsychotic drugs, and especially clozapine, they favour a gain of weight and a sedation with a high dosage, which result in a reduced mobility. As for sudden deaths caused by choking, schizophrenia contributes to these deaths through a poor mastication, a poor dentition or poor hygienic and dietetic habits. Phenothiazines can favour these
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Vaille). 0003-4487/$ see front matter ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2011.03.009
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deaths insofar as they favour deglutition impairment; the use of haloperidol can result in a respiratory dyskinesia that leads to asphyxia; the clozapine-benzodiazepine combination must be avoided. In the case of sudden deaths through intestinal obstruction, constipation is often poorly diagnosed for schizophrenics for whom the pain threshold is higher and because of their negative symptoms. These factors already explained the excessive death rate among the schizophrenics before the antipsychotic drugs era. But antipsychotic drugs have an analgesic effect that delays the diagnosis of constipation and an anticholinergic effect that favours constipation. The combination with a tricyclic antidepressant increases the risk. The incrimination of antipsychotic drugs in the sudden deaths of the schizophrenics remains debatable and epidemiology provides no conclusion. An autopsy is sometimes not enough to put the blame or not on antipsychotic drugs. Prevention measures about morbidity and mortality associated with antipsychotic drugs that prolonged QT, and with schizophrenia itself are proposed. The connection between sudden death and antipsychotic drugs remains poorly understood: in psychiatry, the high sudden deaths rate is due to several factors and antipsychotic drugs remain the most commonly used treatment for psychosis. ß 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Antipsychotiques ; Cardiovasculaire ; Embolie pulmonaire ; Fausse route ; Mort subite ; Schizophrénie Keywords: Antipsychotic drugs; Cardiovascular; Choking; Pulmonary embolism; Schizophrenia; Sudden death
1. INTRODUCTION La mort subite (MS) est une notion hétérogène pour laquelle il n’existe pas de consensus : selon l’OMS, il s’agit d’une mort naturelle, inattendue, survenant moins de 24 heures après les premiers signes cliniques. Pour certains [20], il s’agit d’une mort naturelle survenant dans la première heure suivant les premiers symptômes, à la fois inattendue par rapport au degré d’incapacité existant avant le décès, et inexpliquée car les investigations cliniques et l’autopsie n’ont pas retrouvé d’étiologie : cette définition est intéressante, même si les mots « inattendue » et « inexpliquée » sont parfois très subjectifs. 2. SCHIZOPHRÉNIE ET SURMORTALITÉ Les statistiques de mortalité chez les malades psychiatriques intéressent depuis une cinquantaine d’années de nombreux auteurs : en particulier, existe-t-il une surmortalité par MS des patients schizophrènes par rapport à la population générale ? Une étude de la littérature [13] portant sur 53 articles montre qu’il existe une surmortalité des malades mentaux, maximale entre 20 et 40 ans ; chez les schizophrènes, on note des ratios standardisés de mortalité (RSM) variant de 1,5 à 3 [35]. Une enquête prospective sur la morbi-mortalité et l’accès aux soins des patients schizophrènes [3] montrait, concernant les décès par causes naturelles, un RSM de 1,8 ; une surmortalité importante chez les moins de 35 ans (dix fois la mortalité en population générale), ainsi qu’une surreprésentation des fausses routes comme cause de décès. Les causes naturelles seraient responsables à 60 % de l’excès de mortalité, avec une surmortalité cardiovasculaire de 1,33 [2]. On observe ainsi une surmortalité naturelle et non naturelle, avec un taux de mortalité 3,8 fois plus important que celui de la population concernant surtout les hommes et les causes naturelles [1]. Concernant la proportion de MS dans la population générale, elle varie de 15 % à 30 % selon les auteurs, les coronariens représentant entre le tiers et la moitié des décès [9]. Mais l’hétérogénéité des protocoles, des échantillons de patients et des définitions rend hasardeuse toute comparaison.
