Cas clinique
Pyléphlébites au cours des diverticulites S. Bekkhoucha 1, I. Boulay-Colleta 2, L. Turner 3, J. L. Berrod 1 1. Service de chirurgie digestive et viscérale, fondation hôpital St Joseph – Paris. 2. Service de radiologie, fondation hôpital St-Joseph – Paris. 3. Service de médecine, centre hospitalier de Dourdan – Dourdan. Correspondance : S. Bekkhoucha, service de chirurgie digestive et viscérale, fondation hôpital St-Joseph, 185 rue Raymond-Losserand, F 75670 Paris cedex 14. e-mail :
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Résumé / Abstract Pyléphlébites au cours des diverticulites
S. Bekkhoucha, I. Boulay-Colleta, L. Turner, J. L. Berrod
La pyléphlébite est une complication rare et potentiellement grave d’une pathologie infectieuse abdominale. La diverticulite en est l’une des étiologies les plus fréquentes, et le nombre de cas rapportés dans la littérature est de plus en plus important, compte tenu des progrès de l’imagerie et notamment du scanner abdomino-pelvien. Le traitement repose sur une antibiothérapie à large spectre et sur un traitement anticoagulant efficace. La durée de l’anticoagulation n’est pas clairement définie. La résection sigmoïdienne peut être nécessaire en cas de forme d’emblée compliquée de perforation ou en l’absence d’amélioration sous traitement médical. Mots-clés : Veines. Diagnostic. Pyléphlébite. Thrombophlébite. Veine porte. Diverticulite. Pylephlebitis in the course of diverticulitis
l’absence d’amélioration clinique et biologique sous antibiothérapie adaptée et héparinothérapie à dose efficace au 4e jour, a été réalisée une colectomie sigmoïdienne par laparotomie avec anastomose colorectale protégée et fermeture de la fistule vésicale, associées à la mise à plat de l’abcès hépatique (figure 3). L’évolution a été favorable et la patiente a quitté le service 3 semaines après l’intervention, avec un traitement par anticoagulant oral pour une durée total de 3 mois. La TDM de contrôle à 3 mois a montré des lésions séquellaires sans image évolutive.
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Pylephlebitis or septic portal thrombophlebitis is a rare but serious condition which may occur following intra-abdominal sepsis from any source. Sigmoid diverticulitis is one of the most common sources. Modern imaging modalities, particularly CT, have increased the recognition of this condition. Standard treatment consists of anticoagulation plus antibiotic therapy to cover anaerobic and gram negative organisms. The duration of anticoagulation therapy remains controversial. Sigmoid colectomy may be required in cases of perforated diverticulitis or failure of medical therapy. Key-words: Pylephlebitis. Thrombophlebitis of the portal vein. Diverticulitis.
Introduction Les pyléphlébites ont été rapportées dès le XIXe siècle par Walter en 1846, et Dieulafoy en 1898, qui décrivaient des pyléphlébites associées à des abcès hépatiques chez les patients atteints d’appendicite. En 1841 Lambron a décrit le premier cas de pyléphlébite après une perforation d’ulcère duodénal dans une veine [1]. Les pyléphlébites sont des thrombophlébites septiques de la veine porte, d’une de ses branches intra-hépatiques ou d’un de ses affluents (veine splénique, veine mésentérique supérieure ou veine mésentérique inférieure -VMI-). Les étiologies les plus courantes sont des affections aiguës ascendantes d’un organe abdominal comme la nécrose pancréati-
que, l’appendicite, la cholécystite aiguë, la diverticulite aiguë ou perforée. Nous rapportons ici quatre cas de pyléphlébites associées à une diverticulite sigmoïdienne de gravité différente.
1er cas clinique Mme D, âgée de 77 ans a été admise aux urgences pour détresse respiratoire aiguë avec fièvre à 39 °C. Une hémoculture était positive à Bacteroïdes Fragilis. À la tomodensitométrie (TDM) abdomino-pelvienne injectée, il existait un abcès hépatique du segment VII (figure 1), compliqué d’une pyléphlébite qui s’étendait de la VMI (figure 2) à la veine porte. Le côlon sigmoïde était le siège d’une diverticulite compliquée d’une fistule sigmoïdo-vésicale. Devant
J Chir 2008,145, N°3 • © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
2e cas clinique Mme S, âgée de 70 ans, a été admise aux urgences pour des douleurs de la fosse iliaque gauche avec une fièvre à 38,5 °C et des frissons évoluant depuis 4 jours. Les hémocultures étaient positives à E. Coli. À la TDM abdomino-pelvienne injectée il existait une diverticulite sigmoïdienne compliquée d’une pyléphlébite qui s’étendait de la VMI jusqu’à son abouchement dans le tronc splénomésaraïque (figure 4). Devant la persistance d’un syndrome septique au 6e jour du traitement médical (bi-antibiothérapie adaptée et héparinothérapie efficace), la patiente a été opérée d’une résection sigmoïdienne avec anastomose colorectale. L’évolution a été favorable et elle a quitté le service au 12e jour postopératoire. Le traitement anticoagulant par anti vitamine K a été poursuivi pour une durée totale de 3 mois avec sur la TDM de contrôle systématique la disparition de la thrombose veineuse.
