Prévention du risque thrombo-embolique en période opératoire chez une patiente atteinte d'un déficit congénital en antithrombine III

Prévention du risque thrombo-embolique en période opératoire chez une patiente atteinte d'un déficit congénital en antithrombine III

GAS © Masson, Paris. Ann. Fr. Anesth. Reanim., 2: 420-422, 1983. CLINIQUE Prevention du risque thrombo-embolique en periode operatoire chez une pat...

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GAS

© Masson, Paris. Ann. Fr. Anesth. Reanim., 2: 420-422, 1983.

CLINIQUE

Prevention du risque thrombo-embolique en periode operatoire chez une patiente atteinte d'un deficit congenital en antithrombine III Prevention of thrombo-embolic disease in a patient with congenital antithrombin III deficiency undergoing surgery A.

FRANCESCHI *, J. TESTARD **, J.Y. BORG ***, H. PAPION *, G. DUCABLE *, N. SAOUR *, C. WlNCKLER *

* Service d'Anesthesie et de Reanimation Chirurgicale, ** Clinique Chirurgicale, et *** Service d'Hematologie, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, F76031 Rouen Cedex

IqESUME : Le cas rapport6 est celui d'une femme atteinte d'un drficit congrnital en antithrombine III (AT III) chez laquelle a 6t6 pratiqure une hystrrectomie pour 16iomyome. Le risque de maladie thrombo-embolique (MTE) est grand chez ces malades et accru en prriode oprratoire. La transfusion de plasma frais congel6 avant et aprrs l'intervention a permis d'obtenir un taux d'activit6 en AT III de 63 %. I1 n'a pas 6t6 prescrit d'hrparine car le traitement par les antivitamines K a pu ~tre repris drs la 12~ h postoprratoire. Les suites ont 6t6 simples, sans complication thrombo-embolique clinique. Apropos de ce cas est discut6 le traitement prrventif de la MTE en prriode opdratoire chez les malades porteurs d'un drficit congrnital en AT III.

ABSTRACT : The case of a woman with congenital antithrombin 1II (AT III) deficiency undergoing elective hysterectomy is reported. AT III deficient patients have high risks of thromboembolic disease, especially developing during and after surgery. It is usual practice to discontinue oral anticoagulants with antivitamin K activity and to obtain effective AT III activity by the transfusion of freeze-dried concentrates of AT III and/or fresh frozen plasma (FFP). Heparin is prescribed as soon as AT III activity reaches 70 %. The oral anticoagulant regimen is reinstituted in the late postoperative period. In our case, transfusion of FFP, in the pre- and postoperative periods, results in an AT III activity of 63%. Heparin was not used because oral anticoagulants were readministered early, 12 h after operation. No clinical thrombo-embolic complication was observed.

Les drficits congrnitaux en antithrombine Ili (AT III) sont responsables de 2 ~ 3 % des maladies thromboemboliques [7]. Leur prrvention au long cours par les antivitamines K (AVK) h dose hypocoagulable est bien codifire [1, 3, 7]. Le risque thrombo-embolique est accru en prriode per- et postoprratoire immrdiate [6], et sa prrvention reste imprrcise. Elle sera discutre propos d ' u n cas clinique. L ' A T III participe h la limitation des p h r n o m r n e s de coagulation en formant avec les facteurs activrs de la coagulation (notamment la thrombine et le facteur Xa) un complexe inactif. Cette action physiologique est progressive. En prrsence d'hrparine, elle est amplifire et devient immrdiate; I ' A T 1II est d'ailleurs communrment appelre cofacteur de l'hrparine. La demi-vie du

complexe A T III-hrparine est diminure (celle de I ' A T III est de 2,8 ~ 3,3 j selon les auteurs) [1, 2, 7, 9]. L'activit6 biologique de I ' A T III est grnrralement mesurre par une mrthode amidolytique (inhibition de l'activit6 amidosique de la thrombine en prrsence d ' h r p a r i n e sur un substrat chromogrne sprcifique); exprimre en pourcentage d'activit6 par rapport la normale, elle est de 80 ~t 120 %. La concentration plasmatique de la protrine, g r n r r a l e m e n t mesurre par immunodiffusion radiale, varie de 22 32 m g . 100 ml -~. Ces deux dosages permettent le diagnostic de drficits quantitatifs (diminution parallrle) ou qualitatifs (activit6 biologique diminure, concentration normale).

Requ le 20 juin 1983; accept6 sous forme rrvisre le 12 aofit 1983.

Tires a part: A. Franceschi.

