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Revue du Rhumatisme 75 (2008) 937–938
Colloque de recherche
Obésité et arthrose : quels liens ?夽 Obesity and osteoarthritis: What are the links? Francis Berenbaum ∗ , Jérémie Sellam UMR CNRS 7079, université Pierre-&-Marie-Curie Paris-VI, hôpital Saint-Antoine, AP–HP, Paris, France Accepté le 26 juillet 2008 Disponible sur Internet le 19 septembre 2008
Mots clés : Obésité ; Arthrose Keywords: Obesity; Osteoarthritis
Les principaux facteurs de risque d’arthrose incluent des facteurs mécaniques, génétiques et biochimiques. Parmi eux, l’obésité joue un rôle majeur, que ce soit sur les articulations portantes, mais aussi non portantes.
térales. L’obésité est un facteur de risque de prothèse de hanche [3].
1. Épidémiologie
L’obésité est non seulement un facteur de risque pour l’arthrose des articulations portantes mais également pour l’arthrose digitale [4]. Cette découverte illustre la possibilité d’un rôle systémique de l’obésité dans la pathogénie de cette maladie.
1.1. Obésité et gonarthrose De nombreuses études épidémiologiques transversales et longitudinales ont mis en évidence un lien significatif entre l’index de masse corporelle (IMC) et le risque incident de développer une gonarthrose radiologique et symptomatique [1]. Chaque kilogramme par mètre carré en trop au-dessus d’un IMC de 27 augmente le risque de 15 %. L’effet néfaste de l’obésité est plus fort chez la femme que chez l’homme et est plus lié à une atteinte bilatérale qu’unilatérale. Cette relation existe pour tous les compartiments du genou. Les défauts d’alignement augmentent encore plus le risque de gonarthrose chez les malades obèses. De plus, l’amaigrissement diminue les douleurs et améliore la fonction, surtout en association avec l’exercice physique [2]. 1.2. Obésité et coxarthrose L’obésité augmente faiblement le risque de coxarthrose symptomatique ou radiologique, surtout pour les formes bila夽
Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais sa référence anglaise dans le numéro 6, 2008 de Joint Bone Spine. ∗ Auteur correspondant. Service de rhumatologie, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Berenbaum). 1169-8330/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2008.07.009
1.3. Obésité et arthrose digitale
2. Physiopathologie 2.1. Obésité et stress mécanique La surcharge mécanique provoquée par l’obésité est la première hypothèse logique à l’augmentation du risque d’arthrose périphérique sur articulation portante, à l’origine d’une destruction cartilagineuse et ligamentaire. Une répétition de stress de surcharge sur une articulation normale peut provoquer des anomalies de comportement cellulaire des chondrocytes et des ostéoblastes, ainsi que des altérations de la matrice extracellulaire. De plus, les patients obèses ont une tendance à une augmentation de la masse osseuse pouvant aboutir à une rigidité anormale de l’os sous-chondral, facilitant ainsi la rupture de la matrice cartilagineuse. Ces altérations matricielles sont la conséquence, au moins en partie, de l’activation de mécanorécepteurs présents à la surface des chondrocytes amorc¸ant ainsi une cascade d’événements délétères intracellulaires [5]. Ces mécanorécepteurs sont de plusieurs types : ␣51 intégrines, the stretch-activated channels et CD44. Plus récemment, des mécanorécepteurs ont été mis en évidence
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à la surface de cils présents sur les chondrocytes. Leurs stimulations activent, entre autres, les voies mitogen-activated protein kinase (MAPK) et la voie NF-B aboutissant à une augmentation d’expression de plusieurs médiateurs prodégradatifs (interleukine-1 [IL-1], metalloprotéases, prostaglandine E2 [PGE2], monoxyde d’azote) et à une inhibition de synthèse de matrice [6]. Ainsi, le stress mécanique induit un phénotype « prodégradatif » des chondrocytes, au même titre que certaines cytokines ou prostaglandines pro-inflammatoires. Des mécanorécepteurs sont aussi présents à la surface des ostéoblastes à l’origine de la production de médiateurs pro-inflammatoires après compression (IL-6, IL-8, metalloprotéinases, PGE2). Ces résultats pourraient expliquer en partie la participation précoce de l’os sous-chondral dans la pathogénie de l’arthrose, précédant même, pour certains, la destruction de la matrice cartilagineuse.
environnementales et ils activent les cellules qui possèdent des récepteurs spécifiques dénommés receptors for AGE (RAGE). On peut imaginer que cela soit le cas aussi au niveau du cartilage, le fragilisant tout en stimulant les chondrocytes à produire des médiateurs pro-inflammatoires et prodégradatifs [9]. Quant à l’athérosclérose, l’hypothèse d’altération de vascularisation de l’os sous-chondral a été récemment évoquée [10]. L’athérosclérose étant une cause classique d’anomalie de vascularisation en général, il n’y a qu’un pas pour imaginer un rôle délétère dans l’arthrose. Les liens entre l’obésité et l’arthrose sont donc loin d’être définitivement connus. La possibilité d’une participation de facteurs systémiques élargit encore plus les rôles potentiels de l’obésité dans la physiopathologie de l’arthrose, ouvrant ainsi de nouvelles cibles thérapeutiques inattendues. Références
2.2. Obésité et médiateurs systémiques Le lien existant entre l’obésité et l’arthrose digitale met la lumière sur le fait que l’arthrose n’est pas qu’une maladie mécanique mais bien une maladie inflammatoire sur certains aspects. Le fait que la diminution de la masse grasse est plus associée à une diminution des symptômes que la perte totale de poids illustre l’implication systémique de facteurs adipeux [7]. Le tissu adipeux sécrète des adipocytokines ou adipokines. Ces cytokines ont été décrites initialement comme des facteurs produits par l’adipocyte, jouant un rôle dans la sensibilité à l’insuline, le métabolisme glucidique et lipidique, etc. Les adipokines les mieux décrites sont : la leptine, la résistine, l’adiponectine et la visfatine [8]. Ce sujet fait l’objet d’un chapitre à part entière dans ce numéro. 2.3. Effets indirects de l’obésité sur l’arthrose L’obésité est à l’origine de comorbidités notables telles que l’hypertension artérielle, l’athérosclérose ou le diabète. Même si aucune preuve n’a jusqu’à présent été apportée d’une association entre ces comorbidités et l’arthrose, des hypothèses peuvent être évoquées. Le diabète, par exemple, s’accompagne d’altérations des matrices extracellulaires par accumulation de produits de glycation (advanced glycation end-products ou AGE). Ces AGE ont un double potentiel délétère : ils rigidifient les matrices, les rendant ainsi plus susceptibles aux agressions
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