3e cas clinique Mme Z, âgée de 76 ans, s’est présenté aux urgences pour des douleurs abdominales évoluant depuis deux jours avec fièvre à 38,9 °C. Il existait un syn-
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Cas clinique
Figure 1 : Coupe tomodensitométrique au temps artériel :
Figure 2 : Coupe tomodensitométrique au temps artériel :
abcès siégeant dans le segment VII (flèche).
image en cible du thrombus dans la lumière de la veine mésentérique inférieure (flèche).
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Figure 3 : Pièce opératoire du côlon sigmoïde : thrombus dans la lumière de la veine mésentérique (flèche).
drome inflammatoire biologique (13 900/ml globules blancs, CRP à 222 mg/l). À la TDM abdomino-pelvienne injectée, il existait une diverticulite sigmoïdienne perforée (pneumopéritoine et un abcès dans le culde-sac de Douglas) et compliquée d’une pyléphlébite de la branche portale à destinée du segment VI. L’intervention
Figure 4 : Coupe tomodensitométrique au temps artériel :
gaz dans la veine mésentérique inférieure (flèche)1.
en urgences a consisté en une résection sigmoïdienne avec anastomose colorectale protégée, par laparotomie. L’évolution a été favorable sous antibiothérapie adaptée et héparinothérapie efficace. Après 3 mois d’un traitement anticoagulant oral, il n’y avait plus de thrombose portale sur le scanner de contrôle.1
4e cas clinique M. T, âgé de 69 ans, a été admis aux urgences pour des douleurs abdominales prédominant dans la fosse iliaque gauche, 1. Voir à ce sujet, dans ce numéro, l’article : « Syndrome septique après cholécystectomie… » de la rubrique Staff public.
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évoluant depuis une semaine avec de la fièvre. Le scanner abdomino-pelvien injecté montrait une diverticulite sigmoïdienne, compliquée d’une pyléphlébite de la VMI et de ses branches. L’évolution a été favorable sous héparinothérapie et antibiothérapie. Après 3 mois d’un traitement anticoagulant, la résection sigmoïdienne laparoscopique a été réalisée.
Discussion
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L’incidence réelle des pyléphlébites reste difficile à établir. Il s’agit d’une pathologie grave avec une mortalité supérieure à 50 %. Dans la majorité des cas, la pyléphlébite est la conséquence de l’extension de proche en proche de thrombophlébites suppurées. L’interaction entre l’agent infectieux et l’endothélium vasculaire produit une thrombose septique au niveau des petites veines marginales, qui drainent le segment impliqué, pour s’étendre vers les troncs veineux du système porte, allant parfois jusqu’aux branches portales intra hépatiques. Plus rarement la pyléphlébite est la conséquence d’inoculation directe d’un gros tronc veineux du système porte [2]. Les abcès hépatiques sont le plus souvent localisés dans le foie droit du fait de la disposition anatomique de la vascularisation hépatique. Les signes cliniques sont variés et dépendent de la sévérité de l’atteinte. La bactériémie est fréquente avec des hémocultures positives dans 80 % des cas. Les germes les plus souvent impliqués sont les bacilles gram négatif (E. Coli étant le plus fréquent), le streptocoque mais aussi les germes anaérobies comme Bacteroïdes Fragilis [3, 4]. L’ictère est peu fréquent et corrélé à la sévérité de l’atteinte hépatique. Le nombre de cas rapporté dans la littérature est plus important ces dernières années du fait des progrès de l’imagerie, et notamment de la TDM abdomino-pelvienne [3]. L’injection de produit de contraste permet une analyse optimale de la région du mésocôlon, l’acquisition au temps portal facilite l’identification de la VMI, de l’uretère gauche ou de la veine gonadique gauche. La présence de gaz dans la VMI (figure 4), généralement au sein du
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thrombus, peut aider à poser le diagnostic de pyléphlébite [5, 6]. Le traitement précoce associant antibiothérapie à large spectre et anticoagulants à dose efficace est impératif, d’une part pour traiter le foyer infectieux sigmoïdien et d’autre part éviter un infarctus intestinal ou la formation d’abcès hépatique. En l’absence d’amélioration clinique ou biologique (2 cas de notre série) ou en cas de diverticulite perforée (1 cas de notre série) une intervention chirurgicale est nécessaire et consiste en une résection colique avec ou sans anastomose [7-9]. Certaines séries récentes suggèrent que le lavage péritonéal laparoscopique avec drainage pourrait être une alternative à la résection sigmoïdienne chez les patients ayant une péritonite purulente généralisée d’origine diverticulaire ou en cas d’échec du traitement médical [10-12]. La plupart des auteurs considèrent que l’héparinothérapie est essentielle puisqu’elle arrête la progression de la thrombophlébite et élimine la source des embolies septiques [13, 14]. La durée de l’anticoagulation n’est cependant pas clairement définie. Les quatre patients de notre série ont eu un traitement anticoagulant pour une durée empirique de 3 mois. Aucune complication secondaire aux anticoagulants n’a été rapportée. À trois mois une TDM de contrôle a été réalisée chez trois des quatre patients. Tous avaient des séquelles de pyléphlébite sans complication ni lésion évolutive.
Conclusion La pyléphlébite au cours des diverticulites sigmoïdiennes est une complication grave qui nécessite la mise en route d’une antibiothérapie à large spectre et un traitement anticoagulant à dose efficace. La durée de l’anticoagulation après l’épisode aigu n’est pas clairement établie. Le traitement chirurgical est nécessaire en l’absence d’amélioration clinique ou biologique ou dans les formes compliquées de perforation. • Remerciements
Nous tenons à remercier le docteur Mehdi Karoui pour son aide à la rédaction de cet article.
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