Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale

Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale

Revue du Rhumatisme 79S (2012) A18-A21 Conférence d’actualité Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale✩ Fabrice Mac Way a, b, Myriam Lessard a, ...

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Revue du Rhumatisme 79S (2012) A18-A21

Conférence d’actualité

Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale✩ Fabrice Mac Way a, b, Myriam Lessard a, c, Marie-Hélène Lafage-Proust a aINSERM

U1059, Université de Lyon, F-42023 ; CHU, F-42055, Saint-Etienne cedex 2, France

bNéphrologie,

Hôtel-Dieu de Québec, G1R 2J6 Québec, Canada

cNéphrologie,

Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, Ouest Montréal, H4J 1C5 Québec, Canada

I N F O

A R T I C L E

Mots clés : Parathormone FGF23 Biopsie osseuse Turnover Ostéomalacie Hyperparathyroïdie secondaire

R É S U M É

La maladie rénale chronique (MRC) induit des troubles du métabolisme des minéraux conduisant à des lésions osseuses et des calcifications vasculaires qui grèvent son pronostic vital et fonctionnel. L’atteinte osseuse est caractérisée par des lésions histologiques regroupées sous le nom d’ostéodystrophie rénale (ODR) : altération du niveau du turnover qui peut être élevé (ostéite fibreuse, OF) ou effondré (ostéopathie adynamique OA), troubles de la minéralisation (ostéomalacie OM) et perte osseuse. L’hyperparathyroïdie secondaire liée à la rétention précoce de phosphate (qui induit une augmentation de la synthèse de FGF23 par l’os), de la diminution de la synthèse rénale de calcitriol et de l’hypocalcémie est associée à l’OF. L’acidose, l’inflammation chronique et des troubles de la nutrition auxquels se surajoutent les complications iatrogènes. © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction L’insuffisance rénale chronique (IRC) entraine de façon précoce des troubles du métabolisme du phosphate et du calcium qui font le lit de l’hyperparathyroïdie secondaire (HPT II). De plus, l’IRC perturbe de nombreuses autres fonctions telles que la régulation du pH sanguin ou la nutrition et associe, à des degrés divers, des phénomènes inflammatoires qui, à leur tour, vont retentir de façon plus ou moins spécifique sur le squelette. Ainsi, les lésions osseuses rencontrées lors de l’IRC résultent de l’accumulation des toxines urémiques au sens large, à laquelle peut se surajouter une pathologie iatrogène. Leur physiopathologie déborde largement du simple cadre nosologique des troubles du métabolisme phosphocalcique dans lequel on l’a trop longtemps cantonnée. L’ostéodystrophie rénale (ODR) était le terme utilisé pour décrire les différents symptômes osseux et les anomalies biologiques du métabolisme phospho-calcique observées au cours de l’IRC. Cependant, en 2006, la conférence consensus KDIGO (Kidney Disease Improving Global Outcomes) a proposé d’utiliser le terme de Troubles Minéraux et Osseux de la Maladie Rénale Chronique (TMOMRC) ou Chronic Kidney Disease-Mineral and Bone Disorder (CKDMBD) pour les anglo-saxons) pour définir la maladie systémique de l’IRC touchant le métabolisme osseux et minéral [1]. Elle se caractérise par une ou plusieurs des manifestations suivantes : cliniques (calcifications vasculaires et calcinose tumorale, fractures, troubles de la croissance chez l’enfant), histologiques osseuses (ostéodystro-

