Neuropathie optique compressive secondaire à un macroadénome hypophysaire

Neuropathie optique compressive secondaire à un macroadénome hypophysaire

Journal français d’ophtalmologie (2013) 36, e101—e104 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE Neuropathie optique ...

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Journal français d’ophtalmologie (2013) 36, e101—e104

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE

Neuropathie optique compressive secondaire à un macroadénome hypophysaire夽 Compressive optic neuropathy secondary to a pituitary macroadenoma M. Cheour ∗, H. Mazlout , S. Agrebi , Y. Falfoul , I. Chakroun , H. Lajmi , A. Kraiem Service d’ophtalmologie, faculté de médecine de Tunis, université de Tunis El Manar, CHU Habib Thameur, 8, rue Ali Ben Ayed Montfleury, 1008 Tunis, Tunisie Rec ¸u le 4 mai 2012 ; accepté le 17 aoˆ ut 2012 Disponible sur Internet le 25 avril 2013

MOTS CLÉS Excavation papillaire ; Glaucome ; Neuropathie optique compressive ; Macroadénome hypophysaire ; Chiasma optique

KEYWORDS Optic disc cup; Glaucoma;

Résumé Introduction. — Les adénomes hypophysaires sont des tumeurs bénignes. Ils représentent environ 8 à 10 % des processus expansifs intracrâniens. La neuropathie optique compressive secondaire à un adénome hypophysaire est fréquente et pose un problème diagnostique avec le glaucome chronique. Observation. — Nous rapportons le cas d un patient âgé de 56 ans, sans antécédent pathologique particulier, qui a consulté pour une baisse rapidement progressive et bilatérale de l’acuité visuelle évoluant depuis six mois. Le fond d’œil a montré une excavation bilatérale asymétrique d allure glaucomateuse. Une imagerie par résonance magnétique cérébrale a objectivé un macroadénome hypophysaire comprimant le chiasma optique. Conclusion. — La neuropathie optique compressive par adénome hypophysaire pose un problème diagnostique car simule parfois un glaucome chronique. Cependant, certains signes cliniques doivent orienter vers une origine compressive de la neuropathie optique et imposer rapidement une exploration neuroradiologique qui permettra un diagnostic et une prise en charge précoce. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

Summary Introduction. — Pituitary adenoma is a common benign tumor representing 8 to 10% of intracranial mass lesions. The compressive optic neuropathy associated with a pituitary adenoma can be clinically indistinguishable from glaucomatous optic neuropathy.



Le texte de cet article est également publié en intégralité sur le site de formation médicale continue du Journal franc¸ais d’ophtalmologie http://www.e-jfo.fr, sous la rubrique « Clinique » (consultation gratuite pour les abonnés). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Cheour). 0181-5512/$ — see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2012.08.014

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Compressive optic neuropathy; Pituitary macroadenoma; Optic chiasm

M. Cheour et al. Case report. — A 56-year-old man with no significant past medical history had noticed a rapid decrease in visual acuity for 6 months. Funduscopic examination revealed glaucoma-like bilateral, asymmetric optic cupping. Brain MRI examination revealed a pituitary tumor compressing the optic chiasm. Conclusion. — The diagnosis of a compressive optic neuropathy associated with a pituitary adenoma can be difficult, since it often simulates chronic glaucoma. However, several features should alert the clinician to the possibility of a compressive optic neuropathy and prompt neuroimaging, in order to obtain earlier diagnosis and treatment. © 2013 Published by Elsevier Masson SAS.

Introduction Les adénomes hypophysaires sont des tumeurs bénignes développées aux dépens des cellules antéhypophysaires dont la gravité réside dans leurs extensions et leurs complications endocriniennes. Ils représentent environ 8 à 10 % des processus expansifs intracrâniens. La neuropathie optique compressive secondaire à un adénome hypophysaire est fréquente et pose un problème de diagnostic avec le glaucome chronique. Nous rapportons l observation d’un patient présentant une grande excavation papillaire d’allure glaucomateuse et dont l’exploration neuroradiologique a objectivé un processus expansif intrasellaire.

