Rationnel et modalités de prescription du ruxolitinib dans les myélofibroses

Rationnel et modalités de prescription du ruxolitinib dans les myélofibroses

Synthèse General review Volume 100 • N◦ 9 • septembre 2013 John Libbey Eurotext © Rationnel et modalités de prescription du ruxolitinib dans les my...

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Synthèse General review

Volume 100 • N◦ 9 • septembre 2013 John Libbey Eurotext

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Rationnel et modalités de prescription du ruxolitinib dans les myélofibroses Ruxolitinib prescription in myelofibrosis Richard Lemal1 , Marie Robin2 , Aurélie Ravinet1 , Victoria Cacheux1 , Romain Guièze1 , Jacques-Olivier Bay1 Article rec¸u le 29 novembre 2012, accepté le 26 mars 2013 Tirés à part : R. Lemal

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CHU de Clermont-Ferrand, CHU Estaing, service d’hématologie clinique adulte et de thérapie cellulaire, université d’Auvergne CREaT-EA 7283, Inserm CIC-501, 63000 Clermont-Ferrand, France 2 AP-HP, hôpital Saint-Louis, service d’hématologie-greffe, 75010 Paris, France

Pour citer cet article : Lemal R, Robin M, Ravinet A, Cacheux V, Guièze R, Bay JO. Rationnel et modalités de prescription du ruxolitinib dans les myélofibroses. Bull Cancer 2013 ; 100 : 897-902. doi : 10.1684/bdc.2013.1792.

Résumé. Le ruxolitinib est un inhibiteur de la voie JAK/STAT qui permet d’obtenir une nette amélioration des signes généraux chez les patients atteints de myélofibrose primitive ou secondaire à un autre syndrome myéloprolifératif. Les premières données en termes de survie globale permettent, avec un recul encore limité, d’espérer pouvoir enfin modifier le devenir des patients atteints de cette pathologie pour laquelle les ressources thérapeutiques restaient jusqu’alors plutôt palliatives. Suite à ces résultats encourageants, le ruxolitinib a été approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis. En France, la Commission d’autorisation de mise sur le marché a permis, dès avril 2012, la prescription du ruxolitinib dans le cadre d’une Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte, et une Autorisation de mise sur le marché (AMM) a été validée fin août 2012.  Mots clés : myélofibrose primitive, ruxolitinib, splénomégalie, syndromes myéloprolifératifs

doi : 10.1684/bdc.2013.1792

Introduction Avec la découverte du gène de fusion BCR/ABL dans la leucémie myéloïde chronique et surtout avec l’application pratique directe qui en a découlé avec l’emploi des inhibiteurs de tyrosine-kinase, nous sommes incontestablement entrés dans l’ère du développement des thérapies ciblées. Depuis, la meilleure connaissance des mécanismes de l’oncogenèse, dont certains conduisent notamment à une activation constitutive de nombreuses voies de signalisation clés, a mené au développement des thérapies ciblées dans de nombreuses pathologies. Le groupe des syndromes myéloprolifératifs (SMP), dits « Philadelphie négatif » (SMP Phi-, qui comprend la Bull Cancer vol. 100 • N◦ 9 • septembre 2013

Abstract. Ruxolitinib is a JAK/STAT inhibitor, which has demonstrated clinical benefits in patients with intermediate-2 and high-risk myelofibrosis. Moreover, first results of recent clinical trials show a trend to better overall survival with ruxolitinib, which allows to hope that we will soon be able to change the natural evolution of this poor outcome disease. With such results, ruxolitinib quickly obtained the Food and Drug Administration (FDA) approval in the United States of America. In France, ruxolitinib is now available, allowing its administration to symptomatic myelofibrosis patients. 

Key words: ruxolitinib, primary myelofibrosis, myeloproliferative syndrome, splenomegaly

polyglobulie [PG] primitive, la thrombocytémie essentielle [TE] et la myélofibrose primitive [MFP]), reste depuis de nombreuses années peu accessible à des thérapeutiques spécifiques. Pour la TE et la PG, les options thérapeutiques ont pour but de diminuer l’hypercellularité de la lignée atteinte pour en limiter les conséquences parfois gravissimes. Concernant la MFP et pour les myélofibroses (MF) secondaires aux TE et PG, l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques reste la seule option curative, mais elle est réservée à une petite fraction de patients très sélectionnés, avec une mortalité liée à la greffe de l’ordre de 20 à 40 % [1-3]. Pour la majorité des patients, les traitements restent donc palliatifs et visent