✩ Ne pas utiliser, pour citation, la référence française de cet article, mais la référence anglaise de Joint Bone Spine. Adresse e-mail : [email protected] (Marie-Hélène Lafage-Proust)

phie rénale proprement dite dont le diagnostic précis repose sur une biopsie osseuse) et biologiques (anomalies des concentrations de parathormone (PTH), calcium, phosphore et vitamine D circulants). Ce nouveau cadre se justifie car les mécanismes physiopathologiques de ces différents symptômes sont étroitement intriqués. Nous ne traiterons ici que des lésions osseuses de l’adulte à l’exclusion de celles survenant après une transplantation rénale. 2. Nosologie de l’ostéodystrophie rénale Elle est résumée dans le tableau 1. La classification TMV des lésions osseuses a été proposée par la conférence KDIGO. Elle prend en compte les trois types d’anomalies osseuses qui les caractérisent : T pour turnover, M pour minéralisation et V pour volume (ou masse). Le turnover peut être normal, élevé ou bas ; il est évalué par la mesure du taux de formation osseuse (ou BFR pour Bone Formation Rate). Un turnover osseux élevé est associé à des paramètres de résorption accrus. La minéralisation primaire, qui peut être normale ou diminuée, se mesure par la quantification du tissu ostéoïde (collagène non encore minéralisé), la vitesse de minéralisation et le délai de minéralisation (ou MLT pour Mineralisation Lag Time). La masse osseuse peut être normale, élevée ou basse ; elle est évaluée par le BV/TV (pour Bone Volume/Tissue Volume) pour le compartiment trabéculaire et l’épaisseur et la porosité pour les corticales. En combinant les deux premières anomalies on retrouve les lésions anciennement décrites d’ostéite fibreuse, ostéomalacie, ostéopathie mixte urémique et ostéopathie adynamique, qui peuvent s’associer à des degrés divers à des variations de la masse osseuse. Actuellement, la prévalence des lésions osseuses à turnover osseux bas est supérieure à celle à turnover élevé.

1169-8330/$ - see front matter © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Revue du Rhumatisme 79S (2012) A18-A21 Tableau 1 : Cadre nosologique des lésions osseuses de l’ostéodystrophie rénale (No : normal). Turnover Minéralisation Masse

Turnover osseux

Minéralisation osseuse primaire

Tissu ostéoide

Masse osseuse

Ostéite fibreuse

 ou 

No ou 

 ou 

No ou  ou 

Ostéopathie adynamique



No

0 ou 

No ou  ou 

Ostéomalacie Ostéopathie mixte

ou

ou

No ou

ou

No ou

ou

3. Physiopathologie des troubles du métabolisme minéral (figure 1) 3.1 Le FGF23, la Parathormone et la vitamine D : les trois hormones clés de l’ODR La cinétique d’apparition et le poids des différents facteurs induisant ou aggravant l’ODR sont encore controversés. Le FGF 23 (pour Fibroblast Growth Factor 23) est une hormone synthétisée par les ostéoblastes et surtout par les ostéocytes. Le FGF23 est stimulé par l’augmentation de la phosphatémie, mais aussi par la vitamine D et probablement par la parathormone (PTH) [2] mais ceci est controversé [3]. Au cours de la MRC, à mesure que la rétention en phosphate s’aggrave du fait de la diminution progressive des capacités d’excrétion urinaire des néphrons restants, la phosphatémie va s’accroitre malgré l’augmentation de FGF23. La concentration sérique de FGF23 augmente à mesure que la filtration glomérulaire diminue – ceci est dû à la fois à une augmentation de synthèse et à une rétention liée à l’insuffisance rénale – et elle corrèle positivement avec la phosphatémie [4]. Les concentrations normales de FGF23 sont de l’ordre de 50 RU/ml, aux stades précoces elles augmentent jusqu’à 500 RU/ml et sont > 10 000 RU/ml chez le dialysé. Une des hypothèses est que cette élévation du FGF23 sérique augmente l’excrétion urinaire de phosphate par les néphrons restants, ce qui permettrait à la phosphatémie de rester normale au début de la MRC [5]. Le FGF23 aurait aussi une action inhibitrice sur la synthèse de PTH par les glandes parathyroïdes (boucle de rétro contrôle négatif) [6]. Enfin, le FGF23 diminue les concentrations sériques de calcitriol en inhibant la 1-alpha hydroxylase qui le synthétise et en stimulant la 25-hydroxyvitamine D-24-hydroxylase qui l’inactive [7]. La diminution de synthèse rénale de calcitriol liée à la MRC survient du fait de la réduction de la masse néphronique, et ce, malgré

