Os et diabète

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Rev Rhum [E´d Fr] 2001 ; 68 : 718-20 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833001001636/SSU Os et diabèt...

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Rev Rhum [E´d Fr] 2001 ; 68 : 718-20 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833001001636/SSU

Os et diabète Jean-Michel Pouillès* Unité ménopause et maladies métaboliques, service d’endocrinologie, CHU Rangueil, 1, avenue Jean-Poulhès, 31403 Toulouse cedex 4, France

densitométrie osseuse / diabète / fracture / insuline / ostéoporose bone mineral density / diabetes / fracture / insulin / osteoporosis

Même si depuis Albright le diabète fait partie des causes classiques d’ostéoporose secondaire, les relations entre cette endocrinopathie très fréquente et le métabolisme osseux restent mal connues. La démonstration récente chez ces patients d’un risque fracturaire élevé, devrait amener à reconsidérer leur prise en charge par le rhumatologue. DIABÈTE ET MÉTABOLISME OSSEUX L’ostéoporose du diabétique se caractérise histologiquement par un bas remodelage avec une dépression de l’activité de formation osseuse classiquement attribuée à l’insulinopénie [1, 2]. L’insuline a en effet une action anabolique sur la prolifération ostéoblastique et la synthèse du collagène. Il semble de plus que l’hyperglycémie puisse entraîner des perturbations du fonctionnement des ostéoblastes et des ostéoclastes par le biais de modifications de certaines cytokines du microenvironnement osseux [3] et par un effet direct sur la maturation ostéoblastique [4]. La diminution des taux sériques d’ostéocalcine fréquemment observée chez le diabétique a été interprétée comme la traduction d’un défaut de maturation osseuse [2] ou d’un trouble de la glycosylation [5]. Les autres marqueurs biologiques de la formation osseuse restent dans les limites de la normale ou sont légèrement élevés telles les phosphatases alcalines osseuses [1, 5]. Les paramètres biologiques de la résorption osseuse (phosphatases acides tartate résistantes ou TRAP, pyri*Correspondance et tirés à part.

dinolines, télopeptides) sont souvent augmentés dans le diabète insulinodépendant et chez les diabétiques non insulinodépendants mal équilibrés. Ces perturbations apparaissent liées à l’hyperglycémie et aux troubles de l’insulinosécrétion et sont améliorées par un contrôle plus strict du diabète [5]. Le diabète entraîne des perturbations inconstantes et minimes du métabolisme phosphocalcique, dont une hypercalciurie par diurèse osmotique et des altérations fonctionnelles de l’axe hormone parathyroïdienne (PHT)–vitamine D (VitD) alors que les valeurs basales de PTH intacte et de 1,25(OH)2D3 sont le plus souvent normales. Au total, plusieurs mécanismes pourraient contribuer à une perte minérale osseuse chez le diabétique : effets directs ou indirects de l’insulinopénie et de l’hyperglycémie sur les activités cellulaires osseuses, dysrégulation de l’axe PTH–VitD, effets propres de la microangiopathie sur l’os. DIABÈTE ET DENSITÉ MINÉRALE OSSEUSE Diabète de type 1 ou insulinodépendant Le diabète insulinodépendant (DID) de l’adulte est le plus souvent associé à une réduction de la densité minérale osseuse (DMO) évaluée sur différents sites, dont le rachis et l’extrémité supérieure du fémur, tout comme sur le squelette en totalité [2, 6, 7]. Le déficit moyen est de l’ordre de 5 à 15 % soit un Z-score de – 0,5 à – 1,5 par rapport à la normale pour l’âge. Certains facteurs sont inconstamment prédictifs de la perte osseuse : ancienneté de la maladie, présence de complications dégénératives à type de rétinopathie ou

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microalbuminurie, mauvais contrôle glycémique, perte pondérale, femme ménopausée [7-10]. Ils doivent conduire à vérifier la DMO de ces patients. L’optimisation de l’équilibre glycémique permet une stabilisation des valeurs de DMO avant la ménopause [9] et s’accompagne d’une perte osseuse physiologique après celle-ci [1] alors que la vitesse de perte osseuse reste anormalement élevée chez les patients mal contrôlés et/ou atteints de rétinopathie [9]. Le retentissement osseux du diabète juvénile a surtout été évalué par des mesures densitométriques faites au radius. La majorité de ces études publiées avant 1990 a rapporté une baisse variable de 5 à 20 % de la DMO périphérique [1]. Tout comme chez l’adulte, un mauvais contrôle glycémique et l’ancienneté de la maladie semblent être des facteurs déterminants de perte osseuse. Des travaux plus récents portant sur la DMO vertébrale par DEXA ou scanner ne trouvent pas ou peu de déficit minéral chez des enfants diabétiques par comparaison à des enfants sains de même âge, de même développement pubertaire et statural [11-13]. Néanmoins ces études concernent surtout des diabètes bien équilibrés ou récents après exclusion des patients ayant développé des complications dégénératives ou un épisode d’acidocétose. Il a été postulé que la dépression des activités de formation et de minéralisation osseuses pourrait dans le diabète compromettre le processus d’acquisition du capital osseux au cours de la période de croissance. Nous ne disposons pas de données longitudinales permettant de valider cette hypothèse. En l’état actuel des connaissances, on peut considérer qu’un diabète juvénile bien équilibré, sans complication dégénérative est le plus souvent compatible avec une croissance et une minéralisation harmonieuses du squelette. Diabète de type 2 ou non insulinodépendant Au cours du diabète non insulinodépendant (DNID), la DMO est généralement normale ou élevée, notamment après la ménopause, et dans tous les cas supérieure à celle des patients insulinodépendants [14, 15]. Cette différence a été attribuée au poids plus élevé des diabétiques non insulinodépendants [1, 14], responsable d’une vitesse de perte osseuse moindre comme cela est démontré chez la femme normale en surcharge pondérale. Néanmoins, nous ne disposons pas d’études longitudinales suffisantes pour confirmer cet effet

