Paludisme d’importation : il faut renforcer le message de prévention

Paludisme d’importation : il faut renforcer le message de prévention

Médecine et maladies infectieuses 34 (2004) 546–549 http://france.elsevier.com/direct/MEDMAL/ Article original Paludisme d’importation : il faut ren...

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Médecine et maladies infectieuses 34 (2004) 546–549 http://france.elsevier.com/direct/MEDMAL/

Article original

Paludisme d’importation : il faut renforcer le message de prévention Imported malaria: prevention should strengthened C. Godet a, G. Le Moal a,*, M.H. Rodier b, C. Landron a, F. Roblot a, J.L. Jacquemin b, B. Becq-Giraudon a a

Service de médecine interne et maladies infectieuses, CHU La Milétrie, rue la Milétrie, 86021 Poitiers cedex, France b Laboratoire de parasitologie et mycologie, CHU La Milétrie, rue la Milétrie, 86021 Poitiers cedex, France Reçu le 26 avril 2004 ; accepté le 22 juillet 2004 Disponible sur internet le 17 septembre 2004

Résumé Introduction. – Le paludisme d’importation reste fréquent en France liée entre autre à une mauvaise application des mesures prophylactiques. Le but de ce travail a été d’évaluer la pertinence et la compliance des mesures prophylactiques. Matériel et méthodes. – Analyse rétrospective des mesures de chimioprophylaxie prises par tous les patients hospitalisés pour un accès palustre dans le service de maladies infectieuses et tropicales de Poitiers entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2003. Résultats. – Quatre-vingt-cinq patients d’âge moyen 34,1 ans (16–65) ont été pris en charge pour un accès palustre. Il s’agissait dans 77 cas d’un paludisme à Plasmodium falciparum. L’évolution a été favorable dans 100 % des cas malgré quatre accès grave. Quarante six patients (54 %) n’ont pas pris de chimioprophylaxie (CP), 19 (22 %) avait une CP inadaptée au risque, 13 (15 %) l’ont suivie de façon non satisfaisante (prise irrégulière ou arrêt avant la fin) et sept (8 %) avaient bien pris sa CP. Parmi les 85 patients, 27 (32 %) étaient pourtant venus à la consultation des voyageurs du service et avaient reçu des recommandations, ainsi qu’une ordonnance pour une CP adaptée au risque. Conclusion. – Ces résultats confirment que la majorité des cas de paludisme importés sont liés à une prophylaxie mal ou non suivie. Le conseil aux voyageurs doit être délivré par des médecins formés et les informations doivent être personnalisées et adaptées. Il est indispensable de s’assurer de la bonne compréhension des consignes de la part des voyageurs. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – The risk of acquiring malaria infection can largely be prevented by the regular use of chemoprophylactic drugs combined with protective measures against mosquito bites. In a retrospective study we had for aim to evaluate the compliance to malaria chemoprophylaxis in patients presenting with malaria infection. Methods. – We analyzed the compliance to the recommended malaria chemoprophylaxis of French travelers hospitalized in a department of infectious diseases because of malaria infection, between January 1999 and December 2003. Results. – Eighty-five patients, with a mean age of 34.1 years (16-65) were treated for malaria infection. Seventy-seven were due to Plasmodium falciparum. The outcome was favorable for all patients, despite four severe accesses. Forty-six patients (54%) did not take any chemoprophylaxis (CP), 19 (22%) had an inadequate CP for the risk, 13 (15%) badly complied with intermittent intake of CP and seven (8%) complied well with the recommended malaria CP. Among the 85 patients, 27 (32%) had come to the travelers’ consultation and been given recommendations and a recommended malaria CP prescription before traveling. Conclusion. – These results confirm that the majority of imported malaria cases is a consequence of bad compliance to CP. Understanding user profiles and factors predicting non-compliance may help us to improve pretravel counseling, thereby reducing the risk for travelers to acquire malaria infection. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Paludisme d’importation ; Chimioprophylaxie ; Compliance ; Consultation du voyageur Keywords: Malaria infection; Compliance; Chemoprophylaxis; Pretravel counseling

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (G. Le Moal). 0399-077X/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2004.07.025

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1. Introduction

3. Résultats

Le nombre d’accès palustre d’importation a augmenté ces dernières années en France malgré une stabilisation de la chimiosensibilité des Plasmodium à travers le monde [1]. L’augmentation du nombre de touristes visitant les régions endémiques n’est pas la seule explication. La mauvaise observance de la chimioprophylaxie antipalustre semble expliquer la majorité des cas. Des consultations spécifiques au sein de centres agréés dans le but de dispenser des messages ciblés et personnalisés, fondées sur les recommandations nationales [2] ont été développées pour améliorer ce problème [3]. L’objectif de ce travail a été d’essayer d’évaluer la compliance des patients impaludés vis-à-vis des mesures prophylactiques prescrites avant leur départ au cours d’une consultation du voyageur.