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à améliorer leur qualité de vie via une diminution des cytopénies, des symptômes généraux et des symptômes liés à la splénomégalie. La découverte en 2004 de la mutation activatrice du gène codant pour la protéine Janus kinase 2 (JAK2) en position V617F a permis une meilleure compréhension de la physiopathogénie des SMP Phi-. La démonstration de son implication a rapidement enthousiasmé les hématologues et conduit au développement des molécules ciblant la voie de signalisation d’aval. La découverte successive d’une douzaine de mutations ainsi que de tout un panel de dysrégulations épigénétiques impliquées dans la pathogenèse de ces SMP Phia ensuite complexifié le rationnel de la thérapie ciblée. Le ruxolitinib, inhibiteur de la famille des Janus kinases (JAK), a été développé dans ce contexte et rapidement approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis, puis par l’European Medicine Association (EMA) en Europe pour le traitement des MFP et des MF secondaires symptomatiques.

Rappels sur les syndromes myéloprolifératifs, dits « Philadelphie négatif » Les SMP Phi- sont un groupe de pathologies hétérogènes comprenant : – la PG, caractérisée par une hyperplasie de la lignée érythroïde aboutissant à une PG, sans autre cause étiologique. Cette PG se définit classiquement par un taux d’hémoglobine supérieur à 18 g/dL chez l’homme et 16 g/dL chez la femme et/ou un hématocrite supérieur à 54 % chez l’homme et 48 % chez la femme, sans hémoconcentration. Bien que souvent de découverte fortuite, cette PG peut s’accompagner d’une érythrose faciale, d’un classique prurit à l’eau ou encore de signes d’hyperviscosité (associant acouphènes, phosphènes, vertiges, céphalées, épistaxis. . .). Elle n’est parfois découverte qu’à l’occasion d’un évènement thrombotique artériel ou veineux, dont l’occurrence fait toute la gravité de la PG ; – la TE, caractérisée par une hyperplasie de la lignée mégacaryocytaire, aboutissant à une thrombocytose en l’absence d’autre cause, notamment en l’absence de carence martiale ou d’inflammation. Cette thrombocytose, définie par un taux de plaquettes supérieur à 450 000 éléments/mm3 , atteint le plus souvent des chiffres bien supérieurs. Sa découverte est le plus souvent fortuite, en l’absence de symptomatologie précédant un éventuel épisode thrombotique, qui làencore fait la gravité de la TE ; – la MFP, caractérisée par un processus primitif de fibrose réticulinique du tissu hématopoïétique médullaire, aboutissant à une hématopoïèse extramédullaire, le plus souvent hépatosplénique. Classiquement, le bilan biologique de la MFP associe des cytopénies de

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profondeur variable, touchant possiblement les trois lignées, et la présence de dacryocytes sur le frottis sanguin. Les principales manifestations cliniques de la MFP sont le reflet de la ou des lignée(s) atteinte(s), et peuvent consister en un syndrome anémique, hémorragique et/ou infectieux. De plus, la MFP s’accompagne souvent de signes généraux non spécifiques, reflets de sécrétions cytokiniques associées. Enfin, nombre de patients ont des manifestations liées à une volumineuse splénomégalie, développée du fait d’une hématopoïèse splénique prépondérante. Les MF, dites secondaires, ont une présentation biologique et clinique assez proches de celles des MFP, mais surviennent chez des patients porteurs au préalable d’une PG ou d’une TE. Le pronostic de ces trois SMP Phi- est assez hétérogène, mais reste grevé par la possibilité de transformation en leucémies aiguës secondaires, dans la quasi-majorité des cas myéloïdes, dans une proportion variable de cas estimée de 1 à 28 % selon les séries, avec un pronostic qui reste sévère. Concernant les MFP, il existe une Classification pronostique internationale (IPSS) permettant d’adapter la prise en charge thérapeutique au risque évolutif (tableau 1). Par extension, cette classification est également appliquée aux MF secondaires.

