Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien

Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien

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ARTICLE IN PRESS

NPG-643; No. of Pages 6

NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2017) xxx, xxx—xxx

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PRATIQUE PSYCHIATRIQUE

Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien Psychotherapy among the elderly: The Jungian contribution A. Moussa 1 Service de psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée, fondation de Nant, secteur psychiatrique de l’Est vaudois, 1804 Corsier-sur-Vevey, Suisse

MOTS CLÉS Psychothérapie ; Personne âgé ; Jung

1

Résumé Avec Freud, la psychanalyse s’est concentrée presque exclusivement sur la phase enfantine du développement humain. Il a particulièrement contribué à développer l’idée que « tout se jouait » pendant l’enfance dans le cadre de la relation œdipienne avec la mère et le père. Il a développé une approche principalement causale du symptôme, où un énorme poids est accordé à l’enfance du patient. Jung, lui, préconise un élargissement de cette vision en incluant aussi le présent et le futur du patient comme éléments permettant de comprendre la signification du symptôme. Dans la question spécifique du vieillissement, Jung considérait la deuxième partie de la vie comme un chemin d’accomplissement et ses travaux ont beaucoup contribué à la compréhension ainsi qu’à une meilleure prise en soin du sujet âgé. Dans ce sens, cet auteur considère comme absolument indispensable de comprendre dans quel but un traumatisme fait à nouveau irruption dans le présent du sujet âgé. L’inconscient étant considéré comme organe d’autorégulation de la psyché, la recherche de la signification d’un symptôme ou d’un complexe est au centre de la démarche psychothérapeutique. Avec ses concepts d’individuation, de persona, d’ombre, d’anima, d’animus et son objectif thérapeutique visant à la totalité, l’approche jungienne s’adresse à la personne toute entière, au corps et à l’esprit. Jung refuse de tout réduire à des traumatismes infantiles et fait référence aussi à d’autres contributions telles que la spiritualité, la philosophie et la mythologie. Au-delà de la compréhension du symptôme, il a accordé aussi une importance capitale au sens de la vie, qui souvent fait défaut chez la

Adresse e-mail : [email protected] www.nant.ch.

http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.03.002 1627-4830/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Pour citer cet article : Moussa A. Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.03.002

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A. Moussa personne âgée. Pour Jung, nous vivons pour atteindre le développement spirituel le plus grand possible et élargir au maximum les possibilités de notre conscience. Selon lui, tant qu’il est possible de rester en vie, même à des niveaux minimes, il faudrait mettre toutes nos énergies pour atteindre l’objectif ultime qui est la prise de conscience. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

KEYWORDS Psychotherapy; Elderly; Jung

Summary With Freud, psychoanalysis focused almost exclusively on the infantile period of human development. Freud particularly contributed to the development of the idea that ‘‘everything is decided’’ during childhood, in the context of the oedipal relationship with mother and father. He developed an essentially causal approach to the symptom, with enormous weight given to the patient’s childhood. Carl Gustav Jung proposed to widen this perspective by also including the patient’s present and future as elements facilitating an understanding of the meaning of the symptom. Regarding the specific question of ageing, Jung considered the second part of life as a path to personal fulfillment, and his work has largely contributed to the understanding and better care of the elderly subject. Accordingly, this author considers that it is absolutely essential to understand why a trauma resurfaces in the present of the elderly person. As the unconscious is considered to be the organ that regulates the psyche, the quest for the meaning of a symptom or a complex is at the centre of the psychotherapeutic approach. With its concepts of individuation, persona, shadow, anima, animus, and its therapeutic goal of apprehending the subject as a whole, the Jungian approach focuses on the person as a whole, body and mind. Jung refused to reduce everything to childhood trauma, and pointed to other elements such as spirituality, philosophy and mythology. Beyond the understanding of the symptom, he also gave fundamental importance to the meaning of life, which is often lacking in the elderly. For Jung, we live to achieve the highest possible spiritual development and to fully widen the possibilities of our consciousness. According to him, as long as it is possible to remain alive, even at minimum level, we should put all our energy into achieving the ultimate objective, awareness. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Notre société vieillit rapidement. L’espérance de vie a augmenté de 5 ans entre 2000 et 2015, soit la hausse la plus rapide depuis les années 1960 [1]. Autrement dit, la période du vieillissement s’est allongée et nécessite individuellement plus d’attention et d’investissement. Devant ce constat, la prise en soin psychothérapeutique du sujet âgé ne peut plus être considérée comme un luxe, mais doit plutôt devenir un vrai enjeu de santé publique. Mais alors, quelles sont les pratiques actuelles ? Quel est l’apport de la psychologie analytique jungienne à ce sujet ?