Durant les cinq années de l’étude, 85 accès palustre ont été diagnostiqués chez 85 patients et inclus dans l’étude. Il s’agissait de 55 hommes et 30 femmes d’âge moyen 34,1 ans (16–65). La nature du séjour était touristique pour 42 patients, il s’agissait d’une mission militaire pour 17 patients, d’un retour au pays pour 22 patients, d’un déplacement professionnel pour deux patients et d’un voyage à but humanitaire pour deux patients. Les pays concernés étaient pour la majorité africains (81, 95,3 %) : Côte-d’Ivoire 17 cas (20 %), Burkina faso 13 cas (15,3 %), Cameroun 12 cas (14,1 %), Togo cinq cas (5,9 %), Guinée six cas (7,1 %) et Sénégal cinq cas (5,9 %). La durée moyenne du séjour dans la zone d’endémie était de 61,4 jours (8–365). Le délai entre le retour de la zone d’endémie et les premiers signes cliniques était de 25,7 jours (0–722). Dans 81 cas il s’agissait d’un accès simple, seuls quatre malades ont été hospitalisés en réanimation pour un accès grave. Le délai entre les premiers signes cliniques et la consultation ou l’hospitalisation dans le service était de 4,4 jours (0–27). On a retrouvé Plasmodium falciparum dans 77 cas, Plasmodium ovale dans cinq cas, Plasmodium vivax dans trois cas. La parasitémie était en moyenne de 0,4 % (0,01–5), l’hémoglobine à 12,8 g/l (7,5–16,5), les leucocytes à 5227/mm3 (2200–16 700) et les plaquettes à 114 700/mm3 (6000–540 000). L’évolution a été favorable pour 100 % des cas avec une durée moyenne d’hospitalisation de 3,3 jours (0–9). Les échecs de la chimioprophylaxie sont résumés dans le Tableau 1. Sept (8,2 %) accès palustres à Plasmodium falciparum sont survenus chez des patients prenant correctement une chimioprophylaxie. Durant la période étudiée, 8030 conseils aux voyageurs ont été dispensés dans le service au cours d’une consultation spécifique. Parmi les 85 patients ayant présenté un accès palustre, 27 (32 %) (groupe A) ont bénéficié de cette consultation avec remise d’un livret de conseils au voyageur et prescription d’une chimioprophylaxie adaptée au séjour et 58 (68 %)(groupe B) n’ont pas pris de conseil auprès du service. Les caractéristiques des deux groupes, les modalités de la prise de chimioprophylaxie ainsi que son observance sont notées dans le Tableau 2. Dans le groupe A, 22 (81 %) n’ont pas suivi la prescription effectuée lors de la consultation. Les raisons du non suivi de la chimioprophylaxie prescrite étaient diverses : absence de prise de chimioprophylaxie pour 13

2. Matériel et méthodes Tous les dossiers de patients hospitalisés dans le service de maladies infectieuses et tropicales du CHU de Poitiers pour un accès palustre entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2003, ont été rétrospectivement analysés. Le diagnostic de paludisme était retenu devant l’association des critères cliniques définis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [4] et une confirmation parasitologique par frottis sanguin. Les paramètres analysés étaient : les caractéristiques épidémiologiques du patient et du séjour, le délai entre le retour en France et le début des symptômes, le délai entre les symptômes et la prise en charge, le type d’accès selon les critères de l’OMS, les caractéristiques biologiques (parasitémie et nature de l’espèce plasmodiale, hémogramme), l’usage ou non d’une prophylaxie et l’observance, l’évolution de l’épisode palustre et la durée d’hospitalisation. Enfin, pour chaque patient était précisé à partir du fichier informatique du service sa venue éventuelle à la consultation du voyageur et la chimioprophylaxie prescrite. Les patients ayant reçu des conseils aux voyageurs dans le service (groupe A) ont été comparés à ceux n’en n’ayant pas reçu (groupe B). L’analyse statistique a été réalisée en utilisant un test du v2 pour les données qualitatives, un test exact de Fischer pour les données quantitatives et le Mann-Whitney test pour les moyennes. Un test significatif était défini pour un p ≤ 0,05.

