Table ronde Les adolescents malades chroniques confiés à l’Aide sociale
Prise en charge sociale et médico-sociale d’une adolescente en foyer de l’enfance M. Gilbert Foyer de l’enfance François-de-Saintignon, 5, rue Sébastien-Lenormand, 34090 Montpellier
T
109
ravaillant dans un foyer de l’Enfance à Montpellier, j’occupe un poste de monitrice-éducatrice et mes fonctions, au sein d’une équipe, se réfèrent à celles de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Nous accueillons des adolescents confiés à l’ASE par les magistrats ou sur demande de la famille. Nous avons accueilli dans notre structure une adolescente, que l’on va appeler Aurélia, âgée de 14 ans, de l’année 2006 à fin 2010. Placée par un juge des enfants depuis l’âge de 3 ans à la suite de suspicions de maltraitance et d’abus sexuel de la part de son beau-père, elle a vécu en famille d’accueil et en foyer depuis son enfance. Les contacts avec sa famille ont été épisodiques, voire inexistants à certaines phases de sa vie. Aurélia a grandi dans un climat insécurisant avec de lourds secrets familiaux, ce qui ne l’a pas aidée à se construire. Après une période de latence, cette adolescente a pu dévoiler progressivement des troubles du comportement. Aurélia s’est présentée comme une jeune fille immature, en grande difficulté relationnelle, tout en étant très attachante. Sa quête perpétuelle de reconnaissance l’a souvent amené à s’aliéner dans le désir et les exigences des autres. Ses premières prises de risque, à travers les fugues, ont commencé à apparaître et à s’accentuer au fil du temps. Malgré un étayage éducatif semble-t-il sécurisant et bienveillant, elle banalisait ses actes, sans mesurer les dommages qu’elle s’infligeait. L’équipe éducative, éprouvant de plus en plus de difficultés à gérer la situation, s’interrogeait alors sur l’accompagnement qui lui était proposé devant l’impossible protection qui était nécessaire à Aurélia. La situation s’est encore aggravée en 2008 avec la survenue d’un événement traumatisant : une agression sexuelle. Cette épreuve, venant réactiver des douleurs anciennes, a marqué une période de recrudescence des passages à l’acte, tous orientés vers de l’autodestruction : prise de toxiques, comportements sexuels à risques, scarifications, errance… La souffrance, le mal-être, la mise en danger de cette jeune fille ont conduit l’équipe à un sentiment d’impuissance et de culpabilité. Comment accompagner éducativement, dans une structure collective type foyer de l’enfance, une adolescente en dérive ? Quelle était sa liberté d’action, d’intervention, et comment l’aider à gérer sa pulsionalité, son angoisse, son mal-être ? Avec l’accord de l’adolescente, une hospitalisation s’est imposée en polyclinique psychiatrique, dans une unité Jeune-Adulte. L’équipe Correspondance. e-mail :
[email protected]
de l’hôpital a apporté un autre regard, une approche soignante complémentaire et plus distanciée, ce qui a permis à l’équipe éducative de prendre du recul sur la situation. L’espace et le champ d’action proposés à la polyclinique n’étaient pas envisageables, ni même pensables dans notre structure. Aurélia disait se sentir plus apaisée, le lieu paraissait mieux adapté à cette période de crise. Cependant, ce passage par la dimension soignante ne se voulait être qu’une aide, voire un tremplin, dans la vie d’Aurélia, l’objectif de ce travail de collaboration étant de dépasser un moment de crise afin d’apporter une stabilisation. Cet accompagnement spécialisé avec des équipes pluridisciplinaires n’était donc que transitoire. Durant son hospitalisation, l’état psychique d’Aurélia s’est un peu amélioré. Elle a ouvert des portes et un travail d’élaboration psychique a pu commencer. L’équipe éducative, en coopération avec l’équipe soignante, a permis à Aurélia d’être écoutée dans sa globalité, avec une sécurité affective et sécurisante. Le lien avec l’équipe éducative était maintenu et elle n’était donc pas rejetée à nouveau. Elle a également pu créer une relation affective stable pendant un an avec un garçon de son âge. Après évaluation concertée, sa prise en charge a pu ensuite s’alléger. Elle a donc bénéficié d’une hospitalisation de jour, axée sur les soins tels que la participation à des groupes de paroles, d’écriture et de psychomotricité. La prescription d’un nouveau traitement plus adapté, mais plus perturbant dans ses effets secondaires, a été nécessaire, ce qui a conduit Aurélia à s’éloigner un peu plus de la sphère sociale. D’après les expertises psychiatriques, Aurélia souffrait de « graves troubles de la personnalité dans un contexte de carences socio-affectives et abus sexuels dans l’enfance ». Son efficience intellectuelle était à la limite inférieure à la normale. Elle avait une grave défaillance au niveau du « prendre soin » de soi et avait tendance à répéter des conduites à risque et de mise en danger dans « un contexte de syndrome «dissociatif» non «schizophrénique» ». Son avenir professionnel a suscité de nombreux questionnements tout au long de sa prise en charge. Cependant, Aurélia, trop encombrée par son histoire et son parcours, ne pouvait envisager une démarche professionnelle et se projeter dans le monde du travail. Elle supportait peu les contraintes, réagissait sur un mode pulsionnel et ne pouvait fonctionner que sur un modèle d’échec. Cette jeune fille restant trop fragile psychologiquement, les équipes psycho-éducatives et le médecin psychiatre l’accompagnant ont préconisé une prise en charge médico-sociale. Ainsi, un dossier
109 © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2011;18:109-110
M. Gilbert
pour les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) et une curatelle renforcée étaient nécessaires. En 2010, à sa majorité, Aurélia a signé un contrat jeune majeur à l’ASE, mais à la fin de l’année, à la suite d’une nouvelle mise en danger, elle a décidé de l’interrompre et d’aller vivre au domicile de sa mère et de son beau-père. En effet, Aurélia avait retissé des liens avec ses proches les dernières années de sa prise en charge et elle a trouvé une place au sein de sa famille. Aurélia, idéalisant le rapprochement familial, a pu reconvoquer une place attendue durant de nombreuses années. L’équipe éducative lui a proposé tout de même de continuer son accompagnement jeune majeur. Le vécu traumatique d’une histoire familiale douloureuse, le délaissement affectif ressenti par cette jeune fille et la construction de son identité dans ce parcours chaotique ont créé des fragilités telles qu’une prise en charge thérapeutique et l’intégration dans une structure d’adulte protégé paraissent indispensable.
110
Archives de Pédiatrie 2011;18:109-110
Début 2011, elle doit être suivie par un centre médico-psychologique et orienté chez un médecin psychiatre afin de continuer à avoir un lieu de parole. Malgré les recommandations de l’équipe éducative, Aurélia a décidé d’arrêter de prendre son traitement. Un accompagnement avec sa référente de l’ASE va se mettre en place, dans un cadre auquel elle devra adhérer et respecter les accords de son contrat. Son avenir et sa prise en charge restent toutefois très incertains. Nous nous sommes questionnés en tant que professionnels sur les moyens mis en œuvre pour accompagner des adolescents avec des problématiques relevant de la dimension soignante. En effet, l’accompagnement éducatif seul ne suffit pas, un travail en réseau est indispensable. Notre structure n’est pas adaptée à une prise en charge qui relève du secteur médico-social, mais pourtant nous réalisons que de plus en plus d’adolescents accueillis présentent des pathologies d’ordre psychique.