des accidents aux crises, de s’interroger notamment sur la possibilité de gérer les crises lorsque l’organisation se trouve particulièrement centrée sur les objectifs de production, et soumise à des pressions significatives concernant l’obtention de performances productives élevées. Il est à craindre grandement que le management persiste dans son déni des réalités de la dégradation de la sécurité et s’enferme dans ses exigences de production contre-sécuritaires. Nous avons cité ci-dessus le cas significatif de la corrosion du couvercle de cuve du réacteur ; les exemples abondent ; ainsi le cas des incendies explosifs des voitures Ford Pinto [7]. La gestion d’une crise demande de la part des experts et managers concernés, à différents niveaux de l’entreprise, initiative, lucidité (capacité d’autocritique) et souplesse, ainsi qu’une capacité d’adaptation et de réactivité à une situation difficile, adverse. La gestion sera d’autant compromise lorsque l’organisation est complexe, obscure, cloisonnée et rigidifiée par des impératifs … de production. Les pressions productives jouent un rôle encore défavorable du fait des craintes de la concurrence, et de pertes de marché. Ainsi les fortes résistances du constructeur (AECL, Atomic Energy Canada Limited) à reconnaître les graves anomalies de leurs machines Therac 25 de traitement thérapeutique du cancer [8]. Les risques de dissimulation d’informations, de falsifications de documents, de mensonges, sont loin d’être négligeables, comme l’attestent de nombreux cas industriels, par exemple dans le secteur automobile, et dans l’industrie nucléaire [9].
Conclusion Les organisations portent en germe les accidents et les crises mal gérées. Dans les circonstances défavorables d’incubation de situations dangereuses, telles que nous les avons définies dans la communication, la sécurité est susceptible de se dégrader et d’ouvrir la voie à des accidents, qui eux-mêmes donneront lieu à des crises. Des décisions défavorables (accroissement des contraintes de productivité et de rentabilité) et des conceptions vulnérables des situations de travail et de l’organisation ont des effets sur l’état technique des systèmes, et sur les hommes, et par voie de conséquence sur le fonctionnement, la fiabilité de l’organisation. Retombant en pluie fine, les injonctions managériales entraînent des conséquences sur les hommes, l’organisation humaine, et ainsi sur les matériels. Les médecins du travail, nous semble-t-il, peuvent jouer –et jouent déjà– un rôle décisif de lanceur d’alerte, en attirant l’attention sur la dégradation des Arch Mal Prof Env 2006
conditions de travail et la montée des symptômes d’inquiétude, de peur et de souffrance dans le personnel. Le statut spécifique et le positionnement en retrait des pressions de production permettent au médecin du travail d’être en mesure de détecter avec le recul nécessaire des signes de dégradation de la sécurité et de la santé du personnel, et de l’accroissement des risques encourus par le système sociotechnique. Encore faut-il qu’il soit considéré comme partenaire à part entière, et entendu. Dans ce cas favorable, il peut intervenir d’autant plus efficacement dans la réflexion et l’élaboration concernant les plans de gestion des crises. Nous sommes conscients que le climat actuel des entreprises, du fait de l’hyperproductivisme, limite fortement les avancées vers la sécurité, la prévention des accidents et des crises. Références 1. Turner B.A., Pidgeon N.F.. Man-made disasters, Seconde édition, Butterworth Heinemann, Oxford, R.U., 1997. 2. Reason J. Managing the risks of organizational accidents, Ashgate, Aldershot, R.U., 1997. 3. Leveson N.G. A new accident model for engineering safer systems, Safety Science, 2004, 42, p.237-270. 4. Columbia Accident Investigation Board. Report volume 1, août 2003. 5. Myers L. Management and human performance root causes, Davis-Besse Nuclear Power Station, FENOC, 15 août 2002. 6. Llory M., Accidents industriels : le coût du silence. Opérateurs privés de parole et cadres introuvables, Éditions l’Harmattan, Paris, 1996. 7. Birsch D., Fielder J.H. The Ford Pinto case. A study in applied ethics, business, and technology, State University of New York Press, Etats-Unis, 1994. 8. Leveson N.G. Medical devices : the Therac-25 story, In : Safeware, System safety and computers, A guide to preventing accidents and losses caused by technology, Addison-Wesley, Boston, 1995, Annexe A, p.515-553. 9. WANO. Complacency, negligence threaten nuclear industry, WANO warns, Nucleonics Week, vol.44, n°42, 16 octobre 2003.
Principes de gestion d’une situation de crise G. PROST1, L. MATHON2 1. AGEMETRA, Oullins 2. SAMU de Lyon, Hôpital Edouard Herriot, Lyon.