RISQUE THROMBO-EMBOLIQUE ET DEFICIT CONG¢:NITAL EN ANTITHROMBINE III

OBSERVATION

activite ATtll %

II s'agit d'une femme de 33 ans, 48 kg, atteinte d'un 16iomyome ut6rin et devant subir une hyst6rectomie, trait6e par AVK pour d6ficit cong6nital en AT III (activit6 AT III : 48 %, concentration AT III : 15 mg • 100 ml-~). Ses ant6c6dents sont des phl6bites des membres inf6rieurs et une embolie pulmonaire au d6cours d'un avortement spontan6 en 1970, deux accouchements normaux en 1972 et 1973, une embolie pulmonaire au 4 ° mois de grossesse en 1974. Une h6parinoth6rapie ~t doses hypocoagulables, biologiquement inefficace (fig. 1), est n6anmoins maintenue jusqu'~ l'accouchement. Une embolie pulmonaire appara~t dans les suites. En 1978, le diagnostic de d6ficit cong6nital en AT III est fait. Le traitement par AVK pr6conis6 n'est suivi qu'& partir de 1980. En 1981, en raison d'une appendicectomie, une h6parinoth6rapie pr6ventive sous-cutan6e est prescrite; le traitement par AVK est repris des le 2¢ jour apres l'op6ration; les suites sont simples. de Howell (rain)

Temps

*** heparine

I --malade . . . temoin

z

l

ul.kg-lj-'

....................... ;t

~00

:"

concentration ATIII mg - 100 ml-'

120.

• 32

8022

67. 64'

18,4 15

48-

~,TIIIm~ 110 PFC m, 600

85 450

85 450

Fig. 2. - - Variations des taux d'activit6 (normalit6 : 80 ~ 120 %) et de concentration d'antithrombine III (AT III) (normalit6 : 2 32 rag" 10 m1-1) en fonction des transfusions de plasma frais congel6 (PFC) et de la quantit6 d'AT III qu'il apporte (environ 55 mg par unit6 de 300 ml de PFC). Trait plein: malade; pointill6s : t6moin.

300 -450

3 2

421

de 110 mg d'AT III, et qu'il ne varie pas en p6riode postop6ratoire malgr6 un double apport de 85 mg. Les suites sont simples, sans accident thrombo-embolique.



DISCUSSION ~urs

Fig. 1. - - D6ficit en antithrombine III (AT lid : variations du temps de Howell sous doses croissantes d'h6parine.

L'enqudte familiale est incomplete. On note une phl6bite et un infarctus du myocarde chez le pere. Un enfant de la patiente d6cede de purpura fulminans h l'fige de un an. Sa soeur et ses deux autres enfants ont une activit6 et une concentration d'AT III normales. Avant l'hyst6rectomie, le traitement par AVK (ac6nocoumarol 4 mg • j-l) est peu efficace : le temps de Quick (TP) est de 78 %. I1 est arr~t6 la veille de l'intervention. Le d6ficit en AT III est compens6 partiellement par des transfusions de plasma frais congel6 (PFC) selon le protocole suivant : 600 ml 2 h avant l'intervention, 450 ml dans les 2 h postop6ratoires imm6diates, 450 ml entre les 10~ et 12e heures postop6ratoires; chaque unit6 (300 ml) apporte environ 55 mg d'AT III. Cet apport de 270 mg, compte tenu de la demi-vie du produit et de la masse sanguine de la patiente, devrait permettre d'amener la concentration plasmatique d'AT IH ~ un taux 6gal ou sup~rieur ~t 22 mg • 100 m1-1. L'intervention a lieu sous narconeuroleptanesth6sie. Elle dure 35 min et n'est pas h6morragique. Les suites sont simples, le lever est pr6coce, le traitement par AVK est repris des la 12° h postop6ratoire. L'activit6 AT HI et la concentration AT HI sont mesur6es avant et imm6diatement apres chaque transfusion de PFC. Les r6sultats (fig. 2) montrent qu'en p6riode pr6op6ratoire le taux d'activit6 AT HI augmente de maniere importante (48 ~t 64 %) apres un apport

Le d6ficit cong6nital touche environ une famille sur 2 000 [3, 7]. It se m a n i f e s t e g6n6ralement par des thromboses v e i n e u s e s ( m e m b r e inf6rieur, v e i n e cave, veines m6sent6riques), parfois par une e m b o l i e p u l m o naire inaugurale [3, 5, 7], plus r a r e m e n t par des thromboses art6rielles. Ces accidents apparaissent spontan6ment, ou plus souvent lors de circonstances favorisantes classiques (alitement, immobilisation), voire connues pour s ' a c c o m p a g n e r d ' u n e diminution du taux d ' A T III : grossesse, postpartum [2, 7, 10], contraception [2, 7], p6riode postop6ratoire [6]. Ces thromboses surviennent chez l ' a d u l t e j e u n e , sont de caract6re r6cidivant et souvent r6sistantes ~ l'h6parinoth6rapie : l ' a l l o n g e m e n t du temps de H o w e l l est alors 6ph6m~re (fig. 1) et des localisations t h r o m b o t i q u e s secondaires apparaissent malgr6 le traitement [3, 7]. Lors des d6ficits quantitatifs, l'activit6 A T III est inf6rieure ?~ 60 % et la concentration p l a s m a t i q u e en A T III inf6rieure ~ 18 m g " 100 m1-1. L'interpr6tation de ces dosages est d61icate chez les patients trait6s par h6parine, car l ' a d m i n i s t r a t i o n d'h6parine entraine chez le sujet n o r m a l une d i m i n u t i o n mod6r6e de I ' A T III [7, 8]. L e diagnostic pos6, un traitement par A V K doit ~tre entrepris, celui-ci pr6venant le risque t h r o m b o t i q u e et permettant une 16g~re augmentation du taux d ' A T III [1, 3, 7].