Psychothérapie et vieillissement : de Freud à Jung Le 12 décembre 1904, Freud tient devant « le collège des médecins » à Vienne, des propos pessimistes : « l’âge des malades, déclarait-il, entre en ligne de compte lorsqu’on veut établir leur aptitude à être traité par la psychanalyse. En effet, les personnes ayant atteint ou dépassé la cinquantaine ne disposent plus de la plasticité des processus psychiques sur laquelle s’appuie la thérapeutique — les vieilles gens ne sont plus éducables — et, en outre, la quantité de matériaux à défricher augmente indéfiniment

la durée de traitement. » [2]. Ces révélations ont mis un frein considérable à l’intérêt que les psychanalystes pouvaient accorder aux problématiques liées au vieillissement [3]. Pourtant, si Freud en personne n’a pas investi la psychothérapie de la personne âgée, son apport a été capital. En découvrant l’inconscient et en inventant la psychanalyse, il a laissé un enseignement qui permet de remettre en question cette déclaration [4]. Depuis, un nombre croissant de psychanalystes freudiens tels que Le Gouès [5], Quinodoz [6] et Charazac [7] ont publié des travaux à ce sujet. Ces interventions psychothérapeutiques répondent à diverses demandes. Il peut s’agir simplement d’une psychothérapie de soutien où le thérapeute apporte au patient une écoute soutenante et respectueuse, permettant à ce dernier de panser ses blessures [8]. Certaines personnes âgées entreprennent une psychanalyse pour le plaisir de mieux vivre la fin de leur vie et de la situer dans une histoire interne personnelle qui prenne sens [9]. D’autres consultent pour retrouver un nouvel équilibre de couple après la mise en retraite d’un ou des deux partenaires [10,11]. La majorité toutefois consulte pour des problèmes. La fin de vie peut engendrer chez certaines personnes âgées des angoisses de mort et de risques d’effondrement, fréquemment dans un contexte de détérioration des capacités physique et

Pour citer cet article : Moussa A. Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.03.002

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Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien psychique ainsi que de gestion des pertes cumulatives [12]. Très souvent la psychothérapie permet d’établir des liens entre la souffrance physique (ex. diagnostic de maladie d’Alzheimer) et la souffrance psychique [13]. Dans tous les cas, le travail d’élaboration du passé du patient sur le modèle freudien peut s’avérer nécessaire pour renforcer la cohésion psychique, modifier les systèmes de défenses du patient âgé et lui permettre de développer des aptitudes à affronter la situation qu’il vit. Freud a particulièrement contribué à développer l’idée que « tout se jouait » pendant l’enfance dans le cadre de notre relation œdipienne avec la mère et le père. Son modèle basé essentiellement sur la sexualité et l’élaboration des traumatismes infantiles est-il, malgré les réserves émises par lui-même, adapté à la complexité des troubles psychologiques du sujet âgé ? En contradiction avec les idées dominantes de son temps, Jung construit ce que l’on appellerait aujourd’hui l’approche long life span, dans le cadre de laquelle le développement court du berceau jusqu’au tombeau, c’est-à-dire durant toute la vie. Jung refuse de tout réduire à des traumatismes infantiles et ne renonce pas à ses intérêts pour la religion et la spiritualité. À côté de l’inconscient personnel (ensemble des contenus de l’expérience acquise, oubliée ou refoulée), il définit l’inconscient collectif qui contient la mémoire de l’humanité (instincts et archétypes). L’archétype est une sorte d’image originelle qui existe dans notre inconscient sans être le fruit de notre histoire personnelle. Les mêmes thèmes se retrouvent dans le monde et à des époques différentes ; en témoignent les mythes, symboles et contes universels. Ils apparaissent dans nos rêves, croyances, visions, pensées. Pour Jung, la sexualité est importante dans le psychisme de l’homme (il reconnaît que la base des névroses se situe dans les fantasmes sexuels de l’enfant) mais ne représente pas toute la vie psychique. Elle peut prendre une allure plus spirituelle, « détachée du corps » et des pulsions pour apparaître dans le monde des symboles et des archétypes. Jung, en rupture avec Freud, fut le premier à considérer que des changements importants dans la personnalité survenaient après l’adolescence, changements structuraux tout aussi importants que ceux observés durant l’enfance.

