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Brève communication Neuropathie périphérique au cours du lupus érythémateux disséminé avec vascularite épineurale et anticorps antiphospholipides M.A. Rafai1, H. Fadel1, F.Z. Boulaajaj1, I. Gam1, B. El Moutawakkil1, M. Karkouri2, K. Hakim1, I. Slassi1 1
Service de Neurologie — Explorations Fonctionnelles, Service d’Anatomopathologie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc. Reçu le : 19/12/2005 ; Reçu en révision le : 30/03/2006 ; Accepté le : 17/05/2006.
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RÉSUMÉ Introduction. Les manifestations neurologiques du lupus sont fréquentes et polymorphes. Elles sont dominées par les atteintes centrales. Les atteintes périphériques sont plus rares, représentées essentiellement par les polyneuropathies et les mononeuropathies multiples. Cas clinique. Nous rapportons l’observation d’une femme de 48 ans présentant une polyneuropathie sensitivo-motrice, avec atteinte motrice sévère, axonale histologiquement documentée ; compliquant un lupus associé à des anticorps antiphospholipides. Une amélioration spectaculaire fut obtenue sous bolus de cycloposphamide. Discussion. La fréquence et les types d’atteintes nerveuses périphériques au cours du lupus, leurs mécanismes physiopathologiques, les possibilités thérapeutiques ainsi que les modalités évolutives sont discutées.
Mots-clés : Neuropathie périphérique • Lupus érythémateux disséminé • Vascularite épineurale • Anticorps antiphospholipides
SUMMARY Peripheral neuropathy in systemic lupus erythematosus with epineural vasculitis and antiphospholipid antibodies. M.A. Rafai, H. Fadel, F.Z. Boulaajaj, I. Gam, B. El Moutawakkil, M. Karkouri, K. Hakim, I. Slassi, Rev Neurol (Paris) 2007; 163: 1, 103-106 Neurological manifestations of systemic lupus erythematosus are frequent and polymorphic. Their frequency varies according to authors (24-75p.cent). Central nervous system complications predominate; peripheral features are rare, classically symmetrical polyneuropathy, multiple mononeuropathies or cranial nerve involvement. We report a case of a 48-year-old woman presenting a histologically documented sensitivo-motor polyneuropathy with severe motor involvement complicating lupus associated with antiphospholipides antibodies. Outcome was good after cyclophosphamid pulse. We discuss the frequency of peripheral involvement in systemic lupus erythematosus, pathogenic mechanisms, therapeutic possibilities and outcome of this complication.
Keywords: Peripheral neuropathy • Systemic lupus erythematosus-epineural vasculitis • Antiphospholipid antibodies
INTRODUCTION Les atteintes des nerfs périphériques au cours du lupus érythémateux disséminé (LED) sont rares. Leurs incidence varie de 2 à 30 p. 100 en fonction des critères utilisés, cliniques ou électrophysioloques (Omdal et al., 1991 ; Karmochkine et al., 1993 ; Huynh et al., 1999 ; Rosenbaum, 2001). Il s’agit généralement de polyneuropathies symétriques axonales, sensitives pures ou sensitivo-motrices ; de mononeuropathies multiples, ou d’atteintes des nerfs crâniens ; exceptionnellement de polyneuropathies démyélinisantes ou de polyradiculonévrites. (Karmochkine et al., 1993 ;
Ainiala et al., 2001 ; Brey et al., 2002 ; Ait Benhaddou et al., 2003). Nous rapportons une observation de polyneuropathie sensitivo-motrice axonale, avec vascularite épineurale, ayant bien évolué sous traitement immunossupresseur.
OBSERVATION Cas n° 137/98. — Une femme de 48 ans, ayant pour antécédents, deux avortements spontanés précoces, des polyarthralgies inflammatoires, une chute de cheveux et une photosensibilité évoluant depuis 1991, présenta en 1998, l’installation aiguë de paresthésies, d’une insensibilité des pieds responsable de brûlures ; et
Correspondance : M.A. RAFAI, Service de Neurologie, Pavillon 30, CHU Ibn Rochd, Quartier des Hôpitaux, Casablanca, Maroc. E-mail :
[email protected]
M.A. RAFAI et coll.
