Table ronde Polypes et polyposes (GFHGNP)
Polypes juvéniles et polyposes de l’enfant J. Viala Service des maladies digestives et respiratoires, AP-HP, hôpital Robert-Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France
L
a découverte d’un polype colique chez l’enfant n’est pas exceptionnelle puisque 6,1 % des 13 115 colonoscopies pédiatriques de la cohorte internationale PEDS-CORI ont révélé un polype [1]. Les polypes de l’enfant relèvent de 2 situations cliniques très distinctes. D’une part, le polype juvénile isolé sans risque évolutif à long terme reste la situation la plus fréquente, tandis que, d’autre part, les polyposes génétiquement déterminées induisent un risque majeur de cancer à long terme. Les signes cliniques des polyposes et les antécédents familiaux sont des éléments d’orientation essentiels. Nous traiterons des polyposes de l’enfant, à l’exception de la polyadénomatose familiale (PAF) qui est abordée par le Dr Bonnet dans ce même numéro.
1. Polype juvénile Le polype juvénile isolé représente la lésion le plus fréquemment observée, avec une prévalence de 70,5 % des polypes dans la cohorte PEDS-CORI [1]. Le tableau clinique est généralement celui d’un garçon d’environ 5 ans qui souffre de rectorragies modestes (94 % des cas), parfois responsables d’anémie ferriprive [2]. Les hémorragies massives nécessitant une transfusion sont rares avec 4 cas parmi 487 enfants porteurs de polype colique [2]. Les douleurs abdominales, le prolapsus du polype ou la diarrhée sont des symptômes plus rares. La grande majorité de ces polypes juvéniles isolés se localise dans le rectosigmoïde (63 à 84 %), permettant au toucher rectal de faire le diagnostic dans 20 % des cas [1,2]. La coloscopie complète reste l’outil diagnostique et thérapeutique de choix, quoique l’utilisation diagnostique de techniques moins invasives (échographie, IRM, vidéocapsule colique) soit à l’étude. L’endoscopie a l’avantage de permettre l’exérèse de la lésion avec un taux de complications très faible chez l’enfant. En cas de polypes juvéniles multiples, les risques de récidive et de dysplasie augmentent, plaidant en faveur d’un contrôle endoscopique et d’une analyse génétique [3].
2. Syndrome de Peutz-Jeghers À l’inverse de la PAF, le syndrome de Peutz-Jeghers (SPJ) concerne principalement l’enfant. Ainsi 60 % des patients sont symptomatiques avant 20 ans [4]. Chez l’enfant, les douleurs abdominales prédominent (50 %), suivies des rectorragies (13 %) et de l’anémie *Auteur correspondant e-mail :
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90 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2014;21:90-91
(11 %) [5]. La lentiginose péri-orificielle (notamment labiale) est un signe diagnostique important puisqu’il suggère le diagnostic avant tout symptôme dans 90 % des cas. Si les hamartomes peuvent toucher l’ensemble du tube digestif, ils prédominent dans l’intestin grêle où leur imposant volume est responsable d’invagination chez 69 % des patients [4]. Actuellement, les études recommandent que la recherche des polypes de l’intestin grêle utilise la vidéocapsule endoscopique ou l’IRM dès 8 ans [6]. Plusieurs études récentes suggèrent qu’un début de dépistage plus précoce éviterait nombre d’invaginations compliquées [7]. À ce jour, la résection des polypes doit autant que possible faire appel aux techniques d’entéroscopie assistée pour éviter les entérotomies itératives [6]. Le SPJ est une polypose hamartomateuse qui touche 1/50 000 à 1/200 000 personnes, liée aux mutations du gène STK11/lKB1 transmises de façon autosomique dominante. Le SPJ est également un syndrome de prédisposition aux cancers avec un risque relatif majoré de 15 fois [8]. Tout le tube digestif peut être atteint, mais également le pancréas, le poumon, les testicules, les seins, l’utérus et les ovaires. Dans l’intestin, les polypes ne semblent pas à l’origine du cancer. Certains cancers ont été rapportés dès l’âge pédiatrique au niveau de l’estomac (10 ans), du pancréas (16 ans), des testicules (3 ans), du sein (9 ans) ou des ovaires (4 ans) [8]. Les tumeurs gonadiques de la prime enfance sont le plus souvent bénignes mais responsables d’un hyperœstrogénisme induisant gynécomastie chez le garçon ou avance pubertaire chez la fille.
