Psychologie communautaire en Amérique latine : trajectoire historique et enjeux actuels

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Pratiques psychologiques 15 (2009) 29–38

Dossier

Psychologie communautaire en Amérique latine : trajectoire historique et enjeux actuels Community psychology in Latin America: Historical pathways and current challenges M. Loreto Martínez ∗,1 , A. Jaramillo 1 , M.-P. Santelices 1 , M. Krause 1 Escuela de Psicología, Pontificia Universidad Católica de Chile, Vicu˜na Mackenna 4860, Macul, Santiago, Chili Rec¸u le 1er janvier 2008 ; accepté le 1er mars 2008

Résumé L’objet de cet article est de décrire les circonstances historiques et sociopolitiques à l’origine de l’éclosion de la psychologie communautaire en Amérique latine. Nous décrivons l’évolution de la discipline depuis la fin des années 1950, en soulignant les circonstances historiques, sociales, culturelles et politiques qui ont formé son caractère et ont marqué son évolution, ainsi que celle de la psychologie comme discipline scientifique et profession d’aide. Enfin, nous présentons les deux principaux enjeux auxquels se confronte la psychologie communautaire aujourd’hui : l’évaluation et systématisation de sa mise en pratique et l’empowerment des communautés à travers une participation effective de ses membres. © 2008 Société franc¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The aim of this article is to describe the historical circumstances and the sociopolitical influences that gave rise to community psychology in Latin America. The presentation discusses the evolution of the discipline beginning in the late 1950s and elaborates on the historical, social and political influences that shaped its identity, including the context for the evolution of psychology as a scientific discipline and as a helping profession. Finally, two major and current challenges that community psychology faces in Latin America

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Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Loreto Martínez). Psychologue, docteur en psychologie.

1269-1763/$ – see front matter © 2008 Société franc¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

doi:10.1016/j.prps.2008.03.006

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are discussed, namely the systematisation and evaluation of intervention and practice, and the empowerment of communities through real participation of its members. © 2008 Société franc¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Psychologie communautaire ; Amérique latine ; Évolution historique Keywords: Community psychology; Latin America; Historical development

1. Principales influences dans le développement de la psychologie communautaire latino-américaine Le développement de la psychologie communautaire en Amérique latine s’étend de la fin des années 1950 au début des années 1960, période dans laquelle les premières approches communautaires interdisciplinaires sont rapportées ; celles-ci visaient alors le « changement social » et la « prise de conscience » (Montero, 1984 ; Martínez, 1998). Les principaux projets sont identifiés au Brésil (par exemple, Paulo Freire) et en Colombie (par exemple, Orlando Fals Borda). L’évolution historique de la discipline en Amérique latine est cependant très variable, non seulement à cause du nombre de pays qu’elle comprend, mais également par les différents contextes géographiques et politiques de chacun d’eux (Alfaro, 2007 ; Marín, 1988). Les différentes cultures et la diversité des contextes sociaux sont à l’origine de multiples approches théoriques et pratiques. Mais si chaque pays a vu se développer des conditions spécifiques (Martínez, 1998), il est possible d’identifier des influences sociohistoriques transversales permettant de décrire l’évolution que cette discipline a eue, de manière plus générale, en Amérique latine. La première d’entre elles fut l’intérêt porté par les chercheurs en sciences sociales aux conséquences des graves problèmes économiques et sociaux qui touchaient les pays d’Amérique latine, entraînés par le sous-développement, la dépendance économique et leurs conséquences négatives sur la vie des personnes et des communautés (Montero, 2004). Cette préoccupation s’est exprimée par le développement de mouvements sociaux et politiques qui répondaient à la frustration historique des citoyens, découragés par le manque d’attention et d’intérêt des organismes gouvernementaux pour leurs problèmes et des organisations politiques qui les représentaient. C’est ainsi que sont nées de nouvelles manières de penser et d’agir, centrées sur l’autogestion des communautés (Montero, 1984). C’est dans ce contexte que se développe, au cours des années 1960, une réflexion sur l’utilité de la psychologie aux processus de revendication des groupes marginalisés du point de vue social, politique et économique (Rivera-Medina et Serrano-García, 1991). Les propositions politiques et économiques des mouvements sociaux des années 1960 ont eu une influence importante sur les sciences sociales latino-américaines. La psychologie a ainsi évolué vers une conception de la discipline axée sur les groupes sociaux, la société et les individus (Montero, 2004). Ces mouvements (tels que les luttes communautaires pour la redistribution des terres, les programmes de logement, l’amélioration des services de santé, la conservation des ressources naturelles et la défense des droits de l’homme) montraient une prise de conscience croissante de l’importance d’un engagement actif des communautés dans le processus de prise de décisions. De tels mouvements furent essentiels pour améliorer leurs conditions de vie. La deuxième influence provient du développement d’approches conceptuelles et méthodologiques innovantes (Wiesenfeld et Sánchez, 1991), telles que le travail de l’éducateur brésilien