Fig. 1. Physiopathologie de l’ostéodystrophie rénale. _____I : inhibe,  : stimule. La zone gris foncé représente le compartiment osseux. Les traits (------) représentent les actions du FGF23. ¢ : cellule. PTH : parathormone, FGF23 : Fibroblast growth factor 23 ; Le récepteur sensible au calcium (CaSR), le récepteur de la vitamine D (VDR) et le récepteur du FGF23 (FGFR1) voient leur expression par les cellules parathyroïdiennes (¢) diminuer au cours de l’IRC. La dentin matrix protein 1 (DMP1) et la sclérostine (SOST) sont exprimées par les ostéocytes. Leurs interrelations avec le FGF23 sont encore incomplètement connues ( ?) et sont détaillées dans la figure 2.

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l’augmentation croissante de la PTH sérique qui, elle, active la 1-alpha hydroxylase rénale. L’accroissement de la concentration intracellulaire en phosphate diminue en réalité l’efficacité de la un-alpha hydroxylase et aggrave ainsi le déficit en calcitriol [8]. Cette diminution de la calcitriolémie a trois conséquences : la diminution de l’absorption digestive du phosphate (ce qui est bénéfique dans ce contexte) mais aussi celle du calcium (délétère) et la réduction (délétère) des effets génomiques freinateurs du calcitriol sur la synthèse de PTH par la glande parathyroïde. Cependant, le calcitriol circulant n’est pas exclusivement d’origine rénale et l’IRC garde des capacités d’activation de la vitamine D non négligeables grâce à la un-alpha-hydroxylase exprimée par d’autres tissus que le rein [9, 10]. L’hyperparathyroïdie secondaire résulte de facteurs multiples et intriqués, comme illustré dans la figure 2 : la concentration cellulaire en phosphate dans les glandes parathyroïdes contribue à augmenter la durée de vie des ARN messagers de la parathormone, la diminution de la calcitriolémie lève l’inhibition de la transcription de PTH et induit une hypocalcémie. Cette hypocalcémie relative due à la diminution de la réabsorption tubulaire rénale et de l’absorption intestinale du calcium, stimule directement la synthèse des ARNm de la PTH, ainsi que sa sécrétion, par stimulation des récepteurs sensibles au calcium (CaSR) des cellules parathyroïdiennes. De plus, au sein des glandes parathyroïdes, l’expression des récepteurs du calcium [11] de la vitamine D [12] du FGF23 (FGFR1) et de son co-récepteur Klotho [13] diminue progressivement, ce qui fait le lit de leur autonomisation. L’augmentation de la concentration sérique de PTH que l’on observe au cours de la MRC est due dans un premier temps à une augmentation des capacités de synthèse et de sécrétion des cellules. Puis on assiste à une hyperplasie de la glande liée à la fois à une hypertrophie des cellules et à une prolifération accrue, encore potentiellement freinable par des mesures thérapeutiques. Enfin, des clones apparaissent (hyperplasie nodulaire) qui donnent naissance à de véritables adénomes autonomisés avec hyperparathyroïdie réfractaire (ou tertiaire) caractérisée sur le plan biologique par une hypercalcémie et une élévation majeure de la PTH sérique. De plus, l’augmentation de la PTH sérique dans la MRC est également liée à l’accumulation de nombreux fragments (dont un fragment C-Terminal 7-84 ayant peutêtre une activité biologique propre [14].

