Bull Cancer 2017; 104: 508–515
Article original
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Reconstruction mammaire chez les patientes âgées : études des pratiques de l'institut Bergonié 2005–2015 Guillaume Babin 1,2, Julie Commeny 1, Marion Fournier 1, Aurélien Rousvoal 1, Youssef Kabbani 3, Marc Debled 4, Anne Jaffre 5, Christine Tunon de Lara 1
Reçu le 8 septembre 2016 Accepté le 3 mars 2017 Disponible sur internet le : 16 mai 2017
1. Institut Bergonié, département de chirurgie, 229, cours de l'Argonne, 33000 Bordeaux, France 2. Université de Bordeaux, 146, rue Léo-Saignat, 33000 Bordeaux, France 3. Institut Bergonié, département d'anesthésie-réanimation, 229, cours de l'Argonne, 33000 Bordeaux, France 4. Institut Bergonié, département d'oncologie médicale, 229, cours de l'Argonne, 33000 Bordeaux, France 5. Institut Bergonié, département d'information médicale, 229, cours de l'Argonne, 33000 Bordeaux, France
Correspondance : Christine Tunon de Lara, Institut Bergonié, département de chirurgie, 229, cours de l'Argonne, 33000 Bordeaux, France.
[email protected]
508
Mots clés Reconstruction Mammaire Âgée
Résumé Introduction > L'objectif de notre étude est d'observer les pratiques de reconstruction mammaire chez les patientes âgées de plus de 70 ans prises en charge pour mastectomie totale à l'institut Bergonié. Matériel et méthodes > Il s'agit d'une étude rétrospective unicentrique descriptive s'étendant de janvier 2005 à décembre 2015. Grâce au relevé informatique, nous avons répertorié et analysé toutes les patientes de plus de 70 ans ayant bénéficié d'une reconstruction mammaire. Résultats > Cinq cent quatre-vingt-dix patientes ont subi une mastectomie totale sur la période. Vingt-huit patientes (4,7 %) ont bénéficié d'une reconstruction mammaire. Dix-neuf patientes (67,9 %) ont réalisé une reconstruction mammaire immédiate et 9 (32,1 %), une reconstruction mammaire différée avec un délai moyen de 2 ans. Seize patientes (57,1 %) ont bénéficié de la pose d'un expandeur remplacé par une prothèse définitive. Cinq patientes (17,9 %) ont bénéficié de la pose immédiate d'une prothèse. Six patientes (21,4 %) ont fait une reconstruction par lambeau autologue de grand dorsal et 1 patiente (3,6 %), par liporemodelage exclusif. Quatre patientes (14,3 %) ont présenté des complications postopératoires sans nécessité d'explantation de prothèse ou de perte de lambeau. Vingt patientes (71,4 %) ont eu une reconstruction jugée satisfaisante. Conclusion > La reconstruction mammaire chez les patientes âgées est possible. Des études complémentaires sont nécessaires pour définir les pratiques françaises.
tome 104 > n86 > juin 2017 http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2017.03.003 © 2017 Société Française du Cancer. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Breast reconstruction in elderly patients: Studies of the practices at institut Bergonié during 2005–2015 Introduction > The objective of our study is to describe the practices of breast reconstruction in patients aged 70 years and over undergoing a radical mastectomy at institut Bergonié. Material and methods > We performed a detailed single-site retrospective study from January 2005 to December 2015. Through a computerized review, we have identified and analyzed all patients aged 70 years and over who underwent a breast reconstruction. Results > Five hundred and ninety patients underwent a radical mastectomy during the period. Twenty-eight patients (4.7%) benefited from a breast reconstruction. Nineteen patients (67.9%) had an immediate breast reconstruction and 9 patients (32.1%) had a delayed breast reconstruction, within an average time of 2 years. Sixteen patients (57.1%) benefited from the insertion of an expander replaced by a permanent implant. Five patients (17.9%) benefited from the immediate placement of an implant. Six patients (21.4%) had a reconstruction by autologous latissimus dorsi flap and 1 patient (3.6%) by exclusive lipofilling. Four patients (14.3%) presented postoperative complications without the need for removal of an implant or flap loss. Twenty patients (71.4%) were satisfied with their final reconstruction. Conclusions > Breast reconstruction in elderly patients is possible. Further studies are needed to better describe French practices.