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Paulo Freire (1974) sur la « conscientisation » (création de conscience) ou celui du sociologue colombien Orlando Fals Borda (1959) sur la « recherche–action participative » (Martínez, 1998). Freire a proposé que l’éducation soit un facilitateur de la transformation de la structure sociale, avec pour objectif la libération des groupes opprimés. Il a créé une méthode d’éducation populaire basée sur l’action et la réflexion créative des participants. Cette méthode encourage la prise de conscience tant des individus que des groupes, leur permettant d’identifier les caractéristiques historiques et sociales de leurs problèmes et de créer des stratégies de résolution de ces problèmes collectifs (Martinic et Walker, 1988). De même, le concept de « problématisation » de Freire a fourni une structure pour établir l’idée d’autogouvernance dans les communautés. Par ailleurs, le travail de Fals Borda a contribué au développement de la stratégie de recherche–action participative, caractérisée par le fait de souligner l’expertise du sujet dans le processus de recherche et le rôle de la connaissance dans l’action. L’objectif de la méthodologie basée sur la recherche–action développée par Fals Borda est la participation communautaire. La procédure consiste à mobiliser une communauté pour qu’elle puisse s’engager face à ses problèmes et trouve en elle-même les ressources pour les résoudre. C’est à travers l’intervention des « agents de changement » que les membres d’une communauté peuvent prendre la mesure des problématiques et de leur inscription dans leur environnement. Le travail de Fals Borda a inspiré le développement de la théorie de « transformation de la réalité » (Martínez, 1998). La troisième influence découle des critiques faites à la psychologie sociale et à la psychologie clinique. En ce qui concerne la première, sa validité écologique fut mise en question. L’idée essentielle était que la psychologie sociale latino-américaine méconnaissait les caractéristiques et les problèmes de la réalité sociale sur laquelle elle devait agir et qu’elle imitait les méthodes de la psychologie sociale expérimentale américaine (Krause, 1991 ; Martínez, 1998). L’accent sur les facteurs individuels a été mis en question, de même que sa décontextualisation de la réalité latino-américaine et sa faible contribution à résoudre les problèmes éducatifs, sanitaires et professionnels touchant les personnes économiquement précarisées. En contrepartie, le psychologue social salvadorien, Ignacio Martín-Baró, a étroitement lié l’histoire et les contextes sociaux et il proposa comme but de la psychologie latino-américaine, la « libération des peuples » (Martín-Baró, 1989). La psychologie clinique fut critiquée pour fonder son action sur les facteurs individuels au moment où l’on attendait des sciences humaines de s’investir dans l’explication des problématiques sociales qui touchaient d’importants groupes en Amérique latine (Martínez, 1998). Le caractère individuel des méthodes d’interventions et une vision de l’être humain comme passif, récepteur d’actions ou objet d’interventions sont autant d’aspects qui ont été mis en cause. C’est sur la base de cette critique qu’une vision de l’être humain actif et constructeur de sa réalité s’est introduite, les notions de santé et maladie et, par conséquent, les modes d’approche professionnelle ont été modifiés. Au début des années 1970, par exemple, deux propositions se sont développées au Chili : la psychiatrie intracommunautaire et la Salud Mental Poblacional (santé mentale en quartiers populaires). Ces stratégies furent efficaces pour aborder des problèmes de santé mentale et illustrent les valeurs qui ont conduit l’intervention communautaire de l’époque. Ces deux initiatives ont intégré les facteurs sociaux et culturels dans la définition et l’approche des problèmes de santé mentale (Alfaro et Berroeta, 2007 ; Mendive, 2004). Elles se sont penchées sur la subjectivité et la culture des destinataires potentiels des interventions en santé mentale. Pour élaborer les interventions de la psychiatrie intracommunautaire (Marconi, 1976), des études de « psychiatrie folklorique » ont, par exemple, été réalisées, afin de reprendre les divers modes de vie et les valeurs de chaque culture populaire autochtone (Asún et al., 1995). Ces deux modèles