Dans une étude canadienne [33], on retrouve un taux de mortalité plus élevé chez les patients schizophrènes ou bipolaires que dans la population générale, les décès étant principalement liés à une insuffisance coronaire. Il semble donc difficile de démontrer la surmortalité par MS chez les schizophrènes ; et si elle existe, peut-on incriminer les antipsychotiques ? Il faudrait pour cela disposer de l’incidence de la MS dans une population standardisée avec pour seule différence la présence ou non d’un antipsychotique, tâche difficile à réaliser. Le risque cardiaque potentiel des antipsychotiques est connu de longue date et les premières publications ont paru peu après l’introduction des phénothiazines en 1954. Certains auteurs [8] ont comparé la mortalité des patients psychiatriques hospitalisés avant et après 1954, et mettent même en évidence une diminution de la surmortalité avec un RSM tombant de 4 à 2,9. Les taux demeurent cependant plus hauts pour les deux périodes que dans la population générale. Une seule étude [32] a montré une augmentation des MS inexpliquées depuis l’ère des phénothiazines, alors qu’auparavant, la plupart étaient expliquées par l’autopsie. Mais aucune conclusion ne peut être tirée devant ce faible nombre. Une étude concernant la période de 1988 à 1993 rapporte deux fois plus de MS chez des patients prenant des phénothiazines (thioridazine dans 20 % des MS par phénothiazine) que chez ceux n’en prenant pas [29]. Quoi qu’il en soit, la responsabilité des antipsychotiques est à nuancer : s’ils augmentent la mortalité pour certaines causes, cela ne veut pas dire qu’ils augmentent la mortalité toutes causes confondues [27]. Les raisons de l’apparente augmentation des MS après 1954 ont donné lieu à des conclusions parfois contradictoires, mais la notion d’effet indésirable cardiovasculaire induit par les antipsychotiques a émergé progressivement. Enfin, si des études ont comparé la mortalité avant et après 1954, on ne peut pas faire de parallèle avec les MS : en effet, il n’existe pas ou peu de données statistiques concernant les MS de la première période. La surmortalité chez les schizophrènes peut en partie s’expliquer par des facteurs de majoration : les schizophrènes
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constituent une population à haut risque cardiovasculaire [15], avec une mortalité cardiaque augmentée, 68 % de tabagisme (contre 35 % dans la population générale), plus de 40 % de syndrome métabolique, 13 % de diabète (contre 3 % dans la population générale), 27 % d’hypertension artérielle (contre 17 % dans la population générale). La surmortalité s’explique aussi par un sous-diagnostic des maladies sous-jacentes : il existe un défaut d’accès aux soins en raison d’un système de prévention défaillant en psychiatrie, d’une mauvaise compliance du patient, ainsi que d’une mauvaise observance du traitement. En outre, en raison de la stigmatisation de la pathologie psychiatrique, un schizophrène hospitalisé pour un infarctus du myocarde a deux fois moins de chance de bénéficier d’une revascularisation que le reste de la population [10]. Enfin, l’augmentation du seuil de la douleur physique entraîne des difficultés diagnostiques : les schizophrènes ne ressentiraient une douleur dans l’infarctus du myocarde que pour 18 % d’entre eux, contre 90 % dans la population générale [11]. L’autopsie reste un outil indispensable pour appréhender la MS, même si elle n’apporte de certitude que dans la MS lésionnelle : le besoin de trouver une étiologie responsable d’une MS peut conduire à incriminer injustement un médicament, par insuffisance de preuve anatomique. Les lésions observées à l’autopsie ne sont d’ailleurs pas toujours la cause du décès : une étude a comparé deux groupes de patients, les uns morts naturellement, les autres après suicide ou accident [9] : on a pu observer des lésions coronaires significatives chez 49 % du second groupe, à peine moins que dans le premier. 