La Revue de médecine interne 27 (2006) 640–642 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/
Cas clinique
Pancréatite chronique calcifiante révélant une hyperparathyroïdie primaire Chronic calcifying pancreatitis revealing a primary hyperparathyroidism A. Abouzahir b,*, A. Baite a, M. Azennag a, R. Bouchama c, L. Nzouba a a
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Polyclinique El-Rapha, Libreville, Gabon Service de médecine interne, 5e hôpital militaire, BP 1052, 81000 Guelmim, Maroc c Service de chirurgie, 4e hôpital militaire, Dakhla, Maroc Reçu le 8 décembre 2005 ; accepté le 30 mars 2006 Disponible sur internet le 05 juin 2006
Résumé Introduction. – L’association pancréatite et hyperparathyroïdie est rare. Fait clinique. – Un patient de 41 ans présente une douleur abdominale en rapport avec une pancréatite chronique calcifiante. Une hypercalcémie majeure oriente le diagnostic d’une hyperparathyroïdie primaire. L’évolution est favorable après résection du nodule parathyroïdien. Discussion. – L’hypercalcémie entraîne une accélération de la transformation du trypsinogène en trypsine toxique pour le pancréas. Le rôle de la parathormone reste obscur. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – The association of pancreatitis and hyperparathyroidism is rare. Case record. – A 41-year-old man had consulted for a strong abdominal pain reliant to a chronic calcifying pancreatitis. A major hypercalcaemia led to a primary hyperparathyroidism diagnosis. The evolution was favourable after parathyroid adenoma surgery. Discussion. – The hypercalcaemia activate the transformation of trypsinogen into trypsin which is toxic for the pancreas. The role of parathyroid hormone remains unclear. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Pancréatite ; Hyperparathyroïdie ; Hypercalcémie Keywords: Pancreatitis; Hyperparathyroidism; Hypercalcaemia
Depuis que Cope et al. ont attiré l’attention en 1957 sur l’association de pancréatite et d’hyperparathyroïdie (HPT), le lien entre ces deux affections ne cesse d’être discuté dans la littérature [1]. Actuellement, l’HPT est considérée comme une cause de pancréatite aiguë et chronique. Mais, aucune explication ferme n’est donnée concernant les mécanismes physiopathologiques, c’est pourquoi, certains auteurs contestent cette association [2]. Néanmoins, il est clair que l’hypercalcémie qui accompagne l’HPT joue un rôle majeur dans la pathogénie
* Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Abouzahir).
0248-8663/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2006.03.036
de la pancréatite et constitue l’élément d’orientation principal du diagnostic de l’HPT. Nous rapportons un cas de pancréatite chronique calcifiante, révélant une HPT primaire chez un patient ne présentant aucun autre facteur de risque de pancréatite et par le biais d’une revue de la littérature, nous précisons les principaux mécanismes physiopathologiques impliqués dans cette association. 1. Observation Un patient âgé de 41 ans, aux antécédents de pancréatite aiguë non documentée deux ans auparavant, ne rapportant aucune consommation d’alcool, était hospitalisé en juillet
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2003 pour une douleur épigastrique transfixiante, calmée par l’antéflexion du tronc. L’examen clinique notait une sensibilité épigastrique et périombilicale. Le toucher rectal était sans particularité, la pression artérielle à 120/80 mmHg, le pouls à 72/minute et la température à 37,5 °C. Biologiquement l’amylasémie était à 237 UI/l (N < 82 UI/l) et la lipasémie à 246 UI/l (N : 7–60). L’hémogramme inscrivait une leucocytose à 6000/mm3, une hémoglobine à 14 g/dl et une numération plaquettaire à 250 000/mm3. La VS était à 30 mm la première heure, la CRP à 20 mg/l et l’électrophorèse des protéines était normale en dehors d’une hyperalpha-2-globulinémie. La TDM abdominale pratiquée en urgence objectivait un pancréas augmenté de volume, hétérogène, présentant de nombreuses calcifications intraparenchymateuses. Cet aspect de pancréatite chronique calcifiante (PCC) ne s’accompagnait pas de dilatation des voies biliaires extrahépatique, ni de lithiase vésiculaire (Fig. 1). Le bilan étiologique de cette PCC était normal en dehors d’une hypercalcémie majeure à 4 mmol/l associée à une hypophosphorémie à 0,63 mmol/l. La calciurie était à 260 mg/24 h (N : 100–300) et la phosphaturie à 490 mg/24 h (N : 600– 1000). La parathormone intacte était élevée à 124 ng/l (N : 11–62). Le dosage de la vitamine D3 n’a pas été pratiqué. La TDM cervicale retrouvait une image nodulaire arrondie de 2 cm de diamètre, homogène, rétrolobaire gauche indépendante du lobe thyroïdien et se rehaussant après injection, correspondant à un nodule parathyroïdien gauche (Fig. 2). La scintigraphie au sestamibi n’a pas été faite. Par ailleurs, la glycémie était normale de même que l’ionogramme sanguin, la fonction rénale et hépatique. Le cholestérol total était à 6,2 mmol/l et les triglycérides à 2,52 mmol/l. Le CA 19.9 était à une fois et demi la normale. Les radiographies des mains et du crâne étaient normales et il n’y avait pas d’argument en faveur d’une néoplasie endocrine multiple (NEM). Le traitement comportait une alimentation parentérale, la mise en place d’une sonde nasogastrique en aspiration douce pendant trois jours puis l’introduction d’une alimentation orale progressive ainsi qu’un traitement antalgique. Une réhydratation hydroélectrolytique associée au furosémide à 120 mg/j et
Fig. 1. TDM abdominale en coupe transversale montrant un pancréas augmenté de volume hétérogène avec l’existence de calcifications intraparenchymateuses.
