Pour un moratoire sur l’utilisation des hydroxyéthylamidons

Pour un moratoire sur l’utilisation des hydroxyéthylamidons

Réanimation (2008) 17, 588—591 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ LETTRES À L...

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Réanimation (2008) 17, 588—591 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/REAURG/

LETTRES À LA RÉDACTION

Pour un moratoire hydroxyéthylamidons

sur

l’utilisation

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For a moratorium on the use of hydroxyethylstarches Après des années de débat sur le choix des cristalloïdes ou des colloïdes [1,2], la publication de l’étude Effects of volume substitution and insulin therapy in severe Sepsis (VISEP) [3] vient raviver la controverse sur les avantages et inconvénients respectifs de ces produits pour le remplissage vasculaire en réanimation. Ce texte expose de manière synthétique les arguments qui, à notre sens, devraient aujourd’hui conduire à la mise en place d’un moratoire sur l’utilisation des hydroxyéthylamidons dans cette indication.

La controverse cristalloïdes versus colloïdes Les produits de remplissage vasculaire tels que les hydroxyéthylamidons sont largement utilisés pour le remplissage vasculaire en préhospitalier, aux urgences, en réanimation, en anesthésie et en chirurgie. Ils font partie de la famille des « colloïdes », opposés traditionnellement et historiquement aux « cristalloïdes », sans qu’aucune supériorité de l’une sur l’autre catégorie de ces produits utilisés pour le remplissage vasculaire n’ait été démontrée en termes de bénéfice (survie ou durée de séjour) pour les patients [1,2]. Malgré leur coût nettement plus élevé que les cristalloïdes, les colloïdes sont souvent choisis pour leur effet plus rapide ou obtenu avec un volume de perfusion moindre, bien que ce dernier bénéfice doive être relativisé au vu des résultats de l’étude VISEP (rapport des volumes perfusés : 1,3) [3—5]. L’étude A comparison of albumin and saline for fluid resuscitation in the ICU (SAFE), ayant inclus près de 7000 patients et publiée dans le New England Journal of Medicine [6], avait démontré l’absence d’intérêt à utiliser l’albumine, colloïde naturel coûteux, par rapport au sérum salé isotonique ; une étude complémentaire a de plus suggéré une surmortalité associée à son utilisation dans la prise en charge des traumatisés crâniens [7]. D’autres essais cliniques sont actuellement en cours comparant les résultats d’un remplissage basé sur colloïdes ou cristalloïdes.

Effets secondaires des colloïdes Les effets secondaires des colloïdes sont nombreux, tout particulièrement pour les hydroxyéthylamidons et concernent la coagulation, l’accumulation tissulaire, le prurit ou l’insuffisance rénale. La publication récente du travail multicentrique d’un réseau d’investigateurs allemands sur le sepsis (étude VISEP) dans le New England Journal of Medicine est le troisième essai multicentrique publié dans un grand journal médical généraliste à confirmer que des produits à base d’hydroxéthylamidon entraînent des effets secondaires graves sans apporter d’amélioration du devenir des patients, voire en étant associés à une surmortalité [8,9]. Au premier rang de ces effets secondaires, se trouve l’insuffisance rénale aiguë qui est associée à un pronostique défavorable quand elle nécessite le recours aux techniques d’épuration extrarénale dans le cadre des défaillances multiviscérales [10] (dans ce cadre, même des élévations modérées de créatinine plasmatique pourraient avoir un rôle pronostic [11]). Le (ou les) mécanisme(s) de la toxicité rénale des hydroxyéthylamidons n’est pas clairement établi. Plusieurs hypothèses physiopathologiques sont possibles : toxicité directe des produits de type amidon ou effet médié par la pression oncotique de colloïdes, en général hyper-oncotiques, qui pourraient être « mal » ou « trop » administrés par les utilisateurs. . . Les laboratoires pharmaceutiques se sont jusqu’à présents appuyés sur cet argument pour arguer que le poids moléculaire, le degré de substitution ou les caractéristiques physicochimiques de ces produits pouvaient être modifiés de manière à éviter les effets secondaires de ces produits (souvent évalués sur les troubles de l’hémostase, les dépôts tissulaires, etc.) et ont proposé de nouveaux dérivés, supposés dépourvus de risques. Quel que soit le mécanisme cependant, il s’agit de produits à potentiel néphrotoxique qui, sur un rein ischémique ou une nécrose tubulaire aiguë (hypovolémie, sepsis, etc.), peuvent aggraver la dysfonction rénale.