3. ÉTIOLOGIES POSSIBLES DE LA MORT SUBITE 3.1. Le stress Une étude récente [5] s’intéresse à la résilience au stress de certains individus : ils ont la capacité d’éviter de généraliser les stimuli à un plus large contexte, de stocker les émotions de façon réversible, et de savoir arrêter ce mécanisme. Dans ces recherches résident peut-être les bases de découvertes à venir concernant la prévention et le traitement des maladies, voire des MS liées au stress. En outre, il serait en effet intéressant de rechercher si la vulnérabilité au stress est plus fréquemment retrouvée chez les schizophrènes, en particulier ceux présentant une agitation psychomotrice, et donc de faire un lien avec la MS liée au stress. De nombreuses études rapportent l’association d’extrasystoles ventriculaires [23] ou de décès suite à une émotion violente. Les événements de vie traumatisants (le veuvage), la transplantation culturelle, entraînent un excès de mortalité [23]. Pour qu’un facteur psychologique déclenche une arythmie ventriculaire, il faut voir associés une instabilité électrique du myocarde, des difficultés psychologiques envahissant la vie quotidienne, et un événement psychologique déclenchant (dans les 24 heures précédant le trouble du rythme) [23]. La découverte du syndrome de Tako Tsubo, syndrome coronarien à coronaires saines, va dans ce sens (mortalité estimée à moins de 10 %). Les anomalies de
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contractibilité (dyskinésie apicale et hyperkinésie basale) sont à l’origine du nom de ce syndrome (piège à pieuvre, en japonais). Le tableau est celui d’un syndrome coronarien aigu classique, mais on retrouve souvent un contexte de stress émotionnel ou physique, ainsi qu’une décharge massive de catécholamines responsable d’une cardiotoxicité, par ailleurs inconstante. Le syndrome de Tako Tsubo pourrait être un modèle clinique de MS liée au stress. On ne connaît pas avec certitude les étiologies, la possibilité d’un syndrome coronarien aigu lié au stress doit rester en mémoire : en effet, un traitement spécifique du stress pourrait être plus efficace qu’une thrombolyse ou qu’une chirurgie coronaire [22]. 3.2. La mort subite cardiovasculaire C’est la principale étiologie de MS, souvent liée à un allongement de l’intervalle QT à l’électrocardiogramme (ECG). La plupart des études considèrent une longueur supérieure à 500 MS comme un marqueur de risque élevé de torsades de pointe (TDP) et de MS ; on parle d’allongement de QT dès 450 MS [17]. Elles s’intéressent aux facteurs d’allongement du QT : ainsi l’hypokaliémie allonge la repolarisation, favorisant la survenue de TDP [37]. Certains médicaments allongent le QT : il faut alors savoir si l’allongement est dose-dépendant (risque de surdosage chez un métaboliseur lent) [14], et connaître les interactions médicamenteuses. Les arythmies retrouvées dans les MS sont le plus souvent les TDP liées à un allongement du QT et succédant à une extrasystole ventriculaire, et les fibrillations ventriculaires. Mais l’insuffisance coronarienne reste la principale cause de MS chez l’adulte [9]. La question du rôle joué par la schizophrénie dans la MS cardiovasculaire est posée par une étude montrant un excès de décès de 4 % de jeunes schizophrènes sous antipsychotiques, attribuables à la fois au traitement, à la schizophrénie et au tabagisme [29]. Le stress généré par une agitation incontrôlable peut être incriminé, surtout si le sujet est isolé en chambre non ventilée : une réponse dysautonomique se solderait alors par un arrêt cardio-circulatoire. En cas de prescription concomitante d’antipsychotiques allongeant le QT, c’est une gâchette supplémentaire pour déclencher une MS ; le risque augmente avec la posologie. Mais s’il existe un risque à donner de fortes doses d’antipsychotiques au cours d’une forte agitation, il est à mettre en balance avec celui inhérent au retard thérapeutique chez un patient en décompensation psychotique : dépression, conduites auto- et hétéro-agressives. Concernant le rôle des médicaments dans la MS cardiovasculaire, l’existence d’une toxicité cardiaque des antipsychotiques a été difficile à reconnaître, les données épidémiologiques étant insuffisantes pour démontrer qu’il y avait plus de MS parmi les patients sous antipsychotiques : il est difficile de s’assurer qu’un médicament est responsable avec un événement aussi rare. Les antipsychotiques sont administrés à une population à risque. Or, comparer les taux de MS de schizophrènes sous phénothiazines avec les taux dans la population générale confond le fait d’être schizophrène et de prendre un antipsychotique, en plus du facteur de confusion que représente le tabagisme. La seule façon de contrôler cette