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protecteur du surpoids chez le diabétique, effet qui apparaît indépendant de la concentration en insuline [16]. À l’inverse, les femmes âgées et diabétiques de la cohorte américaine SOF (study of osteoporotic fractures) avaient une perte osseuse fémorale plus rapide comparativement au reste de la cohorte alors que leur DMO était initialement plus élevée [17]. DIABÈTE ET RISQUE FRACTURAIRE La réalité d’une augmentation du risque de fracture ostéoporotique chez les patients diabétiques reste mal appréciée d’autant que les données disponibles sont peu nombreuses et tirées pour la plupart d’études transversales dans des populations hétérogènes. Dans l’étude souvent citée de la Mayo Clinic [18], la comparaison de 1 000 diabétiques à la population générale, ne fait pas apparaître d’augmentation d’incidence de la plupart des fractures par fragilité osseuse, à l’exception notable des fractures de la cheville et du tibia. Les données les plus récentes issues d’études de cohortes suggèrent à l’inverse une nette augmentation du risque fracturaire au cours du diabète. Le suivi de 35 444 patients norvégiens de plus de 50 ans sur une période de neuf ans a permis de colliger 1 643 nouvelles fractures du fémur. Le risque relatif (RR) de fracture chez les femmes atteintes d’un DID était de 6,9 (IC 90 % : 2,2–21,6) après ajustement pour l’âge et le BMI, et de 1,8 (1,1–2,9) en cas de DNID évoluant depuis plus de cinq ans [19]. Un risque accru de fractures non vertébrales est aussi rapporté dans la cohorte SOF chez les femmes diabétiques non insulinodépendantes (RR = 1,9 pour la fracture de l’ESF) après ajustement pour la DMO du radius [20]. Les femmes traitées par insuline et ayant donc probablement un diabète plus grave, avaient un risque multiplié par 2,5 à 3,4 de fracture de la cheville et du pied [20]. Ces derniers résultats confirment la notion classique d’une fréquence accrue de fracture des membres inférieurs chez les patients diabétiques atteints d’une neuropathie et/ou d’artériopathie. Au total, il semble bien que le diabétique, qu’il soit ou non insulinodépendant, soit exposé à un risque accru de fracture alors même que sa DMO n’est pas forcément très abaissée. L’augmentation du risque de chute, l’atteinte neurogène ou artérielle des membres, la perte pondérale contribuent probablement, à côté de l’ostéoporose, à l’accroissement de l’incidence fracturaire.

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J.M. Pouillès

DIABÈTE ET TRAITEMENTS DE L’OSTÉOPOROSE Comme pour les complications dégénératives, il semble que la meilleure façon de prévenir l’ostéoporose du diabète passe par un équilibre glycémique le plus proche possible de la normale et cela quelles que soient les modalités employées. Le diabète ne constitue pas en soi une contreindication à la prise d’un traitement hormonal substitutif postménopausique. Au contraire, l’estradiol permet de diminuer l’insulinorésistance et améliore l’insulinosécrétion ainsi que le profil lipidique [21]. Chez le diabétique non insulinodépendant, on utilisera de préférence la voie parentérale pour l’administration d’estrogènes afin d’éviter d’aggraver l’hypertriglycéridémie fréquente chez ces patients. À notre connaissance, nous ne disposons pas d’études spécifiques chez le diabétique pour les autres traitements actuels de l’ostéoporose (bisphosphonates, SERM). Le bas niveau de remodelage osseux et d’ostéoformation inciterait à privilégier un traitement anabolique osseux dans l’ostéoporose du diabète. Chez l’animal rendu diabétique, des résultats prometteurs sur la DMO et l’architecture osseuse viennent d’être rapportés avec une administration combinée de PTH humaine et d’insuline [22]. RE´FE´RENCES 1 Krakauer JC, McKenna MJ, Buderer NF, Rao DS, Whitehouse FW, Parfitt MA. Bone loss and bone turnover in diabetes. Diabetes 1995 ; 44 : 775-82. 2 Bouillon R, Bex M, Van Herck EV, Laureys J, Dooms L, Lesaffre E, et al. Influence of age, sex, and insuline on osteoblast function : osteoblast dysfunction in diabetes mellitus. J Clin Endocrinol Metab 1995 ; 80 : 1194-202. 3 Suda S, Wada S, Kitahama S, Yasuda S, Minagawa A, Fujimaki S, et al. Modulation of osteoblast and osteoclast functions under experimental conditions related to diabetes mellitus [abstract]. J Bone Miner Res 2000 ; 15 (Suppl) : 423. 4 Marshall CF, Balint E, Sprague SM. The effect of glucose on bone formation and osteoblast maturation [abstract]. J Bone Miner Res 2000 ; 15 (Suppl) : 344. 5 Ozakazi R, Totsuka Y, Hamano K, Ajima M, Miura M, Hirota Y, et al. Metabolic improvement of poorly controlled noninsulin-dependent diabetes mellitus decreases bone turnover. J Clin Endocrinol Metab 1997 ; 82 : 2915-20. 6 Compston JE, Smith EM, Matthews C, Schofield P. Whole body composition and regional bone mass in women with insulin-dependent diabetes mellitus. Clin Endocrinol 1994 ; 41 : 289-93.