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ont souligné l’intérêt de la participation des communautés dans les interventions et ont mis en valeur l’avantage de s’appuyer sur des ressources humaines non professionnelles pour les actions de promotion de la santé mentale. C’est ainsi que dans les années 1970 la psychologie communautaire a acquis un caractère distinctif en Amérique latine ; elle a fourni des apports théoriques et méthodologiques et a éclairci ses positions idéologiques. Son identité s’est renforcée. Des organisations professionnelles sont apparues. Des programmes universitaires et des mécanismes de diffusion de l’information furent alors créés, au même moment où les premiers événements professionnels tels que des symposiums et congrès eurent lieu (Serrano-García et Vargas Molina, 1993). La quatrième influence majeure à souligner sont les conditions politiques spécifiques en Amérique latine. L’existence de régimes militaires répressifs dans plusieurs pays au cours des années 1980 a réclamé une praxis particulière concernant les problèmes sociaux et politiques (Krause, 1991 ; Wiesenfeld et Sánchez, 1991) et explique le fait que les psychologues communautaires se soient engagés politiquement. Dans un contexte de libertés restreintes, tant la théorie que la pratique communautaire étaient alors considérées comme subversives. De plus, le manque d’intérêt des autorités gouvernementales face aux problèmes sociaux est à l’origine de la création des organisations de l’Église et des organisations non gouvernementales (ONG), autres sources d’actions communautaires et leaders de l’organisation et de la mobilisation des quartiers pauvres. Grâce à leurs programmes, ces organisations ont ouvert des espaces de travail pour l’insertion des psychologues dans le travail communautaire, reliant leur tâche à la quête de la démocratie et du changement social. Au Chili, par exemple, ces projets d’intervention ont été financés par des agences étrangères, notamment européennes (Krause, 1991), et englobaient un large éventail d’actions (« soupes populaires », construction de logements, travail avec des personnes dont les droits avaient été bafoués. . .), en utilisant des modalités de travail différentes, allant de la recherche et la réflexion politique jusqu’à l’aide apportée aux syndicats dans le cadre des négociations collectives (Asún et al., 1995). Ainsi, les dictatures latino-américaines sont à l’origine d’un contexte où la psychologie communautaire a été développée comme une proposition alternative, une expression d’espérances collectives et une profession qui a tenté d’éviter des méthodes et des modèles traditionnels (Aceituno, 1993). La pratique communautaire de l’époque a développé des méthodologies intéressantes, mettant notamment l’accent sur la participation active des destinataires des interventions. Malheureusement, l’évaluation et l’analyse des résultats n’ont pas été systématisées – à cause du développement très rapide de la discipline – (Aceituno, 1993) ce qui a ralenti sa diffusion et qui rend difficile, encore aujourd’hui, d’évaluer l’efficacité réelle des interventions de terrain. Dans quelques pays d’Amérique latine, la naissance de la psychologie communautaire est essentiellement liée aux universités et, sur l’initiative de leurs enseignants, de relier l’enseignement et la recherche au travail pratique. C’est le cas, par exemple, de Porto Rico. Dans d’autres cas – comme celui du Chili, sous la régime dictatorial de 1973 à 1989 – une grande partie du développement n’est pas issue des universités mais du travail en communauté réalisé par des ONG et des organisations religieuses. Si ce contexte a entraîné un degré moindre d’institutionnalisation de la psychologie communautaire, et donc une plus grande fragilité, elle a permis aussi le développement d’intervention alternatives, participatives et engagées dans des perspectives de changement social (Hernández, 1992–1993). Dans les années 1990, avec le rétablissement de la démocratie, les contextes institutionnels sont devenus favorables au développement de la discipline. Ainsi, la psychologie communautaire latino-américaine a vu son essor universitaire dans cette décade, des espaces de travail s’ouvrant alors aux psychologues communautaires (Serrano-García et Vargas Molina, 1993). La démo-

