Annales de chirurgie plastique esthétique (2016) 61, 605—612
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
Prise en charge des lésions des parties molles du purpura fulminans chez l’enfant Management of purpura fulminans lesions in children L. Pasquesoone a,*, A. Belkhou b, L. Gottrand c, P. Guerreschi a, V. Duquennoy-Martinot a a
´ tique, centre de traitement des bru ´ s, ho ˆ pital ˆ le Service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthe Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue ´Emile-Laine, 59037 Lille cedex, France b ´ die de l’enfant, ho ˆ pital Jeanne-de-Flandre, CHRU de Lille, avenue Clinique de chirurgie et orthope ` ne-Avine ´ e, 59000 Lille, France Euge c ´´education Marc-Sautelet, 10, rue du Petit-Boulevard, 59650 Villeneuve-d’Ascq, France Centre de re
MOTS CLÉS Purpura fulminans ; Nécroses cutanées ; Amputation ; Prise en charge chirurgicale ; Reconstruction
Résumé Le purpura fulminans est une urgence vitale pédiatrique à la mortalité élevée associant : état de choc septique, lésions purpuriques extensives et coagulation intravasculaire disséminée. Le méningocoque est l’agent bactérien le plus souvent responsable. Le traitement médical repose sur l’antibiothérapie, la corticothérapie, le remplissage vasculaire et les catécholamines. Le purpura fulminans se distingue par l’importance des lésions hémorragiques et surtout thrombotiques liées aux altérations des fonctions de l’endothélium vasculaire. L’atteinte des parties molles associe de larges placards nécrotiques à des lésions d’ischémie distale plus ou moins étendues. Les nécroses peuvent être profondes, touchant la peau, le tissu sous-cutané, le fascia, le muscle et parfois même l’os. La qualité de la prise en charge chirurgicale de ces lésions étendues et profondes conditionne l’importance des séquelles esthétiques, fonctionnelles et la qualité de vie future. Des fasciotomies sont parfois nécessaires en urgence en cas de syndrome des loges clinique, confirmé par des mesures élevées des pressions des loges musculaires. Le parage des lésions nécrotiques et les amputations ne sont réalisés qu’après délimitation nette des nécroses entre dix jours et trois semaines d’évolution. Quand l’amputation est indispensable, elle privilégie au maximum la longueur osseuse résiduelle en considérant le potentiel de croissance de l’enfant. La couverture des pertes de substance associe toutes les techniques de chirurgie plastique plus ou moins complexes, s’évertuant à diminuer au maximum la rançon cicatricielle chez ces enfants. Le suivi rééducatif associe prise en charge physique et suivi psychologique indispensable jusqu’à l’âge adulte. # 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Pasquesoone). http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2016.05.003 0294-1260/# 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
606
KEYWORDS Purpura fulminans; Skin necroses; Amputation; Surgical procedures; Reconstruction
L. Pasquesoone et al. Summary Purpura fulminans is a pediatric life-threatening emergency with a significant mortality, combining: septic shock, extensive purpuric lesions and disseminated intravascular coagulation. The most frequent bacterial pathogen is the meningococcus. The medical management includes antibiotics, corticoids, vascular filling and catecholamines. Purpura fulminans is characterized by the extent of hemorrhagic and mainly thrombotic lesions, attributed to the alteration in the vascular endothelium functions. Damage of soft tissues combines large necrotic areas and more or less extensive distal ischemic lesions. Necrotic lesions can be deep, reaching skin, subcutaneous tissue, fascia, muscle and sometimes even the bone. The importance of the aesthetic and functional sequelae as well as future quality of life, depend on the quality of surgical management for these wide and deep lesions. Fasciotomy is sometimes urgently needed in the case of a clinical compartment syndrome, confirmed by a high-pressure measurement in the muscle compartments. Debridement of necrotic lesions and amputations are only performed after a clear delineation of necrotic areas, between 10 days and 3 weeks of evolution. If an amputation is necessary, it must focus on the residual bone length, considering the child’s growth potential. The coverage of tissue loss uses all the plastic surgery techniques, more or less complex, in order to reduce scars to minimum for these children. Rehabilitation follow-up includes physical and psychological