Tests et méthodes psychométriques en psychologie du travail

Tests et méthodes psychométriques en psychologie du travail

Psychologie du travail et des organisations 11 (2005) 1–2 http://france.elsevier.com/direct/PTO/ Éditorial Tests et méthodes psychométriques en psyc...

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Psychologie du travail et des organisations 11 (2005) 1–2 http://france.elsevier.com/direct/PTO/

Éditorial

Tests et méthodes psychométriques en psychologie du travail Introduction Un siècle après la naissance du test de Binet, la psychométrie occupe toujours une place significative dans la recherche et l’intervention en psychologie. En tant que méthode, les tests et questionnaires psychologiques offrent un vaste éventail permettant de répondre aux divers contours de la demande sociale. Dans le monde professionnel, la détection des potentiels et l’accompagnement tout au long des transitions de carrière en sont deux exemples marquants. La psychométrie d’aujourd’hui est-elle comparable à celle qui est née avec le vingtième siècle ? Un certain nombre d’arguments amènent à répondre par la négative et ce numéro spécial de la revue « psychologie du travail et des organisations » l’illustre avec de nombreux exemples à l’appui. Parmi les faits les plus frappants, il semble que le « dogme » exclusivement métrique de la psychométrie a vécu. Ce dogme, développé après la seconde guerre mondiale, se caractérisait par une centration prioritaire sur les questions de mesure. L’avantage des tests, souvent cité, était de fournir des instruments fondés scientifiquement, visant à étouffer la subjectivité propre au regard humain. Les travaux de recherche examinaient donc prioritairement la question des qualités de mesure et, en particulier dans le milieu professionnel, ce que Laberon, Lagabrielle et Vonthron appellent le paradigme « prédicteur-critère ». Ces questions sont toujours aussi vives, et toujours aussi essentielles à vérifier, comme en témoignent notamment les contributions de Lievens et Van Keer à propos des centres d’évaluation ou encore la recherche de Thiébaut, Breton, Lambolez et Richoux à propos du lien entre l’intelligence émotionnelle et la satisfaction professionnelle. Mais elles se sont aussi enrichies par de nouveaux questionnements thématiques. Ainsi, la distinction un peu artificielle entre des approches « cognitives » et « conatives », même si elle constitue un point de repère utile dans certains contextes, tente d’être dépassée. La psychométrie s’est en partie fondée sur des dimensions qualifiées de génériques, fondamentales, souvent extraites par des méthodes factorielles : aptitudes, facteurs de personnalité ou intérêts professionnels en sont des exemples représentatifs. Ces notions génériques sont aujourd’hui concurrencées par des mesures nouvelles ou composites, que l’on rencontre par exemple dans le cas des centres d’évaluation (Lievens et al.), mais aussi par une lecture plus fine offerte par la psychologie cognitive, exposée dans la contribution de Rozencwajg, Lemoine, Rolland-Grot et Bompard. Mais on voit aussi que la notion d’intelligence émotionnelle mentionnée par Thiébaut et al., ou celle de mesure indirecte évoquée par Kop et Chassard permettent d’examiner de nouvelles perspectives qui élargissent la réflexion sur les problématiques traditionnelles de la mesure. Évidemment l’examen de ces 1420-2530/$ - see front matter © 2005 Association internationale de psychologie du travail de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pto.2005.02.001

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Éditorial / Psychologie du travail et des organisations 11 (2005) 1–2

notions nous invite à nous interroger sur leur place et leur légitimité, ce que font les auteurs. S’agit-il d’habillage sémantique de modèles existants, d’impasses méthodologiques et conceptuelles ou d’innovations sur le plan de la psychométrie et de la psychologie différentielle ? On voit bien qu’en l’état il est difficile de clore le débat et le mérite des contributions présentées dans ce numéro est de susciter les vocations à développer des recherches approfondissant ces questionnements. Il apparaît également que les notions d’« incertitude » ou d’« erreur de mesure » sont considérées dans une acception plus large, qui intègre l’idée de biais de mesure (biais sociocognitifs ou biais culturels). Le contexte de l’évaluation, l’enjeu et surtout l’enjeu perçu, les caractéristiques des sujets testés constituent aujourd’hui des questions centrales qui relativisent notre perception de la mesure. La question n’est donc plus seulement de savoir comment se positionnent les tests dans la hiérarchie des méthodes valides (synthétisés, par exemple, par Hunter et Schmidt en 1998), mais aussi de se demander si la signification d’un protocole individuel peut être affectée par un contexte ou par les caractéristiques de la personne examinée, phénomène que l’on doit analyser au moment de l’interprétation. L’article de Juhel et Rouxel va dans ce sens, en montrant comment le contexte professionnel peut affecter les scores. Sur un autre plan, les méthodes psychométriques sont confrontées au problème de la globalisation, avec des procédures similaires employées simultanément dans différents pays. Peut-on utiliser et accorder la même signification à des épreuves construites dans différents contextes culturels ? Cette interrogation renvoie aux aspects interculturels de la psychométrie abordés dans ce numéro par Lievens et Van Keer. Finalement, il est aussi important de tenir compte des problématiques de mesure que des thématiques relatives à l’usage social des tests, ce que montre notamment l’article de Laberon et al. Par qui les tests sont-ils utilisés ? Pour répondre à quel besoin ? Avec quelles démarches interprétatives et quelles inférences, parfois erronées de la part des acteurs impliqués ? Comment asseoir la psychométrie sur une approche qui ne reflète pas simplement les théories implicites de tout un chacun ? On y voit notamment, qu’en dépit d’une validité modeste, la place accordée aux inventaires de personnalité ne faiblit pas, et parallèlement, on observe toute la difficulté à développer des méthodes innovantes qui s’y substitueraient. On entraperçoit aussi que les interventions en psychologie du travail peuvent prendre un sens différent selon qu’il s’agit d’évaluer une performance ou d’accompagner une personne dans la perspective de l’aider à se réaliser professionnellement. Il semble qu’aujourd’hui, entre tradition et innovation, une approche élargie de la psychométrie, que l’on pourrait qualifier d’« intégrative », est en train de se développer. L’objectif de ce numéro spécial est d’en entrevoir quelques paysages. Références Hunter, Schmidt, 1998. The validity and utility of selection methods in personnel psychology: Practical and theoretical implications of 85 years of research findings. Psychol. Bull. 124, 262–274.

J.-L. Bernaud Laboratoire PRIS (psychologie des régulations individuelles et sociales), clinique et société, université de Rouen, rue Lavoisier, 76821 Mont-Saint-Aignan cedex, France Adresse e-mail : [email protected] (J.-L. Bernaud).