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confusion serait de n’inclure que des sujets schizophrènes. Une étude rétrospective [29] aux États-Unis a recensé les MS et les facteurs de risques cardiovasculaires chez des patients psychiatriques et montre un taux de 11,6 pour 10 000 personnes/année. Les auteurs évaluent à 2,39 l’augmentation du risque de MS cardiaque chez les patients bénéficiant d’une forte dose (> 100 mg d’équivalents thioridazine/jour) par rapport aux patients non traités. Ce risque est supérieur à celui des patients sous faible dose : 1,3. Parmi les patients souffrant d’une pathologie cardiovasculaire grave, les utilisateurs de doses supérieures à 100 mg avaient un risque de MS cardiaque 3,53 fois plus élevé que celui des non-utilisateurs (contre un risque ratio de 1,6 en l’absence de maladie cardiaque). Au sein des individus sans pathologie cardiaque, ils comptent parmi les patients sous antipsychotiques à forte dose 11 décès pour 10 000 personnes/année, comparées aux sept pour 10 000 dans la population générale. Parmi les patients ayant une pathologie cardiaque, ils estiment l’augmentation de la mortalité à 367 MS supplémentaires pour 10 000 personnes/année chez les patients sous antipsychotiques à forte dose par rapport aux patients sans traitement. En outre, il semblerait qu’il existe un effet dose-dépendant : ainsi, une étude rétrospective de MS de patients psychiatriques montre une corrélation statistiquement significative entre l’allongement du QTc retrouvé et la posologie de l’antipsychotique [30], avec pour les fortes doses un risque relatif (RR) de 5,3 ; et pour les très fortes doses un RR de 8,2. Une étude prospective [18] montre que les patients sous antipsychotiques ont un RR d’arrêt cardiaque ou d’arythmie entre 1,7 et 3,2 et un RR de mortalité de 2,6 à 5,8 ; qu’il n’existe une relation dose-dépendante que pour la thioridazine, avec un risque d’arrêt et d’arythmie 2,5 fois supérieur pour les doses les plus fortes, que la rispéridone est associée de façon significativement plus importante à des arrêts cardiaques et arythmies que ne l’est l’halopéridol, avec un RR de 1,5, et qu’elle est associée à un risque plus élevé lors des faibles doses, en raison d’une prescription à basse posologie chez les patients ayant une plus grande vulnérabilité cardiaque. Donc, si chaque étude présente des faiblesses et des facteurs de confusion, elles sont unanimes pour affirmer que certains antipsychotiques peuvent augmenter le risque de MS, mais pas tous les antipsychotiques, et pas à n’importe quelle posologie. Les études concernant les phénothiazines (en particulier la thioridazine) montrent une cardiotoxicité, surtout pour des doses élevées, mais aussi à des doses thérapeutiques, bien qu’il n’y ait eu que peu d’incrimination formelle. Mais n’était-ce pas un biais de sélection ? En effet, la thioridazine était quand même le premier antipsychotique prescrit dans les années 1990. Concernant l’halopéridol, on retient des TDP pour des doses élevées [30]. Quant à l’amisulpride, il ne semble responsable d’allongement du QT qu’avec l’ingestion de fortes doses [31]. Dans le cas des antipsychotiques atypiques, certaines études [21] montrent l’influence des biais de sélection (un taux de mortalité cardiaque de 0,82 sous sertindole contre 0,53 sous olanzapine retombe à 0,42 après exclusion des 80 % de patients sous sertindole souffrant de cardiopathie). Sous clozapine, on observe [6] un allongement du QTc à des doses physiologiques. Mais on ne retrouve pas de cas d’arythmie fatale sans