Le modèle jungien du vieillissement : l’individuation Bien que complexe et d’un équilibre fragile entre les fonctions physiques et mentales, le vieillissement est un phénomène naturel et normal. Les « symptômes » liés au vieillissement, à l’instar des pertes de tout genre, sont à assimiler à des échelles qui facilitent l’accès aux représentations profondes des patients. L’individuation, le concept-clé de la psychologie analytique donne donc à la vieillesse ses lettres de noblesse. « J’emploie l’expression d’individuation pour désigner le processus par lequel un être devient un individu psychologique, c’est-à-dire une unité autonome et indivisible, une totalité » [14]. Jung découvrira que ce processus initiatique était déjà inscrit dans le Tao, dans le chemin initiatique des chamanes mais également dans les

3 Tableau 1

Les étapes de vie selon Jung.

La première partie de la vie

La deuxième partie de la vie

L’adaptation à la réalité

La prise de conscience de la réalité La connaissance de soi

La formation d’un moi structuré Le développement d’une persona appropriée L’acceptation des responsabilités sociales de l’adulte L’émancipation des imagos parentales

La découverte de son propre chemin, son autonomie intérieure La direction laissée au soi

La préparation de la mort

grimoires alchimiques. Un chemin qui nous mène de la naissance à la mort. C’est « l’expérience d’une loi de la nature et peut être vécu consciemment ou pas » [15]. Un chemin selon Jung à deux étapes que nous résumons dans le Tableau 1. Jung n’est pas le seul à concevoir la maturité comme un processus d’intégration du soi. La normalité psychique selon Mélanie Klein [16] est l’interaction harmonieuse des divers aspects de la vie mentale, tels la maturité émotionnelle, la force du caractère, la capacité de faire face aux émotions conflictuelles, un équilibre entre la vie intérieure et extérieure et finalement l’intégration de tous les aspects de la personnalité conduisant au concept de soi intégré [17]. Cette définition est proche de l’individuation. Jung pensait que le processus d’individuation conscient n’était pas l’affaire de tout le monde ; en effet, pour que les contenus inconscients puissent être intégrés à travers une « individuation consciente », une certaine maturité affective est nécessaire. Seulement un Moi suffisamment structuré peut être perméable aux contenus de l’inconscient pour les intégrer sans être submergé et perdre le lien avec la réalité. Un des héritiers de la pensée jungienne, Hillmann [18], va plus loin. Pour ce dernier, le processus n’est pas réservé à une élite : nous sommes poussés à devenir ce que nous sommes. Hillmann conc ¸oit le mouvement du Moi imaginal comme un modèle circulaire et non comme un développement. Pour Hillmann, « Vivre longtemps contribue à la construction de l’âme. Il est bon de considérer l’âme comme une intelligence active qui ourdit et trame le destin de chaque individu. Ces trames correspondent à ce que les anciens appellent ‘‘mythos’’. Les trames qui impliquent notre âme et mettent en lumière notre caractère sont les grands mythes. Il s’agit de vivre notre mythe jusqu’au bout. Rien alors n’est plus pathologique ou toute pathologie faisant partie du mythe est nécessaire » [18].

Objectifs psychothérapeutiques : quelques apports de la psychologie analytique La totalité Adler [19] évoque la notion de totalité comme objectif thérapeutique principal dans l’approche jungienne. L’idée de la

Pour citer cet article : Moussa A. Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.03.002

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totalité dit-il est, en d’autres termes, un archétype chargé d’une profonde signification. Il définit la prise de conscience comme la prise de possession, au moyen de la connaissance, d’un tout prédestiné. Ce n’est qu’au moment où la partie manquante a été assimilée par la conscience que le besoin de totalité est satisfait et s’apaise. Cette totalité est selon Adler latente en tout être humain sous forme de constellation psychique et attend sa réalisation. L’individuation implique donc un « retour à soi-même ». La connaissance que prend l’être humain de son vrai moi comble l’abîme ouvert par la scission. Pour Adler, « C’est précisément cette quête de la totalité qui s’exprime dans la névrose » [19]. En d’autres termes, le travail du thérapeute consiste à soutenir la fonction autorégulatrice de la psyché orchestrée par l’inconscient, suite à l’abîme causé par la scission.

