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Médecine et maladies infectieuses 38 (2008) S78–S81
CP4-3. Sessions de communications orales en partenariat avec l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES) (lettres) Thème : Perception des risques infectieux et de leur maîtrise en France
Perceptions et comportements de prévention face à la dengue en Martinique Perceptions and preventive behavior against dengue fever in Martinique M. Setbon, J. Raude, en collaboration avec la Cire Antilles-Guyane
Mots clés : Dengue ; Facteurs associés à la contamination Keywords: Dengue fever; Factors of contamination
La dengue, arbovirose transmise par le moustique Aedes aegypti est présente dans les départements français d’Amérique (DFA) depuis la fin des années 1970. Cette pathologie y connaît depuis 1995 une double évolution : d’une part, une explosion du nombre de cas sous forme de pics épidémiques saisonniers suivis de périodes endémiques et d’autre part, un changement virologique à travers l’émergence de nouveaux sérotypes (4 à ce jour) dont certains apparaissent liés à la multiplication de nouvelles formes cliniques graves, telle la dengue hémorragique (Fig. 1). La lutte contre le moustique, collective et individuelle, qui vise à prévenir des piqûres de moustique est ainsi devenue un enjeu sanitaire d’autant plus important qu’il est le seul moyen capable d’en réduire l’incidence. L’identification de son impact sur la probabilité de contamination dans la population de la Martinique et des facteurs subjectifs et objectifs qui la déterminent apparaît ainsi comme un préalable essentiel pour orienter l’action publique et les campagnes de communication en direction de la population exposée. Une enquête socio-épidémiologique a été conçue, réalisée et analysée dans cette perspective en 2007 en Martinique.
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1. Objectifs et méthode de l’enquête Les deux principaux objectifs de l’enquête réalisée étaient : 1) de mesurer la prévalence et la distribution de la contamination par le virus de la dengue sur un échantillon représentatif de la population adulte et, 2) d’identifier parmi les facteurs sociaux, les conditions environnementales, les perceptions, les représentations et les comportementaux, ceux qui ont une influence sur l’occurrence de la contamination. Après une enquête qualitative exploratoire par groupes de discussion et entretiens individuels réalisés en janvier 2007, un questionnaire a été établi et passé auprès d’un échantillon représentatif de la population martiniquaise (n = 1 001 personnes âgées de plus de 15 ans), selon la méthode des quotas (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle) après stratification géographique. L’enquête a été réalisée par téléphone par la société IPSOS. Le questionnaire comprenait une centaine de questions fermées et quelques questions ouvertes, le temps de passation étant en moyenne de 30 minutes. Les questions portaient sur 7 grandes rubriques : 1) l’expérience de la maladie ; 2) les connaissances et croyances sur la maladie ; 3) la perception du risque lié à la dengue ; 4) les attitudes et les valeurs ; 5) la connaissance et les perceptions de l’efficacité des modes de protection ; 6) les pratiques de protection ; 7) les données socio-démographiques.
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Périodes Epidémiques (1995-96 et 1997-98)
Période Epidémique (2001-02)
S79
Période Epidémique (2005)
1000
800 Période inter épidémique et fortes recrudescences saisonnières (1998-01)
Période inter épidémique et faibles recrudescences saisonnières (2002-04)
600
400
DEN-4
DEN-4 ? DEN-2
DEN-1 DEN-2
DEN-1 DEN-2
DEN-3 DEN-1 DEN-2
DEN-3 DEN-1 DEN-2
DEN-3
DEN-3 ?
DEN-3 DEN-1 DEN-2
200
0 95 5 95 96 6 96 97 7 97 98 8 98 99 9 99 00 0 00 01 1 01 02 2 02 03 3 03 04 4 04 05 5 05 06 6 06 v- ai-9 pt- nv- ai-9 pt- nv- ai-9 pt- nv- ai-9 pt- nv- ai-9 pt- nv- ai-0 pt- nv- ai-0 pt- nv- ai-0 pt- nv- ai-0 pt- nv- ai-0 pt- nv- ai-0 pt- nv- ai-0 ptn ja m se ja m se ja m se ja m se ja m se ja m se ja m se ja m se ja m se ja m se ja m se ja m se
Fig. 1. Bilan de la surveillance des cas de dengue confirmés (Sérologie IgM positives et sérotypes) : évolution mensuelle de 1995 à 2006 (source InVS-Cire Antilles Guyane). Fig. 1. Surveillance of confirmed dengue fever cases (IgM antibodies and serotypes): monthly evolution from 1995 to 2006 (source: InVS-Cire AntilleGuyanne).