équivoque, et certains auteurs rappellent qu’il faut mettre en balance le risque avec la diminution du nombre de suicides sous clozapine [12]. Sous rispéridone, il existe des allongements du QTc, mais surtout en cas de surdosage. Sous olanzapine, on observe de rares et faibles allongements du QTc [30], mais pas de TDP rapportée sans surdosage. Il n’existe pas d’allongement significatif du QTc sous aripiprazole [7]. Dans le cas de la sertindole, une étude montre qu’il n’existe pas de différence significative entre la survenue de TDP sous sertindole, halopéridol ou placebo, mais que l’allongement du QTc est dose-dépendant [21]. En outre, 12 MS et 23 syncopes survinrent chez 1 446 patients au cours des essais préthérapeutiques [14]. La vente fut suspendue par l’industrie ellemême. Concernant la ziprasidone, les essais préthérapeutiques ont montré des allongements du QTc supérieurs à ceux retrouvés sous halopéridol, olanzapine ou rispéridone, mais inférieurs aux allongements sous thioridazine ou sertindole [14]. Les études sont contradictoires : certaines ne recensent aucun cas de MS [24], alors que d’autres relèvent un taux de 0,56 décès pour 100 patients/année sous ziprasidone [14]. Disponible aux États-Unis mais pas en France, il semble important de le contre-indiquer chez les patients ayant une cardiopathie ou un risque d’allongement du QT. Dans une étude comparant des populations sous différents antipsychotiques à des populations témoins [17], la thioridazine entraîne la plus importante prolongation du QT, puis la ziprasidone, avec une augmentation inférieure de 15 MS à celle de la thioridazine, mais supérieure de 12 MS à celle de la moyenne des autres antipsychotiques. La rispéridone prolonge le QT de 10 MS, alors que la littérature ne rapporte pourtant ni TDP, ni MS. À l’inverse, l’halopéridol, reconnu comme cause de TDP et de MS, allonge le QT de moins de 5 MS. Quel que soit l’antipsychotique utilisé, aucun ne montre de QTc supérieur à 500 MS. Enfin, l’association antidépresseur tricyclique et antipsychotique semble augmenter l’effet d’allongement du QT [36]. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) établissait en 2000 une liste de 12 antipsychotiques pouvant prolonger le QT et entraîner des TDP, et contre-indiquait leur association : cette contre-indication est devenue association déconseillée en 2001 devant la nécessité souvent de les associer en pratique. Une étude s’est intéressée à la pertinence des recommandations de l’Afssaps [38], et pose la question de la réalité d’un risque cardiologique accru et de la contribution de l’ancienneté de certains antipsychotiques à la publication d’un plus grand nombre d’incidents cardiaques : les QTc sont significativement plus longs chez les patients traités par une association déconseillée que chez ceux traités sans association déconseillée. Mais on n’a pas retrouvé de différence significative entre antipsychotiques de première et de seconde génération. 3.3. Mort subite et épilepsie La schizophrénie joue probablement un rôle dans ces décès : déjà avant l’avènement des antipsychotiques, les études rapportaient une fréquence plus élevée de crises comitiales dans la schizophrénie que dans la population générale, et 20 à 25 % d’anomalies de l’électroencéphalogramme (EEG). Au
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contraire, une étude réalisée sur des patients traités par antipsychotiques montrait des anomalies à l’EEG chez 63 % des patients traités par antipsychotiques atypiques, contre 27 % des patients traités par antipsychotiques classiques, et 47 % des patients sous clozapine contre 7,3 % sous haldol. Avec la clozapine en particulier, des cas ont été retrouvés pour des posologies autorisées ; les facteurs favorisant les crises et leur répétition sont les fortes posologies et les augmentations posologiques rapides [4]. 