Observation Un patient âgé de 56 ans, sans antécédents pathologiques notables, a consulté pour une baisse rapidement progressive et bilatérale de l’acuité visuelle évoluant depuis six mois. L’acuité visuelle était limitée à la perception lumineuse aux deux yeux. L’examen biomicroscopique du segment antérieur était normal en dehors d un réflexe photomoteur paresseux des deux côtés. Le tonus oculaire était à 14 mmHg aux deux yeux avec une courbe tonométrique montrant des valeurs oscillant entre 12 et 16 mmHg. La gonioscopie a objectivé un angle iridocornéen ouvert sur 360◦ . L examen du fond d’œil a montré une excavation large, bilatérale et asymétrique avec un anneau neurorétinien pâle et mince sans hémorragie ni atrophie péripapillaire (Fig. 1a, b). Le champ visuel n a pas été fait en raison de la malvoyance du patient. L’échographie Doppler des troncs supra-aortiques a montré une infiltration athéromateuse non significative. L’angiographie rétinienne à la fluorescéine a objectivé une hypofluorescence papillaire bilatérale avec une diffusion minime tardive au niveau de la région maculaire droite (Fig. 2a, b). Devant la baisse très rapide de l’acuité visuelle, l’absence d’hypertonie oculaire et la pâleur de l’anneau neurorétinien, on a complété les explorations par une tomodensitométrie et une imagerie par résonance magnétique cérébrale qui ont révélé un macroadénome hypophysaire comprimant le chiasma optique (Fig. 3). Un bilan hormonal, comportant les dosages sanguins de la prolactine, de l hormone de croissance humaine (GH), de l ACTH et du cortisol, est revenu normal. Devant la normalité du bilan hormonal, nous avons conclu à un macroadénome hypophysaire non secrétant. Le patient a été transféré en neurochirurgie où il a été opéré. Les suites opératoires ont

Figure 1. Photos du fond d œil droit (a) et gauche (b) montrant une excavation papillaire pathologique avec un anneau neurorétinien pâle.

été marquées par le décès du patient trois semaines après l intervention.

Discussion Les adénomes hypophysaires sont fréquents et leur retentissement sur la fonction visuelle est souvent important vu les rapports intimes de l antéhypophyse avec les voies optiques.

Neuropathie optique compressive secondaire à un macroadénome hypophysaire

Figure 2. Angiographie rétinienne à la fluorescéine de l œil droit (a) et gauche (b) objectivant une hypofluorescence papillaire et une diffusion maculaire droite.

Figure 3. Coupe transversale de l imagerie par résonance magnétique cérébrale objectivant le macroadénome hypophysaire qui comprime le chiasma optique.

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Cliniquement, ils peuvent se manifester par un syndrome tumoral, un syndrome endocrinien et un syndrome intrasellaire aigu. Le syndrome tumoral comporte surtout des signes ophtalmologiques qui sont en rapport avec une neuropathie optique compressive, mais les céphalées et les signes d hypertension intracrânienne sont rares. Le syndrome endocrinien peut se manifester par un syndrome d aménorrhée—galactorrhée (adénome à prolactine), une acromégalie (adénome à GH), une maladie de Cushing (adénome à ACTH) ou une insuffisance antéhypophysaire partielle ou globale. Le syndrome d hypertension intrasellaire aiguë s exprime par une céphalée, une amputation du champ visuel, une ophtalmoplégie et un syndrome méningé et il est la conséquence d une hémorragie intratumorale avec nécrose ischémique. Devant un tableau clinique complet avec tous les signes suscités, le diagnostic ne pose pas de problème et les explorations neuroradiologiques sont systématiquement indiquées. Cependant, il est difficile de différencier une neuropathie compressive d un glaucome chronique lorsque le tableau clinique est limité aux manifestations ophtalmologiques. En effet, l excavation papillaire et les altérations périmétriques de la neuropathie optique compressive peuvent mimer celles d un glaucome [1,2]. L excavation papillaire est un signe cardinal commun aux deux neuropathies [3]. Trobe et al. [4] ont montré qu il était difficile de faire la différence entre des excavations d origine glaucomateuse et non glaucomateuse. En effet, les résultats de l analyse des photos de la papille, faite séparément par des spécialistes en glaucome et en neuro-ophtalmologie, ont montré que 44 % des neuropathies optiques compressives étaient prises pour des neuropathies glaucomateuses. Par ailleurs, une compression des voies optiques antérieures est responsable de déficits périmétriques qui s’organisent habituellement autour de la ligne verticale médiane épargnant plus ou moins le point de fixation [1]. En cas de compression chiasmatique, il s agit d une quadranopsie temporale supérieure puis d’une hémianopsie bitemporale suivie d une atteinte du quadrant inférointerne. Cependant, ces altérations périmétriques peuvent, parfois, mimer celles observées au cours du glaucome. Drummond et al. [5] ont rapporté les observations de trois patients qui étaient considérés comme atteints de glaucome à pression normale (GPN) avec des altérations périmétriques typiques et dont l exploration neuroradiologique a révélé une tumeur intrasellaire comprimant le chiasma optique. Ahmed [6] a trouvé, parmi 62 patients ayant un GPN et des altérations périmétriques typiques de glaucome, quatre patients (6,5 %) qui présentaient une compression des voies optiques antérieures. Devant ces difficultés diagnostiques, certains éléments en faveur d’une origine compressive de la neuropathie optique sont à rechercher par l’examen clinique et doivent inciter à demander des explorations neuroradiologiques avant de retenir le diagnostic de glaucome chronique. Parmi ces éléments d orientation diagnostique, on note le jeune âge qui est un signe en faveur de l’origine non glaucomateuse de la neuropathie optique [1]. Pour Greenfield et al. [7] un âge inférieur à 50 ans, une acuité visuelle inférieure à 20/40 seraient spécifiques d’une excavation non glaucomateuse respectivement dans 93 et 77 % des cas. De même,

