Annales de pathologie (2015) 35, 327—337
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HISTOSÉMINAIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANC ¸ AISE DE PATHOLOGIE
Pathologie tumorale du péritoine — Cas no 3 : mésothéliome papillaire bien différencié du péritoine Peritoneal tumor pathology — Case no. 3 : Peritoneal well-differentiated papillary mesothelioma Peggy Dartigues Département de biologie et de pathologie médicales, institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94805 Villejuif cedex, France Accepté pour publication le 3 juin 2015 Disponible sur Internet le 23 juillet 2015
Renseignements cliniques Femme de 53 ans, sans antécédents, adressée pour poursuite de la prise en charge thérapeutique d’une tumeur borderline de l’ovaire opérée (Fig. 1A : ovaire) avec implants péritonéaux (Fig. 2A : péritoine) (marqueurs tumoraux : CA 125 à 5, CA 19,9 à 3,7) et traitée par 6 cures de carbotaxol. Dans le cadre de l’évaluation du pronostic de la maladie afin de discuter le bénéfice d’une chimiothérapie adjuvante, une relecture des lames est réalisée, afin de caractériser la nature des implants péritonéaux tumoraux. Du fait d’une chirurgie initiale incomplète (coupole droite), une reprise chirurgicale à 1 an est réalisée. L’exploration de la cavité abdominopelvienne retrouve une ascite, de faible abondance, associée à des lésions papillaires éparses, de petite taille (5—15 mm) du petit épiploon, rétrohépatique, latérocave, de la coupole diaphragmatique droite, du hile splénique, de la face antérieure du rectum et de la tranche vaginale. Après exérèse complète, une chimiothérapie périopératoire, IV (fufol) et hyperthermique intrapéritonéale (à base d’oxaliplatine et d’irinotécan) est réalisée. La patiente récidive à 3 ans, une nouvelle intervention chirurgicale suivie de CHIP est réalisée. Sur cette nouvelle série de prélèvements, il existe un doute sur une transformation maligne. Une chimiothérapie par 6 cures, Alimta-platine, est instaurée. La patiente est en rémission à 18 mois de sa seconde intervention.
Adresse e-mail :
[email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2015.06.006 0242-6498/© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.
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Figure 1. Prolifération d’architecture papillaire englobant l’ovaire (A). Axe fibreux (B) recouvert d’une assisse de cellules cubiques, non atypiques (C). Rares stratifications ou bourgeonnements cellulaires (D). Well-differentiated papillary mesothelioma on the surface of the ovary (A) showing typical appearance of prominent fibrovascular cores (B) covered by a single layer of flattened to cuboidal mesothelial cells (C). Few stratifications and buds forming cells (D).
Diagnostic proposé Mésothéliome papillaire bien différencié.
Absence d’immunomarquage avec l’ACE, BerEP4, MOC31, CA125. Forte expression du récepteur à la progestérone. Très faible expression du récepteur aux œstrogènes. L’index de prolifération évalué avec l’anticorps KI67 est < 5 %.
Description macroscopique Fines papilles recouvrant l’ovaire D.
Commentaires
Description microscopique
Le diagnostic de mésothéliome papillaire bien différencié
L’ovaire D est englobé dans une prolifération tumorale, floride, d’architecture papillaire (Fig. 1A). Ces formations sont de taille inégale, à l’axe fibrosé, revêtues d’une assisse de cellules cubiques, sans atypies cytonucléaires (Fig. 1B). Leur cytoplasme est abondant, comportant focalement des aspect de clarification microvacuolaire. Les mitoses sont rares (Fig. 1C). Dans certains secteurs, la densité est cellulaire avec ébauche de travées. On identifie des territoires de bourgeonnement dans lesquels les cellules ont tendance par place à se stratifier (Fig. 1D). Le parenchyme ovarien est respecté et ne présente pas d’anomalie morphologique. Les prélèvements péritonéaux multiples montre la présence de localisations tumorales de morphologie identique (Fig. 2A), de distribution superficielle (Fig. 2B), sans infiltration du tissu sous-jacent, sans stroma réaction desmoplastique, et sans réaction inflammatoire (Fig. 2C). Les immunomarquages obtenus montrent une expression diffuse de la calrétinine (Fig. 3A), de la CK5/6 (Fig. 3B), de l’antigène HBME1, de la CK7 par la prolifération tumorale. L’expression est plus faible et hétérogène avec l’EMA.