Les voies de signalisation dépendantes de JAK et leurs dérégulations Les protéines JAK sont associées au domaine intracellulaire de récepteurs de surface de nombreuses cytokines et de facteurs de croissance (récepteurs de l’érythropoïétine, de la thrombopoïétine et du facteur stimulant la granulopoïèse). La fixation du ligand d’intérêt au récepteur entraîne des modifications conformationnelles qui induisent le rapprochement physique et l’autophosphorylation des protéines JAK, induisant le recrutement des protéines STAT et l’activation de voies de signalisation clés, dont les voies Tableau 1. Score pronostique IPSS des myélofibroses (MF). Facteurs de risque (FDR) Âge > 65 ans Signes généraux Hb < 10 g/dL Leucocytose > 25 000/mm3 Blastes circulants > 1 % Score pronostique IPSS 0 FDR : faible risque 1 FDR : risque intermédiaire 1 2 FDR : risque intermédiaire 2 ≥ 3 FDR : haut risque D’après Cervantes et al. Blood 2009.

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MAP kinase et PI3K/AKT. Une fois recrutées, les protéines de ces voies d’aval participent à la modulation de la transcription de gènes clés impliqués dans la différenciation, la prolifération, le contrôle du cycle cellulaire et l’apoptose (figure 1) [4].

Mode d’action du ruxolitinib et modèles précliniques La mutation JAK2V617F, qui touche l’exon 14 du gène de JAK2, localisé sur le chromosome 9, entraîne une extinction de la fonction inhibitrice naturelle du domaine pseudokinase muté, ce qui est responsable d’une activation constitutive de la protéine JAK2, mimant ainsi l’effet terminal d’une stimulation prolon-

gée de la lignée d’intérêt par des facteurs de croissance [5]. Par ailleurs, JAK1 est connu pour être un médiateur important dans l’expression de cytokines proinflammatoires comme l’IL-2, l’IL-6 et le TNF-␣, dont le rôle central dans les manifestations de nombreuses maladies systémiques est bien démontré, notamment dans les manifestations générales des MF. De fac¸on intéressante, l’activation de la voie de signalisation JAK/STAT a été démontrée dans des MF n’ayant pas la mutation JAK2V617F, montrant, d’une part, le rôle central de cette voie dans la MF, mais aussi la connaissance parcellaire que nous avons. Les protéines JAK1/2, dans leurs formes mutées ou non, sont donc apparues comme une cible intéressante

b a

c

ruxolitinib

Augmentation de la production de cytokines pro-inflammatoires (IL2, IL6 et TNFα)

JAK 2 P 1

JAK 2 P P

JAK 2 P P 2

P

STAT

JAK 1 P

JAK 1

STAT

STAT

STAT STAT

P 3 P

JAK 2 P

P

STAT STAT

P STAT

P

STAT STAT

Activation de voies de signalisation (notamment les voies de la famille STAT, la voie MAP kinase, la voie PI3 kinase /AKT)

P

P

STAT STAT

Transcription de gènes clés, impliqués dans la différenciation, la prolifération et la survie

Figure 1. Voie de signalisation JAK/STAT et rôle du ruxolitinib. En position physiologique, JAK2 est lié à la partie intracytoplasmique d’un récepteur membranaire aux facteurs de croissance ou aux cytokines. En présence du ligand d’intérêt, on assiste : (1) à l’autophosphorylation de JAK2 ; (2) au recrutement et à la phosphorylation de STAT ; (3) à la dimérisation de STAT qui va activer les voies de signalisation et induire la transcription de gènes clés. La mutation de JAK2 mime l’activation constitutive du récepteur d’intérêt en l’absence de ligand. Notons le rôle prépondérant, dans la myélofibrose (MF), de JAK1 sur l’augmentation de la production de cytokines qui vont, par une boucle d’activation des récepteurs de voisinage (y compris associés à un JAK sauvage), contribuer largement au phénotype inflammatoire des MF. Le ruxolitinib agit en bloquant les protéines JAK sauvages ou mutées conduisant, d’une part, à l’inhibition de la stimulation clonale et, d’autre part, à l’extinction de cette boucle d’activation inflammatoire. Bull Cancer vol. 100 • N◦ 9 • septembre 2013

