Revue francophone d'orthoptie 2013;6:146
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On fait de la bonne médecine avec de la bonne littérature§ Paris, le samedi 16 novembre - Certains carabins, un brin effaré, pourraient croire s'être trompés d'amphithéâtre, voire de faculté. La leçon pourtant serait probablement magistrale si un professeur de physiologie, cancérologie ou psychiatrie s'installait à sa chaire en lisant un extrait de « La recherche du temps perdu » ou de « L'étranger ». Que viendraient donc faire ces belles lettres entre les formules chimiques, les descriptions anatomiques, la pharmacologie ou la génétique ? Apprendre à se mettre à la place de l'autre, l'autre dans toute sa complexité, l'autre comme personne totale et non pas seulement comme une glycémie élevée, un abcès inquiétant, des poumons haletant. Bref, apprendre l'un des fondements de la médecine. De New York à Jean-Yves Nau en passant par la Suisse Le pouvoir édifiant de la littérature, la capacité qu'elle fonde en nous de mieux comprendre nos alter ego ne sont pas des idées neuves. Le lien entre la lecture d'ouvrages de fiction de qualité et l'amélioration des relations entre les médecins et leurs patients pouvait donc être assez aisément soupçonné. Il vient cependant d'être officiellement théorisé par deux chercheurs de la New School of Social Research de New York, Comer-Kidd et Castano qui développent leur réflexion, expérience de psychologie expérimentale à l'appui, dans la revue Science. Amoureux tant de médecine, de littérature que de pédagogie, le docteur Jean-Yves Nau commente pour nous sur son blog les travaux de ComerKidd et Castano, en se référant également à la lecture faite de cette étude par
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Alexandre Mauron éditorialiste pour la Revue médicale Suisse. Mieux vaut lire de la « vraie » littérature Les recherches de Comer-Kidd et Castano concernent « les effets de la lecture d'œuvres de fiction sur la théorie de l'esprit : sur la capacité de "comprendre'' les états mentaux d'autrui » résume en introduction Jean-Yves Nau. En se basant sur des « tests dûment validés » permettant d'évaluer « les aptitudes » de leurs sujets à être en empathie avec les autres, Comer-Kidd et Castano ont recommandé à un groupe de volontaires différentes lectures : « des extraits de fiction littéraires contemporaines de "qualité'', des extraits de bests-sellers "populaire'' ou encore des textes non fictionnels », détaille Alexandre Mauron cité par le journaliste français. Or, ce qui est marquant dans les observations des deux spécialistes américains, c'est que les capacités à appréhender les mouvements d'âme des autres étaient bien plus développées chez les lecteurs des "meilleurs'' ouvrages par rapport aux autres types de texte. « Hypothèse explicative proposée par les chercheurs : la fiction littéraire entraîne ces aptitudes en mettant le lecteur en situation de déchiffrer la vie mentale de personnages qui ont de « l'épaisseur » et de la "complexité'' (...) la fiction changerait la manière dont les gens pensent à autrui, pas seulement ce qu'ils en pensent ». Ce rôle serait plus actif et créatif s'agissant de textes littéraires que d'extraits de bests sellers dont les situations et les personnages sont plus convenus et prévisibles » précise le blogueur.
Où l'on reparle de La Princesse de Clèves Les conséquences possibles d'une telle analyse sur l'enseignement de la médecine ne sont, une fois encore, pas difficiles à entrevoir. Si ce n'est, comme nous le rappelle Jean-Yves Nau, que l'on peut répugner à avoir une conception utilitariste de la littérature. Il ne faudrait cependant pas comprendre le rôle de la littérature dans les études de médecine comme un simple outil permettant de mieux dialoguer avec ses patients, mais plutôt comme un élément destiné à faire du futur médecin un "lecteur'' à part entière de ses patients et non plus seulement un automate gavé « d'objectifs pédagogiques saucissonnés et évaluables » pour reprendre l'expression d'Alexandre Mauron. Voilà qui est « plus subtil » relève Jean-Yves Nau. Le journaliste poursuit la réflexion en évoquant quelques points passionnants de l'histoire de l'enseignement de la médecine et en proposant un cas pratique à partir d'un roman emblématique s'il en est : « La Princesse de Clèves ». Et d'ailleurs, Jean-Yves Nau n'hésite pas, non sans une certaine malice, à s'interroger en guise de titre : « Peut-on être un bon médecin sans avoir lu la Princesse de Clèves ». L'ensemble de ces développements est à lire sur http://blog.ehesp.fr/media santepublique/2013/11/03/peut-on-etreun-bon-medecin-sans-avoir-lu-la-prin cesses-de-cleves/. Aurélie Haroche §
Article initialement paru le 16/11/2013 sur : www.jim.fr.
http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2013.11.006