Myélinolyse centro- et extrapontine chez un patient alcoolique sans troubles hydro-électrolytiques

Myélinolyse centro- et extrapontine chez un patient alcoolique sans troubles hydro-électrolytiques

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Neurologie Gériatrie

Psychiatrie

Cas clinique

Myélinolyse centro- et extrapontine chez un patient alcoolique sans troubles hydro-électrolytiques M.A. Rafai, F.Z. Boulaajaj, H. Fadel, K. Hakim, B. El Moutawakkil, I. Slassi Service de Neurologie - Explorations Fonctionnelles, Pavillon 30, CHU Ibn Rochd, Quartier des Hôpitaux, Casablanca, Maroc. Correspondance : M.A. Rafai, 4, rue Varsovie, boulevard-2-mars, Casablanca, Maroc. E-mail : [email protected]

Résumé

Summary

La myélinolyse centro- et extrapontine est une affection démyélinisante du système nerveux central, associée principalement à une correction rapide d’hyponatrémie. La myélinolyse sans troubles hydroélectrolytiques a été rarement décrite. Nous en rapportons un cas. Il s’agit d’un homme de 60 ans, alcoolique chronique, qui présentait 18 mois avant son hospitalisation une lenteur de la parole d’installation progressive, aggravée, six mois plus tard, par la survenue d’une anarthrie avec troubles de la déglutition et de l’équilibre. L’examen neurologique retrouva un patient anarthrique, avec une tétraparésie spastique et un syndrome pseudo-bulbaire. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale montra des lésions démyélinisantes du tronc cérébral et de la substance blanche périventriculaire, compatible avec une myélinolyse. Le bilan hydroélectrolytique, notamment la natrémie, était normal. Des bolus de corticoïdes ont été entrepris. L’évolution a été marquée par l’aggravation progressive avec décès quelques mois après.

Central pontine and extrapontine myelinolysis in an alcoholic patient without electrolyte disturbances Central pontine myelinolysis (CPM) and extrapontine myelinolysis (EPM) are demyelinating disorders of central nervous system, more commonly associated with rapid correction of hyponatremia. In literature review there are a few cases of CPM/EPM in patients without electrolyte disturbances. We report a case of a 60 year-old man with severe alcoholism, who presented progressive dysarthria complicated, 12 months before his hospitalisation, with anarthria, swallowing disturbance and gait disorders. Examination on admission revealed spastic tetraparesis and pseudo-bulbar palsy. Brain MRI showed demyelinating lesions in the pons and in periventricular white matter compatible with CPM/EPM. Biological assessment was normal. Corticosteroid pulse was performed without efficacy.

Mots-clés

Key words

Myélinolyse centropontine, myélinolyse extrapontine, alcoolisme.

Central pontine myelinolysis, extrapontine myelinolysis, alcoholism.

Rafai M.A., Boulaajaj F.Z., Fadel H., Hakim K., El Moutawakkil B., Slassi I. NPG 2007; 7 (37): 30-33.

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Myélinolyse sans troubles hydro-électrolytiques chez un patient alcoolique

M.A. Rafai et al.

Introduction

hospitalisé pour bilan d’une lenteur de la parole d’installation progressive depuis 18 mois sans signes déficitaires associés.

La myélinolyse centro- et extrapontine représente une entité

Douze mois après, son état clinique s’aggravait brutalement

pathologique définie par des arguments cliniques et radiologi-

par la survenue d’une anarthrie avec troubles majeurs de la

ques survenant dans un contexte étiologique susceptible

déglutition et de l’équilibre. L’examen neurologique à son

d’orienter le diagnostic (1), en particulier une correction rapide

admission trouvait un patient conscient, bien orienté dans le

d’hyponatrémie (2, 3, 4, 5, 6) ou un alcoolisme chronique (4, 7).

temps et l’espace, anarthrique avec une tétraparésie spastique

Sa physiopathologie demeure mal élucidée (5, 8). Son traite-

et un syndrome pseudo-bulbaire associant une paralysie labio-

ment est mal codifié et repose essentiellement sur des mesures

glosso-pharyngée, des troubles de la déglutition et une disso-

générales de réanimation, avec des essais thérapeutiques non

ciation automatico-volontaire de la motricité oro-pharyngo-lin-

spécifiques (corticothérapie, TRH…) et des résultats incertains

guo-faciale.