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Fig. 2. TDM cervicale en coupe transversale avec injection de produit de contraste objectivant un nodule parathyroïdien gauche.
une cure intraveineuse de pamidronate disodique à 90 mg permettaient de réduire les taux de calcémie. L’évolution était marquée par la régression des douleurs abdominales et la persistance d’une calcémie corrigée entre 2,8 et 3 mmol/l conduisant à la résection du nodule parathyroïdien supérieur gauche dont l’examen histologique était en faveur d’un adénome parathyroïdien sans signe de malignité. La calcémie se normalisait en une semaine et le patient ne présentait plus de poussées douloureuses abdominales avec un recul de deux ans et demi. 2. Discussion La pancréatite est une présentation rare de l’HPT. Le premier cas documenté de cette association a été fait par Erdheim en 1903 sur une étude post-mortem [3]. Il a fallu attendre 1957, pour que Cope et al. attirent l’attention sur cette association par la publication de deux cas [1]. Pyrah et al. en ont précisé en 1966 les circonstances de découverte [4]. C’est le cas de PA en poussée, pancréatite chronique calcifiante (PCC), PA après parathyroïdectomie et PA survenant après chirurgie non parathyroïdienne chez des patients en hyperparathyroïdie. La prévalence de la pancréatite au cours de l’HPT est variable selon les séries [1–6]. Stiges-Serra et al. l’estiment à 8 % d’une série de 86 cas. En recueillant 107 cas de cette association, ils ont retrouvé 35,4 % de pancréatite aiguë et 37,4 % de pancréatite chronique [5]. La prévalence tend à diminuer pour se situer dans des études plus récentes aux alentours de 1 % [6,7]. Cette diminution de la fréquence peut être expliquée par la pratique systématique du dosage de la calcémie et les facilités diagnostiques inhérentes aux techniques d’exploration des glandes parathyroïdes. En effet, plus l’HPT est diagnostiquée tôt en présence d’une hypercalcémie, plus le risque d’évolution vers une pancréatite est minime [8], ce qui explique que les observations anciennes rapportent une pathologie parathyroïdienne particulièrement sévère que nous ne voyons guère de nos jours. La prédominance masculine est rapportée par tous les auteurs [5,6]. Le diagnostic de pancréatite précède toujours
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celui de l’HPT. La douleur abdominale et les vomissements sont les signes cliniques les plus fréquents de la pancréatite. Ces mêmes symptômes se voient aussi dans l’hypercalcémie qui est responsable des signes cliniques de l’HPT. La pathogénie de la pancréatite au cours de l’HPT est liée principalement à l’hypercalcémie. La fréquence des PA étant d’autant plus élevée que la calcémie était plus élevée [9]. Kelly et al. ont montré que l’hypercalcémie persistante entraîne l’augmentation du calcium dans le suc pancréatique et accélère la conversion du trypsinogène en trypsine responsable de l’agression du parenchyme et des canaux pancréatiques [3,10, 11]. La survenue d’une pancréatite au cours des autres états d’hypercalcémie majeure tels que les métastases osseuses, la nutrition parentérale, l’intoxication à la vitamine D confirme cette hypothèse [12]. D’autres auteurs suggèrent que la sécrétion pancréatique des patients présentant une hypercalcémie liée à une HPT est plus basse que la normale mais l’activité enzymatique reste normale ce qui aboutit à la formation de bouchons protéiques dans les canaux pancréatiques entraînant leurs obstructions et l’autodigestion du pancréas [3,13,14]. L’obstruction des canaux pancréatiques pourrait être également due aux calcifications [15]. La parathormone aurait un rôle dans la pathogénie de la pancréatite en inhibant la vascularisation pancréatique ou en entraînant la formation de microthrombi aboutissant à la nécrose du parenchyme pancréatique [6]. Le traitement chirurgical de l’HPT doit être précoce, en l’absence de forme grave de pancréatite. L’amélioration clinique après normalisation de la calcémie comme cela a été constaté dans notre observation est un argument en faveur du lien étroit entre ces deux affections.
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