Fig. 2. Réseau moléculaire impliqué dans la régulation du phosphate et de la minéralisation osseuse. Régulation physiologique : ……….> : ❶, 1re boucle de régulation : la PTH stimule la synthèse de calcitriol qui inhibe celle de la PTH. ____ : ❷, 2e boucle de régulation : La PTH stimule l’expression du FGF23 qui inhibe celle de la PTH : ❸, 3e boucle de régulation : Le FGF23 inhibe la synthèse de calcitriol qui stimule le FGF23. -----> : ❹, 4e boucle de régulation : La PTH stimule DMP-1 qui inhibe FGF23 qui inhibe la PTH. _____> :❺, 5e boucle de régulation : l’hyperphosphatémie stimule la PTH et le FGF23 qui augmentent l’excrétion urinaire du phosphate. MEPE et DMP1, protéines de la famille des SIBLINGS exprimées par les ostéocytes, peuvent être clivées en peptides ASARM qui peuvent augmenter l’excrétion urinaire du phosphate et jouer un rôle direct sur la minéralisation osseuse. Dysrégulation dans l’Insuffisance rénale chronique (IRC) avancée : l’excrétion urinaire du phosphate disparaît. La synthèse de PTH et de FGF23 augmente alors que celle de la 1,25 (OH)2 vitamine D diminue. L’expression de la DMP1 ostéocytaire augmente, l’implication de MEPE et des peptides ASARM est inconnue.

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lombaire et fémorale [20]. Chez des patients dialysés, les concentrations sériques de sclérostine et de PTH corrèlent négativement. La sclérostine prédit le turnover osseux et la masse osseuse [21]. Ainsi, il apparaît que l’ostéocyte joue un rôle central dans les dérégulations observées au cours de l’ODR, toutefois les rôles respectifs des protéines qu’il exprime et leur hiérarchie sont encore inconnues. 4. Physiopathologie des lésions osseuses de l’ODR Le tissu osseux est la cible des désordres du métabolisme du phosphate et du calcium observés au cours de la MRC. 4.1 Turnover osseux

Fig. 3. A-D: Biopsies osseuses de crête iliaque. A-C : Immunohistochimie de DMP1. A : Surexpression de DMP1 par les ostéocytes chez un patient dialysé présentant une hyperparathyroïdie secondaire. B : Contrôle négatif par remplacement de l’Ac primaire anti DMP1 par une IgG non spécifique. C : Ostéoporose chez un patient non insuffisant rénal, immunomarquage de DMP1 très discret. Têtes de flèches : ostéoblastes, (……….) limite inférieure d’une large bordure ostéoïde, témoignant de l’hyper-remodelage. D : Images de biopsies osseuses de patients IRC dialysés présentant une perte osseuse trabéculaire et corticale (Coupes microtomographiques obtenues par radiation synchrotron, ESRF, Grenoble). Noter l’amincissement des corticales et leur porosité accrue.

3.2 DMP1 et SOST, exprimés par les ostéocytes seraient impliqués dans l’ODR (figure 3) La synthèse de FGF23 est freinée localement par une protéine ostéocytaire appelée DMP-1 (pour Dentin matrix protein 1) par le biais du récepteur FGFR1 [15]. Les souris déficientes en DMP-1 ont des concentrations sériques de FGF23 très élevées et sont ostéomalaciques du fait d’une profonde hypophosphatémie. L’expression de DMP1 est stimulée par la PTH. Chez l’insuffisant rénal présentant une HPTII, l’inhibition du FGF23 par la DMP1 disparaît, et DMP1 est fortement surexprimée (figure 2) en même temps que celle du FGF23 [16]. La DMP1 fait partie d’une famille de glycoprotéines appelée SIBLINGS pour Small Integrin-Binding Ligand Interacting Glycoproteins, toutes rassemblées sur le site 4q22 du chromosome 4, nommé le « bone cluster » qui inclut, entre autres, l’ostéopontine, la sialoprotéine osseuse (BSP), et la matrix extracellular phosphoglycoprotein (MEPE). Certaines de ces protéines jouent un rôle dans la minéralisation osseuse à travers des actions directes sur la matrice et indirecte par le biais de leur clivage qui induit le relargage dans la circulation générale et fragments (ASARM) dont l’effet est d’augmenter l’excrétion urinaire du phosphate. Par ailleurs, il a été montré récemment que l’ostéocyte joue un rôle majeur dans la régulation de l’activité ostéoclastique en modulant le ratio RANKL/OPG par le biais de la voie WNT/beta-caténine [17]. La sclérostine (SOST), dont l’expression est essentiellement ostéocytaire, bloque la voie Wnt et par ce biais, inhibe aussi la formation osseuse. De plus, SOST serait un facteur par l’intermédiaire duquel la PTH contrôle l’expression ostéocytaire de FGF23 [18]. Dans un modèle murin d’IRC progressive, Sabbagh et coll. [19] ont montré que l’expression ostéocytaire de SOST augmente dans un premier temps, puis diminue dans les stades tardifs de la maladie rénale. De façon intéressante, dans ce modèle, l’augmentation des marqueurs de résorption associée à la surexpression de SOST précédent l’élévation de la PTH suggérant que l’hyper-remodelage observé précocement ne relevait pas des effets de la PTH. Chez des patients IRC avant dialyse, la sclérostine corrèle négativement avec la filtration glomérulaire et, de façon paradoxale, positivement avec la densité minérale osseuse

