54es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR
Nouveau concept de la maladie d’Alzheimer : apport des biomarqueurs Bruno Duboisa,*, Leonardo Cruz De Souzaa, Olga Uspenskayaa, Foudil Lamarib, Marie Sarazina
Nous avons appris, et nous l’enseignons toujours, que le diagnostic clinique de la maladie d’Alzheimer ne pouvait être que « probable » et qu’il ne pouvait être certifié que sur la base d’une preuve histologique, le plus souvent post-mortem. Cette précaution, sanctuarisée dans les critères du NINCDS-ADRDA de 1984 [1], est justifiée par la difficulté du diagnostic lorsqu’il ne repose que sur des arguments cliniques. D’ailleurs, la performance des critères NINCDS-ADRDA est médiocre (avec une spécificité autour de 70 %) quand elle est confrontée à l’examen post-mortem [2]. Dans ce contexte, la découverte de biomarqueurs à la fin des années 90 peut être considérée comme une véritable révolution : les examens complémentaires de neuro-imagerie et de biologie n’étaient plus indiqués pour éliminer des étiologies alternatives mais pour apporter des arguments positifs en faveur de la maladie d’Alzheimer. En effet, pour la première fois dans une affection neuro-dégénérative, la mesure du volume d’une structure cible et bien délimitée, en l’occurrence l’hippocampe, fournit un argument déterminant pour le diagnostic de MA. Il en est de même des modifications du liquide céphalo-rachidien avec la diminution de la concentration du peptide A` 1-42 associée à une augmentation de celle des protéines tau totales ou phosphorylées ; de l’hypo-perfusion SPECT ou mieux de l’hypo-métabolisme TEP des régions pariéto-temporales ; et plus récemment du marquage in vivo des lésions cérébrales elles-mêmes par le radioligand amyloïde. Ces signatures biologiques de la maladie, encore en cours de validation, peuvent être considérées comme le reflet, accessible du vivant du patient, de la pathologie Alzheimer sous-jacente. Dans ces conditions, le concept de la maladie d’Alzheimer change radicalement : l’entité clinico-pathologique devient une entité clinico-biologique. Les principes qui prévalaient dans les critères NINCDSADRDA (incertitude d’un diagnostic clinique qui ne peut être que probable et envisagé qu’au stade tardif de démence) deviennent obsolètes. Si les biomarqueurs
a Institut de la mémoire et de maladie d’Alzheimer Pavillon Lhermitte Hôpital de la Salpêtrière b Département de biochimie Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (AP-HP) 47, bd de l’Hôpital 75651 Paris cedex 13
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sont des témoins de la pathologie Alzheimer, le diagnostic peut donc être établi in vivo grâce à eux. De plus, toute référence au seuil de démence devient inutile puisque le biomarqueur identifie la maladie quel que soit son stade de sévérité. Cette approche, radicalement nouvelle, est à l’origine de nouveaux critères qu’un groupe international d’experts a proposés en 2007 [3]. Le principe général de ces critères repose sur le concept d’entité clinico-biologique. Dans les formes typiques de la maladie, le phénotype clinique retenu est celui d’un syndrome amnésique hippocampique, considéré comme caractéristique de la maladie d’Alzheimer. Ce syndrome est défini, en situation de test, par une diminution importante de la performance en rappel libre (comme dans tout syndrome amnésique) mais qui ne bénéficie que de façon très marginale des indices sémantiques proposés pour faciliter la récupération. Cela témoigne d’un défaut de stockage des informations, lié à l’atteinte hippocampique qui est le propre de la maladie d’Alzheimer. Les nouveaux critères reconnaissent aussi des présentations cliniques atypiques de la MA [4] : elles sont au nombre de 3. Le phénotype clinique en est précis : aphasie logopénique, atrophie corticale postérieure, syndrome dysexécutif prédominant. Dans tous les cas, que la présentation soit typique ou non, le diagnostic évoqué sur le phénotype clinique doit être confirmé par la présence d’un ou plusieurs biomarqueurs. Mais dans cet algorithme, le syndrome clinique doit rester l’élément central du diagnostic. Le biomarqueur n’est que confirmatif en rattachant le syndrome clinique à la pathologie Alzheimer. Cette nouvelle conception de la maladie d’Alzheimer a eu plusieurs conséquences. En supprimant toute référence à la démence pour le diagnostic, elle rend possible l’identification de la maladie au stade prodromal, prédémentiel. Il s’agit à l’évidence d’une avancée puisqu’il n’y a pas de raison de lier le diagnostic d’une maladie à un seuil de sévérité. Attend-on que le patient parkinsonien soit grabataire pour évoquer le diagnostic de sa maladie ? Cette approche nouvelle a un effet collatéral non négligeable : celui de rendre caduque, à terme, le concept de MCI (mild cognitive impairment ou de troubles cognitifs légers), antichambre syndromique dans laquelle les patients atteints de maladie d’Alzheimer au stade prédémentiel étaient confondus avec les troubles cognitifs d’une autre nature (dépression, anxiété, lésions vasculaires cérébrales…). La reconnaissance de la maladie d’Alzheimer au stade prodromal a dynamisé la recherche thérapeutique en autorisant l’inclusion de patients à un stade débutant de la maladie, stade auquel on peut espérer que la charge amyloïde ne soit pas trop sévère. Ces critères ont également ouvert la voie à la reconnaissance d’états précliniques de REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2012 - 439 BIS //