3.4. Mort subite et embolie pulmonaire Certains auteurs ont avancé que certains types de schizophrénie (en particulier catatoniques) pouvaient être à risque d’embolie pulmonaire. De même, la contention physique, parfois utilisée en psychiatrie, pourrait être incriminée de par sa contrainte à l’immobilité. Concernant les antipsychotiques atypiques, une étude montre que le risque de décès par embolie pulmonaire est cinq fois plus élevé chez les patients sous clozapine ; l’embolie pulmonaire est pour eux la seconde cause de décès après les accidents et suicides [39]. Le risque de survenue de complication thromboembolique sous clozapine varie entre 1/2000 et 1/6000. Le RR est ainsi évalué à 5,2 par rapport à la population générale [39]. 3.5. Mort subite, fausses routes et asphyxie Une étude comparant 6178 schizophrènes à une population standardisée montre un RSM pour les décès par fausse route de 31,53 [27]. Le rôle de la schizophrénie est souligné par le fait qu’il n’y aurait pas de différence dans la fréquence des décès par asphyxie depuis l’introduction des antipsychotiques ; entre 1951 et 1957, il y eut 19 cas de MS par asphyxie sur 1325 lits : seuls trois patients décédés étaient sous antipsychotiques, dont un seul avait subi une augmentation posologique [34]. Sont alors mises en cause une gloutonnerie, une mauvaise dentition et des règles hygiénodiététiques défaillantes. Mais une série de cas d’insuffisances respiratoires aiguës au cours de neuroleptisations au long cours incriminent les phénothiazines qui entraîneraient des troubles de la déglutition par hypertonie des muscles pharyngés [19]. L’halopéridol entraînerait une asphyxie par dyskinésie respiratoire [26]. Enfin, la combinaison clozapine/benzodiazépines est à éviter devant le risque majoré d’arrêt cardiorespiratoire [25]. 3.6. Mort subite et occlusion intestinale La schizophrénie est elle-même un facteur de risque d’occlusion : la constipation est difficile à diagnostiquer chez un patient à la symptomatologie négative prédominante (apathie, dissociation affective minimisant les symptômes douloureux). En outre, les syndromes occlusifs étaient déjà massivement responsables de la surmortalité des patients psychiatriques avant l’ère des antipsychotiques. Mais les antipsychotiques ont un effet antalgique retardant le diagnostic de constipation, et un effet anticholinergique favorisant la
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constipation ; l’association à un antidépresseur tricyclique majore le risque. 4. DISCUSSION L’incrimination des antipsychotiques demeure une question polémique. Les MS surviennent dans la population générale avec une fréquence de 15 à 30 % ; c’est pourquoi, même si les antipsychotiques n’exerçaient pas de responsabilité directe, des MS auraient lieu par coïncidence parmi les patients prenant ces médicaments. Une MS inattendue et à l’autopsie négative chez un patient sous antipsychotiques ne doit pas être systématiquement attribuée au traitement : il peut s’agir d’une MS cardiaque comme dans la population générale, ou d’un décès par catatonie comme déjà décrit dans l’ère pré-antipsychotique. En outre, la schizophrénie pourrait être elle-même responsable d’un sous-diagnostic des maladies somatiques, et donc d’une augmentation des MS. Quant aux autopsies, elles sont parfois incapables de prouver l’implication des antipsychotiques, et à l’inverse, une mort mal ou non autopsiée peut être attribuée à tort aux antipsychotiques. Le nombre de catatonies létales a beaucoup diminué depuis l’introduction des antipsychotiques, suggérant un contrôle de l’agitation par ceuxci ; une autre explication de la baisse du nombre de cas de catatonies peut s’expliquer par le fait que les morts dites « dues aux phénothiazines » ressemblaient beaucoup aux catatonies létales : de nombreux cas de catatonies létales sont peut-être aujourd’hui étiquetés « MS liée aux antipsychotiques » [28]. La mortalité parmi les patients psychiatriques a diminué depuis l’introduction des antipsychotiques, mais reste supérieure à celle de la population générale ; la MS n’a en tout cas pas augmenté depuis l’introduction des antipsychotiques : comme vu en introduction, l’épidémiologie ne permet pas de conclure. En outre, les antipsychotiques constituent un progrès considérable dans le traitement de la psychose : un traitement adapté et efficace peut donc laisser espérer une baisse du