Le mésothéliome papillaire bien différencié est une tumeur inhabituelle, siégeant principalement dans le péritoine [1], et plus rarement dans la plèvre [2], le péricarde, la tunique vaginale testiculaire et l’épididyme [3]. Le plus souvent le mésothéliome papillaire bien différencié est de découverte fortuite et survient plus communément chez la femme (82 %) en âge de procréer, âgée de 30—40 ans (23—75 ans, médian : 47 ans et moyenne 48,6 ans) [4]. Beaucoup plus rarement que dans sa localisation pleurale, il peut atteindre l’homme. Enfin, la littérature rapporte quelques rares cas pédiatriques. Bien que rarement symptomatique, la tumeur péritonéale peut se révéler par des douleurs abdominopelviennes ou chroniques pelviennes inflammatoires. Le mésothéliome papillaire bien différencié est découvert le plus souvent incidentellement lors d’une chirurgie programmée pour diverses indications, oncologiques (léiomyome utérin, carcinome du col utérin, carcinome de l’endomètre, kyste ovarien, tératome ovarien, tumeur stromale gastro-intestinale [GIST], cancer colorectal), ou non oncologiques (calcul biliaire, hernie, anévrysme de l’aorte, endométriose) [4].
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Figure 2. Localisations tumorales péritonéales (A), de distribution superficielle (B), sans stroma réaction desmoplastique et sans réaction inflammatoire (C). Well-differentiated papillary mesothelioma on peritoneal surface (A), superficial with papillary structures (B) and bland cytomorphology without desmoplasia or inflammation stroma (C).
Les lésions observées, lors de l’exploration de la cavité abdominopelvienne, sont uniques ou multiples, plus souvent nodulaires que papillaires et leur taille varie habituellement entre 0,1 et 2 cm (Fig. 4A et B). La présence d’une ascite est inhabituelle et doit faire craindre une autre variété plus agressive de mésothéliome [5]. Contrairement à la localisation pleurale, le rôle de l’exposition à l’amiante comme facteur de risque du mésothéliome péritonéal n’est pas démontré. Dans une étude récente, publiée en 2013, sur les mésothéliomes papillaires bien différenciés, les auteurs ont étudié 14 cas péritonéaux indemnes d’exposition à l’amiante contrairement aux mésothéliomes papillaires bien différenciés pleuraux développés dans 1 cas sur 2 secondairement à une exposition à l’amiante. Les auteurs confirment aussi une nette prédominance féminine avec un sex-ratio nettement plus augmenté dans le péritoine, avec 1 homme atteint pour 14 femmes, par rapport à la plèvre [6].
Examen macroscopique Les lésions ayant fait l’objet d’une exérèse correspondent à des nodules uniques ou multiples, dont la distribution peut être diffuse à l’ensemble du péritoine, ou localisée à l’épiploon, la séreuse gastrique, la séreuse ovaire, la séreuse utérine, le ligament suspenseur. . . Leur taille varie entre 0,5 et 2 cm. Il peut s’y associer une masse plus volumineuse, pluricentimétrique de diamètre. Celle-ci est parfois décrite comme « papillaire ». Enfin, quand les ovaires sont réséqués, bien que non atteints, on peut observer des ovaires normaux mais aussi, et cela n’est pas rare, kystiques (tératome, etc.).
Examen microscopique L’architecture de la prolifération est classiquement papillaire ou glandulotubullaire ou cordonale (cordons anastomotiques). Plus rarement, on observe des cellules indépendantes et des nids [1—7]. Il peut exister des territoires solides. Pas de nécrose. Les papilles sont larges et arrondies, à l’axe œdémateux (Fig. 5A) ou rarement hyalinisé (Fig. 5B) ou encore myxoïde (Fig. 5C). Le stroma est paucicellulaire. Il peut contenir des cellules géantes multinuclées, des macrophages spumeux, rarement des follicules lymphoïdes et parfois des calcifications ou psamomes. La prolifération revêtant les papilles est cytologiquement monotone, non atypique, non mitotique (maximum 1 pour 10 GC). L’épithélium est cubocylindrique simple, unistratifié. Le cytoplasme est éosinophile, modérément abondant et le noyau est central, et rarement nucléolé. Parfois, une vacuole sous-nucléaire déplace le noyau pôle apical. Les colorations spéciales du PAS avant et après digestion sont négatives ; la coloration du BA, bien que le plus souvent négative, peut rarement et focalement montrer une positivité intracytoplasmique [5]. La prolifération est superficielle sans invasion stromale en profondeur. Quand elle atteint la surface de l’ovaire, son extension en profondeur ne dépasse pas 0,5 mm (dans la corticale ovarienne) [1—6]. L’aspect en microscopie électronique est caractéristique mettant en évidence de longues microvillosités grêles [1], au pôle apical des cellules confirmant leur nature mésothéliale.