Les modèles Kocher [20], analyste jungienne genevoise, disait dans l’une de ses conférences que l’enfant a besoin d’images d’adultes positives pour avoir envie de devenir adulte — l’adulte a besoin de modèles pour vieillir. Ces modèles nous donnent à espérer que la démence n’est pas forcément au bout de chemin. Les vieux sages sont donc des modèles. Il est rassurant de penser que la vieillesse est le temps de la sagesse. L’archétype du vieux sage est une image primordiale que nous portons en nous. L’image du vieil homme/la vieille femme qui ont profondément compris la vie et qui terminent leurs jours dans la sérénité donne envie de vieillir. « La sagesse n’est pas une accumulation d’expérience et de savoir, elle n’est pas omniscience, elle est la perception de ce qui est éternel, de ce qui donne sens à la vie. Le vieux sage en nous est l’archétype du sens » [20]. Certains problèmes rencontrés à l’âge avancé (ex. : deuils, pertes des capacités physiques et psychiques) peuvent être d’une violence inouïe pouvant mettre à l’épreuve le sens de la vie. À ces moments délicats, le vieux sage comprend qu’il faut apprendre à renoncer, pour continuer à vivre paisiblement. Renoncer pour mieux avancer dans sa vie, le regard rivé vers l’avenir. Dans le même sens va la philosophie épicurienne [21]. La clé de la sagesse épicurienne réside dans le fait de comprendre que nous ne pouvons être heureux que si nos désirs, au lieu d’être illimités, se ramènent à la dimension restreinte des besoins de notre corps. En suivant cette direction, le sage est ainsi capable d’éviter le manque qui viendrait entraver sa vie. Le but du sage étant d’atteindre le repos de l’âme et par-là celui du corps. Dans la Lettre à Ménécée, Epicure aborde les questions relatives au jeune âge, au vieillissement ainsi qu’à la philosophie et au sens de la vie : « Celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée ou est passée pour lui, ressemble à un homme qui dirait que l’heure d’être heureux n’est pas encore venue pour lui ou qu’elle n’est plus. Le jeune homme et le vieillard doivent donc philosopher l’un et l’autre, celui-ci pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant les jours agréables du passé ; celui-là afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en face de l’avenir. » [21]. Là encore, il s’agit de travailler, selon les moments de la vie, à la santé de l’âme.

La démarche clinique Jung n’accordait pas beaucoup d’intérêt pour des méthodes et des cadres prédéfinis : « Chaque psychothérapeute n’a pas qu’une méthode, lui-même en est une » [22]. Toutefois, on peut identifier quelques étapes utilisées en psychologie analytique.

L’analyse anamnestique En général, le traitement psychothérapeutique débute par une analyse anamnestique. Une anamnèse détaillée est récoltée par le thérapeute en comblant par des questions les lacunes du récit du patient. Considérées du point de vue analytique, ces lacunes sont d’ordinaire très révélatrices, et grâce à elles on peut, avec humilité et précaution, déjà mettre en évidence un certain nombre de corrélations entre les faits. L’exposé des symptômes du patient fournit souvent au thérapeute une excellente occasion d’élucider des rapports de cause-effet relativement superficiels. En d’autres termes, l’anamnèse consiste, par exemple, à refaire la biographie du patient et à retracer l’histoire du développement de sa névrose. Les fonctions principales de l’analyse anamnestique sont d’obtenir une image de la situation consciente ; d’établir entre l’analyste et le malade un contact personnel qui est d’une importance décisive pour la suite et de poser l’indication à la psychothérapie. Le sujet âgé étant peu plaintif, le thérapeute doit souvent penser à susciter la demande. La véritable analyse de l’inconscient (l’investigation) commence quand les contenus conscients ont été épuisés.