Par nature, la mise en œuvre d’un plan de secours au « profit » d’une entreprise se fait toujours de façon brutale et déstabilisante pour l’ensemble des salariés qui y travaillent. Brutalement, les responsables, l’encadrement, les employés vont se trouver confrontés, dans une situation dramatique, à une organisation qu’ils ne 183
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Gestion et prévention des crises
29e Congrès national de médecine et santé au travail
connaissent pas ou mal, et cela qu’il s’agisse d’un accident avec des victimes réelles ou potentielles, d’un risque concret ou supposé, accompagné de destructions plus ou moins importantes de leurs outils de travail. Cette expérience est toujours traumatisante. Pour en minimiser les conséquences il est important que les responsables, en particulier, soient avertis des principes généraux d’une action collective comme un plan de secours pour éviter des réactions d’incompréhensions, des maladresses. Il faut qu’ils soient capables d’apporter avec efficacité leur soutien au dispositif qui se met en place. En cas d’événement grave, la réponse de la société a des caractéristiques constantes : - La réponse est pluridisciplinaire : de nombreux services de l’Etat ou de la collectivité vont se trouver réunis sur le terrain. Le fonctionnement harmonieux d’un grand nombre d’acteurs implique pour chacun de connaître son rôle, ses limites mais aussi celui des autres participants et de le respecter. - La réponse est planifiée : chaque service a une méthodologie qui lui est propre et agit selon des procédures pré-établies (plans). Il sera difficile de s’intégrer à une action planifiée si l’on n’en connaît pas les principes, la logique, les contraintes. Enfin, tout évènement d’importance dans notre société moderne, fait l’objet d’une médiatisation quasi immédiate. Dès les premières minutes, les journalistes sont à la recherche d’informations, d’images chocs, trop souvent pour rajouter une dimension dramatique supplémentaire à l’évenement. Il est important dans ces conditions, d’avoir la capacité de savoir communiquer sans défaillances, pour minimiser le risque d’une déformation médiatique de l’évènement, parfois même d’un véritable lynchage prompt à se mettre en place. A notre avis, le médecin de l’entreprise dans cette situation, est un personnage clé car il possède une connaissance privilégiée de son entreprise, des risques qu’elle représente, de sa géographie, de son climat et de sa culture. Il connaît l’état sanitaire des salariés qui y travaillent. Il était présent avant la survenue de l’événement ; il sera un lien précieux pour les secours extérieurs pendant l’événement ; il sera encore là après en post-crise. Enfin, comme tout médecin, en cas d’urgence, il peut participer à la prise en charge des victimes blessées, traumatisés psychologiques au coté des équipes de secours. Pour l’ensemble de ces raisons il doit connaître les principes généraux des secours, de leur mise en œuvre, de la prise en charge des victimes. Il est souhaitable qu’il ait des notions de communication et qu’il ait réfléchi aux difficultés qui surgiront en post-crise. 184
Principes généraux de l’organisation des secours La responsabilité des secours dans une entreprise, institution privée, est du domaine de compétence du directeur de l’établissement. Dans la mesure où l’accident peut avoir des conséquences à l’extérieur ou si les secours internes à l’entreprise sont débordés, c’est le préfet, représentant de l’Etat, qui devient responsable des secours. Dans ce cas, il met en place une organisation préétablie (plan) pour coordonner l’action des différents services publics ou privés engagés. Les plans Les plans de structures Le plus ancien est le plan ORSEC (Organisation des Secours). C’est un plan à visée générale qui recense pour un département les moyens disponibles de secours, organise leur mise en œuvre ainsi que la chaîne de commandement. Ce plan est appuyé sur les cinq services ORSEC opérationnels : - le service police/renseignements chargé d’assurer la sécurité, l’ordre public et les besoins de l’enquête, - le service soins médicaux/entraide, en charge de la médicalisation des secours sur le terrain, de l’accueil des victimes sur les établissements de soins, l’hébergement des impliqués, - le service secours-sauvetage qui réalise les manœuvres de force, le dégagement des victimes, la protection contre les matières dangereuses et l’extinction des incendies, - le service transports et travaux qui fournit les véhicules lourds, les engins de terrassement, le carburant, assure le rétablissement de voies de communications, la démolition, - le service des transmissions qui établit les liaisons entre intervenants et différents PC. Les plans d’actions Il s’agit des plans spécialisés de secours (PSS) soit pour faire face à un risque identifié dans le département (inondations, chute de neige, POLMAR, feu de forêt…), soit pour faire face à un risque lié à un site précis : barrage, aérodrome, autoroute… Les sites industriels classés (Seveso) représentant un risque pour l’environnement font l’objet d’une double planification : - Le Plan d’organisation interne (POI) est rédigé sous la responsabilité de l’employeur ; ce plan prévoit les modalités d’alerte et les moyens mis en œuvre immédiatement par l’entreprise en cas de sinistre. - Le Plan particulier d’intervention (PPI) est déclenché par le préfet si les moyens prévus au POI sont débordés ou qu’il existe un risque d’extension en dehors du site de l’établissement. Arch Mal Prof Env 2006