Examen immunohistochimique [8] Les cellules présentent un phénotype mésothélial, exprimant la calrétinine, la CK5/6, la CK7, le D2-40,
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Figure 4. Lésions de la cavité abdominopelvienne, uniques ou multiples, nodulaires, mesurant entre 0,1 et 2 cm (A, B). Intraoperative photographs of small nodules of the abdominoperitoneal cavity between 0.1 and 2 cm (A, B).
Figure 3. Expression diffuse de la calrétinine (A), de la CK5/6 (B). Strong positivity for calretinin (A) and CK5/6 (B).
l’EMA, l’HBME1, le WT1, les pancytokératines (AE1/AE3, KL1). L’ACE, BerEP4, MOC31, TTF1, CD15, RE et RP, PAX8, ainsi que les marqueurs vasculaires CD31 et CD34 ne sont pas exprimés. L’EMA, la desmine et la p53 peuvent être exprimés. La présentation clinique sous la forme de multiples nodules péritonéaux est trompeuse et peut faire évoquer le diagnostic de carcinose péritonéale. En l’absence de tumeur primitive, d’origine gynécologique (ovarienne, utérine) ou digestive, mise en évidence à l’imagerie par tomodensitométrie, le diagnostic de métastase péritonéale semble moins probable et il faudra alors penser à une tumeur de nature mésothéliale, sans que l’on ne puisse éliminer le diagnostic de carcinome primitif du péritoine (cas MSV). Il faudra alors s’attacher à la morphologie des papilles (cidessous, arborescentes dans les tumeurs épithéliales) et à identifier l’aspect cytologique, monotone dans les tumeurs mésothéliales avec des cellules cubiques peu jointives alors que les cellules des tumeurs mülleriennes sont cylindriques, atypiques et prolifératives. Le recours à l’examen immunohistochimique confirmera le diagnostic en montrant un profil phénotypique mésothélial : calrétinine+, CK5/6+, D2-40+,
avec des marqueurs épithéliaux négatifs : BerEP4, MOC31, ACE, ainsi que les récepteurs hormonaux. Enfin, plus récemment, Ordó˜ nez souligne l’intérêt de compléter le panel par l’utilisation des anticorps PAX8 et Claudin-4 dont l’expression est négative avec une spécificité de 100 % pour le mésothéliome péritonéal épithélioïde [9].
Les diagnostics différentiels du mésothéliome papillaire bien différencié Ils portent sur les lésions réactionnelles (endosalpingiose, salpingite xanthogranulomateuse, hyperplasie mésothéliale) ou tumorales, de nature épithéliale ou mésothéliale. Il ne faudra pas porter à tort le diagnostic de mésothéliome papillaire bien différencié (faux-positif) par biais d’échantillonnage d’un volumineux mésothéliome malin avec composante papillaire bien différenciée, trop peu prélevé. Il pourra être observé, rarement un contingent associé de tumeur adénomatoïde et/ou de mésothéliome multikystique.