(1, 8, 9). Son pronostic est très réservé, en rapport avec l’atteinte

Une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale objec-

du tronc cérébral.

tivait des lésions du tronc cérébral et de la substance blanche

Nous rapportons une observation de myélinolyse centro- et

périventriculaire en hyposignal T1 (figure 1), et en hypersignal T2

extrapontine survenue dans un contexte de consommation

(figure 2), ne prenant pas le contraste. L’aspect IRM évoquait en

chronique et abusive d’alcool, sans troubles hydroélectrolyti-

premier lieu un processus de démyélinisation.

ques.

Le bilan hydroélectrolytique retrouvait une natrémie à 142 mmol/l sans autre anomalie, notamment pas de troubles

Observation

de la kaliémie, ni de la calcémie, ni de la phosphorémie. L’hémogramme notait une hyperleucocytose à 12 400 éléments/mm3.

Nous rapportons le cas d’un homme de 60 ans, droitier, tabagi-

La fonction rénale, l’albuminémie, les transaminases, le taux de

que à 30 paquets/année et alcoolique chronique (1 litre d’alcool

prothrombine étaient normaux, de même que le facteur rhu-

par jour pendant 25 ans), sans autres antécédents pathologi-

matoïde, les anticorps antinucléaires, et les sérologies VDRL/

ques particuliers (notamment pas d’épisode de vomissements,

TPHA et VIH. L’étude du liquide céphalorachidien était normale.

ni signes de déshydratation, ni d’intoxication aiguë d’alcool),

Le bilan neurophysiologique trouvait, à l’électroneuromyo-

a

a

Figure 1 : IRM encéphalique en séquence pondérée T1, coupe sagittale. Lésions disséminées, en hyposignal, au niveau de la substance blanche et des noyaux gris des hémisphères cérébraux, du cervelet (a) et du tronc cérébral (b).

b

b

c

Figure 2 : IRM encéphalique en séquence pondérée T2, coupes axiales. Lésions multiples, en hypersignal, du centre ovale (a), des noyaux gris centraux (b) et du tronc cérébral (c).

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Cas clinique

gramme, une polyneuropathie sensitivo-motrice axonale, de

appuyée par une étude préliminaire (17) analysant les aspects

sévérité modérée, sans signes d’évolutivité (vitesses de conduc-

biochimiques du matériel nécropsique de 5 cas de myélinolyse

tions nerveuses normales, avec diminution des amplitudes

centropontine comparés à un groupe contrôle ; ainsi, l’étude

motrices et sensitives, tracés neurogènes à la détection sans

immunohistochimique retrouvait un déséquilibre entre fac-

activités spontanées), prédominante aux membres inférieurs,

teurs pro-apoptotique et anti-apoptotique au niveau des cellu-

et à l’électroencéphalogramme un rythme de fond discrète-

les gliales. Mais la survenue de MCP/MEP en dehors de tout

ment irrégulier, peu réactif, sans anomalies épileptiques, ni

trouble hydroélectrolytique remet en question cette hypothèse,

signes de focalisation. Le diagnostic d’une myélinolyse centro-

suggérant alors d’autres mécanismes physiopathologiques

et extrapontine (MCP/MEP) était retenu sur les données clini-

inhérents à l’alcool, notamment le stade terminal d’une cir-

ques et radiologiques, confrontées au contexte de survenue

rhose hépatique, un abus d’alcool ou une dénutrition (7). Dans

(alcoolisme chronique).

notre observation, il s’agissait probablement de l’abus d’alcool

La prise en charge thérapeutique consistait en un traitement

comme facteur de risque, vu l’absence de troubles hydroélec-

symptomatique par vitaminothérapie et antiacides, avec une

trolytiques ou de signes de dénutrition sévère.

alimentation par sonde gastrique puis par jéjunostomie, et des

Le traitement est mal codifié et repose essentiellement sur des

bolus de corticoïdes (1 g par jour pendant 3 jours). L’évolution

mesures symptomatiques, telle la correction douce et progres-

était marquée par l’aggravation progressive de l’état neurologi-

sive des troubles hydroélectrolytiques, notamment des hypo-

que. Le patient décédait à son domicile 3 mois plus tard.

natrémies (1, 5, 7), la mise en place d’une sonde gastrique ou, mieux, une jéjunostomie d’alimentation et une vitaminothérapie. Des mesures de réanimation plus spécifiques sont indi-