care, which are essential until adulthood. # 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le purpura fulminans (PF), dont l’incidence annuelle est en constante augmentation [1], est une urgence vitale pédiatrique. Le PF est défini par l’association d’un état de choc septique, de lésions purpuriques extensives et d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). La bactérie la plus souvent responsable est le méningocoque (sérogroupe B prédominant), bien que d’autres agents pathogènes puissent être mis en cause comme le pneumocoque. Le PF peut aussi être observé 7 à 10 jours après une varicelle [2] ou être favorisé par un déficit congénital en protéine C [3]. Les jeunes enfants de 0 à 4 ans sont les plus touchés avec un pic d’incidence maximum pour les enfants de moins de 1 an, mais aucune tranche d’âge n’est épargnée. En France, 179 cas de purpura fulminans ont été recensés en 2009, compliquant 28,5 % des infections invasives à méningocoque. Bien qu’en baisse régulière, la mortalité du PF est actuellement de 16 à 25 % selon les études [4,5], et 5 à 20 % des survivants développent des nécroses cutanées et/ou des ischémies des membres pouvant nécessiter des greffes de peau ou des amputations [6,7]. Environ 70 % des décès surviennent dans les 24 premières heures. C’est donc la rapidité et la qualité de la prise en charge médicale initiale qui permettent de diminuer la morbi-mortalité de cette pathologie. Les gestes chirurgicaux seront réalisés, en l’absence de syndrome des loges, après stabilisation hémodynamique de l’enfant et délimitations nettes des nécroses [8].
Physiopathologie La transmission du méningocoque se fait par contact direct ou par aérosolisation des sécrétions émises par une personne porteuse saine (10 % de la population générale) [9]. La bactérie franchit ensuite la barrière muqueuse pharyngée, passe dans le sang vers les tissus périphériques comme la peau. Les endotoxines du méningocoque provoquent, par l’intermédiaire des cytokines, une activation pathologique de la coagulation. Cette coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) est responsable d’un déficit acquis en inhibiteurs de
la coagulation et d’une inhibition de la fibrinolyse, intervenant dans le tableau de défaillance multisystémique [10]. Le PF se distingue des autres chocs septiques par l’importance des lésions hémorragiques et surtout thrombotiques liées aux altérations des fonctions de l’endothélium vasculaire. Ce sont les vaisseaux de petit diamètre (capillaires et réseaux dermiques) qui sont particulièrement touchés par ces thromboses, provoquant des infarctus hémorragiques diffus et des nécroses distales [11]. Les infections massives à méningocoque induisent, comme tout choc septique, une hypovolémie avec fuite capillaire, une dysfonction myocardique et une atteinte microcirculatoire endothéliale, aggravant les nécroses tissulaires [12]. Dans les cas extrêmes, les thromboses peuvent être étendues à l’ensemble des membres. Enfin, le déficit acquis en protéine C aggrave le risque d’ischémie distale [3,13,14].
Tableau clinique Le diagnostic d’infection à méningocoque est évoqué devant une fièvre, des frissons, une altération de l’état général et une éruption ecchymotique ou pétéchiale. Le PF, observé dans 27,5 % de ces infections, doit être craint dès qu’il existe une seule lésion purpurique (ne s’effaçant pas à la vitropression) ou une éruption maculo-papuleuse [15] associée à un syndrome infectieux. C’est pour cette raison que l’enfant fébrile doit être examiné totalement dévêtu. Le choc septique, dont le diagnostic est difficile chez l’enfant, est responsable d’une défaillance systémique généralisée. Le diagnostic final sera confirmé par hémocultures. Le purpura, d’aspect nécrotique ou ecchymotique, s’étend rapidement et prédomine à la face et aux membres (Fig. 1 et 2) [16]. Les lésions des parties molles du PF peuvent associer de larges placards nécrotiques à des ischémies distales plus ou moins étendues (Fig. 3). Lors d’un PF, les nécroses peuvent être profondes, touchant la peau mais aussi le tissu souscutané, le fascia, le muscle et parfois même l’os (Fig. 4). Le dommage musculaire profond, les lésions osseuses et cartilagineuses secondaires aux thromboses diffuses microvasculaires, aggravent le pronostic fonctionnel. Les lésions d’ischémie distales des membres peuvent être extensives
Prise en charge des lésions des parties molles du purpura fulminans chez l’enfant
Figure 1
607
Purpura ecchymotique du membre inférieur.