L’investigation Nous aborderons ici l’investigation à travers l’analyse du transfert et l’interprétation des rêves. L’intérêt de l’investigation analytique pour la personne âgée est qu’elle offre plusieurs regards possibles. En effet, pour Jung, « il y a deux modes d’investigations : l’investigation analytique — ou causale et réductive — et l’interprétation synthétique ou constructive. » [23]. Lors du transfert, il est possible d’élucider par l’investigation analytique un certain nombre de points importants, notamment des expériences infantiles pénibles qu’un patient revit dans le présent. Mais si on se contente d’observer cette répétition, on ne découvrira pas pourquoi et surtout dans quel but ces traumatismes font à nouveau irruption dans le présent. Pour cela, il n’y a qu’un moyen : c’est de prendre en considération la situation actuelle de la personne et de se demander, en regardant vers l’avenir : « Quel effet a ce symptôme ? Qu’est-ce qu’il empêche ou provoque ? C’est l’interprétation synthétique ou constructive. On découvrira alors que ce symptôme a pour but de forcer le patient à adopter une nouvelle attitude devant la vie, en bref à changer » [19].

L’analyse des rêves En ce qui concerne l’investigation du rêve, on distingue aussi deux approches en psychologie analytique. Le contenu d’un rêve peut, comme le veut celle-ci, être réduit à des « complexes de réminiscence » se rapportant à des

Pour citer cet article : Moussa A. Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.03.002

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Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien personnes ou à des situations concrètes, objectives, extérieures au rêveur : c’est ce que Jung a appelé « l’interprétation sur le plan de l’objet » [24]. D’autre part, les images d’un rêve peuvent être regardées non comme représentant quelque chose de concret, d’extérieur au rêveur, mais simplement comme des « images de facteurs psychiques internes et de la situation subjective du rêveur. C’est l’interprétation sur le plan du sujet » [25]. Pour permettre de mieux saisir cette différence fondamentale, nous allons nous référer à l’analyse d’un rêve à travers un cas clinique.

Cas clinique M.P. est un patient de 70 ans, qui a été adressé par son médecin traitant pour un état dépressif persistant malgré un suivi régulier et un traitement antidépresseur. Comme comorbidité somatique, on note des lombalgies chroniques invalidantes et de fréquents maux de tête. Il ressort de l’analyse anamnestique que M.P., actuellement retraité, était ingénieur informaticien, haut cadre d’une entreprise. Deuxième d’une fratrie de 2 enfants, dont une sœur aînée, les parents ont divorcé quand le patient avait 8 ans, suite aux violences conjugales du père, alcoolique. Un père décédé, dont le patient a gardé un souvenir traumatique. Marié pour la seconde fois depuis 20 ans, M.P. est père de 3 garc ¸ons. Le premier fils est issu d’un premier mariage. Sa première épouse l’a quitté du jour au lendemain, lui reprochant d’être trop gentil et faible de caractère, confie le patient. Son épouse actuelle l’adore comme il est, dit-il. Pour M.P., la gentillesse est une vertu à laquelle il dit ne vouloir jamais déroger. Ces valeurs lui ont été inculquées par sa maman, idolâtrée par le patient. Après l’analyse anamnestique qui a permis d’obtenir l’image de la situation consciente résumée ci-dessus, nous sommes passés à l’investigation. Les débuts ont été difficiles. Mais les choses se sont accélérées après le rêve suivant, que M.P raconte : « Je me trouvais dans une grande métropole avec beaucoup de circulation, d’échangeurs. Un monde stressant pour moi. Je circulais avec ma VW golf actuelle, derrière la gare de Montreux qui était dans son état d’avant la rénovation, comme dans mon enfance. Il était tombé quelques cm de neige. Je devais tourner au rondpoint mais mon épouse a choisi d’utiliser le frein à main pour faire pivoter la voiture. Dans cette manœuvre, après avoir heurté un autre véhicule, notre voiture fait un ‘‘tonneau’’ quelques mètres plus loin. Je quitte le véhicule sans remords et continue seul, à pied mon chemin ».