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cratisation des pays a entraîné, par ailleurs, un changement dans l’importance portée aux droits sociaux des citoyens (Comité interministériel social, 1994 ; Ministère de la Santé, 1993, 1997). Les services sociaux ont été conc¸us comme des outils économiques, techniques et humains dont une société peut se servir afin de promouvoir les conditions favorables à la liberté et à l’égalité des citoyens, ainsi qu’au progrès social et économique (Rozas, 1994–1995). En outre, les processus de démocratisation ont ouvert la voie au travail interdisciplinaire et entre les différents organismes réalisant des interventions communautaires. Cela a entraîné, par exemple, un rapprochement des ONG et des institutions religieuses avec les organismes gouvernementaux (Alfaro et Berroeta, 2007). Par ailleurs, le secteur universitaire a proposé de nouvelles formes d’intervention et de promotion des actions communautaires, ce qui a permis d’associer la démarche scientifique à la mise en œuvre des programmes communautaires. La psychologie communautaire est aujourd’hui toujours influencée par cet historique universitaire. La discipline a bénéficié du support des enseignants, qui ont organisé l’évaluation des interventions communautaires, des programmes sociaux et, plus récemment, des politiques publiques. En résumé, la psychologie communautaire a vu le jour en Amérique latine dans un effort commun de différents groupes de psychologues et de professionnels des sciences sociales, qui se heurtaient alors à un ensemble de problèmes provenant de la réalité du sous-développement et de la condition de dépendance économique des pays latino-américains (Montero, 1984, 2004). Dès le début, elle s’est donnée pour objectif la transformation sociale des communautés et de ses acteurs sociaux, afin de promouvoir le développement communautaire et de permettre aux communautés de s’autonomiser en développant leurs capacités à créer de nouvelles ressources pour la mise en œuvre des changements de terrain. La réussite de cet objectif supposait une redéfinition du pouvoir, de manière à ce que les acteurs puissent décider eux-mêmes, contrôler leurs propres actions et être responsables de leurs conséquences (Montero, 2004). 2. Pratiques de la psychologie communautaire en Amérique latine Selon les conditions sociopolitiques dominantes dans les différents pays latino-américains, l’histoire de la psychologie communautaire s’est caractérisée par une oscillation entre deux pôles, avec une certaine difficulté pour atteindre un équilibre (Rivera-Medina et Serrano-García, 1991). Ces deux pôles peuvent être décrits de la manière suivante : • une psychologie communautaire dont le but est de fournir une alternative pour l’intervention en santé mentale, inscrivant celle-ci dans le contexte socioculturel des individus, groupes et communautés et mettant par conséquent l’accent sur l’importance des facteurs environnementaux dans l’intervention. Ce pôle est proche de la santé publique et il est souvent dénommé santé mentale communautaire ou intervention psychosociale. L’objectif est d’améliorer les conditions de vie, mais sans viser à la transformation des structures sociales (Alfaro et Berroeta, 2007) ; • une psychologie communautaire orientée vers le changement social, agissant pour la transformation des systèmes sociaux en vue d’atteindre une plus grande justice sociale, la participation des membres de la communauté étant considérée comme essentielle durant le processus de formulation et la mise en œuvre de l’action communautaire. Les initiatives visant à faciliter l’accès et à améliorer les services pour les groupes les plus négligés sont plus proches du pôle « alternative pour les services en santé mentale ». À Cuba, par exemple, le modèle clinique-communautaire a été mis en œuvre avec des services de santé