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pour diminuer l’effet pro-prolifératif induit par la mutation JAKV617F ou par d’autres anomalies génétiques, voire épigénétiques, et pour diminuer les manifestations générales liées à l’activité inflammatoire, médiée en grande partie par JAK1. Le ruxolitinib est l’inhibiteur de JAK dont le processus de développement est le plus abouti, capable d’induire une activité anti-JAK1 et anti-JAK2, sous leur forme mutée ou sauvage, en entrant en compétition avec le site catalytique du domaine pseudokinase de JAK. Cela entraîne une diminution de la phosphorylation des protéines d’aval de la voie JAK/STAT (STAT-3/5, AKT et ERK, notamment) [6]. Le développement préclinique des anti-JAK a démontré la capacité du ruxolitinib à réduire la prolifération cellulaire et à augmenter l’apoptose dans des lignées cellulaires mutées pour JAK2V617F. Parallèlement, l’administration de ruxolitinib se traduit par une diminution du niveau de phosphorylation des protéines d’aval (STAT-5, ERK1/2). Par ailleurs, il a été montré la capacité du ruxolitinib à inhiber la croissance spontanée des progéniteurs érythroïdes dans des lignées primaires mutées pour JAK2V617F. Enfin, dans un modèle murin de MFP mutée pour JAK2V617F, l’administration de ruxolitinib s’est traduite par une nette diminution tant de la splénomégalie clinique que des taux circulants de cytokines proinflammatoires. Il a aussi été objectivé une amélioration de la survie sans toxicité hématologique majeure [7]. Dans un autre modèle murin de MFP, l’inhibiteur sélectif de JAK2, INCB16562, s’est montré capable de réduire la splénomégalie et la fibrose médullaire, ainsi que d’améliorer les taux de leucocytes et de plaquettes [8].

Pharmacocinétique et pharmacodynamique Avec une biodisponibilité orale de 95 % quelle que soit la chronologie de prise par rapport à l’alimentation, le ruxolitinib a une durée de demi-vie plasmatique de trois heures. La dose maximale tolérée évaluée lors des premiers essais de phase I/II est de 25 mg deux fois par jour ou 100 mg en une prise. Il n’a pas été montré d’accumulation de composé actif ou de dérivés toxiques suivant la prise, même répétée, du ruxolitinib [9, 10]. L’étude après l’administration de ruxolitinib du taux de phosphorylation des protéines d’aval de la voie JAK/STAT, d’une part, et du taux d’expression de nombreux marqueurs de l’inflammation (IL-6, IL-1ra, IL-8, MIP-1b, TNF-␣ et CRP), d’autre part, a permis de montrer une diminution dose-dépendante de ces différents marqueurs, et ce aussi bien chez des patients porteurs de la mutation JAK2V617F que chez des patients portant l’allèle sauvage [6].

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Efficacité clinique En termes de diminution de la splénomégalie et des signes généraux L’étude de phase I/II initiale, conduite chez des patients atteints de MFP porteurs ou non de la mutation JAK2V617F, a permis de montrer rapidement avec une dose de 15 mg deux fois par jour un net bénéfice en termes de diminution de la splénomégalie et d’amélioration des symptômes généraux (asthénie, fièvre, sueurs nocturnes, perte de poids, prurit) avec plus de 50 % des patients bénéficiant d’une diminution rapide et objective de plus de 50 % du volume de la rate pour plus de 12 mois, et ce indépendamment de leur statut mutationnel [6]. Il était noté une diminution importante des taux circulants de cytokines pro-inflammatoires, corrélée à la diminution des signes généraux. Il existait une tendance à l’augmentation de la survie versus une cohorte historique probablement de bien moindre pronostic (puisque constituée de patients de plus fort risque, plus âgés et plus cytopéniques), avec une tendance à la diminution du risque de transformation en leucémie aiguë [11]. Dès la publication de ces premiers résultats, il apparaît que l’effet du ruxolitinib est purement suspensif, avec la réapparition très rapide de la splénomégalie et des signes généraux après l’arrêt de l’administration, probablement liés en grande partie à la réaugmentation de l’expression de cytokines pro-inflammatoires [12]. L’étude COMFORT I, premier essai de phase III sur cette molécule, a comparé l’administration du ruxolitinib à celle d’un placebo dans une large cohorte randomisés de 309 patients atteints d’une MFP de haut risque/risque intermédiaire 2, avec une dose-dépendant du taux initial de plaquettes en raison du profil de toxicité [13]. Le critère de jugement principal était la diminution objective d’au moins 35 % du volume tumoral estimé par TDM ou IRM (qui est corrélée à une diminution de 50 % du volume splénique lors d’une estimation par palpation manuelle). Étaient aussi étudiés, la durée de cette diminution et l’activité des symptômes généraux estimés par un questionnaire d’évaluation spécifique. Les résultats montrent qu’à 24 semaines de traitement, 41,9 % des patients du groupe ruxolitinib ont eu une diminution d’au moins 35 % de leur volume splénique versus 0,7 % des patients du groupe placebo (p < 0,0001), et ce indépendamment de leur statut mutationnel pour JAK2. De plus, une amélioration significative des signes généraux a été montrée chez 50 % des patients sous ruxolitinib versus 0,7 % des patients sous placebo (p < 0,0001). Malgré cette efficacité sur le plan clinique, l’analyse des marqueurs biologiques de la maladie n’a pas permis de montrer une efficacité du traitement par ruxolitinib sur le phénotype de la maladie sur le plan périphérique ou sur le plan ostéomédullaire. Bull Cancer vol. 100 • N◦ 9 • septembre 2013