Figure 4 rotule.
Placard nécrotique profond avec atteinte de la
Prise en charge réanimatoire
Figure 2
Figure 3
Purpura nécrotique de la face.
Lésion d’ischémie distale.
et toucher simultanément les quatre extrémités [8]. Elles peuvent s’aggraver durant toute la prise en charge de l’enfant, obligeant à un attentisme chirurgical avant parage ou amputations.
Le traitement du PF impose le transfert en réanimation pédiatrique. Il repose sur l’antibiothérapie, la corticothérapie, les catécholamines et le remplissage vasculaire, qui doivent être rapidement mis en œuvre [7]. C’est la précocité de ce traitement qui influence le pronostic, 70 % des décès survenant dans les 24 premières heures. La prise en charge doit débuter au domicile par l’injection immédiate d’un antibiotique dès lors qu’il existe un aspect « toxique » ou que le purpura est extensif [17], et le transfert en soins intensifs doit être médicalisé. Le choc est traité par un remplissage vasculaire rapide, associé si besoin à des médicaments ionotropes et/ou vasoactifs afin de restaurer la perfusion et l’oxygénation tissulaire. L’antibiothérapie fait appel à des céphalosporines de troisième génération (céfotaxime ou ceftriaxone). En raison d’un certain degré d’insuffisance surrénalienne durant le purpura fulminans, une administration d’hémisuccinate d’hydrocortisone est recommandée. La ventilation contrôlée (avec mise en place systématique d’une sonde gastrique) est très fréquente [18,19]. Un traitement antalgique adapté aux douleurs nociceptives mais aussi neuropathiques doit être administré tout au long de la prise en charge. Les mesures générales comprennent aussi les soins de confort, l’apport nutritionnel, l’équilibre glycémique et hydroélectrolytique et le traitement de l’hypocalcémie [20]. D’autres médicaments agissant sur l’inflammation ou contre les anomalies de l’hémostase sont utilisés par certaines équipes, sans valeur scientifique établie [10,21].
Stratégie chirurgicale Les lésions des parties molles lors d’un PF peuvent associer de larges placards nécrotiques à des ischémies distales plus ou moins étendues (Fig. 1, 2, 3 et 4). Si l’amélioration de la prise en charge médicale du PF a conduit à une augmentation de la survie des enfants, les séquelles physiques secondaires
608
L. Pasquesoone et al.
aux nécroses cutanées étendues et aux amputations des membres sont importantes. La gestion de ces patients impose une prise en charge multidisciplinaire entre réanimateurs et chirurgiens plasticiens [22]. Cette collaboration vise à réduire, par une optimisation de la gestion clinique, les séquelles potentielles, en proposant les interventions chirurgicales au bon moment. Une chirurgie trop précoce peut aggraver le pronostic vital, mais aussi fonctionnel : celle-ci doit être la plus conservatrice possible. À l’inverse, une prise en charge trop tardive augmente les risques d’infections [23].
Mesures générales Le positionnement et la surélévation des membres permettent de limiter les zones d’hyperpression et de diminuer l’œdème. La dénutrition doit être recherchée et corrigée afin d’optimiser la cicatrisation. Certaines équipes utilisent l’oxygénothérapie hyperbare précoce afin de limiter l’extension des lésions ischémiques [24], sans effet scientifiquement prouvé. L’utilisation de sangsues à la phase précoce sur les lésions cutanées ou l’utilisation de vasodilatateurs permettrait pour certains de stabiliser l’ischémie [25].
Gestes d’urgences Le chirurgien peut avoir un rôle dans la phase aiguë lors de lésions purpuriques extensives avec suspicion de syndrome des loges. Une fasciotomie des loges musculaires atteintes doit alors être réalisée dans les six premières heures afin d’augmenter la perfusion du membre. Cette attitude ainsi que son efficacité restent controversées dans la littérature [26]. La prise de pression des loges musculaires participe à la décision chirurgicale et justifie une intervention en cas de pression de plus de 30 mmHg [7,22,27]. Lors d’une étude randomisée de 14 patients, une équipe belge a réalisé des artériolyses microchirurgicales avec advendicectomie des vaisseaux occlus à l’échographie doppler, pour augmenter le flux sanguin distal. Ce traitement, qui permettrait de lever le spasme artériel secondaire au choc, a diminué le niveau d’amputation de manière significative dans leur série [28].