L’hyperparathyroïdie secondaire active la formation ostéoblastique et la résorption ostéoclastique et conduit ainsi à une accélération du turnover osseux qui s’associe dans les formes sévère à une fibrose médullaire conduisant à l’ostéite fibreuse. L’accroissement de la quantité de minéraux circulants qui en résulte contribuera, à remonter la calcémie, voire à induire une hypercalcémie, mais aussi à favoriser la précipitation extra squelettique de calcium et de phosphate, incluant les calcifications vasculaires dont l’éclosion dépend par ailleurs de nombreux autres facteurs [22]. De plus, la maladie osseuse urémique induit une diminution de l’expression des récepteurs de la PTH [23] qui, associée à d’autres causes, va entrainer une résistance osseuse à la PTH. En d’autres termes, des concentrations sériques de PTH devront être supérieures à la normale pour espérer induire un niveau de remodelage osseux normal. Par ailleurs, en l’absence d’HPT floride, et pour des PTH basses, normales (ie < 65pg/ml) ou un peu élevées, le remodelage osseux de l’urémique a tendance à être plutôt bas, voire effondré ce qui caractérise l’ostéopathie adynamique. L’intoxication aluminique, décrite en 1989, n’est plus en cause en Europe. Parmi les facteurs de risques d’OA, on retrouve l’âge, le diabète, la dialyse péritonéale et la suppression excessive de la sécretion de PTH par les sels de calcium et/ou l’utilisation des dérivés 1-alpha-hydroxylés de la vitamine D. Cependant, l’OA a été décrite chez des patients en prédialyse qui n’avaient reçu aucun traitement préventif, témoignant du caractère intrinsèque de l’OA lié à la MRC. Le turnover osseux bas de l’OA a probablement plusieurs origines : le déficit en BMP7 (Bone Morphogenetic protein 7) sécrété par le rein [24], la résistance osseuse à la PTH (cf. supra) et l’augmentation de l’expression d’inhibiteurs de la voie wnt tels que SOST [19], Dikkopf1 ou sFRP4 (secreted Frizzled related protein -4, 19) et l’accumulation de fragments de PTH potentiellement inhibiteurs du remodelage. Dans des conditions de turnover osseux bas et de balance calcique positive (entrées > sorties), l’excès de calcium (d’origine alimentaire ou thérapeutique – calcium per os ou calcium du dialysat –) ne peut plus être « tamponné » par le squelette, ce qui aura pour conséquence une hypercalcémie et une augmentation des calcifications vasculaires [25]. Ainsi, le remodelage osseux joue une rôle majeur dans les complications extra squelettiques des TMO-MRC, notamment si la balance calcique est anormale, en particulier chez le dialysé [25, 26]. 4.2 Les troubles de la minéralisation La minéralisation osseuse primaire est caractérisée par le dépôt d’hydroxy-apatite de calcium le long des fibres de collagène. Il s’agit d’un processus dépendant de la quantité de calcium et de phosphate disponible mais aussi de l’activité des ostéoblastes par le biais d’un nombre croissant de molécules (phosphatase alcaline, ectonucleotide pyrophosphatase phosphodiesterase 1 -NPP1/PC-1/Enpp1 –, phosphatase orphan 1-PHOSPHO1 –, symports de phosphate sodiumdépendants (Pit1/2), cell-associated ankylosis protein (ANK). Des données récentes démontrent que les ostéocytes y jouent aussi un rôle majeur à travers l’expression des SIBLINGS et de SOST [27]. Ce processus est encore mal expliqué. Dans l’ODR, l’ostéomalacie pure est la lésion la plus rarement rencontrée. Il y a 20 ans, l’intoxication par l’aluminium en était la cause essentielle ; elle a maintenant dis-