e104 la baisse rapide de l’acuité visuelle témoigne d’une origine compressive de la neuropathie optique et elle en est souvent révélatrice [1,4,7], comme le cas de notre patient qui a rapporté une baisse visuelle rapide réduite à la perception lumineuse au bout de six mois. En revanche, le glaucome est caractérisé par une acuité visuelle qui est longtemps conservée même à un stade ultime où le patient présente un îlot central au niveau du champ visuel. Par ailleurs, la pâleur de l’anneau neurorétinien est également un argument en faveur d’une neuropathie optique compressive. Cette pâleur est, dans 94 % des cas, spécifique d’une excavation non glaucomateuse [1,2]. Citons l exemple de notre patient dont l’excavation bilatérale à grand axe vertical évoque fortement un glaucome, mais la pâleur nette de l’anneau neurorétinien a fait suspecter l’origine compressive. Greenfield [7] a analysé les papilles des patients suivis pour un GPN et celles des patients atteints de neuropathie optique compressive et a conclu que la pâleur de l anneau neurorétinien est spécifique de la neuropathie optique non glaucomateuse dans 70 % des cas. Enfin, d’autres pathologies peuvent se manifester par une grande excavation papillaire, un tonus oculaire normal, une baisse rapide de l’acuité visuelle et peuvent poser un problème de diagnostic différentiel avec la neuropathie optique compressive. Il s’agit essentiellement des neuropathies optiques démyélinisantes, artéritiques, infectieuses, héréditaire de Leber et traumatiques [1]. Dans ces cas, le contexte clinique et éventuellement le recours à certains examens paracliniques orienteraient le diagnostic. La confirmation de l origine compressive et particulièrement la neuropathie optique secondaire à un macroadénome hypophysaire se base sur l exploration neuroradiologique. L imagerie par résonance magnétique cérébrale (IRM) est l examen de choix ; l adénome apparaît en hypo- ou hypersignal avec prise inconstante de gadolinium. À la tomodensitométrie cérébrale, l adénome apparaît isodense ou hyperdense mais il est rehaussé par l injection iodée [8]. L arsenal thérapeutique de la neuropathie optique compressive et particulièrement de l adénome hypophysaire est basé, essentiellement, sur la chirurgie qui est le traitement de choix surtout en cas de macroadénome volumineux et compressif. Cependant, le traitement chirurgical est lourd et est responsable d une morbidité et d une mortalité élevée. La radiothérapie et le traitement médical occupent aussi une place importante dans le traitement de l adénome hypophysaire. Les pronostics fonctionnels et vitaux sont mis en jeu ; en effet, la fonction visuelle est souvent profondément atteinte en cas de neuropathie optique compressive. Une décompression chirurgicale précoce et bien conduite permet souvent de préserver une acuité visuelle acceptable. Cependant, la récupération est difficile voire impossible en

M. Cheour et al. cas de prise en charge tardive surtout au stade d atrophie optique. Par ailleurs, la mortalité n est pas rare et elle est, le plus souvent, le résultat d une chirurgie lourde et des complications postopératoires graves.

Conclusion L adénome hypophysaire est une pathologie fréquente et grave. Son retentissement sur la fonction visuelle est souvent sévère et d évolution rapide. La neuropathie optique compressive par adénome hypophysaire pose un problème diagnostique car simule parfois un glaucome chronique. Cependant, certains signes cliniques dont le jeune âge, la baisse rapide de l acuité visuelle, l absence d hypertonie oculaire et la pâleur de l anneau neurorétinien doivent orienter vers une origine compressive de la neuropathie optique et imposer rapidement une exploration neuroradiologique, seul garant d un diagnostic précoce et d une prise en charge adéquate afin d améliorer le pronostic fonctionnel.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.

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