Discussion

quées en cas de troubles respiratoires. Une réinduction douce

La myélinolyse centro- et extrapontine constitue une entité pathologique, définie par la présence de tableaux cliniques variés témoignant d’une démyélinisation du système nerveux central (1, 2, 4, 9, 10, 11, 12) et de signes radiologiques (IRM) typiques faits d’une démyélinisation au niveau du pont et, en extrapontique, au niveau encéphalique (4, 8, 9, 11). Trois types de myélinolyse sont possibles : MCP seule, MEP seule, et association MCP/MEP (10 % des cas) (2, 8). Classiquement, elles se manifestent par un syndrome pseudo-bulbaire, une tétraparésie spastique, des troubles psychiatriques, une ophtalmoplégie, un « locked-in syndrome », une altération de la conscience, et la survenue d’une dystonie et d’un syndrome parkinsonien en cas de MEP. Les étiologies sont multiples, la plus classique étant la correction rapide d’une hyponatrémie sévère (2, 4, 5, 9). D’autres circonstances ont été retrouvées, notamment l’alcoolisme chronique avec dénutrition (7, 9, 13, 14), l’hypokaliémie (4, 15), l’hypophosphorémie (5, 14), la toxicité au lithium (9, 16), la malnutrition, les affections hépatiques, la transplantation d’organes, le syndrome d’Isaac, et l’hypoxie. La physiopathologie de la myélinolyse n’est pas bien connue (4, 5, 11) : la correction rapide d’une hyponatrémie est fréquem-

de l’hyponatrémie a été également proposée (3, 9, 14). Différents protocoles de corticothérapie ont été utilisés avec des résultats très contradictoires, allant d’une récupération quasi totale à un état stationnaire (1). Chez notre patient, aucune amélioration n’a été notée sous corticothérapie. Les tentatives de traitement par l’oxygène hyperbare ont été décevantes, avec une amélioration très transitoire des troubles de la parole. Plus récemment, un traitement par TRH, à la dose de 2 mg/j en intraveineux, de durée variable, a été proposé avec des résultats encourageants (1). Le mode d’action de la TRH sur la myélinolyse n’est pas connu ; des travaux cliniques expérimentaux suggèrent son rôle dans l’amélioration de la vigilance, du débit cérébral régional, et la potentialisation de la L-Dopa. Les plasmaphérèses et les immunoglobulines intraveineuses à la dose de 0,4 g/kg/j (18) ont été essayées avec de bons résultats. Malgré les progrès de la réanimation et en l’absence d’un traitement spécifique, le pronostic reste réservé et l’évolution est souvent défavorable avec une mortalité élevée. Le taux de survie est estimé à 5-10 % (1, 7, 10, 14, 19). Aucun élément clinique ou paraclinique n’a été retenu comme prédictif d’une évolution favorable. A noter, enfin, que l’importance de la symptomatologie clinique et radiologique n’est pas corrélée au profil évolutif.

ment impliquée comme facteur causal, hypothèse qui est basée sur la notion d’un traumatisme osmotique responsable de lésions neurologiques (5). En effet, il a été suggéré, récemment,

Conclusion

la théorie selon laquelle une déplétion énergétique des cellules gliales pourrait être à l’origine d’un dysfonctionnement des

La myélinolyse centro- et extrapontine est une atteinte démyé-

pompes Na+/K+ ATPase. Ceci entraînerait alors la réduction de

linisante du système nerveux central, dont l’IRM, corrélée aux

leur capacité à s’adapter au stress osmotique causé par des

données cliniques et au contexte étiologique de survenue, a

modifications modérées des concentrations sériques en Na+,

facilité le diagnostic. L’absence d’un traitement spécifique et

aboutissant ainsi à leur apoptose (4, 5, 7). Cette théorie a été

l’évolution souvent défavorable soulignent l’intérêt de l’essai

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Myélinolyse sans troubles hydro-électrolytiques chez un patient alcoolique

de certaines thérapeutiques (corticothérapie, TRH, plasmaphérèse, immunoglobulines intraveineuses …), et, surtout, de la place de la prévention pour cette affection d’étiopathogénie multifactorielle : éviction des facteurs étiologiques en particulier toxiques, de l’alcoolisme abusif chronique, et de la correction trop rapide des troubles hydroélectrolytiques. ■

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