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L’étude COMFORT II a comparé le ruxolitinib au meilleur traitement disponible (défini comme l’emploi, à la discrétion de l’investigateur, d’hydroxyurée, de corticoïdes et/ou de soins de support) dans une cohorte randomisée de 219 patients atteints d’une MFP de haut risque/risque intermédiaire 2. Là encore, le critère de jugement principal était la diminution du volume splénique, objectivé par l’imagerie. Les résultats étaient là-encore en faveur du ruxolitinib avec 28,5 % de patients ayant une diminution du volume splénique de plus de 35 % à l’imagerie versus 0 % dans le groupe meilleur traitement disponible (p < 0,0001) [14]. De fac¸on intéressante, l’étude du pourcentage de cellules mononucléées circulantes JAK2+ après traitement montre qu’il existe une diminution modérée mais continue de la charge allélique de JAK2, corrélée à la diminution de la splénomégalie (Vannucchi et al., abstract ASH 2012, non publié).

En termes d’impact sur la survie globale L’analyse des résultats de l’essai COMFORT I avec un suivi médian de 52 semaines de traitement a montré une diminution statistiquement significative du risque de décès dans le bras ruxolitinib (décès : 8,4 % dans le bras ruxolitinib versus 15,6 % dans le bras placebo ; p = 0,04) [13], confirmé après 102 semaines de suivi médian (Verstovsek et al., abstract ASH 2012, non publié). Ces résultats se confirment dans l’analyse récemment publiée d’une cohorte monocentrique de 107 patients atteints de MFP intermédiaire 2/haut risque, avec une survie globale de 69 % après un suivi médian de 32 mois. En comparaison à une cohorte de 310 patients historiques présentant les même caractéristiques initiales, la survie globale s’avère significativement meilleure chez les patients de plus haut risque traités par ruxolitinib (HR = 0,50 ; IC 95 % : 0,31–0,81 ; p = 0,006), sans être statistiquement supérieure chez les patients de risque intermédiaire 2 (HR = 0,85 ; IC 95 % : 0,43–1,71 ; p = 0,71). Cette différence de survie est plus importante dans le sous-groupe des patients ayant une diminution de plus de 50 % du volume de leur rate sous ruxolitinib, ce qui évoque que ce critère assez simple à monitorer est un bon marqueur de l’efficacité réelle du ruxolitinib en termes de contrôle de la maladie [15]. Il n’y avait aucune différence en termes de survie globale sur les premiers résultats de l’étude COMFORT II, avec un suivi médian de 12 mois probablement insuffisant pour mettre en évidence un tel bénéfice [14]. Une mise à jour avec un an de suivi supplémentaire montre une tendance à l’amélioration de la survie globale dans le bras ruxolitinib (HR = 0,52 ; IC 95 % : 0,27-1,00) (Cervantes et al., abstract ASH 2012, non publié). Bull Cancer vol. 100 • N◦ 9 • septembre 2013