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mentale, en mettant l’accent sur l’intervention de crise, la thérapie de groupe et le développement de communautés thérapeutiques (Marín, 1985). Une approche clinique-communautaire a également été développée au Mexique (Calderón, 1982) ; elle a modifié les services traditionnels, en introduisant la notion d’environnements thérapeutiques, de services d’urgence, d’internement partiel, de foyers alternatifs, ainsi que par la coordination avec des programmes de santé physique et d’éducation à la vie en communauté. Le travail d’Escovar (1980) au Panama correspond davantage au pôle « changement social ». Escovar a mis l’accent sur le développement socioéconomique des pays plaidant en faveur de la création d’une psychologie sociale du développement. Un autre exemple est celui du modèle conceptuel social-communautaire proposé par Serrano-García et al. (1987), basé sur les travaux de Berger et Luckmann (1989) et portant sur la construction sociale de la réalité, en utilisant la conception de la réalité locale des membres de la communauté elle-même comme une partie du processus d’intervention. Pour ces auteurs, les modèles d’intervention communautaire doivent se saisir des représentations des participants afin de donner un sens à leur expérience, d’interpréter la réalité au niveau individuel et collectif et d’utiliser la connaissance interdisciplinaire et populaire. En dépit de ces différences, il existe des éléments communs qui caractérisent la psychologie communautaire en Amérique latine, notamment l’idée d’une approche interdisciplinaire comprenant les collaborations de l’anthropologie, de la sociologie et de l’épidémiologie (Arango, 2006) et intégrant les connaissances de divers domaines de la psychologie (sociale, de la santé. . .). De plus, une grande partie des psychologues communautaires latino-américains a choisi de travailler avec les groupes les plus vulnérables, d’un point de vue socioéconomique, de sorte qu’ils sont appelés à travailler de manière directe ou indirecte, avec les questions de la pauvreté, de discrimination sociale et des conditions associées (Montero, 2004). Il existe également une grande adhésion à la proposition de Maritza Montero (1984) concernant l’objet de la psychologie communautaire, qui a pour définition l’étude des facteurs psychosociaux permettant de développer, encourager et garder le contrôle et le pouvoir que les individus peuvent exercer sur leur environnement individuel et social, pour résoudre leurs problèmes et opérer des changements dans les environnements et la structure sociale. Au-delà des différentes conceptualisations concernant sa mise en pratique, l’adhésion à certaines valeurs a été importante pour le développement de la psychologie communautaire. Au Chili, par exemple, l’existence d’une psychologie plus équitable et correspondant aux ressources du pays a constitué une valeur dès le début de la discipline, en attribuant au psychologue le rôle d’agent de changement social (Asún et al., 1995). Pour cette approche éthique, le respect de la notion d’« être humain » est fondamental pour l’organisation de la praxis psychologique et des critères de son évaluation. Une recherche réalisée à Santiago du Chili (Krause et Jaramillo, 1998), par exemple, montre que les agents communautaires professionnels caractérisent l’être humain comme intrinsèquement « précieux », ayant des attributs essentiels, tels que l’égalité et la grégarité. Le respect des différences culturelles est étroitement lié à cette conception, à laquelle s’ajoute l’intérêt porté aux compétences des individus ainsi qu’en la possibilité de développer leurs potentialités. 3. Les enjeux actuels de la psychologie communautaire en Amérique latine La pratique communautaire en Amérique latine se heurte à deux enjeux pour l’avenir : l’évaluation et la systématisation de la pratique pour développer la validation de modèles d’intervention et de renforcement des communautés.