Analyse du rêve Pour M.P., le rêve le renvoie à ses 18 ans. Il avait fait beaucoup de rallye à cet âge et « retapé » des véhicules de collection. C’était les meilleurs moments de sa vie. L’ancienne gare de Montreux lui rappelle ces moments. Dans le rêve, la première partie en ville est une situation très désagréable. Il n’aime pas les grandes villes, dit-il. Mais son comportement rêvé l’intrigue. Ce n’est pas du tout son genre de ne pas assister quelqu’un en danger, en plus sa femme ! C ¸ a l’étonne ! Il est mal à l’aise. Il tient à nous assurer qu’il n’a pas de conflit avec son épouse.

5 Une interprétation purement analytique de ce rêve relèverait que le rêveur se laisse trop influencer par les circonstances extérieures de sa vie. Qu’il doit penser fortement à lui et à ses intérêts pour reprendre en main son avenir. Une telle interprétation réductive sur le plan de l’objet mettrait plus l’accent sur le lien de cause à effet entre les expériences infantiles douloureuses de M.P. et sa vie actuelle. Cette interprétation serait justifiée et nécessaire pour une personne jeune de moins de 30 ans. Mais insuffisante pour quelqu’un comme M.P. de 70 ans qui a déjà conquis son indépendance. Une telle interprétation passerait à côté du message essentiel du rêve. En considérant la situation actuelle de M.P. et en se projetant dans l’avenir, M.P. a atteint un moment où se posait pour lui la question des conséquences ainsi que de la signification profonde de sa gentillesse et de sa confiance sans réserve envers les autres. Ce rêve lui dit que sans l’aide de son côté masculin intérieur — l’animus — son existence serait menacée. Il doit apprendre à accepter l’importance et la signification de son inconscient représenté ici par le symbole de l’animus, en vue d’une réorientation nécessaire de sa vie — réorientation très différente de celle qu’aurait indiquée une interprétation du rêve sur le plan de l’objet. On conclura que le problème de M.P. n’est pas son adaptation à la réalité extérieure et concrète — comme l’aurait voulu l’interprétation causale ou réductive — mais celui de sa prise de conscience et de son adaptation à sa réalité psychique intérieure à un moment fragile de sa vie (la retraite). Seule cette prise de conscience permettra à M.P. d’accéder à une connaissance de soi, étape importante dans la réalisation de la deuxième moitié de vie selon Jung (Tableau 1). Cet exemple montre bien que le mode analytique et le mode synthétique doivent être envisagés dans chaque cas, et le choix doit se porter sur celui qui s’accorde le mieux avec l’âge et la réalité psychologique du patient.

Conclusion Avec le vieillissement de la population, le nombre de personnes âgées souffrant d’un trouble psychique va inévitablement augmenter. L’offre en psychothérapie de la personne âgée est appelée à cet effet à s’adapter non seulement en quantité mais aussi en qualité. Elle doit dépasser le symptôme et répondre à tous les besoins. Car ce que le vieillard doit apprendre, ce n’est pas comment se débarrasser de sa vieillesse, mais comment l’assumer et la supporter. Un lien entre les symptômes (dépression) et la fin de vie doit être établi, car la majorité des troubles de l’humeur du sujet âgé font référence à la perte du sens de la vie. Face à ces patients, le positionnement interne du thérapeute est capital. Les psychiatres et les psychothérapeutes de la personne âgée devront être le plus possible au clair sur leur propre représentation du vieillissement lorsqu’ils prennent en psychothérapie des patients âgés. Ils seront amenés au cours des séances à faire des va-et-vient incessants entre leur âge réel et l’âge fantasmatique que leurs patients leur attribueront. Jung fût le premier à décrire le développement de la personnalité comme un phénomène se déroulant sur toute la vie. Avec le processus d’individuation, son modèle a fait du vieillissement une promotion au lieu d’un processus de

Pour citer cet article : Moussa A. Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.03.002

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déclin et de perte. Les références faites à la philosophie et à la spiritualité ont enrichi considérablement son approche et offert aux thérapeutes des meilleurs outils pour aborder aisément la problématique principale du vieillissement, à savoir la réflexion sur le sens de la vie. Enfin, la distinction de deux modes d’investigations par Jung, l’investigation analytique — ou causale et réductive — et l’interprétation synthétique ou constructive a considérablement amélioré la compréhension et la qualité de la prise en charge psychothérapeutique du sujet âgé.

Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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Pour citer cet article : Moussa A. Psychothérapie de la personne âgée : l’apport jungien. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.03.002