Intérêt potentiel des colloïdes Beaucoup de médecins administrent ces produits plutôt que des cristalloïdes dans le but d’obtenir une efficacité hémodynamique immédiate supérieure, pour un volume liquidien

1624-0693/$ – see front matter © 2008 Société de réanimation de langue franc ¸aise. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Lettres à la rédaction administré moindre [12]. De manière intéressante, l’étude VISEP [3] confirme cette possibilité : pour les patients ayant une pression veineuse centrale basse, l’objectif était atteint plus rapidement avec l’hydroxyéthylamidon, sans que cela ne s’associe à un bénéfice sur la survie, et au prix d’effets secondaires graves. On peut en rapprocher les résultats obtenus chez des enfants en choc septique modéré chez qui une efficacité hémodynamique plus rapide des colloïdes était observée au prix de plus d’effets secondaires [4]. Cela rejoint sans doute une question importante pour les réanimateurs : s’il est indispensable de guider la réanimation sur des variables physiologiques et de corriger certains désordres rapidement, vouloir « normaliser » ces variables semble souvent associé à un surcroît de risques, voire de mortalité. Ce constat peut être fait dans d’autres domaines, tels la réanimation neurologique, la ventilation artificielle, la normalisation à tout prix de l’hémodynamique, etc. [13]. Il apparaît ainsi que les risques liés à l’administration des hydroxyéthylamidons sont maintenant démontrés sans qu’une supériorité par rapport à d’autres colloïdes ou aux cristalloïdes n’ait pu être établie. Beaucoup d’études pourraient certes être opposées à ces arguments, suggérant une absence d’effets secondaires d’un remplissage par hydroxyéthylamidons. Ces études sont caractérisées par de faibles effectifs et sont ciblées sur des populations dans lesquelles l’incidence de l’insuffisance rénale est faible, le tout conférant à ces études un manque de puissance pour étudier la toxicité [14]. En revanche, les trois essais randomisés comparant les effets des cristalloïdes et des hydroxyéthylamidons sur des grands effectifs de patients exposés à l’insuffisance rénale aiguë ont démontré sans équivoque cette toxicité [3,8,9]. L’essai VISEP [3], dernier en date, confirme que malgré leur effet de remplissage immédiat légèrement supérieur, l’utilisation d’hydroxyéthylamidons était associée à une toxicité rénale plus grande chez des patients de réanimation en choc septique, sans autre bénéfice clinique apparent ; de plus, l’administration de fortes doses de ce produit était associée à une surmortalité [3]. Par ailleurs, les derniers produits disponibles, supposés avoir des caractéristiques physicochimiques améliorées pour une meilleure tolérance, ne semblent toujours pas dépourvus d’innocuité ou du moins d’effets secondaires, si l’on en juge par la controverse persistante sur leur effet sur les troubles de la coagulation [15,16].

Conclusion Les données dont nous disposons actuellement suggèrent fortement que la balance entre les bénéfices attendus et les risques observés avec l’administration des hydroxyéthylamidons est défavorable. Dans ces conditions, il ne paraît pas justifié de continuer à utiliser ces produits pour le remplissage vasculaire en réanimation, alors que des alternatives moins toxiques (et moins coûteuses) sont disponibles [6]. Il ne s’agit pas à notre sens d’une querelle d’experts, et nous suggérons à titre protecteur qu’un moratoire soit mis en place sur l’utilisation des hydroxyéthylamidons dans le remplissage vasculaire chez les patients de réanimation, dans l’attente de nouveaux essais démontrant de manière convaincante leur avantage et leur innocuité.

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L. Brochard ∗ F. Schortgen C. Brun-Buisson Service de réanimation médicale, centre hospitalier Albert-Chenevier—Henri-Mondor, AP—HP, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil, France D. Dreyfuss Service de réanimation médicale, hôpital Louis-Mourier, AP—HP, Colombes, France

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Lettres à la rédaction J.-J. Rouby Service de réanimation chirurgicale polyvalente, département d’anesthésie-réanimation, hôpital Pitié-Salpêtrière, AP—HP, Paris, France J. Chastre Service de réanimation médicale, hôpital Pitié-Salpêtrière, AP—HP, Paris, France D. Robert Service de réanimation médicale et d’assistance respiratoire, hôpital de la Croix-Rousse, Lyon, France G. Hilbert Service de réanimation médicale, hôpital Pellegrin-Tripode, CHU de Bordeaux, Bordeaux, France

D. Payen Service de réanimation médicale, département d’anesthésie-réanimation, hôpital Lariboisière, AP—HP, Paris, France E. L’Her Service d’accueil des urgences et réanimation médicale, CHU de la Cavale-Blanche, Brest, France C. Richard Service de réanimation médicale, hôpital de Bicêtre, AP—HP, Kremlin-Bicêtre, France M. Gainnier Service de réanimation médicale, hôpital Sainte-Marguerite, CHU de Marseille, Marseille, France J. Pugin Service des soins intensifs, hôpital cantonal universitaire, Genève, Suisse J.-C. M. Richard Service de réanimation médicale, CHU Charles-Nicolle, Rouen, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Brochard).

