Prise en charge des douleurs abdominales secondaires aux désordres fonctionnels gastro-intestinaux

Prise en charge des douleurs abdominales secondaires aux désordres fonctionnels gastro-intestinaux

Table ronde Douleurs abdominales chroniques et désordres fonctionnels gastro-intestinaux Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Mots clés : D...

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Table ronde Douleurs abdominales chroniques et désordres fonctionnels gastro-intestinaux

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com Mots clés : Douleurs abdominales, Troubles fonctionnels gastro-intestinaux

Prise en charge des douleurs abdominales secondaires aux désordres fonctionnels gastro-intestinaux Management of abdominal pain in functional disorders of the gut M. Scaillon Hôpital Universitaire des Enfants Reine Fabiola, 15, avenue J.-J.-Crocq, 1020 Bruxelles, Belgique

L

a deuxième version pédiatrique des critères de Rome (Rome III) définit les différentes catégories de troubles fonctionnels. Sa classification concernant l’enfant et l’adolescent (H), comporte un sous chapitre (H2) intitulé : Abdominal pain-related FGID, définissant la dyspepsie fonctionnelle (H2a), le syndrome de l’intestin irritable (H2b), la migraine abdominale (H2c), la douleur abdominale fonctionnelle (H2d) et le syndrome de douleur abdominale fonctionnelle (H2d1) [1]. Une enquête récente de l’American Academy of Pediatrics and the North American Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition rapporte que pour 16 % des pédiatres généralistes interrogés, le diagnostic de douleurs abdominales digestives chroniques fonctionnelles (DACF) est peu clair, sans critères rigoureux, souvent frustrant et chronophage. Il est vrai que l’ambiguïté existe dans la littérature et que pour beaucoup de praticiens, le terme DACF sous entend douleurs psychologiques et liées au stress. Cependant, même si ces patients et leurs parents semblent présenter des profils anxieux et dépressifs et rapportent plus souvent des plaintes diverses comme des céphalées, des nausées et vomissements, de l’anorexie, des troubles du transit des matières ou des gaz que les familles qui ne se plaignent pas de DACF, ces notions ne permettent ni de distinguer les origines fonctionnelles des origines organiques, ni de banaliser la situation en renvoyant la famille à ses problèmes. Certains signes d’alarme doivent nous inciter à la prudence et à la poursuite d’examens, nous devons exclure raisonnablement les diagnostics organiques et découvrir des facteurs qui exacerbent les plaintes. Pour les patients et leurs parents, notre crédibilité dépend de la rigueur de notre approche. Le choix même du titre « prise en charge » indique que de telles douleurs, secondaires aux désordres fonctionels digestifs méritent plus que la prescription d’une drogue.

1. Origine des douleurs Après avoir mis en cause des troubles moteurs et psychiatriques, on tend actuellement à considérer que c’est la sensibilité à des * Auteur correspondant. e-mail : [email protected]

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stimuli physiologiques, pathologiques ou psychologiques plus que la réactivité du tube digestif qui est à l’origine des douleurs fonctionnelles. La neurogastroentérologie nous apprend les relations complexes et bidirectionnelles, entre intestin et cerveau, entre systèmes nerveux entérique, autonome et central. Des processus inflammatoires divers (infectieux, allergiques, inflammatoires non spécifiques) peuvent être à l’origine d’une perturbation de la sensibilité du tube digestif à certains stimuli, provoquant une hypersensibilité des afférences et donc une hyperalgie viscérale [2]. Il n’est en effet pas rare de voir, dans ces circonstances, des infiltrats inflammatoires muqueux discrets, non spécifiques. L’activation de mastocytes, d’éosinophiles et la libération de substances bioactives seraient alors à l’origine des plaintes. Les altérations de la microflore et de l’équilibre de la balance des gaz sont également mises en cause pour certains patients. Des recherches récentes ont démontré l’importance du polymorphisme de gènes impliqués dans l’action de neurotransmetteurs ou de neuromodulateurs du cerveau et du tube digestif (la sérotonine, la cholécystokinine, le TNF…) qui expliquerait les prédispositions familiales à ces troubles fonctionnels. L’explication des voies de transmission des messages douloureux sort du cadre de cet exposé, toutefois, connaître les hypothèses actuelles sur la physiopathologie des DACF permet d’expliquer, au patient et à sa famille, la réalité et la complexité de la situation mais aussi son caractère bénin, ainsi que la possibilité de ne pas la subir passivement. Les nouvelles connaisssances des mécanismes et les techniques d’exploration de la douleur chronique permettent de viser de nouvelles cibles thérapeutiques.