Tableau 1 Analyse des échecs de la chimioprophylaxie (CP) dans le cadre d’un accès palustre chez 39 patients ayant pris une prophylaxie Analysis of chemoprophylaxis (CP) failure in 39 patients having taken prophylaxis CP Chloroquine + paludrine (n = 29) Méfloquine (n = 1) Doxycycline (n = 5) Paludrine (n = 2) Chloroquine (2)

CP inadaptée 14 (48 %) 0 0 2 (100 %) 2 (100 %)

Prise irrégulière durant le séjour 9 (31 %) 0 5 (100 %) 0 1 (50 %)

Arrêt prématuré 9 (31 %) 1 (100 %) 0 0 0

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Tableau 2 Caractéristiques des accès palustres chez 85 patients au retour d’une zone d’endémie Data concerning 85 patients with malaria infection, coming back from endemic countries

Sexe (masculin/féminin) ˆ ge A Prise d’une chimioprophylaxie Adaptée à la zone visitée Adaptée et régulière pendant et après le séjour Raison de la visite en zone d’endémie Tourisme Militaire Immigrant retournant au pays Humanitaire Professionnel Délai entre retour en France et 1er symptôme Délai entre 1er symptôme et consultation

Groupe A (n = 27) 16/11 35,5 (16–60) 13 (48,1 %) 6 (22,2 %) 4 (14,8 %)

Groupe B (n = 58) 39/19 33,4 (17–69) 26 (44,8 %) 14 (24,1 %) 3 (5,2 %)

p

19 (70,4 %) 2 (7,4 %) 3 (11,1 %) 2 (7,4 %) 1 (3,7 %) 28,1 (0–722) 4,5 (0–23)

23 (39,6 %) 15 (25,9 %) 19 (32,8 %) 1 (1,7 %) 0 20,5 (0–189) 4,2 (0–27)

0,01 ns 0,05 ns ns ns ns

ns ns ns ns ns

Groupe A : patients ayant bénéficié d’un conseil aux voyageurs dans le service avec prescription d’une chimioprophylaxie avant départ en zone d’endémie. Groupe B : patients n’ayant pas bénéficié d’un conseil aux voyageurs dans le service. ns : non significatif.

patients (61,9 %) malgré les recommandations données lors de la consultation, modification de la chimioprophylaxie du propre chef du patient pour sept personnes (26 %) (6 passages de Lariam® à Savarine®, et 1 passage de Savarine® pour Nivaquine®), prise irrégulière pour un patient (3,7 %), suivi incorrect après le retour de la chimioprophylaxie pour un patient (3,7 %). Pour un patient (3,7 %) aucune chimioprophylaxie ne lui avait été prescrite et pour quatre patients (14,8 %), un accès palustre est survenu malgré la prescription d’une chimioprophylaxie correcte et sa bonne observance.

4. Discussion Les caractéristiques du paludisme d’importation diagnostiquées au sein de notre hôpital sont semblables à celles des autres études nationales [5] ou européennes [6]. Nos résultats soulignent encore une fois que le paludisme d’importation est essentiellement lié à un défaut de prophylaxie, notamment de chimioprophylaxie [7]. Près des deux tiers des patients qui ont fait un accès palustre n’ont pas eu de consultation spécialisée avant leur séjour. La nécessité de la prévention doit être plus largement répandue auprès des personnes se rendant en zone d’endémie. Dans moins de la moitié des cas, les patients ont bénéficié d’une chimioprophylaxie et elle n’a été prise correctement que pour sept patients (8 %). De nombreux auteurs ont déjà souligné ce problème de compliance [7,8]. Près d’un tiers des voyageurs séjournant en zone impaludée pour moins de trois mois sont à risque de contracter le paludisme du fait d’une chimioprophylaxie inadaptée ou absente, tandis qu’une prophylaxie est souvent prescrite pour des séjours n’en justifiant pas [9]. La consultation du voyageur dispensée dans notre service a été mise en place dans le but de proposer une chimioprophylaxie adaptée et de prodiguer des conseils aux voyageurs comme cela a été recommandé [3]. Malgré ce service, un nombre important d’accès palustres sont survenus chez nos consul-