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La diminution du taux d ' A T III en cours de grossesse et au moment de l'accouchement est connue [1, 7, 10]. En 1974, dans l'observation rapportre, l'hrparinothrrapie mise en route lors d'une embolie pulmonaire a 6t6 inefficace malgr6 des augmentations successives des doses d'hrparine (800 IU • kg - l • j - l ) , tant sur le plan biologique (fig. 1) que clinique, puisqu'elle n'a pas emprch6 la survenue d'une deuxirme embolie pulmonaire au drcours de l'accouchement. En 1981, lors de l'appendicectomie, une hrparinothrrapie a 6t6 institure doses d'embl6e importantes ( 6 0 0 I U . kg -1 . j - J ) ; la m r m e inefficacit6 biologique a 6t6 observ6e. Chez cette malade, l'inefficacit6 du traitement par A V K fait choisir comme mode de prrvention la restauration par transfusion d'un taux d ' A T HI efficace. La transfusion de concentrrs lyophilisrs d ' A T III, qui apportent environ 7,5 mg • m1-1 et dont la demi-vie est de 2,6 jours, n'a pas 6t6 retenue pour des raisons d'ordre pratique (difficult6s d'approvisionnement et, au moment considrrr, encore peu d'utilisation de ce produit dans un but pr6ventif, ~t notre connaissance). Le PFC a 6t6 prrfrrr. Lorsque la reprise du traitement par AVK est prrcoce, la seule restauration d'un taux d ' A T III quasi physiologique est suffisante et il ne parMt pas nrcessaire d'associer de l'hrparine. Lorsque l'acte chirurgical n'autorise pas cette reprise, il est logique d'associer h6parine et transfusion en maintenant un taux d ' A T III sup6rieur ~ 70 % [7]. Actuellement, les interventions sont rralisres sous couvert d'une hrparinothrrapie faible dose associre ~t des transfusions de concentrrs d ' A T III. Chez cette malade, les transfusions de PFC ont permis d'augmenter l'activit6 et la concentration d ' A T III, qui sont rest6es stables en prriode postoprratoire malgr6 la poursuite des transfusions; ceci confirmerait l'augmentation de la consommation d ' A T III en prriodes per- et postop6ratoire immrdiate [6]. Au vu de ces rrsultats, il aurait 6t6 prrfrrable de transfuser une dose moyenne de 280 mg d ' A T IH la veille de l'intervention, afin d'atteindre un taux prroprratoire quasi normal, et le jour de l'intervention 170 mg, quantit6 d ' A T III n6cessaire pour le stabiliser (en l'absence de saignements per- et postoprratoires).

CONCLUSION

A l'heure actuelle en chirurgie majeure, dans les d6ficits congrnitaux en AT III, la prrvention du risque thrombo-embolique postop6ratoire g6n6ralement prrconis6e est l'hrparinothrrapie associre h la transfusion de

A. FRANCESCHI ET COLL.

concentrrs lyophylisrs d ' A T III, h condition de maintenir un taux d'activit6 AT III suprrieur ~t 70 %. Cette observation montre que les transfusions de PFC sont 6galement efficaces. Elles ont pennis une nette augmentation des taux d'activit6 et de concentration d ' A T III en p6riode peroprratoire et son maintien dans les 24 premirres heures postoprratoires. Ce fait est intrressant ~t souligner, car la facilit6 d'approvisionnement et le coot peu 61ev6 peuvent faire prrfrrer l'utilisation de PFC h celle des concentrrs lyophylis6s d ' A T III, notamment en urgence. Le traitement par AVK doit induire une nette hypocoagulabilit6 (TP : 25 h 30 %). I1 doit ~tre repris rapidement, le jour de l'intervention si cela est possible ou drs la reprise du transit intestinal, l'association hrparine et transfusion de concentrrs d ' A T III (ou de PFC) 6tant maintenue temporairement jusqu'~l l'obtention d'une efficacit6 du traitement AVK. BIBLIOGRAPHIE

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