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3.1. Évaluation et systématisation de la pratique communautaire L’intervention a été la principale activité de la psychologie communautaire en Amérique latine. Elle a donné son empreinte à la discipline, mais elle s’est opposée dans la pratique à l’évaluation et à la systématisation de ces actions. C’est pour cette raison que son potentiel n’a pas pu être totalement déployé pour créer un corpus scientifique permettant d’aujourd’hui de comprendre quelles sont les conditions nécessaires pour atteindre des résultats et quels sont les processus communautaires en mesure de refléter les succès obtenus. Cela a affecté la création de modèles, tant théoriques que d’intervention. Le manque de systématisation de connaissances et/ou de résultats répondait à l’urgence d’une intervention mise en place dans des contextes extrêmement précaires. La pratique n’a donc pas rec¸u l’aide scientifique nécessaire permettant d’analyser les processus sociaux à l’œuvre dans les communautés et de prévoir les résultats possibles – positifs aussi bien que négatifs – des interventions communautaires. Ainsi, l’évaluation est probablement le champ où il existe le plus grand décalage entre les connaissances scientifiques et les applications pratiques de la part des professionnels (Krause, 1998). Le dialogue et la collaboration entre ces deux mondes représentent un enjeu majeur pour le développement de la discipline en Amérique latine. Il existe donc un besoin de création d’approches et de méthodologies efficaces pour la formation de professionnels. Ces approches doivent tenir compte des ressources disponibles dans les centres et programmes communautaires et doivent être suffisamment sensibles de sorte que les interventions soient ancrées dans les caractéristiques culturelles des communautés et répondent aux valeurs de la psychologie communautaire – notamment en ce qui concerne le respect de la diversité, la rencontre des cultures et la cogestion des participants. Du point de vue méthodologique, la psychologie communautaire devra inclure la prise en compte de la perspective des participants, en faveur d’une coconstruction des professionnels et des participants, tant des objectifs de l’intervention communautaire que de son évaluation (Fried Schnitman et Fuks, 1994 ; Krause, 1994), car le domaine communautaire se constitue à partir des représentations et des pratiques de dialogue et de négociation entre les différents acteurs sociaux. 3.2. Participation et empowerment des communautés La participation sociale, vue comme « la capacité d’un individu ou d’un groupe de personnes de prendre des décisions par rapport à des affaires concernant directement ou indirectement leurs vies et leurs activités dans la société » (Gyarmati, 1992, p. 3), est indispensable pour réussir à autogérer et renforcer les communautés (Montero, 2004) en Amérique latine. Si la plupart des initiatives d’intervention comprennent la participation comme un élément central, plusieurs questions éthiques demeurent en quête de réponses : qui doit définir les problèmes sur lesquels il faudra intervenir ? Quel est le type de stratégies d’intervention à utiliser et dans quelle perspective leur efficacité sera-t-elle évaluée ? Ou plus radicalement : quelqu’un peut-il définir les réalités d’autres personnes ou groupes sociaux, y compris leur bien-être ? (Rappaport, 1981). Face à ces questions, la psychologie communautaire a choisi d’assigner le rôle d’agents actifs aux participants de la communauté, bien qu’ils constituent en même temps l’objet de l’intervention. Rappaport (1981) explique ce paradoxe, en soutenant que « nous ne pourrons pas continuer à voir les personnes tout simplement comme des enfants ayant des besoins ou seulement comme des citoyens ayants des droits, mais nous devrons les considérer comme des êtres humains complets, ayant autant de droits que de besoins. Nous devrons faire face au paradoxe que même les personnes les plus incompétentes, avec le plus de besoins et qui sont apparemment incapables