Figure 5
Parage et amputations La plupart des auteurs recommandent d’effectuer le parage des lésions nécrotiques et les amputations lorsque l’état de choc et l’infection sont contrôlés, sur un patient hémodynamiquement stable [22]. L’objectif étant d’obtenir une cicatrisation la plus rapide possible, bénéfique sur le plan cicatriciel et général, mais sans être trop agressif chirurgicalement. Les nécroses, souvent sèches, doivent être parfaitement délimitées avant d’envisager toute chirurgie. Cette délimitation nette entre zones saines et zones nécrosées survient habituellement entre dix jours et trois semaines d’évolution, autorisant le parage chirurgical. En cas de lésions digitales distales (pulpaires), la cicatrisation se fait le plus souvent spontanément en plusieurs semaines et ne nécessite pas d’intervention particulière (Fig. 5a et b). D’autres auteurs préconisent une excision plus précoce devant les risques d’infection de ces lésions [29,30]. Même si les nécroses dans le PF sont le plus souvent sèches, donc peu propices à ce genre de complications, un parage chirurgical devra être effectué rapidement dès lors qu’il existe des signes d’infections des parties molles. Le bénéfice d’une excision précoce en cas de placards nécrotiques étendus afin de diminuer le risque de relargage de produits de dégradation cellulaires n’est pas démontré dans le PF [8]. Le parage chirurgical doit emporter l’ensemble des tissus nécrosés, principalement la peau et le tissu sous-cutané, mais parfois aussi les muscles et l’os. Dès que cela est possible, une couche de tissu adipeux doit être conservée, limitant ainsi l’adhérence cicatricielle et les séquelles esthétiques. Les techniques utilisées associent parage au bistouri froid ou électrique en cas de nécrose sèche ou la technique d’hydrochirurgie (Versajet1) en cas de nécrose souple. Ces gestes, pouvant être hémorragiques doivent être réalisés sous garrot pneumatique dès que possible. Le parage de grandes surfaces de peau entraîne des fuites hydroélectrolytiques, volémiques et caloriazotées avec un risque augmenté d’infection. Il est possible néanmoins de parer jusqu’à 20 % de surface cutanée en une fois, sous réserve du contrôle des saignements et de la stabilité hémodynamique [31].
a : Nécroses digitales distales ; b : Evolution spontanée vers la cicatrisation à 4 semaines.
Prise en charge des lésions des parties molles du purpura fulminans chez l’enfant L’état des plaies doit être réévalué régulièrement, avec réalisation de nouveaux parages itératifs si nécessaire jusqu’à l’obtention d’un sous-sol viable. Quand l’amputation est indispensable, elle se limite aux tissus nécrosés afin de privilégier au maximum la longueur osseuse résiduelle en considérant le potentiel de croissance de l’enfant. La définition du niveau d’amputation est difficile à définir, la démarcation de la viabilité des muscles et de l’os n’étant pas claire. Les cartilages de croissance doivent être au maximum conservés quand cela est possible. Au niveau du fémur, 70 % du potentiel de croissance provient de son extrémité inférieure. Toute amputation plus proximale aboutira à un moignon très court et doit donc être évitée. La conservation du genou, même avec un moignon distal court (Fig. 6), ou les désarticulations doivent être privilégiées [8]. Afin d’aider à la prise de décision chirurgicale, la réalisation de biopsies pour déterminer la viabilité des tissus restants peut être effectuée [29]. Mais c’est surtout l’IRM qui permettrait, pour certaines équipes [32], de délimiter en préopératoire les zones nécrosées notamment musculaires et osseuses. Les informations obtenues par cet examen les aideraient dans leur stratégie chirurgicale en diminuant le nombre d’interventions et en planifiant les gestes de reconstruction.