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paru, sauf dans les pays ou on continue à utiliser les sels d’aluminium comme chélateurs du phosphate ou à ne pas purifier de l’aluminium les bains de dialyse. L’hypovitaminose D par manque d’apport alimentaire de vitamine D native ou par anhélie est fréquente, mais elle est de plus en plus systématiquement compensée par des apports de cholécalciférol. L’acidose métabolique altère directement la minéralisation et sa correction la normalise [28]. L’hypophosphatémie est rare. Elle survient parfois dans des situations cliniques de dénutrition et d’inflammation chronique. Enfin, il est possible que l’excès de fer ou de strontium soit potentiellement responsable d’ostéomalacie. Compte tenu des données récentes concernant la minéralisation osseuse et du rôle des SIBLINGS, il est probable qu’une meilleure connaissance de la physiopathologie des troubles de la minéralisation verra le jour. 4.3 La perte osseuse La perte osseuse est liée aux troubles du remodelage en rapport l’augmentation de la PTH circulante qui induit un excès de résorption par rapport à la formation. La masse osseuse trabéculaire peut – être alors augmentée ou basse, alors que les corticales sont le siège s’une accentuation de la porosité et d’un amincissement responsables de leur fragilité [29] (figure 3). En l’absence d’HPT II, il est possible que la diminution de la formation osseuse liée à la surexpression de SOST soit à mettre en cause. D’autre part, l’hypogonadisme, souvent précoce au cours de la MRC chez les femmes et les hommes, vient se surajouter comme facteur favorisant. De plus, l’état d’inflammation chronique (avec TNF-alpha et IL-6 circulants élevés) entretenu par les troubles de la nutrition et associés aux modifications de concentrations sériques des adipokines pouvant influencer la masse osseuse comme la leptine, la résistine ou l’adiponectine sont autant de facteurs pouvant moduler la masse osseuse chez l’urémique [30]. Leur impact réel n’est pas encore connu. Enfin, les antécédents de transplantation rénale étant souvent retrouvés comme facteur risque de diminution de la DMO ou de fractures, il est donc vraisemblable que la corticothérapie et les traitements immunosuppresseurs en général jouent un rôle important dans la perte osseuse. 5. Conclusion L’ODR est caractérisée par la combinaison de troubles du remodelage osseux, de la minéralisation et d’une perte osseuse qui résultent d’anomalies du métabolisme phospho-calcique. On commence à peine à comprendre les relations physiopathologiques complexes existant entre ces différents modes d’expression clinique des désordres métaboliques de l’IRC qui mettent en jeu le pronostic fonctionnel et vital des patients urémiques Déclaration d’intérêts Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts. Références [1] Moe S, Drüeke T, Cunningham J, Goodman W, Martin K, Olgaard K, et al. Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO). Definition, evaluation, and classification of renal osteodystrophy: a position statement from Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO). Kidney Int 2006 ;69:1945-53. [2] Lavi-Moshayoff V, Wasserman G, Meir T, Silver J, Naveh-Many T. PTH increases FGF23 gene expression and mediates the high-FGF23 levels of experimental kidney failure: a bone parathyroid feedback loop. Am J Physiol Renal Physiol 2010 ; 299:F882-9. [3] Saji F, Shigematsu T, Sakaguchi T, Ohya M, Orita H, Maeda Y, et al. Fibroblast growth factor 23 production in bone is directly regulated by 1{alpha}, 25-dihydroxyvitamin D, but not PTH. Am J Physiol Renal Physiol 2010 ;299:F1212-7.

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