tants avec une incidence de 0,67 cas pour mille consultants par an. Plusieurs éléments pouvant influencer la compliance ont été relevés dans la littérature, comme le motif et la durée du séjour, et les caractéristiques de la chimioprophylaxie [10]. Notre étude ne permet pas de mettre en évidence les raisons d’une mauvaise compliance en ce qui concerne les caractéristiques épidémiologiques des patients et du séjour. On peut cependant noter que les immigrants semblent moins fréquemment prendre conseil auprès de notre consultation du voyageur. Cette population doit faire partie des cibles du message de prophylaxie En revanche, il est possible de tenter d’expliquer les différentes raisons de la mauvaise observance de la chimioprophylaxie prescrite. Le coût des molécules joue certainement un rôle. La tolérance des molécules rentre également en ligne de compte. Une chimioprophylaxie idéale se doit d’être efficace et bien tolérée. La méfloquine souvent mal tolérée ou non indiquée du fait des antécédents neuropsychiatriques du voyageur [10], des modifications sont fréquemment effectuées par le patient avant le départ. C’est le cas dans notre étude pour 22 % des patients du groupe A (remplacement de la méfloquine par l’association chloroquine–proguanil dans 6 cas sur 7), le résultat étant la prise d’une chimiothérapie alors non adaptée à la zone visitée. Les contraintes de la chimioprophylaxie doivent également être prises en considération. Deux contraintes majeures sont recensées auprès des voyageurs : tout d’abord la nécessité d’une prise quotidienne et par ailleurs l’obligation de poursuivre les prises après le départ de la zone d’endémie. Ainsi certains auteurs ont rapporté que la compliance semble renforcée avec des prises hebdomadaires par rapport à un traitement journalier [10–12]. La quasi-totalité de nos patients a reçu une chimioprophylaxie journalière qui, dans 15 cas sur 39 (38 %) n’a pas été prise de façon régulière. Par ailleurs, beaucoup de protocoles de chimioprophylaxie imposent une prise médicamenteuse pendant plusieurs semaines après le retour. Le voyageur ne se sentant plus exposé est

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fréquemment amené à arrêter son traitement trop précocement. Ainsi, dans notre étude, 10 (12 %) patients auraient probablement pu éviter un accès palustre grâce à une prise régulière de leur chimioprophylaxie jusqu’au terme recommandé. Si la méfloquine bénéficie d’une prise hebdomadaire, sa toxicité est notable et reconnue [13]. En revanche l’association atovaquone–proguanil propose les avantages d’une chimioprophylaxie idéale si l’on excepte son coût élevé pour des longs séjours. Mais cette molécule ne doit être proposée qu’en cas de séjour en zone III et de façon non systématique si l’on ne veut pas qu’elle perde de son efficacité [1]. Elle n’était pas encore commercialisée au début de cette étude. Sa prescription pourrait s’accompagner d’une meilleure observance que pour la méfloquine comme l’ont déjà évoqué Overbosch et al. [14]. Cette étude, du fait de son caractère rétrospectif, accuse quelques biais méthodologiques. Premièrement, les patients ayant fait un accès palustre et non vus à la consultation du voyageur du service, ont pu bénéficier d’un conseil de leur médecin traitant ou de l’agence de voyage chez laquelle les conseils sont souvent appropriés [9]. Le groupe A a donc pu être minoré. Deuxièmement, les consultants n’ont pas été systématiquement recontactés et certains voyageurs ont pu développer un accès palustre pris en charge dans un autre centre ou par leur médecin traitant. Là encore, l’incidence du paludisme chez les voyageurs ayant bénéficié de conseil, n’a pu être que minorée. Enfin, dans cette étude rétrospective, il n’a pas été possible d’évaluer l’utilisation des protections contre les piqûres. Quoi qu’il en soit, il est indispensable de personnaliser au mieux les conseils prodigués aux voyageurs et de leur rappeler certaines évidences [15]. La première d’entre elles est d’éviter au maximum la piqûre de moustique grâce à l’utilisation de protection antimoustique (moustiquaire et répulsifs) [16]. Il faudrait également mieux informer les populations les plus à risque telles les « baroudeurs » et les immigrants rendant visite à la famille ou aux amis [9]. À l’époque où les voyages intercontinentaux se multiplient, il est impératif de renforcer les messages de prévention du paludisme afin que la France ne soit plus le premier pays européen atteint par cette maladie. Le développement de consultations personnalisées menées par des médecins spécialistes du voyage est indispensable au sein des hôpitaux et l’éventail des molécules prophylactiques [17] doit permettre une prescription adaptée au risque collectif et individuel.

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