2. Prise en charge Par des examens dont le choix dépendra de l’anamnèse et de l’examen physique, mais aussi du niveau d’angoisse et d’invalidité engendré par les douleurs, nous tenterons d’éliminer des pathologies organiques, anatomiques, métaboliques, infectieuses, inflammatoires ou néoplasiques. Parallèlement, nous devrons écouter, écouter, écouter, expliquer, chercher à atténuer la douleur, qui est réelle, et éviter les retombées psychosociales pour l’enfant et sa famille. Les études rigoureuses sur les effets des drogues

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manquent certainement et la diversité des approches paramédicales rend leur appréciation difficile. Sachant que plusieurs processus physiopathologiques sont évocables, que l’organe digestif « cible » n’est pas toujours le même et que des facteurs génétiques, exogènes, inflammatoires, psychologiques viennent provoquer, entretenir ou modifier les plaintes, on comprendra que plusieurs abords thérapeutiques soient possibles, éventuellement simultanément.

2.1. Hygiène de vie et diététique Toute intervention sur des facteurs exogènes peut améliorer le confort des patients. L’aménagement des horaires et une réorganisation du rythme de vie respectant les besoins physiologiques et psychologiques de l’enfant sont discutés avec les parents. L’anamnèse diététique met parfois le doigt sur des excès ou des insuffisances dans les choix de la nourriture ou des boissons. Une allergie, une intolérance au gluten, une maldigestion du lactose peuvent être objectivées par des examens spécifiques. La malabsorption du sorbitol ou du fructose est parfois en cause. Des conseils diététiques, ainsi justifiés, peuvent être alors donnés. Chez ces patients, les conséquences de la fermentation (effet osmotique, distension par les gaz) initieraient une séquence de phénomènes dont la douleur serait une des expressions, évocable par ailleurs par d’autres stimuli. De la même manière, le contrôle d’une constipation, par un réajustement du régime et du comportement défécatoire, peut atténuer les plaintes douloureuses. La revue Cochrane des études portant sur l’efficacité des mesures diététiques dans les DACF n’a cependant pas apporté de preuves satisfaisantes [3].

2.2. Abord psychosocial Si la récente revue Cochrane [4] conclut à la faiblesse des méthodologies et à l’hétérogénéité des situations cliniques reprises dans les études, elle consent à admettre l’aide apportée par les thérapies comportementales et cognitives. D’autres abords sont possibles tel le biofeedback, les massages, la sophrologie, l’ostéopathie… Il existe des publications sur l’usage de l’hypnose dans des situations douloureuses ; son succès avec les patients d’âge pédiatrique, très suggestibles, est connu [5]. Cependant, une fois encore, la revue Cochrane reproche la pauvre qualité des études [6]. Du point de vue du pédiatre, il reste essentiel de préserver une relation de confiance entre le praticien et le patient dans un abord si possible systémique. Ces consultations sont un investissement de temps et de personne récompensé par la création d’un espace de créativité commun. Il est important d’impliquer l’enfant dans son traitement en tenant compte de ses observations, ses initiatives et ses changements de comportement, bref de l’aider à une sorte de prise de conscience. Le patient sera responsabilisé et souvent tirera profit de la tenue d’un « journal de bord » dans lequel il rapportera ses plaintes, ses efforts pour appliquer les consignes, ses observations quant aux événements particuliers de sa vie privée. Il sera encouragé à participer aux activités attendues des enfants de son âge ainsi qu’à découvrir les bénéfices d’autres réactions d’adaptation aux contraintes de la vie sociale, scolaire ou familiale [7]. Le pédiatre en particulier, doit être conscient de l’importance de la nécessité d’agir rapidement pour que, enfant et parents, se rendent compte de l’impact de leur attitude vis-à-vis des plaintes tant pour le patient dans l’enfance qu’à l’âge adulte.