Reconstruction La couverture de ces pertes de substance est rarement effectuée de manière concomitante au premier parage : les lésions étant souvent encore évolutives et le sous-sol non propice à la fermeture. Il ne faut donc pas précipiter la phase de reconstruction, surtout lorsqu’elle sera complexe [33]. Les pertes de substance de petite taille ou les lésions digitales distales (pulpaires) peuvent être traitées de manière conservatrice par cicatrisation dirigée [8]. Pour les plaies plus étendues ou profondes, la thérapie par pression négative est une option d’attente intéressante afin d’accélérer la détersion et le bourgeonnement. Elle permet d’obtenir une plaie propre, propice à la reconstruction, dans des délais plus courts qu’avec des pansements conventionnels, après parfois néanmoins plusieurs temps de parages. Dans les cas de pertes de substance excavées et profondes,
609
elle permet l’obtention d’un bourgeon épais de comblement. En cas d’impossibilité de mise en place d’une thérapie par pression négative, les allogreffes cutanées ou les xénogreffes peuvent être une solution alternative. Elles favorisent, par leur qualité de pansement biologique, la création d’un bourgeon propre et propice à la prise de greffes de peau mince ou à la pose de matrices de régénération dermique [23,34,35]. La couverture doit être adaptée à son lit receveur (derme, graisse, péritendon, tendon, articulation, os). Le but est d’obtenir une fermeture précoce, de la meilleure qualité possible, particulièrement pour les moignons d’amputation où la qualité de la fermeture cutanée conditionne la fonctionnalité et l’appareillage futur. Dans la mesure du possible et si le sous-sol est bourgeonnant, les moyens simples, tels que les autogreffes de peau mince, seront privilégiés. Lors de pertes de substances profondes ou en zones fonctionnelles, des matrices de régénération dermique peuvent être utilisées afin de limiter la rétraction cicatricielle et améliorer l’élasticité cutanée [25]. Ces matrices, dont la prise est favorisée par la thérapie par pression négative, permettent aussi une couverture solide de certains moignons d’amputation [8]. Les lambeaux locaux sont de réalisation délicate lors du PF, la qualité de la microcirculation étant difficile à évaluer et les tissus avoisinants de mauvaise qualité [15]. Des lambeaux libres ont été décrits pour la couverture osseuse et articulaire lors de sauvetages de membres [36,37]. Le risque d’échec de ces procédures est favorisé par l’hyperplaquettose constante et les altérations disséminées de l’endothélium vasculaire lors du PF. Pour certaines équipes, malgré la complexité technique liée à une intima friable, les anastomoses terminolatérales doivent être privilégiées afin de ne pas sacrifier un axe vasculaire principal [27,37,38]. Cette attitude est néanmoins discutée devant le risque élevé de complications. La prescription pré- et postopératoire d’antiagrégants plaquettaires associée à une anti-coagulation préventive diminuerait le risque de thromboses anastomotiques [36]. Les mobilisations précoces et attelles de posture font partie intégrante du traitement. Dès la cicatrisation obtenue, ces enfants sont transférés dans une unité de rééducation spécialisée pour la suite de la prise en charge. Nous proposons un algorithme de la prise en charge chirurgicale de ces enfants (Fig. 7).
Rééducation
Figure 6 Amputation sous-gonale après lésions ischémiques étendues.
La prise en charge associe des massages afin d’améliorer la souplesse de la peau et des manœuvres de postures ou de drainage, souvent limitées par les douleurs de neuropathies persistantes, nécessitant la prescription d’antalgiques adaptés. Il s’agit de ne pas provoquer d’ischémie locale car la vascularisation est fragile, le tissu est mince, avec un tissu adipeux souvent limité ou diminué. L’adhérence des tissus cicatriciels est donc à limiter par des massages défibrosants. Les propriétés physiques de la peau, tels que l’élasticité et la souplesse, sont entretenues par un crémage doux et répété, en évitant que ne se forme une couche cornée trop épaisse, source de douleurs à l’appui et d’inconfort. Afin d’entretenir les mobilités articulaires diminuées par des cicatrices rétractiles et par des atteintes des espaces de glissement, la mobilisation articulaire est recommandée avec attelles de posture. À plus long terme, les moignons
610
L. Pasquesoone et al. Purpura fulminans
Evaluation clinique Mesure pression loges musculaires
Pression 30 mmHg et/ou syndrome des loges clinique
Pression 30 mmHg et pas de syndrome des loges clinique
Fasciotomies
Attendre la délimitation des nécroses (10-21 jours)
Nécroses digitales distales
Attendre la détersion spontanée
Greffes de peau +/- Allogreffes cutanées +/- Matrices dermiques +/- Thérapie à pression négative
Lambeaux locaux Lambeaux libres
Figure 7
Sous sol viable
Sous sol non-viable Sauvetage de moignon
Autres nécroses
Parage / Amputation Thérapie à pression négative si lésions étendus et profondes
Réévaluation à 72h Nouveaux parages si nécessaire
Obtention sous-sol propre (3 à 4 semaines)
Algorithme de la prise en charge chirurgicale à la phase aiguë des enfants atteints d’un purpura fulminans.