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la maladie d’Alzheimer, s’inscrivant dans un continuum selon lequel les lésions cérébrales anticiperaient, pendant plusieurs années, l’apparition des symptômes. Ainsi, les biomarqueurs « physiopathologiques » qui témoignent de la pathologie Alzheimer (modifications biologiques dans le liquide céphalo-rachidien, rétention du ligand amyloïde dans le cerveau) peuvent être présents chez des sujets encore indemnes de tout symptôme. Il est probable que dans l’avenir, les essais thérapeutiques et les enquêtes épidémiologiques s’adresseront également à ces sujets « asymptomatiques à risque » de développer une maladie d’Alzheimer. Mais étant dans l’incapacité de prédire ceux des patients qui développeront la maladie, nous avons souhaité réserver le terme de maladie d’Alzheimer à la seule phase clinique et d’abroger le terme d’Alzheimer préclinique pour des raisons éthiques évidentes. En 2011, le National institute of aging et l’Association Alzheimer américaine ont eux aussi proposé de nouveaux critères [5] qui nous semblent un peu en retrait par rapport aux avancées de ceux de 2007 : ils définissent toujours la maladie d’Alzheimer comme une démence ; ils maintiennent en conséquence le concept de MCI ; ils introduisent différents niveaux de probabilité diagnostique fondés sur les différents types de biomarqueurs ; ils proposent le concept de maladie d’Alzheimer préclinique, ce qui nous semble éthiquement discutable. Les critères de 2007 ont donc fortement stimulé la réflexion conceptuelle sur la maladie d’Alzheimer. Ils permettent de recruter des patients dans des protocoles de recherche clinique ou d’essais thérapeutiques avec un très haut
Références [1] McKhann G, Drachman D, Folstein M, Katzman R, Price D, Stadlan EM. Clinical diagnosis of Alzheimer’s disease: report of the NINCDSADRDA Work Group under the auspices of Department of health and human services task force on Alzheimer’s disease. Neurology 1984;34:939-44. [2] Kazee AM, Eskin TA, Lapham LW, Gabriel KR, McDaniel KD, Hamill RW. Clinicopathologic correlates in Alzheimer disease: assessment of clinical and pathologic diagnostic criteria. Alzheimer Dis Assoc Disord 1993;7(3): 152-64.
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niveau de certitude diagnostique. À titre d’exemple, nous pouvons admettre que le diagnostic de maladie d’Alzheimer peut être pratiquement certifié in vivo chez un patient qui présenterait un syndrome amnésique hippocampique avec atrophie de l’hippocampe à l’IRM, diminution d’A`1-42 et augmentation de tau dans le LCR et un PET amyloïde positif. Il n’est pas question, bien sûr, de proposer cette approche chez tous les patients. Elle doit être réservée chez ceux qui sont inclus dans un protocole de recherche, un essai thérapeutique, un suivi de cohorte ou pour lesquels un problème diagnostique complexe se pose (sujet jeune, atrophie corticale postérieure…). Il s’agit de critères de recherche. Leur applicabilité en pratique courante est encore sujette à caution pour plusieurs raisons : leur validation est en cours ; la standardisation des mesures volumiques de l’hippocampe ou des dosages biologiques du LCR reste à faire ; l’analyse du marquage amyloïde est délicate surtout dans les formes débutantes ; les comorbidités (démence à corps de Lewy ; lésions vasculaires…) doivent être prises en compte… Quoi qu’il en soit, ces nouveaux critères de la maladie d’Alzheimer ont accompagné (ou induit) une nouvelle conception de la maladie et il n’est pas douteux qu’ils s’imposeront dans les années à venir dans la pratique courante, tout au moins dans les pays où les ressources technologiques seront disponibles et pour les patients chez qui une certitude diagnostique sera requise. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
[3] Dubois B, Feldman H, Jacova C, DeKosky ST, Barberger-Gateau P, Cummings J, et al. Research criteria for the diagnosis of Alzheimer’s disease: revising the NINCDS-ADRDA criteria. Lancet Neurol 2007;6(8):734-46. [4] Dubois B, Feldman HH, Jacova C, Cummings JL, Dekosky ST, Barberger-Gateau P, et al. Revising the definition of Alzheimer’s disease: a new lexicon. Lancet Neurol 2010;9(11):1118-27. Epub 2010 Oct 9. [5] Jack CR Jr, Albert MS, Knopman DS, McKhann GM, Sperling RA, Carrillo MC, et al. Introduction to the recommendations from the National Institute on Aging-Alzheimer’s Association workgroups on diagnostic guidelines for Alzheimer’s disease. Alzheimers Dement 2011;7(3):257-62. Epub 2011 Apr 21.