Tous ces plans ont une méthodologie de mise en place comparable : un schéma d’alerte, déclenchement du plan par le préfet, constitution d’un PC opérationnel, dans un endroit prédéterminé, en zone de sécurité, doté de moyens de télécommunications suffisants, qui regroupera les services indispensables à la gestion de l’événement. C’est lui qui assurera l’information officielle sur le déroulement des secours des différents médias et du PC fixe installé à la préfecture. Le plan rouge Il s’agit d’un plan organisant l’action de trois services, police, SAMU, Service d’incendie et de secours, pour faire face à un accident avec de nombreuses victimes et ne nécessitant pas a priori le déclenchement d’un plan ORSEC ou d’un PSS. C’est ce type de plan qui est déclenché régulièrement en cas d’accident de cars, trains, ou carambolage sur autoroute, attentat… La médicalisation précoce des secours La mise en place sur tout le territoire des SAMU et des équipes mobiles d’urgence (SMUR) depuis trente ans, a permis la prise en charge des malades ou blessés graves sur le terrain et de définir une stratégie à l’occasion des accidents collectifs en liaison avec les autres partenaires (police et sapeurs-pompiers notamment) : - centralisation des victimes sur un poste médical avancé (PMA) où elles seront triées selon le degré d’urgence avant d’être mis en condition de façon à les stabiliser et leur permettre d’attendre et de supporter le transport vers des établissements des soins. - évacuations réalisées par une noria d’ambulances et/ou d’hélicoptères vers des hôpitaux mis en alerte par le SAMU et aptes à les recevoir (régulation). - médicalisation des blessés sur le terrain, complétée par la prise en charge spécialisée des traumatisés psychiques (souvent plus nombreux que les blessés somatiques) par les cellules d’urgence médico-psychologiques (CUMP) dont l’intérêt a été démontré en 1996 lors de la campagne d’attentats à Paris. Conséquences pour le médecin de santé au travail Avant la survenue d’une crise Le médecin de santé au travail devrait être systématiquement partie prenante de l’élaboration des plans de secours de son établissement, que ceux-ci soient prévus réglementairement ou non. Il devrait se mettre en relation avec son SAMU départemental pour définir avec lui les modalités d’intervention, même pour de petites entreprises mais qui présentent un risque objectif. Ce contact permettrait de préciser le schéma de l’alerte, les voies d’accès, les risques, les dangers (population exposée, contre-mesures, périmètre de sécurité…), les locaux susceptibles d’accueillir des blessés éventuels Arch Mal Prof Env 2006
(hors zone de danger, dotés de l’eau courante et de l’électricité, facilement accessibles, proches des voies d’évacuations.), les possibilités de faire poser un hélicoptère (Dropping Zone, DZ) le matériel médical disponible dans l’infirmerie de l’entreprise… À l’occasion d’un accident avec victimes Avant l’arrivée des secours le médecin du travail présent sur les lieux pourrait vérifier que l’alerte a été donnée, organiser la constitution de groupes de relevages et de brancardages, le regroupement des blessés hors zone de danger sur un point unique, la distribution de soins primaires avec les sauveteurs secouriste du travail, et toutes mesures facilitant le cheminement des équipes de secours et leur guidage. Pendant le déroulement des secours Il peut participer aux soins selon ses compétences et aux relations hôpitaux familles des hospitalisés. Il sera souvent un collaborateur précieux pour les services de secours et le SAMU en fonction des risques répartis dans l’entreprise (stockage, produits chimiques, toxicité… etc). C’est pendant cette période, où il sera le plus sollicité par les médias qu’il ne devra communiquer que sur les faits et éviter toute interprétation hasardeuse… En post-crise Le médecin de santé au travail aura la lourde tâche de participer à la cicatrisation de l’évènement et à son cortège de souffrances autant psychiques que physiques. C’est à ce stade qu’il pourra dépister des salariés porteurs d’un psychotraumatisme suffisamment intense pour être adressés à des consultations spécialisées. C’est aussi dans les semaines et les mois qui suivent qu’il lui faudra, dans les structures informelles ou formelles (CHSCT, CE, CA…) s’impliquer dans l’analyse des événements ayant conduit à l’accident, au déroulement des secours et à la réflexion sur les dispositifs et les procédures à mettre en place pour interdire leur renouvellement.
Exemple d’une crise Santé Environnement : les éthers de glycol C. MIRABAUD, J.M. GUILLERY MGVM Consultants, Paris.
La problématique du risque de l’exposition aux éthers de glycol (EG) pour la santé humaine est devenue une vraie crise en France en avril 2000 avec le témoignage d’une mère de famille dont l’enfant de 8 ans était porteuse de graves malformations congénitales. Elle accusait son employeur de l’avoir exposée quotidiennement 185
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