2.3. Médicaments Des traitements directement dirigés contre la douleur viscérale sont régulièrement prescrits (anti cholinergiques, antispasmodiques, inhibiteurs de la pompe à proton, adsorbants des gaz et laxatifs). Des antispasmodiques anticholinergiques ou antimuscariniques (Bromure de buthylyoscinehyoscyamine, phloroglucinol, dicyclomine, cimétropium) ainsi que des myorelaxants agissant sur les muscles lisses (mébérévine, trimébutine, pinavérine, octylonium bromide) quoique prescrits depuis longtemps n’ont été que peu et mal étudiés. La revue Cochrane sur l’efficacité des mesures pharmacologiques sur les DACF de l’enfant n’a retenu que 3 études comparant l’effet d’une drogue à celle d’un placebo. Les drogues étudiées : l’huile de menthe chez 50 enfants souffrant de douleurs abdominales récurrentes ou d’intestin irritable, la famotidine chez 25 enfants souffrant de douleurs abdominales récurrentes et de dyspepsie, ne sont pas souvent prescrites dans nos régions et ne montrent pas de nette efficacité [8]. Occasionnellement, des antidépresseurs tricycliques sont prescrits à petites doses. On postule qu’ils agissent comme modulateurs des perceptions centrales et périphériques de la douleur, calment les troubles psychiatriques et améliorent la motricité digestive en agissant sur les neurotransmetteurs. L’implication de pullulations microbiennes est controversée et, dans ces cas, le bénéfice d’antibiothérapies n’est donc pas démontré. L’action favorable des probiotiques est vraissemblable mais leur efficacité respective est actuellement difficile à prouver. Le traitement des migraines abdominales comporte, à titre de traitement de fond, des drogues comme le pizotifen, le propanolol, le cyproheptadine et les triptans ; le sumatriptan intra nasal pourrait arrêter les attaques mais son usage n’est pas reconnu chez l’enfant [9].

3. Conclusion Les praticiens prescrivent des drogues et des thérapies aux enfants souffrant de DACF, mais peu d’études prouvent leur efficacité. Malgré la meilleure compréhension des divers mécanismes qui peuvent provoquer ces DACF, aucune thérapie nouvelle n’a vraiment émergé, en particulier en pédiatrie. Les 5-HT3 antagonistes (alosetron), les 5-HT4 antagonistes ou agonistes, les associations de 5-HT4 agonistes/5-HT3 antagonistes, les modulateurs adrénergiques (clonidine), la somatostatine et analogues, les opiacés et cannabinoïdes, les antagonistes des récepteurs CRH sont des catégories de drogues encore à l’étude [10]. Une prise en charge holistique de ces patients est sans doute encore pour longtemps la seule attitude à recommander. On peut espérer que la classification de Rome III est un outil qui permettra, lors des études à venir, de comparer des groupes de patients fonctionnels plus homogènes et de mieux évaluer la pertinence de leur prise en charge.

Références 1. Rasquin A, Di Lorenzo C, Forbes D, et al. Childhood functional gastrointestinal disorders: child/adolescent. Gastroenterology 2006;130:1527-37. 2. Talley NJ, Spiller R. Irritable bowel syndrome: a little understood organic bowel disease? Lancet 2002;360:555-64. 3. Huertas-Ceballos A, Logan S, Bennett C, et al. Dietary interventions for recurrent abdominal pain (RAP) and irritable bowel syndrome (IBS) in childhood. Cochrane Database Syst Rev 2008;23: CD003019.

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4. Huertas-Ceballos A, Logan S, Bennett C, et al. Psychosocial interventions for recurrent abdominal pain (RAP) and irritable bowel syndrome (IBS) in childhood. Cochrane Database Syst Rev 2008;23:CD003014. 5. Vlieger AM, Menko-Frankenhuis C, Wolfkamp SC, et al. Hypnotherapy for children with functional abdominal pain or irritable bowel syndrome: a randomized controlled trial. Gastroenterology 2007;133:1430-6. 6. Webb AN, Kukuruzovic RH, Catto-Smith AG, et al. Hypnotherapy for treatment of irritable bowel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2007;17:CD005110. 7. Levy RL, Langer SL, Whitehead WE. Social learning contributions to the etiology and treatment of functional abdominal pain

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Archives de Pédiatrie 2009;16:858-860

and inflammatory bowel disease in children and adults. World J Gastroenterol 2007;13:2397-403. 8. Huertas-Ceballos A, Logan S, Bennett C, et al. Pharmacological interventions for recurrent abdominal pain (RAP) and irritable bowel syndrome (IBS) in childhood. Cochrane Database Syst Rev 2008;23:CD003017. 9. Russell G, Abu-Arafeh I, Symon DN. Abdominal migraine: evidence for existence and treatment options. Paediatr Drugs 2002;4:1-8. 10. New Insights into functional abdominal pain and Irritable bowel syndrome in children. A multidisciplinary approach. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2008;47:679-715.