3. Autres hamartomatoses liées à PTEN Les mutations de PTEN sont responsables de syndromes rares tels que les syndromes de Cowden (SC), de Bannayan-Riley-Ruvalcaba (SBRR) ou de Proteus qui se caractérisent par une polypose hamartomateuse du tube digestif et un risque accru de cancers. Le SC associe essentiellement des symptômes cutanéomuqueux, trichilemmomes du visage, papules papillomateuses buccales et kératoses acrales des extrémités, qui sont presque constamment présents avant l’âge de 30 ans [9]. Les tumeurs bénignes sont fréquentes : lipomes, neurinomes, hémangiomes, tumeurs thyroïdiennes ou du sein, léiomyomes utérins ou langue fissurée. La macrocéphalie est présente chez 40-84 % des patients. Les polypes sont fréquents (60 % des patients) et peuvent toucher tous les segments digestifs, mais restent souvent asymptomatiques (25 %). Le risque cancéreux intéresse les seins, la thyroïde et l’endomètre. La surveillance endoscopique et carcinologique ne débute qu’à l’âge adulte [9].
Polypes juvéniles et polyposes de l’enfant
Le SBRR associe une macrocéphalie, une lipomatose, des hémangiomes, une polypose intestinale et des pigmentations du gland avec un retard mental et diverses anomalies congénitales. Les cancers du sein, de l’endomètre et de la thyroïde sont également associés au syndrome [9]. Le syndrome de Proteus associe des nævi du tissu conjonctif, des nævi épidermiques, des anomalies de répartition du tissu adipeux, des malformations vasculaires, une dysmorphie, une croissance excessive des lèvres, du crâne, du conduit auditif externe, des vertèbres ou des viscères. Les tumeurs associées à ce syndrome sont multiples, cystadénomes ovariens ou adénomes parotidiens monomorphes [9].
4. Polypose juvénile La polypose juvénile (PJ) se caractérise par la présence de plus de 5 polypes juvéniles dans le tractus gastro-intestinal ou d’au moins un polype juvénile associé à un antécédent familial de PJ. Chez 50 à 60 % des patients, des mutations des gènes SMAD4, BMPR1A ou du promoteur de BMPR1A sont identifiées. La transmission suit un mode autosomique et dominant. La PJ peut se présenter selon 3 formes cliniques, la PJ infantile, colique ou généralisée. La forme infantile est la plus sévère. Elle débute dès les premiers mois de vie sous forme de très nombreux hamartomes de l’ensemble du tractus digestif responsables d’un décès précoce par diarrhée, dénutrition ou hémorragie. La macrocéphalie et l’hypotonie sont fréquemment associées. La PJ peut s’associer au syndrome de Rendu-Osler qui doit être recherché. Dans les formes moins florides des présentations généralisée ou colique, les symptômes digestifs débutent après l’adolescence. Les polypes prédominent dans l’estomac et le côlon. Le risque carcinologique est augmenté au niveau du côlon (34 fois celui de la population générale) mais aussi de l’estomac, du duodénum ou du pancréas.
La surveillance endoscopique doit débuter après 15 ans. L’exérèse complète des polypes doit faire appel à l’entéroscopie assistée. En cas de lésion inaccessible au traitement endoscopique, particulièrement chez le très jeune enfant, seule la chirurgie permet de réséquer les segments responsables des complications. La colectomie préventive peut être envisagée après l’apparition de lésions fortement dysplasiques.
Références [1] Thakkar K, Alsarraj A, Fong E, et al. Prevalence of colorectal polyps in pediatric colonoscopy. Dig Dis Sci 2012;57:1050-5. [2] Wei C, Dayong W, Liqun J, et al. Colorectal polyps in children: a retrospective study of clinical features and the value of ultrasonography in their diagnosis. J Pediatr Surg 2012;47:1853-8. [3] Fox VL, Perros S, Jiang H, et al. Juvenile polyps: recurrence in patients with multiple and solitary polyps. Clin Gastroenterol Hepatol 2010;8:795-9. [4] van Lier MG, Mathus-Vliegen EM, Wagner A, et al. High cumulative risk of intussusception in patients with PeutzJeghers syndrome: time to update surveillance guidelines? Am J Gastroenterol 2011;106:940-5. [5] Tovar JA, Eizaguirre I, Albert A, et al. Peutz-Jeghers syndrome in children: report of two cases and review of the literature. J Pediatr Surg 1983;18:1-6. [6] Beggs AD, Latchford AR, Vasen HF, et al. Peutz-Jeghers syndrome: a systematic review and recommendations for management. Gut 2010;59:975-86. [7] Goldstein SA, Hoffenberg EJ. Peutz-Jegher syndrome in childhood: need for updated recommendations? J Pediatr Gastroenterol Nutr 2013;56:191-5. [8] Giardiello FM, Brensinger JD, Tersmette AC, et al. Very high risk of cancer in familial Peutz-Jeghers syndrome. Gastroenterology 2000;119:1447-53. [9] Hobert JA, Eng C. PTEN hamartoma tumor syndrome: an overview. Med Genet 2009;11:687-94.
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