Les lésions mésothéliales L’hyperplasie mésothéliale réactionnelle Il faudra être vigilant à ne pas faire de faux diagnostic positif de mésothéliome papillaire bien différencié devant une simple hyperplasie mésothéliale réactionnelle. Pour cela, il
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Figure 5. Papilles larges et arrondies, à l’axe œdémateux (A) ou hyalinisé (B) ou encore myxoïde (C). Broad papillae with edematous (A) or hyalinized stromal cores (B) or myxoid (C).
faudra s’aider du contexte clinique et rechercher des antécédents de chirurgie abdominopelvienne ou des antécédents médicaux à type d’inflammation péritonéale (± chronique), responsables d’une hyperplasie mésothéliale réactionnelle. Enfin, l’aspect microscopique est différent avec une architecture moins papillaire dans l’hyperplasie mésothéliale (Fig. 6A) que dans le mésothéliome papillaire bien différencié et des papilles plus larges à l’axe œdémateux ou hyalinisé, paucicellulaire et peu inflammatoire (Fig. 6B) dans le mésothéliome papillaire bien différencié. Enfin, il faudra savoir reconnaître des phénomènes d’entrappement des cellules mésothéliales au contact d’un foyer/masse inflammatoire et ne pas les confondre avec d’authentiques
foyers invasifs caractéristiques de la malignité de la prolifération mésothéliale [10]. Le profil immunohistochimique de l’hyperplasie mésothéliale réactionnelle est classiquement desmine+ EMA−, p53+. Cependant, ce profil n’est pas toujours discriminant avec un mésothéliome papillaire bien différencié et l’IHC n’est pas d’une grande aide en pratique quotidienne [7—9].
Variants morphologiques des mésothéliomes bénins : mésothéliome multikystique (MMK) et tumeur adénomatoïde Le MMK est une entité rare (< 150 cas rapportés), d’évolution indolente bien que des cas de transformation maligne ont
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Figure 6. Hyperplasie mésothéliale réactionnelle. Contexte inflammatoire (A) pas ou peu de papilles (B). Reactive benign mesothelial cells with single row of atypical mesothelial cells in an inflammatory background (A) with few papillary projections (B).
été décrits, dont la nature réactionnelle (kyste d’inclusion) ou tumorale est toujours débattue. À ce jour, aucun lien de causalité avec une exposition à l’amiante n’a été démontré. Il atteint préférentiellement la femme en période d’activité génitale aux antécédents de chirurgie pelvienne, d’inflammation pelvienne, ou d’endométriose. La patiente peut présenter des douleurs pelviennes et abdominales chroniques, une masse palpable, une aménorrhée, une dysurie, une dyspareunie et plus rarement un amaigrissement. Sa découverte fortuite est plus rare. Les masses se situent habituellement à la surface péritonéale de l’utérus et du rectum chez la femme, et de la vessie et du rectum chez l’homme. Une dissémination peut atteindre les parties supérieures de la cavité péritonéale. Le diagnostic repose sur l’échographie abdominopelvienne, le scanner abdominal et la laparoscopie montrant des formations multikystiques cloisonnées en grappe de raisin. La masse est décrite macroscopiquement, comme uni- ou plurikystique, de taille variable (1 à 30 cm), chaque kyste mesurant de quelques millimètres à plusieurs centimètres (Fig. 7A). Ils sont translucides, à la paroi fine et vascularisée, et au contenu liquidien et citrin, ou plus rarement épais et gélatineux. L’examen microscopique montre que la paroi des kystes est revêtue par des cellules cubocylindriques, unistratifiés parfois discrètement papillaires avec foyers de métaplasie
P. Dartigues malpighienne, non atypiques et non mitotiques. Les cloisons comportent un stroma fibreux pauvres en éléments inflammatoires (Fig. 7B, C). L’immunohistochimie confirme l’origine mésothéliale des cellules bordant la lumière des kystes (Fig. 7D, E). La prise en charge thérapeutique doit être discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) au sein d’un centre expert et repose toujours sur la chirurgie de cytoréduction. La combinaison à la chimiothérapie intrapéritonéale hyperthermique (CHIP) peut être envisagée en cas de récidive ou même en traitement de première ligne, chez des patients sélectionnés (jeunes et à risque de récidive) [11]. Le pronostic est habituellement bon. Avec