7 Unnoz-Torres M, Jodar E, Escobar-Jimenez F, Lopez-Ibarra PJ, Luna JD. Bone mineral density measured by dual X-ray absorptiometry in Spanish patients with insulin-dependent diabetes mellitus. Calcif Tissue Int 1996 ; 58 : 316-9. 8 Christensen JO, Svendsen OL. Bone mineral in pre- and postmenopausal women with insulin-dependent and non-insulindependent diabetes mellitus. Osteoporos Int 1999 ; 10 : 30711. 9 Campos Pastor MM, Lopez-Ibarra PJ, Escobar-Jimenez F, Serrano Pardo MD, Garcia Cervigon A. Intensive insulin therapy and bone mineral density in type 1 diabetes mellitus : a prospecytive study. Osteoporos Int 2000 ; 11 : 455-9. 10 Kayath MJ, Tavares EF, Dib SA, Viera JG. Prospective bone mineral density evaluation in patients with insulin-dependent diabetes mellitus. J Diabetes Complications 1998 ; 12 : 133-9. 11 Roe TF, Mora S, Costin G, Kaufman F, Carlson ME, Gilsanz V. Vertebral bone density in insulin-dependent diabetic children. Metabolism 1991 ; 40 : 967-71. 12 Pascual J, Argente J, Lopez MB, Munoz M, Martinez G, Vasquez MA, et al. Bone mineral density in children and adolescents with diabetes mellitus type 1 of recent onset. Calcif Tissue Int 1998 ; 1 : 31-5. 13 De Schepper J, Smitz J, Rosseneu S, Bollen P, Louis O. Lumbar spine bone mineral density in diabetic children with recent onset. Horm Res 1998 ; 50 : 193-6. 14 Tuominen JT, Impivaara O, Puukka P, Ronnemaa T. Bone mineral density in patients with type 1 and type 2 diabetes. Diabetes Care 1999 ; 7 : 1196-200. 15 Weinstock RS, Goland RS, Shane E, Clemens TL, Lindsay R, Bilezikian JP. Bone mineral density in women with type II diabetes mellitus. J Bone Miner Res 1989 ; 4 : 97-100. 16 Haffner SM, Bauer RL. The association of obesity and glucose and insulin concentrations with bone density in premenopausal and postmenopausal women. Metabolism 1993 ; 42 : 735-8. 17 Schwartz AV, Sellmever DE, Nevitt MC, Resnick HF, Margolis KL, Hillier A, et al. Older women with diabetes have a higher rate of bone loss at the hip [abstract]. J Bone Miner Res 2000 ; 15 (Suppl) : 188. 18 Heath H, Melton LJ, Chu P. Diabetes mellitus and risk of skeletal fractures. N Engl J Med 1980 ; 303 : 567-70. 19 Forsen L, Meyer HE, Midthjell K, Edna TH. Diabetes mellitus and the incidence of hip fracture : results from the NordTrondelag Health Survey. Diabetologia 1999 ; 42 : 920-5. 20 Schwartz AV, Ensrud KE, Cauley J, Tabor H, Black DM, Schreiner PJ, et al. Older women with diabetes have a high risk of several fractures : a prospective study [abstract]. J Bone Miner Res 2000 ; 15 (Suppl) : 205. 21 Andersson B, Mattsson LA, Hahn L, Marin P, Lapidus L, Holm G, et al. Estrogen replacement therapy decreases hyperandrogenicity and improves glucose homeostasis and plasma lipids in postmenopausal women with noninsulin-dependent diabetes mellitus. J Clin Endocrinol Metab 1997 ; 82 : 638-43. 22 Suzuki K, Sato K, Miyakoshi N, Tsuchida T, Tamura Y, Kasukawa Y. Effect of combined insulin and human parathyroid hormone treatment on bone volume and trabecular connectivity in diabetic rats [abstract]. J Bone Miner Res 2000 ; 15 (Suppl) : 314.