2. Résultats 2.1. L’expérience de la dengue À la question « Au cours de votre vie avez-vous eu la dengue ? », 19,4 % des personnes ont répondu « oui », dont 58 % rapportant une infection unique. Les 42 % restant déclarant, pour 66 % d’entre eux l’avoir eu deux fois, 23 % trois fois et 9 % quatre fois. Lors de la dernière épidémie (2006-2007), 3,6 % de l’échantillon déclarent avoir eu la dengue, parmi lesquels 83 % ont consulté un médecin ; 60 % d’entre eux ont eu un prélèvement sanguin qui s’est avéré positif pour 94 % de ces derniers (6 % ne savent pas). 2.2. La perception du risque de contracter la dengue La perception du risque désigne l’ensemble des jugements qualitatifs et quantitatifs que les individus expriment lorsqu’on leur demande d’évaluer un produit ou une activité dangereuse [1]. Pour caractériser la perception du « risque de dengue » au sein de la population, nous avons demandé aux personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de nous préciser : 1) leur évaluation de la gravité de la maladie ; 2) leur estimation de leur probabilité d’en être atteint ; 3) leur degré d’inquiétude vis-à-vis de la maladie, et 4) comment ils situaient la maladie sur une échelle graduée de risques sanitaires. Les résultats obtenus sont les suivants. La dengue semble être considérée comme une maladie relativement grave (note moyenne de 8,3 sur une échelle de
0 à 10) mais qui suscite paradoxalement une inquiétude modérée pour sa propre santé (note moyenne de 6,6 ! Il faut ajouter que cette inquiétude augmente quand il s’agit de ses proches (moyenne de 7,1) et de la population en général (moyenne de 7,9). Enfin, comparée à d’autres risques sanitaires, la dengue se situe en 4e position par rapport à 8 risques évoqués. 2.3. Principaux résultats concernant les connaissances sur la dengue, sur l’efficacité perçue des moyens de protection et sur les pratiques de protection La grande majorité de la population connaît bien les principales caractéristiques de la maladie et des voies de transmission (seule une minorité, près de 20 %, n’est plutôt pas ou pas du tout d’accord avec la proposition selon laquelle « la dengue se transmet seulement par la piqûre du moustique Aedes aegypti ») et reconnaît la pertinence ainsi que la vertu de la prévention. Par ailleurs, la grande majorité des individus pensent pouvoir se protéger efficacement (plus de 80 % de la population). Mais seule la moitié des personnes interrogées rapporte des changements au cours de la dernière crise. Par contre, l’utilisation fréquente des moyens de protection individuels apparaît faible : ainsi, ils ne sont que 41 % à déclarer utiliser régulièrement des ventilateurs et climatiseurs (probablement pour des raisons indépendantes des moustiques !), 26 % à utiliser des moustiquaires tous les
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jours, tandis que l’usage régulier de sprays et crèmes corporels ne concerne que 6 % d’entre eux. À ce faible recours aux moyens de protection individuels efficaces contre les piqûres de moustiques, plusieurs raisons sont évoquées : près de 46 % en évoquent diverses, 30 % disent « qu’il y aurait moins de moustiques », 13 % l’expliquent du fait « qu’on en parle moins et qu’on n’y pense plus » et 11 % que les produits « sont inefficaces et ne servent à rien ». 2.4. Les facteurs associés à la contamination Le traitement statistique systématique visant à identifier les corrélations significatives entre les variables exprimées à travers les réponses et le fait d’avoir eu la dengue produit les résultats suivants (Tableau 1). Des associations significatives ont été identifiées entre certaines variables socio-démographiques et contamination par le virus de la dengue. Ce sont : – les catégories socioprofessionnelles (CSP) supérieures sont davantage contaminées que les CSP inférieures ; – ceux qui ont un niveau d’instruction élevé sont davantage contaminés que les moins instruits ; – les métropolitains sont davantage contaminés que les natifs dans l’île ; – ceux qui disposent de revenus plus élevés sont davantage contaminés que les plus pauvres ; – les mieux informés sont plus infectés que les moins bien informés ; – les habitants de maisons avec jardin sont plus fréquemment contaminés que ceux habitant en logement collectif ; – enfin, l’unique variable subjective corrélée à la contamination est de faire état d’une attitude « fataliste » : mais ce sont les non-fatalistes qui sont plus contaminés que les fatalistes. Aucune association n’a été trouvée entre la contamination et la distribution des facteurs déterminant la perception du risque de dengue, le niveau de connaissance, les jugements portés sur l’efficacité des moyens de protection, ni les pratiques de protection.