le protocole combiné, la survie à 5 ans est de 100 %. La tumeur adénomatoïde est une lésion bénigne, localisée, de découverte fortuite, atteignant l’homme et la femme, siégeant le plus souvent dans le tractus génital (utérus, trompe, ovaire, épididyme, testicule, cordon spermatique) et de localisation rarement extragénitale (péritoine, mésentère). Il s’agit le plus souvent d’un nodule unique dont la taille est inférieure à 5 cm (souvent < 2 cm) (Fig. 8A). On décrit 4 formes architecturales : adénoïde, angiomatoïde, solide et kystique. L’aspect microscopique est caractérisé par des tubules kystiques, ronds ou ovales, en fentes, avec cordons et amas de cellules épithélioïdes ou des cellules isolées avec de grosses vacuoles intracellulaires (Fig. 8B). Les cellules sont aplaties à cylindriques avec un cytoplasme éosinophile dense ou vacuolisé (abondant non vacuolisé quand il existe un agencement en cordons ou nids, endothéliforme quand aspect angiomatoïde). Les vacuoles sont de taille très variable et sont à l’origine des lumières, pouvant contenir un matériel amorphe non coloré par le PAS et le BA. Pas d’atypies visibles. Pas de mitoses. Le stroma est abondant, fibreux, voire hyalinisé. Un contingent musculaire lisse est présent en quantité variable, voire prédominant. L’infiltrat lymphoïde est d’abondance variable. L’étude immunohistochimique confirme la nature mésothéliale des cellules (calrétinine+, HBME1+) (Fig. 8C, D) et exclue les diagnostics différentiels d’adénocarcinome à cellules en « bague à chaton » et d’hémangiome épithélioïde (CD31−, CD34−). En outre, il faudra se souvenir que le mésothéliome papillaire bien différencié peut se combiner avec un autre contingent mésothélial, qu’il s’agisse de la tumeur adénomatoïde et/ou du mésothéliome multikystique, et savoir reconnaître ces variants morphologiques rares de mésothéliome bénins [6].
Le mésothéliome malin épithélioïde d’architecture papillaire L’autre piège diagnostique à ne pas méconnaître est celui d’un mésothéliome malin épithélioïde avec un contingent papillaire (biais échantillonnage) (Fig. 9A). En effet, il ne faudra pas porter à tort le diagnostic de mésothéliome papillaire bien différencié devant une prolifération d’architecture papillaire, sans avoir suffisamment échantillonné le prélèvement à la recherche d’un foyer authentiquement invasif. La mise en évidence de ce foyer infiltrant devra faire rectifier le diagnostic en mésothéliome malin épithélioïde d’architecture papillaire (Fig. 9B, C), dont la prise en charge est tout-à-fait différente, malgré des similitudes clinicoradiologiques et microscopiques entre les deux entités. En effet, l’aspect monotone, peu atypique, peu
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Figure 7. Mésothéliome multikystique. Kystes translucides mesurant de quelques millimètres à plusieurs centimètres, à la paroi fine et vascularisée (A, B). Cellules cubocylindriques, unistratifiées revêtant la paroi des kystes, non atypiques et non mitotiques (C), d’origine mésothéliale et exprimant l’HBME1 (D), sans expression du CD31 (E). Overview of the multicystic lesion with cavities of varying size (A, B) lined by bland and flat mesothelial cells (C) stained by HBME1 antibody (D) and not by CD31 (E).
mitotique est trompeuse et le diagnostic de mésothéliome malin se fera uniquement après identification du territoire d’infiltration du tissu sous-péritonéal (graisse ou viscère) [12]. L’immunohistochimie utilisant l’EMA, la desmine et la p53 est d’une aide modeste en pratique quotidienne pour différencier une hyperplasie mésothéliale réactionnelle, un mésothéliome papillaire bien différencié et un mésothéliome malin (comme dit plus haut). Glut1 et IMP3 sont en cours d’évaluation. Il semblerait que GLUT-1 soit plus souvent exprimé dans les tumeurs malignes avec un immunomarquage positif dans 50 % des mésothéliomes malins, alors qu’il est rarement exprimé dans le mésothéliome papillaire bien différencié [8].
Enfin, la délétion homozygote 9p21 détectée par FISH n’est détectée que dans 36 % des mésothéliomes malins péritonéaux (contre 85 % dans la plèvre). Elle n’est jamais retrouvée dans les hyperplasies mésothéliales et la fréquence de cette anomalie dans les mésothéliomes papillaires bien différenciés est inconnue.