d’amputation posent le problème de moignons déformés, difficiles à appareiller par prothèse (Fig. 8). Le PF qui a mis en jeu le pronostic vital peut laisser place à une anxiété et un stress post-traumatique perturbant la réadaptation de
Figure 8 Appareillage de positionnement pour séquelles d’amputations des doigts.
l’enfant et de sa famille, allongeant le temps de convalescence en centre spécialisé.
Les séquelles Un suivi régulier médicochirurgical de ces enfants est nécessaire durant toute leur croissance, certaines complications apparaissant plusieurs mois ou années après le PF [39]. Si l’enfant survit, il gardera des séquelles esthétiques, fonctionnelles et psychologiques variables entre 5 à 20 % des cas selon les études [7]. Néanmoins, une étude évaluant la capacité à effectuer les gestes de la vie quotidienne et la qualité de vie chez les enfants amputés est très satisfaisante. Cela encourage l’attitude intensive lors de la prise en charge aiguë, même en cas d’amputations multiples [40]. Les séquelles cutanées sont principalement l’hyperkératose et les troubles de sensibilité. Les moignons d’amputations sont souvent de qualité médiocre et nécessitent un traitement orthopédique ou prothétique au cas par cas. Les lésions osseuses ou cartilagineuses entraînent des déformations et des troubles de croissance des membres pouvant nécessiter des reprises chirurgicales [8]. Chez l’enfant les problèmes orthopédiques se posent tout au long de la croissance, le pronostic de la taille de l’enfant pouvant être altéré. Les douleurs principalement d’origine neuropathiques peuvent être chroniques avec parfois des signes distaux associant parésie de membre avec dysfonctionnement de nerfs périphériques. Une resensibilisation des moignons d’amputation est néanmoins décrite [36]. Au niveau psychologique, les symptômes de syndrome de stress posttraumatique touchent 62 % des enfants et 48 % de leur mère
Prise en charge des lésions des parties molles du purpura fulminans chez l’enfant [41]. L’aspect est particulièrement inesthétique, d’où la nécessité d’un accompagnement psychologique pour l’acceptation de l’aspect cicatriciel et du regard des autres.
Conclusion La prise en charge médicale et chirurgicale des enfants présentant un PF est extrêmement lourde. Elle soulève quotidiennement des questions éthiques, obligeant l’ensemble de l’équipe soignante à une réflexion quant à la finalité des soins de ces patients. Si la survie de ces patients est liée à l’efficacité de la prise en charge médicale et réanimatoire, l’importance des séquelles fonctionnelles sera liée aux actes chirurgicaux réalisés. Les gestes de parages et d’amputations doivent être réalisés dès lors qu’une délimitation nette des zones nécrotiques est obtenue. La couverture des pertes de substance associe toutes les techniques de chirurgie plastique plus ou moins complexes, s’évertuant à diminuer au maximum la rançon cicatricielle chez ces enfants et l’impact sur leur croissance. La connaissance des altérations physiopathologiques et des manifestations lésionnelles pouvant être observées lors d’un PF, permet aux chirurgiens prenant en charge l’enfant d’adopter une stratégie thérapeutique adaptée.