taux de mortalité et une amélioration de la qualité de vie. Il devient donc difficile de faire la part des différentes responsabilités en cas de MS. Ainsi, un patient très agité aura besoin de doses élevées d’antipsychotiques, ce qui devrait diminuer les symptômes psychotiques et la vulnérabilité au stress ; mais, d’un autre côté, les actions pharmacologiques du médicament peuvent interagir avec le stress et rendre le sujet plus vulnérable aux arythmies cardiaques et complications autonomiques. Il est d’ailleurs possible d’envisager cette question d’un tout autre point de vue : les patients agités réclament beaucoup plus d’attention de la part de l’équipe que les patients déficitaires, et bénéficient donc d’un suivi plus rapproché que les autres, ce qui devrait diminuer le risque de MS. En attendant, « il serait trop tentant de conclure que toute MS survenant en présence d’un antipsychotique est due au médicament, et que toute MS survenant chez un patient sans neuroleptique aurait pu être prévenue par l’usage de ce médicament » [34]. Quoi qu’il en soit, il est indispensable de se consacrer à une meilleure prévention de la MS chez les schizophrènes. En premier lieu, concernant la morbi-mortalité liée aux antipsychotiques allongeant le QT, il paraît prudent de respecter la
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posologie maximale recommandée, rechercher les antécédents cardiovasculaires personnels et familiaux, diminuer la posologie en cas de facteur de risque, choisir, à efficacité égale, un antipsychotique n’allongeant pas le QT ; la prescription d’un antipsychotique allongeant le QT peut se justifier en cas d’échec thérapeutique ou d’efficacité connue chez ce sujet. Il est nécessaire de faire un ECG basal pour exclure les patients aux QT longs, des ECG réguliers, de doser la kaliémie, d’augmenter lentement les posologies, de repérer les éventuelles interactions médicamenteuses, d’éviter la coprescription de traitements allongeant le QT et de surveiller régulièrement les constantes vitales [17]. Les antipsychotiques sédatifs (loxapine, cyamémazine) semblent être bien tolérés en intramusculaire ; en cas d’agitation, il faut éviter d’associer un antipsychotique sédatif susceptible d’allonger le QT à l’hypokaliémie, facteur causal d’allongement du QT, générée par le stress. De façon plus générale, concernant la prévention de la morbi-mortalité des schizophrènes, on peut proposer quelques mesures afin de minimiser le risque de MS, même si le risque zéro n’existe pas : utiliser la plus faible dose possible, évaluer l’usage de la sismothérapie dans les cas d’excitation aiguë, et limiter la contention physique, la chambre d’isolement doit être bien ventilée et sa température contrôlée, un temps de repas suffisant doit être laissé au patient, il faut surveiller les constantes vitales régulièrement, associer un monitorage de l’IMC, un dosage de la glycémie, de la lipidémie, de la kaliémie et du TCA, traiter l’obésité et modifier les comportements alimentaires avec des conseils nutritionnels et éventuellement un switch avec un antipsychotique n’entraînant pas de prise de poids, former le personnel à l’état d’agitation, à la réanimation cardiopulmonaire, aux dangers de la constipation, former les médecins à reconnaître les arythmies, à interpréter les ECG qui doivent être accessibles dans les services, informer les patients des dangers de l’automédication, des signes de phlébite et de constipation, des contre-indications, communiquer de façon interdisciplinaire et rapporter les cas de morts subites à la pharmacovigilance. Le monitorage attentif des sujets schizophrènes devrait permettre une détection plus précoce des facteurs de risques qui, sans détection ni intervention, contribuent à altérer la santé de ces patients. 5. CONCLUSION Des recherches épidémiologiques approfondies sont nécessaires pour clarifier le lien entre MS et antipsychotiques. Il apparaît essentiel d’explorer les MS psychiatriques et d’évaluer le rôle des comorbidités physiques, de l’agitation en contention, de l’abus d’alcool et de substances, des fortes posologies et des interactions médicamenteuses. L’autopsie devrait être plus systématique, car si la certitude étiologique n’existe qu’en cas de MS lésionnelle, elle permet au moins une orientation diagnostique. Les antipsychotiques ont été incriminés dans différentes étiologies, mais la schizophrénie constitue quant à elle un terrain vulnérable par le déni généré, le sous-diagnostic des maladies sous-jacentes et un faible accès à la prévention. Le danger est grand en effet de confondre facteur causal et facteur