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une impotence fonctionnelle des membres inférieurs, à l’origine de troubles de la marche. L’examen clinique initial objectiva, chez une patiente apyrétique en assez bon état général, un érythème facial, un steppage bilatéral avec parésie distale bilatérale et symétrique l’obligeant à marcher avec double aide, une hypotonie, une abolition des réflexes ostéo-tendineux (ROT) aux membres inférieurs, et une anesthésie en chaussette à tous les modes. Le bilan biologique mit en évidence un syndrome inflammatoire (Vitesse de sédimentation accélérée à 50 mm à la 1e heure, une hypergammaglobulinémie à 22 g/l à l’électrophorèse des protéines sériques), une lymphopénie à 800 éléments/mm3, des anticorps antinucléaires fortement positifs à 1/400 et à 1/1 600 des anticorps anti DNA positifs à 1/320 ainsi que les anticorps antiphospholipides (APL) qui étaient à 50 UI/ml (N < 22 UI/ml). La fraction C3 du complément était effondrée et le bilan rénal objectiva une protéinurie de 24 heures à 0,11 g. Les radiographies des poignets et des genoux objectivèrent un aspect de polyarthrite non érosive. Le reste du bilan comportant, un bilan hydroélectrolytique, un bilan d’hémostase, un bilan hépatique, le dosage des enzymes musculaires fut normal. La recherche du facteur rhumatoïde (FR), d’une cryoglobulinémie, des ANCA ainsi que les sérologies HVB, HVC, HIV, TPHA-VDRL, furent négatives. L’éléctroneuromyogramme (ENMG) mit en évidence une polyneuropathie sensitivo-motrice axonale, sévère, des membres inférieurs : effondrement des amplitudes motrices avec préservation des vitesses de conduction et absence de blocs de conduction ; signes de dégénérescence axonale en détection (Tableau I). La biopsie nerveuse (branche superficielle du nerf musculocutané inférieur sensitif de la jambe gauche) montra un infiltrat inflammatoire à prédominance lymphocytaire, disposé autour d’un vaisseau de petit calibre et infiltrant sa paroi, avec nécrose fibrinoïde, sans dépôt amyloïde notable, concluant à une neuropathie axonale avec vascularite épineurale (Fig. 1). Le diagnostic de LED avec manifestation neurologique fut posé selon les critères de l’ARA (1982) révisée en 1997 : lymphopénie, positivité des AAN, et des anti DNA, polyarthrite non érosive, photosensibilité associée à la positivité des anticorps antiphospholipides.
Tableau I. – Données électroneuromyographiques des conductions nerveuses motrices et sensitives et de détection. Tableau I. – Electroneuromyography studies: motor and sensory nerve conduction with needle electromyography. Résultats
Particularités
limites normales
Conduction nerveuse motrice Nerf Médian (D/G) LDM (ms)
3,7/3,6
≤ 3,5
Amplitude du PEM (mV)
5,5/5,7
≥5
50,3/54,8
≥ 50
VCM (m/s) Nerf Cubital (D/G) LDM (ms)
2,7/2,8
≤3
Amplitude du PEM (ms)
5,39/5
≥5
VCM (m/s)
58,2/57
≥ 50
Nerf SPE (D/G)
aucun potentiel enregistrable sur les pédieux
Nerf SPI (D/G) LDM (ms)
5,1/6,9
≤7
Amplitude du PEM (mV)
0,8/0,26
≥3
VCM (m/s)
35,8/34
≥ 45
Amplitude (µV)
18,6/21
≥ 15
VCS (m/s)
50/52,3
≥ 50
Conduction nerveuse sensitive Nerf médian (D/G)
Nerf radial (D/G) Amplitude (µV)
13,2/16,8
≥ 10
VCS (m/s)
48,9/53,7
≥ 40
Nerfs suraux et musculocutanés (D/G) Détection à l’aiguille
Fig. 1. – Biopsie de la branche superficielle du nerf musculocutané sensitive inférieur (coloration hématéine-éosine, HE X 40) : aspect de vascularite à prédominance lymphocytaire d’un petit vaisseau épineurale avec nécrose fibrinoïde. Peroneal nerve biopsy (hematein-eosin, magnification x 40): predominantly lymphocytic vasculitis of an epineural vessel with fibrinoid necrosis.
aucun potentiel enregistrable
AS
AV
Muscles jambiers antérieurs
F++
0
Pédieux
F++
0
Jumeaux externes
F+
tracés simples
0
tracés interférentiels
premiers interosseux dorsaux (mains)
LDM = latence distale motrice ; PEM = potentiel évoqué moteur ; VCM = vitesse de conduction motrice ; VCS = vitesse de conduction sensitive ; D/G = droit/gauche ; F = fibrillations ; AS = activité spontanée ; AV = activité volontaire ; 0 = aucune activité.
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Une corticothérapie fut instaurée à la dose de 1 mg/kg/j (pendant 2 mois) sans amélioration mais au prix d’effets secondaires (diabète cortico-induit, prise de poids). Un traitement à base de cyclophosphamide (Endoxan*) fut alors entrepris à la dose de 600 mg/m2 en bolus sur 3 heures, 1 jour par mois, avec dégression progressive de la corticothérapie (dose d’entretien 7,5 mg par jour). À partir du deuxième bolus, on nota une diminution des paresthésies et des troubles de la sensibilité avec régression du déficit moteur. Après 12 bolus, la marche est devenue possible sans appui avec disparition des troubles de la sensibilité. L’examen neurologique nota la réapparition des ROT aux membres inférieurs. Cette amélioration persista après un recul de 5 ans.