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références [1] Leclerc F, Noizet O, Dorkenoo A, Cremer R, Leteurtre S, Sadik A, et al. [Treatment of meningococcal purpura fulminans]. Arch Pediatr 2001;8(Suppl. 4):677s—88s. [2] Domergue S, Rodiere M, Bigorre M, Guye E, Captier G. [Management of chicken pox purpura fulminans: a pediatric case report]. Ann Chir Plast Esthet 2006;51(3):243—8. [3] Hmami F, Cherrabi H, Oulmaati A, Bouabdallah Y, Bouharrou A. [Neonatal purpura fulminans without sepsis due to a severe congenital protein C deficiency]. Arch Pediatr 2015;22(10): 1027—31. [4] Maat M, Buysse CM, Emonts M, Spanjaard L, Joosten KF, de Groot R, et al. Improved survival of children with sepsis and purpura: effects of age, gender, and era. Crit Care 2007;11(5): R112. [5] Parent du Chatelet I, Taha MK, Sesboue C, Rouaud P, Perrocheau A, Levy-Bruhl D. [Increased incidence of invasive meningococcal disease in Seine-Maritime. The evolving epidemiology due to the B:14:P1.7,16 strain]. Arch Pediatr 2007;14(6): 537—40. [6] Cremer R, Leclerc F, Jude B, Sadik A, Leteurtre S, Fourier C, et al. Are there specific haemostatic abnormalities in children surviving septic shock with purpura and having skin necrosis or limb ischaemia that need skin grafts or limb amputations? Eur J Pediatr 1999;158(2):127—32. [7] Leclerc F, Leteurtre S, Cremer R, Fourier C, Sadik A. Do new strategies in meningococcemia produce better outcomes? Crit Care Med 2000;28(9 Suppl.):S60—3. [8] Mazzone L, Schiestl C. Management of septic skin necroses. Eur J Pediatr Surg 2013;23(5):349—58. [9] Yazdankhah SP, Caugant DA. Neisseria meningitidis: an overview of the carriage state. J Med Microbiol 2004;53(Pt 9):821—32.
611
[10] van Deuren M, Brandtzaeg P, van der Meer JW. Update on meningococcal disease with emphasis on pathogenesis and clinical management. Clin Microbiol Rev 2000;13(1):144—66 [table of contents]. [11] Adcock DM, Brozna J, Marlar RA. Proposed classification and pathologic mechanisms of purpura fulminans and skin necrosis. Semin Thromb Hemost 1990;16(4):333—40. [12] Leclerc F, Noizet O, Dorkenoo AE, Cremer R, Leteurtre S, Sadik A, et al. Purpura fulminans. Reanimation 2002;11:222—30. [13] Leclerc F, Hazelzet J, Jude B, Hofhuis W, Hue V, Martinot A, et al. Protein C and S deficiency in severe infectious purpura of children: a collaborative study of 40 cases. Intensive Care Med 1992;18(4):202—5. [14] Faust SN, Levin M, Harrison OB, Goldin RD, Lockhart MS, Kondaveeti S, et al. Dysfunction of endothelial protein C activation in severe meningococcal sepsis. N Engl J Med 2001;345(6): 408—16. [15] Marzouk O, Thomson AP, Sills JA, Hart CA, Harris F. Features and outcome in meningococcal disease presenting with maculopapular rash. Arch Dis Child 1991;66(4):485—7. [16] Betrosian AP, Berlet T, Agarwal B. Purpura fulminans in sepsis. Am J Med Sci 2006;332(6):339—45. [17] Cartwright KA. Early management of meningococcal disease. Infect Dis Clin North Am 1999;13(3):661—84 [viii]. [18] Hodgetts TJ, Brett A, Castle N. The early management of meningococcal disease. J Accid Emerg Med 1998;15(2):72—6. [19] Pollard AJ, Britto J, Nadel S, DeMunter C, Habibi P, Levin M. Emergency management of meningococcal disease. Arch Dis Child 1999;80(3):290—6. [20] Baines PB, Thomson AP, Fraser WD, Hart CA. Hypocalcaemia in severe meningococcal infections. Arch Dis Child 2000;83(6): 510—3. [21] Darmstadt GL. Acute infectious purpura fulminans: pathogenesis and medical management. Pediatr Dermatol 1998;15(3): 169—83. [22] Potokar TS, Oliver DW, Ross Russell