3. Discussion Avec près de 20 % de la population de la Martinique qui ont contracté la dengue au moins une fois au cours des trois dernières décennies, les résultats de l’enquête visant à en identifier les déterminants débouchent sur des constats paradoxaux. Ainsi, malgré une bonne connaissance de la maladie, de ses conséquences morbides et mortelles et des moyens de s’en protéger, les Martiniquais se protègent (indi-
viduellement) peu des moustiques. De même, la perception qu’ils ont du risque se singularise à la fois par une gravité élevée, une estimation de la probabilité d’en être atteint forte (plus de 50 % pense pouvoir contracter la dengue dans le futur) et une inquiétude modérée [2]. On peut interpréter ces deux constats par la familiarité qu’ils ont développée, tant par rapport au vecteur-moustique que par rapport à la maladie qui s’est installée dans leur paysage : on peut donc évoquer l’émergence d’une « culture de la dengue ». Le second constat paradoxal concerne le profil sociodémographique des personnes ayant eu la dengue : il est à l’inverse de celui attendu et constaté lors de la plupart des épidémies de maladies infectieuses [3]. Faire état d’un niveau d’éducation inférieur, de revenus réduits et d’un statut social correspondant auxquels s’ajoute un moindre niveau d’information n’est pas associé, dans ce contexte endémo-épidémique, à une probabilité plus élevée de se contaminer, mais au contraire représente autant de conditions la réduisant ! Quant à la corrélation identifiée avec une attitude fataliste, elle peut être interprétée comme un marqueur d’une situation socioculturelle propre à cette population défavorisée et non pas comme un facteur du niveau de protection, par ailleurs faible et uniformément répartit dans l’ensemble de la population Martiniquaise. Ces paradoxes soulignent d’une part la discontinuité, régulièrement constatée, entre la connaissance du risque et l’action (individuelle) visant à le réduire [4-6], et d’autre part la réticence, partagée par l’ensemble de la population, à s’engager dans une démarche de protection dans la durée. La banalisation de la dengue a pour corollaire de ne pas recourir à une protection reconnue comme efficace mais coûteuse sur le plan psychologique et comportemental [7], surtout en période inter-épidémique. Avec pour conséquence de laisser à la charge de la seule protection collective, la lutte anti-vectorielle, le pouvoir de contrarier l’histoire naturelle de la diffusion du virus et d’expliquer le constat paradoxal de sa distribution socio-démographique.
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Tableau 1 Facteurs associés à la contamination par le virus de la dengue. Factors associated with dengue virus contamination. Variable
Effectifs
Prévalence
Significativité
Agriculteur
21
42,9 %
< 0,001
Artisans et commerçants
55
30,9 %
Cadres et professions libérales
60
30,0 %
Professions intermédiaires
72
26,4 %
Employés
221
19,5 %
Ouvriers
142
17,6 %
Niveau primaire
311
12,8 %
CAP/BEP/BEPC
227
19,8 %
Baccalauréat
240
19,6 %
Etudes supérieures
223
27,8 %
Métropole
94
30,9 %
Antilles
859
18,4 %
Moins de 750
162
14,2 %
De 750 à 1500
284
16,9 %
De 1500 à 3000
266
23,7 %
Plus de 3000
128
24,2 %
Maison avec jardin
560
22,1 %
Maison sans jardin/appartement
441
15,9 %
Indice < 3
238
10,9 %
Indice < 5
495
20,0 %
Indice ≥ 5
69
25,7 %
Fatalisme : oui
438
15,3 %
Fatalisme : non
529
23,3 %
Ensemble :
1001
19,4 %
CSP du chef de famille :
Niveau d’études : < 0,001
Lieu de naissance : < 0,01
Niveau de revenu : < 0,01
Habitat : < 0,01
Connaissance de la maladie : < 0,001
Attitudes et valeurs : < 0,001