Disponible sur Internet le 26 juin 2008 doi:10.1016/j.reaurg.2008.06.003

À propos de l’étude VISEP : avis de la CERC The VISEP study: Statement of the Epidemiology and Clinical Research Commission of the French Speaking Critical Care Society Le Conseil d’administration de la SRLF a demandé à sa commission d’épidémiologie et de recherche clinique (CERC) d’avoir une lecture critique et objective de l’étude VISEP [1] et, en fonction, de dire s’il y a lieu ou non de modifier les conclusions de la conférence de consensus commune SRLF/SFAR d’octobre 2005 sur la prise en charge hémodynamique du sepsis grave.

La CERC s’est appuyée sur les éléments suivants : analyse et commentaires de l’étude VISEP [1] par deux experts (Fabienne Tamion3 et Christian Melot4 ) choisis par la CERC, fiche REACTU du 1er février 2008 commentant l’étude VISEP [2], relecture attentive des textes de la conférence de consensus d’octobre 2005, consultation de la littérature ayant trait au sujet et avis des membres de la CERC. L’audition de représentants de l’industrie pharmaceutique n’a pas été souhaitée, bien que la CERC ait été sollicitée à ce propos. Le texte long du jury de la conférence de consensus commune SFAR/SRLF sur la prise en charge hémodynamique du sepsis grave d’octobre 2005 [3] précisait que : les produits dérivés du sang, les dextrans et les amidons de poids moléculaire (PM) supérieur à 150 kDa, ne doivent pas être utilisés comme solutés de remplissage. [. . .]. Compte tenu d’un coût bien moindre et de l’innocuité, on peut recommander l’utilisation de cristalloïdes isotoniques surtout à la phase initiale du choc [. . .]. Les données concernant les effets rénaux des HEA les plus récemment commercialisés (PM < 150 kDa) sont insuffisantes pour se positionner quant à leur utilisation. L’étude VISEP, essai clinique randomisé non insu réalisé, selon un plan factoriel 2 × 2, chez des patients présentant un sepsis sévère ou un choc septique, avait deux objectifs d’évaluation. Le premier était de comparer une insulinothérapie conventionnelle à une insulinothérapie intensive et le second, un remplissage vasculaire par un colloïde de synthèse (hydroxyéthylamidon [HEA] 10 % de PM 200 kDa/0,5) à celui effectué avec un cristalloïde (Ringer lactate). La partie de l’étude concernant le remplissage vasculaire n’a pas mis en évidence de différence de mortalité à j28 (critère de jugement principal) entre le groupe HEA et le groupe RL. En revanche, la survenue d’une insuffisance rénale (p < 0,002) et le recours à une épuration extrarénale (p < 0,001) sont significativement plus élevés dans le groupe HEA. Les analyses en sous-groupes montrent qu’il existe une augmentation significative de la mortalité à j90 (p < 0,001) chez les patients ayant rec ¸u des doses d’HEA élevées (> 22 ml/kg au moins un jour de l’étude avec une dose médiane cumulée de 136 ml/kg) par rapport à ceux ayant rec ¸u des doses faibles (< 22 ml/kg par jour avec une dose médiane cumulée de 48,3 ml/kg) et qu’il n’y pas de différence de mortalité à j90 entre ce dernier sous-groupe et le groupe RL. Cette étude a été réalisée avec un HEA 10 % 200/0,5 hyper oncotique, de seconde génération, connu pour augmenter les risques d’insuffisance rénale et de troubles de l’hémostase et dont l’utilisation n’est pas recommandée en pratique courante et de fac ¸on prolongée. Par ailleurs, contrairement aux recommandations d’utilisation, une proportion importante de patients (près de 50 %) a rec ¸u de très fortes doses du produit (au-delà de 20 ml/kg par jour) et de fac ¸on prolongée pour certains (la période de traitement s’étendait jusqu’à 21 jours après la randomisation). Au-delà des modalités d’administration du produit telles qu’elles ont été observées lors de l’étude VISEP, l’utilisation d’un HEA 10 % 200/0,5 comme soluté de remplissage vasculaire au cours de la prise en charge du sepsis grave n’entre pas dans les recommandations de la conférence de consen-