R, Hall PN. Meningococcal septicaemia and plastic surgery — a strategy for management. Br J Plast Surg 2000;53(2):142—8. [23] Adendorff DJ, Lamont A, Davies D. Skin loss in meningococcal septicaemia. Br J Plast Surg 1980;33(2):251—5. [24] Carcillo JA, Fields AI, Comite de F-T. [Clinical practice parameters for hemodynamic support of pediatric and neonatal patients in septic shock]. J Pediatr (Rio J) 2002;78(6):449—66. [25] Dippenaar R, Smith J, Goussard P, Walters E. Meningococcal purpura fulminans treated with medicinal leeches. Pediatr Crit Care Med 2006;7(5):476—8. [26] Bichet JC, Mojallal A, Delay E, Ziad S, Foyatier JL. [Surgical management of cutaneous necrosis in the purpura fulminans: report of 2 clinical cases]. Ann Chir Plast Esthet 2003;48(4): 216—21. [27] Huang DB, Price M, Pokorny J, Gabriel KR, Lynch R, Paletta CE. Reconstructive surgery in children after meningococcal purpura fulminans. J Pediatr Surg 1999;34(4):595—601. [28] Boeckx WD, Nanhekhan L, Vos GD, Leroy P, Van den Kerckhove E. Minimizing limb amputations in meningococcal sepsis by early microsurgical arteriolysis. J Pediatr Surg 2009;44(8): 1625—30. [29] Klebanovas J, Barauskas V, Cekanauskas E, Malcius D, Grinkeviciute D. Purpura fulminans — soft tissue damage as a manifestation of bacterial sepsis. Eur J Pediatr Surg 2005;15(2): 120—4. [30] Sheridan RL, Briggs SE, Remensnyder JP, Tompkins RG. Management strategy in purpura fulminans with multiple organ failure in children. Burns 1996;22(1):53—6. [31] Dinh TA, Friedman J, Higuera S. Plastic surgery management in pediatric meningococcal-induced purpura fulminans. Clin Plast Surg 2005;32(1):117—21 [ix].
612 [32] Hogan MJ, Long FR, Coley BD. Preamputation MR imaging in meningococcemia and comparison to conventional arteriography. Pediatr Radiol 1998;28(6):426—8. [33] Penington AJ, Craft RO, Tilkorn DJ. Plastic surgery management of soft tissue loss in meningococcal septicemia: experience of the Melbourne Royal Children’s Hospital. Ann Plast Surg 2007;58(3):308—14. [34] Wheeler JS, Anderson BJ, De Chalain TM. Surgical interventions in children with meningococcal purpura fulminans — a review of 117 procedures in 21 children. J Pediatr Surg 2003;38(4):597—603. [35] Lowery K, Shirley R, Shelley OP, Kaniorou-Larai M, Philp B, Dziewulski P. Purpura fulminans skin loss: surgical management protocols at a regional burns centre. J Plast Reconstr Aesthet Surg 2008;61(12):1520—3. [36] MacLennan SE, Kitzmiller WJ, Yakuboff KP. Free-tissue transfer for limb salvage in purpura fulminans. Plast Reconstr Surg 2001;107(6):1437—42.
L. Pasquesoone et al. [37] Duteille F, Thibault F, Perrot P, Renard B, Pannier M. Salvaging limbs in cases of severe purpura fulminans: advantages of free flaps. Plast Reconstr Surg 2006;118(3):681—5 [discussion 6—7]. [38] Redett RJ, Bury TF, McClinton MA. The use of simultaneous free latissimus dorsi tissue transfers for reconstruction of bilateral upper extremities in a case of purpura fulminans. J Hand Surg Am 2000;25(3):559—64. [39] Canavese F, Krajbich JI, LaFleur BJ. Orthopaedic sequelae of childhood meningococcemia: management considerations and outcome. J Bone Joint Surg Am 2010;92(12):2196—203. [40] Allport T, Read L, Nadel S, Levin M. Critical illness and amputation in meningococcal septicemia: is life worth saving? Pediatrics 2008;122(3):629—32. [41] Acosta D, Affolder T, Akimoto T, Albrow MG, Ambrose D, Amerio S, et al. First measurements of inclusive W and Z cross sections from run II of the fermilab tevatron collider. Phys Rev Lett 2005;94(9):091803.