Les lésions épithéliales Localisation péritonéale d’une tumeur d’origine müllerienne primitive ou secondaire (implants péritonéaux de la tumeur borderline séreuse de l’ovaire/métastase péritonéale d’un carcinome séreux de l’ovaire/carcinome séreux primitif du péritoine [cas Dr M. Svrcek]) : le carcinome séreux primitif du péritoine atteint principalement la femme et se
334 présente sous la forme de nodules millimétriques diffus sur le péritoine, dont l’aspect microscopique est identique à celui des implants non invasifs épithéliaux des tumeurs séreuses borderline de l’ovaire. C’est un diagnostic d’élimination en l’absence de lésion primitive décelable. L’aspect microscopique des tumeurs mülleriennes peut être confondu avec des lésions mésothéliales de part leur petite taille < 1—2 cm et leur architecture papillaire, notamment dans les implants de type « épithélial ». Cependant, les papilles sont différentes, apparaissant arborescentes (architecture complexe), à l’axe œdémateux ou plus ou moins fibreux (Fig. 10A). En outre, les papilles sont tapissées de cellules proliférantes, qui ont tendance à se stratifier (avec des degrés variables), contrastant avec le mésothéliome papillaire bien différencié dont les papilles sont toujours revêtues d’une seule couche cellulaire. Les cellules épithéliales sont cylindriques, souvent ciliées, aux atypies cytonucléaires modérées, ressemblant à la tumeur d’origine ovarienne. L’aspect cytologique contraste avec la monotonie cytologique du mésothéliome papillaire bien différencié. On peut identifier par places des houppes pseudopapillaires (Fig. 10B, C) qui se détachent dans la cavité péritonéale (le même aspect est identifié dans la tumeur borderline ovarienne associée). Les psamomes sont parfois très nombreux, ce qui est rarement le cas du mésothéliome papillaire bien différencié [13]. L’IHC complètera l’examen microscopique pour redresser le diagnostic de tumeur mésothéliale et éliminer une localisation péritonéale d’une tumeur müllerienne (primitive ou secondaire), en utilisant 2 marqueurs de positivité pour l’adénocarcinome et le mésothéliome (PAX8, claudin-4, Ber-Ep4, MOC 31, CD15, RH, ACE ; calrétinine, CK 5/6) [9].
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Anomalies génétiques et caractéristiques moléculaires La physiopathologie du mésothéliome papillaire bien différencié est débattue et plusieurs hypothèses sont évoquées. Il pourrait s’agir d’un processus réactionnel, tumoral bénin, ou à potentiel de malignité incertain. Les mécanismes moléculaires qui sous-tendent la tumorigénèse de cette lésion ne sont pas élucidés et les analyses moléculaires sont limitées. De fréquentes altérations des gènes NF2, BAP1 et CDKN2A ont été décrites chez les patients atteints de mésothéliome malin, suggérant leur implication dans la pathogénie de la maladie. Une étude suggère que la perte d’hétérozygotie du gène NF2 soit une altération génétique précoce rencontrée dans la tumorigénèse multi étapes du mésothéliome papillaire bien différencié ayant un potentiel de transformation en mésothéliome malin [14]. À ce jour, le seul facteur de prédisposition génétique rapporté récemment dans la littérature, est l’anomalie du gène BAP1 (BRCA1 associated protein-1) situé en 3p21. La présence de mutations germinales et somatiques (par inactivation bi-allélique) a été mise en évidence chez des patients issues de familles présentant une forte incidence de mélanome malin et de mélanome uvéal, ainsi que chez des patients sporadiques pour le mésothéliome. En outre, deux sœurs, porteuse d’une mutation germinale de BAP1 ont développé un mésothéliome papillaire bien différencié. Il s’agit du seul article rapportant une agrégation familiale de mésothéliome papillaire bien différencié dans une famille portugaise [15]. Enfin, la délétion homozygote 9p21 détectée par FISH utilisée pour établir le diagnostic de malignité versus une
Figure 8. Tumeur adénomatoïde. Nodule unique mesurant < 2 cm (A). Prolifération tubulokystique, en fentes, de cellules aplaties à cylindriques avec un cytoplasme éosinophile dense ou vacuolisé (B), exprimant la calrétinine (C) et l’HBME1 (D). Adenomatoid tumor. (A) single and small well-circumscribed nodule < 2 cms, consisting of tubules lined by single layer of cuboidal or flattened vacuolated oreosinophilic mesothelial cells (B), positive for calretinin (C) and HBME1 (D).