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de fonctionner, exigent (. . .) plus et non pas moins de contrôle sur leurs propres vies et que, le fait d’encourager cette plus grande maîtrise n’implique pas nécessairement de les ignorer ». L’approche participative est nécessaire dans chaque étape du processus d’intervention communautaire. Ainsi, les programmes d’intervention doivent se baser sur une analyse participative des besoins de la communauté en considérant la volonté de ses membres (Bloom, 1980). Et la communauté destinataire doit participer de fac¸on active dans le développement de l’intervention, en augmentant sa maîtrise sur celle-ci durant le processus. Finalement, l’évaluation de l’efficacité doit prendre en compte le point de vue des participants. Ces propositions sont liées au concept d’empowerment que Rappaport a développé et qui est défini comme le « mécanisme » (ou processus) à travers lequel les personnes, organisations et communautés acquièrent une maîtrise sur leurs vies (Rappaport, 1981, p. 3). L’empowerment est un concept essentiel de la psychologie communautaire et est à la fois un mouvement social et un but pour l’intervention communautaire. Dans la pratique, pourtant, l’empowerment des communautés rencontre des obstacles importants. Dans une recherche réalisée à Santiago du Chili (Krause, 1998), les agents d’intervention interrogés rapportaient que la passivité ou le handicap perc¸u des participants – généralement à cause de leur situation socioéconomique défavorisée – entravaient la participation dans les processus d’intervention communautaire. Cela peut être rapporté à certains traits culturels liés à la pauvreté qui sont très largement décrits dans plusieurs travaux (Lewis, 1969 ; Gissi, 1990 ; Krause et Winkler, 1995 ; Leithäuser et al., 1995). Les financeurs des interventions ou programmes communautaires peuvent également constituer des obstacles à l’implantation des démarches participatives. Les sources de financement sont essentielles pour un centre ou programme communautaire, car elles en assurent non seulement l’existence, mais également parce qu’elles définissent leur modalité de travail, hiérarchisent leurs valeurs et leurs buts, définissent des mécanismes d’évaluation spécifiques, permettant ainsi d’assurer une bonne gestion des ressources. La modalité d’intervention peut donc varier selon que l’institution qui finance appartient à l’État, à l’Église ou à un autre type d’organisation (tel est le cas d’organismes étrangers qui fournissent des fonds au pays sous-développés). La consolidation des démocraties latino-américaines – qui a motivé un plus grand investissement pour le développement social de la part d’organismes gouvernementaux – a créé de nouveaux rôles et opportunités d’insertion professionnelle pour les psychologues communautaires. Toutefois, bien que les entités qui en assurent le financement mettent en avant la participation et le renforcement comme des impératifs des interventions communautaires, les logiques de leurs plans d’intervention ne considèrent souvent pas une participation réelle de la communauté (elles considèrent les buts comme des bases et elles excluent la réalisation de diagnostics participatifs). De même, face aux actions manifestant l’empowerment de la communauté, ce processus se voit limité (par exemple, la non-acceptation de visions critiques ou la tentative de limiter certaines initiatives de la communauté). Telle est l’opinion de Fuks (2007) par rapport à l’empowerment, « (il est possible de) démarquer une ligne claire de division entre les propositions cohérentes et celles qui ne constituent qu’une simple consigne, un aspect de la croissante banalisation du terme, une ressource démagogique ou une manière d’obtenir les alliances nécessaires ». Références Aceituno, R., 1993. La Psicología Comunitaria en Chile. Proposiciones para una intervención ideológica, elementos para una discusión. In: Olave, R, Zambrano, L. (Eds.), Psicología Comunitaria y Salud Mental en Chile. Universidad Diego Portales, Santiago, pp. 32–34.

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