de risque. Enfin, il faut toujours garder à l’esprit le rapport bénéfice/risque des antipsychotiques : le risque zéro n’existe pas, une MS incriminant un antipsychotique reste exceptionnel et celui-ci demeure le traitement de référence de la psychose. Autant que possible, il s’agit de donner un médicament n’allongeant pas le QT mais de toujours peser la possibilité d’échec thérapeutique en cas de changement de traitement : il faut considérer l’efficacité connue d’un traitement, ses contreindications, sa tolérance, son prix et les préférences du patient. Un traitement adapté et efficace peut laisser espérer une baisse du taux de mortalité et une amélioration de la qualité de vie. Ainsi, on peut mettre à distance la phrase de Jefferson, citée par Green dans son journal [16] : « Que de chagrins ont été causés par la menace de malheurs qui ne se sont jamais produits. » DÉCLARATION D’INTÉRÊTS Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. RÉFÉRENCES [1] Bralet MC, Yon V, Loas G, et al. Causes de mortalité chez les schizophrènes : étude prospective sur huit ans d’une cohorte de 150 schizophrènes chroniques. Encephale 2000;26:32–41. [2] Brown S, Inskip H, Barraclough B. Causes of the excess mortality in schizophrenia. Br J Psychiatry 2000;177:212–7. [3] Casadebaig F, Philippe A, Guillaud-Bataille JM, et al. Schizophrenic patients: physical health and access to somatic care. Eur Psychiatry 1997;12:289–93. [4] Centorrino F, Price B, Tuttle M, et al. EEG abnormalities during treatment with typical and atypical antipsychotics. Am J Psychiatry 2002;159:109–15. [5] Charney DS. Psychobiological mechanisms of resilience and vulnerability: implications for successfull adaptation to extreme stress. Am J Psychiatry 2004;161:195–216. [6] Cohen H, Loewenthal U, Matar M, et al. Heart rate variability and risks for sudden death in patients with schizophrenia on long-term psychotropic medication. Br J Psychiatry 2001;179:167–71. [7] Cohen L. Antipsychotiques, allongement du QT, mort subite cardiaque et stratégie préventive. Marseille: thèse: médecine; 2006. AIX2/0025bis. [8] Craig TJ, Lin SP. Mortality among psychiatric inpatients. Arch Gen Psychiatry 1981;38:935–8. [9] Damecourt C, Castaigne A. Morts subites de l’adulte. Rev du Prat 1982;32:1843–8. [10] Druss BG, Bradford DW, Rosenheck RA, et al. Mental disorders and use of cardiovascular procedures after myocardial infarction. JAMA 2000;283:506–11. [11] Dworkin RH. Pain insensitivity in schizophrenia: a neglected phenomenon and some implications. Schizophr Bull 1994;20:235–48. [12] Fontaine KR, Moonseong H, Harrigan EP, et al. Estimating the consequences of antipsychotic induced weight gain on health and mortality rate. Psychiatry Res 2001;101:277–88. [13] Gausset MF, Casadebaig F, Guillaud-Bataille JM, et al. Mortalité des malades mentaux. Encephale 1992;18:93–100. [14] Glassman AH, Bigger JT. Antipsychotic drugs: prolonged QTc interval, torsades de pointe and sudden death. Am J Psychiatry 2001;158:1774–82. [15] Goff DC, Sullivan LM, McEvoy JP, et al. A comparison of ten-year cardiac risk estimates in schizophrenia patients from the CATIE study and matched controls. Schizophr Res 2005;80:45–53. [16] Green J. Journal. Paris: Plon; 1961. [17] Haddad PM, Anderson IM. Antipsychotic-related QTc prolongation. Torsade de pointes and sudden death. Drugs 2002;62:1649–71. [18] Hennessy S, Bilker WB, Knauss JS, et al. Cardiac arrest and ventricular arrhythmia taking antipsychotic drugs: cohort study using administrative data. Br Med J 2002;325:1070–2.
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