Tolérance Le profil de tolérance du ruxolitinib est essentiellement grevé par sa toxicité hématologique, touchant surtout les lignées rouge et plaquettaire, avec des taux d’anémie de grade 3/4 de 11 % et de thrombopénie de grade 3/4 de 7,5 %. Cette toxicité hématologique survient dans la moitié des cas dans les huit premières semaines de traitement et entraîne dans les études soit des adaptations posologiques, soit des arrêts transitoires. Il est à noter que cette toxicité plaquettaire prédominante ne s’est pas accompagnée d’une augmentation des épisodes hémorragiques graves. Notons qu’une étude complémentaire a montré l’efficacité du ruxolitinib avec un schéma d’escalade des doses (5 mg deux fois par jour, progressivement augmenté en fonction du taux de plaquettes) chez les patients dont le taux de plaquettes initial est compris entre 50 000 et 100 000/mm3 . Dans cette population de patients, souvent rencontrés dans la pratique clinique, il a été noté un profil d’efficacité sur le plan des signes généraux et de la splénomégalie semblable à celui rencontré avec un schéma d’emblée à 15 mg deux fois par jour. Il était également noté que 25 % des patients bénéficiaient d’une amélioration du taux de plaquettes (Talpaz et al., abstract ASH 2012, non publié). La toxicité non hématologique est limitée, avec des taux d’effets secondaires justifiant l’arrêt du traitement supérieurs dans le bras placebo. Il est noté la présence de diarrhées chez 23 % des patients sous ruxolitinib versus 12 % des patients sous placebo, de grade 3/4 chez environ 1 % des patients [13].

En pratique Indication Traitement de la splénomégalie ou des symptômes généraux chez l’adulte atteint de MFP ou secondaire à une PG ou à une TE, chez l’adulte symptomatique et/ou présentant une splénomégalie. Notons que la prescription du ruxolitinib est possible quel que soit le score de gravité de la MF et quel que soit le statut mutationnel de JAK2.

Posologie La dose initiale recommandée de ruxolitinib est de : – 5 mg deux fois par jour chez les patients ayant un taux de plaquettes compris entre 50 000 et 100 000/mm3 ; – 15 mg deux fois par jour chez les patients ayant un taux de plaquettes compris entre 100 000 et 200 000/mm3 ; – 20 mg deux fois par jour chez les patients ayant un taux de plaquettes supérieur à 200 000/mm3 .

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Les modifications posologiques ne pourront avoir lieu qu’au-delà du premier mois de traitement, en fonction du profil d’efficacité et de tolérance hématologique. L’augmentation de dose se fera par palier de 5 mg deux fois par jour au maximum, et au plus tous les 15 jours.

Précautions d’emploi Le traitement ne pourra être débuté que si le taux de plaquettes est supérieur ou égal à 50 000/mm3 et le taux de neutrophiles est supérieur ou égal à 1 000/mm3 . Des abaques d’adaptation de doses sont prévus dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), en cas d’apparition d’une thrombopénie et selon sa profondeur. Il y a lieu d’arrêter l’administration du ruxolitinib en cas de neutropénie inférieure à 500/mm3 , et de ne le reprendre qu’après le retour des PNN supérieur à 1 000/mm3 . En cas d’insuffisance rénale sévère (Cl < 30 mL par minute), il y a lieu de procéder à une réduction de 50 % des doses calculées selon le taux de plaquettes, toujours réparties en deux prises par jour. En cas d’insuffisance hépatocellulaire, il y a lieu de procéder à une réduction de 50 % des doses calculées selon le taux de plaquettes, toujours réparties en deux prises par jour. Aucune adaptation de doses n’est recommandée chez le sujet de plus de 65 ans. Aucune donnée n’est disponible chez l’enfant.

Interactions médicamenteuses Il existe une interaction du ruxolitinib avec les médicaments inhibant fortement le CYP3A4, nécessitant une diminution des doses de ruxolitinib de 50 % en cas de co-administration et une surveillance accrue des effets secondaires en cas d’introduction d’un tel médicament. Les médicaments inhibant fortement CYP3A4 sont nombreux et comprennent notamment certains antifongiques azolés, certains antibiotiques et certains antiviraux (cf. RCP du produit).

Conclusion Le ruxolitinib est donc un inhibiteur de la voie JAK/STAT dont les premiers résultats sont très encourageants et particulièrement intéressants dans les MF, primitives ou secondaires aux PG et TE. Son activité se traduit, d’une part, via une amélioration des manifestations liées au contexte inflammatoire de cette pathologie, et entraîne par là même une nette amélioration de la qualité de vie des patients. D’autre part, son activité se traduit par une inhibition progressive du clone tumoral, mise en évidence par les études sur la charge allélique, probablement à corréler à des

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premiers résultats encourageants en termes de survie globale. Les résultats sur l’évolution blastique sont évidemment très attendus, de même que les résultats dans les autres SMP Phi-. La prescription du ruxolitinib (Jakavi® ) est désormais possible en France dans le cadre d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de la splénomégalie et/ou des signes généraux chez les patients atteints de MF symptomatique, primitive ou secondaire à une PG ou à une TE.  Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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