COMMENTAIRES Cette patiente a présenté 7 ans après le début de la symptomatologie lupique une atteinte neurologique périphérique, sous la forme d’une polyneuropathie sensitivo-motrice des membres inférieurs, révélée par un steppage bilatéral et confirmée par l’électroneuromyogramme. Les manifestations neurologiques du lupus sont très polymorphes et diversement appréciés, leur fréquence varie de 24 p. 100 à 75 p. 100 selon les séries (Lafeuillade et al., 1988 ; Robin et al., 1995 ; ACR ad HOC, 1997 ; Feki et al., 1997 ; Meyer, 1997). Les atteintes centrales sont les plus fréquentes. L’atteinte périphérique (neuromusculaire) est rare et sa fréquence est variable en fonction des critères diagnostiques utilisés ; elle passe de 2-18 p. 100 pour les critères cliniques, à 25-30 p. 100 pour les critères électrophysiologiques (Omdal et al., 1988 ; Migliaresi et al., 1989 ; Omdal et al., 1991 ; Karmochkine et al., 1993 ; Omdal et al.,1993 ; Yoshikawa et al., 1996 ; Meyer, 1997 ; Schmutzler et al., 1997 ; Huynh et al., 1999 ; Rosenbaum, 2001 ; Ainiala et al., 2001 ; Brey et al., 2002). Dans une série de 30 cas, rapportée par Campello et al., 2001, il existait 37,5 p. 100 de polyneuropathies symétriques et axonales, 6,2 p. 100 de mononeuropathies isolées et 6,2 p. 100 de mononeuropathies multiples. Une atteinte dysautonomique est possible (Straub et al., 1996). Dans la majorité des cas, la polyneuropathie survient au cours de l’évolution d’un lupus, en règle générale plusieurs années après le diagnostic. Parfois elle peut survenir au cours d’une poussée lupique clinique ou biologique associée ou non à une atteinte centrale. Rarement, elle peut être isolée et révélatrice (Siame, 1988 ; Karmochkine et al., 1993 ; Sridhar et al., 2004). Huynh et al., 1999 dans une étude de 54 cas de lupus ont retrouvé une corrélation significative entre l’activité de la maladie en particulier avec la présence des anticorps anti-sm et la fréquence de la neuropathie. Le tableau clinique souvent observé est celui d’une polyneuropathie d’installation progressive sensitive pure ou sensitivo-motrice (Karmochkine et al., 1993 ; Ait Benhaddou et al., 2003 ; Sridhar et al., 2004). Chez notre patiente l’atteinte motrice était assez sévère. Sur le plan histologique on peut noter un aspect de dégénérescence axonale chronique avec perte en fibres myélinisées associée à une vascularite épineurale non nécrosante
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(McCombe et al., 1987 ; Karmouchkine et al., 1993), ou nécrosante, comme dans notre cas (Siame, 1988). Peu de cas de polyneuropathie (PN) lupique histologiquement documentée ont été rapportés (Karmochkine et al., 1993). Différents mécanismes ont été proposés pour expliquer l’atteinte périphérique au cours du lupus. Le plus important est un mécanisme vasculaire ischémique soit par vascularite du vasa nervorum, soit par des microthrombi en rapport avec les anticorps antiphospholipides (aPL) (Yoshikawa et al., 1996 ; Galstein et al., 1999). Les autres mécanismes propres sont, un dépôt de complexes immuns, une agression directe par des anticorps entraînant une destruction des composantes du nerf périphérique ; ou enfin un désordre métabolique (McCombe et al., 1987 ; Karmochkine et al., 1993 ; Omdal et al., 2001 ; Harel et al., 2002 ; Sridhar et al., 2004). Chez notre patiente, la brutalité d’installation ainsi que l’existence d’une vascularite épineurale à la biopsie nerveuse et la positivité des aPL conforte la théorie vasculaire. La corticothérapie seule est peu efficace dans le lupus avec manifestations neurologiques (Karmochkine et al., 1993 ; Harel et al., 2002). L’association à des bolus de cyclophosphamide est parfois nécessaire permettant de meilleurs résultats (Enevoldson et Wiles, 1991 ; Karmochkine et al., 1993 ; Harel et al., 2002). Notre patiente a repris une marche autonome après 12 bolus de cyclophosphamide et reste asymptomatique après un recul de 5 ans. Un traitement rapidement efficace par échanges plasmatiques a été rapporté au cours des polyneuroapthies compliquant un lupus qu’elles soient associées ou non à des anticorps anticardiolipines (Passaleva et al., 1985 ; Karmochkine et al., 1993). L’évolution de ces neuropathies est imprévisible, allant d’une réponse immédiate au traitement (Karmochkine et al., 1993) à une mauvaise réponse thérapeutique (Harel et al., 2002). Les rechutes sont possibles. Notre observation est particulière par la rapidité d’installation, la sévérité de l’atteinte motrice, la vascularite épineurale associée aux anticorps antiphospholipides et surtout par la bonne réponse aux bolus de cyclophosphamide.
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