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Figure 9. Mésothéliome malin épithélioide. Macroscopie (A). Prolifération invasive (B, C). Gross examination (A). Invasion of stroma is the diagnostic clue to the presence of malignant mesothelial process (B, C).
hyperplasie mésothéliale est une anomalie plus fréquente dans la plèvre (85 %) que dans le péritoine (36 %).
Évolution et pronostic Bien que son évolution soit le plus souvent indolente, le mésothéliome papillaire bien différencié doit être considéré comme une maladie de potentiel de malignité incertain du fait de récidives locales possibles [1—4,7], d’évolution agressive [3] et d’exceptionnelles transformation en mésothéliome malin, publiées [16,17]. Tout comme pour le mésothéliome multikystique (cidessus), la prise en charge thérapeutique doit être discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) au sein d’un centre expert et repose toujours
sur la chirurgie de cytoréduction complète. La combinaison à la chimiothérapie intrapéritonéale hyperthermique (CHIP) peut être envisagée en cas de récidive ou même en traitement de première ligne, chez des patients sélectionnés (jeunes et à risque de récidive). Une chimiothérapie adjuvante à base de cisplatine + pemetrexed sera administrée en cas d’exérèse incomplète et une surveillance simple sera instaurée en cas de tumeur limitée, non symptomatique et réséquée de fac ¸on complète [18,19]. Plusieurs paramètres sont fortement suspects d’impacter négativement la survie, bien qu’aucune étude ne le démontre clairement du fait de la rareté de la maladie. Ces facteurs de mauvais pronostic sont une maladie extensive et symptomatique et une prise en charge initiale inadéquate (chirurgie incomplète).
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Figure 10. Tumeur müllerienne d’architecture papillaire, complexe, à l’axe œdémateux (A), tapissé de cellules proliférantes (B), qui ont tendance à se stratifier formant des houppes pseudopapillaires (C). Papillary serous carcinoma of ovarian origin. Papillae hierarchical branching, with edematous axis (A), lined by proliferative cells (B) with focal cellular stratification and detached cell clusters (C).
Points à retenir • Le mésothéliome papillaire bien différencié est une entité anatomoclinique, rare, d’origine mésothéliale, de découverte fortuite, atteignant principalement la femme d’âge moyen, sans antécédent d’exposition à l’amiante. • L’aspect microscopique caractéristique est celui de larges papilles, à l’axe fibreux, œdémateux ou myxoïde, paucicellulaire, revêtues par un épithélium cubique unistratifié, monotone, avec des cellules non atypiques et non mitotiques, dont le profil immunohistochimique signe l’origine cellulaire mésothéliale. Un échantillonnage soigneux est requis afin de ne pas méconnaître un foyer d’invasion amenant à rediscuter le diagnostic envisagé. • Les diagnostics différentiels avec les lésions mésothéliales incluent l’hyperplasie mésothéliale réactionnelle (contexte évocateur) et le mésothéliome malin (foyer infiltrant) pour lesquels l’immunohistochimie et la FISH (9p21) apportent peu d’aide en pratique. • Attention aux faux-positifs de mésothéliome papillaire bien différencié et de ne pas méconnaître un authentique mésothéliome malin épithélioïde d’architecture papillaire du fait d’un échantillonnage insuffisant (manque la composante invasive), surtout sur des prélèvements biopsiques. Pour la même raison, le diagnostic de mésothéliome papillaire bien différencié ne doit pas être retenu sur le seul examen cytologique.
• Le diagnostic différentiel avec les tumeurs mülleriennes primitives ou secondaires est morphologique et est confirmé par l’examen immunohistochimique utilisant au minimum deux marqueurs de positivité pour le mésothéliome et pour l’adénocarcinome. Dans ce contexte, on privilégiera le panel suivant : calrétinine, CK 5/6—Ber-Ep4, MOC 31, CD15, RH, ACE et PAX8. • La maladie est à potentiel de malignité incertain et sa prise en charge doit être réalisée dans des centres experts, nécessitant une chirurgie d’exérèse complète. Une chimiothérapie périopératoire peut être associée chez des patients sélectionnés. Un suivi à long terme est préconisé.
Déclaration d’intérêts L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.
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