Introduction
Matériel et méthodes
Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent de la femme en France avec environ 50 000 nouveaux cas par an. Il s'agit d'une pathologie prédominant chez la femme âgée avec un âge médian au diagnostic estimé à 63 ans et au décès de 73 ans ; 650 000 femmes en France vivent actuellement avec un antécédent de cancer du sein [1,2]. Parmi l'ensemble de ces patientes, environ un tiers subira une mastectomie totale, le reste pouvant avoir un traitement conservateur [3,4]. L'âge de la population augmentant, le nombre de patientes âgées devant subir une mastectomie totale va augmenter. Malgré un taux important de mastectomie, en France, le taux de reconstruction mammaire chez les patientes, tout âge confondu, est de 22,9 % en 2011 [4]. D'après les données internationales, le taux de reconstruction mammaire varie de moins de 5 % à 85 % en fonction des régions. Sachant que de nombreuses études excluent les patientes de plus de 60–65 ans, ce taux est probablement plus bas chez les patientes âgées [5]. L'âge ne semble pas prévenir la souffrance psychologique associée au cancer et à ses traitements : peur de la mort, des séquelles physiques, etc. [6,7] même si la reconstruction mammaire est associée à une amélioration de la qualité de vie chez les patientes âgées [4,5,7–9]. Il n'existe pas de données spécifiques des pratiques de reconstruction mammaire chez les patientes âgées en France. Dans ce contexte, le but de notre étude est d'observer les pratiques de reconstruction mammaire chez les patientes âgées de plus de 70 ans prises en charge pour mastectomie totale à l'institut Bergonié.
Nous avons réalisé une étude rétrospective unicentrique descriptive à l'institut Bergonié, centre de recherche et de lutte contre le cancer de Bordeaux. Durant la période s'étendant de janvier 2005 à décembre 2015, grâce au relevé PMSI, nous avons répertorié toute patiente de plus de 70 ans ayant bénéficié d'une mastectomie totale et d'une chirurgie plastique de reconstruction. Afin d'être sûr de l'exhaustivité des patientes, nous avons étendu la recherche à toute opération de chirurgie plastique mammaire sur les patientes de plus de 70 ans. Nous avons inclus tous les carcinomes infiltrants, quel que soit le type, ainsi que les carcinomes canalaires in situ. La mastectomie pouvait avoir été réalisée avant 70 ans. Les critères d'exclusion ont été : une reconstruction mammaire avant l'âge de 70 ans, l'absence de reconstruction mammaire, une reconstruction sur un autre établissement. Les données colligées ont été : les antécédents personnels généraux et tumoraux, les antécédents de radiothérapie, le type de tumeur, l'âge lors de la mastectomie, l'âge lors de la reconstruction mammaire, la technique opératoire employée, les complications liées à la chirurgie, la nécessité de réaliser un geste de symétrisation controlatéral, et le résultat esthétique. Les différentes données ont été récupérées par examen des dossiers informatiques des différentes patientes. Le résultat esthétique a été jugé par les patientes en discussion avec le chirurgien en consultation. Mastectomie totale et reconstruction mammaire étaient réalisées par plasticiens et gynécologues de manière indifférente. Le même praticien réalisait à la fois mastectomie et reconstruction.
tome 104 > n86 > juin 2017
509
Keywords Breast Reconstruction Elderly
Article original
Reconstruction mammaire chez les patientes âgées : études des pratiques de l'institut Bergonié 2005–2015
Article original
G. Babin, J. Commeny, M. Fournier, A. Rousvoal, Y. Kabbani, M. Debled, et al.
Nous avons pris pour limite d'âge 70 ans, car cela correspond à l'âge généralement considéré comme « âgé » dans les études oncologiques, même si la plupart des études de chirurgie plastique excluent les patientes de plus de 65 ans.
Résultats Les caractéristiques des patientes sont résumées sur le tableau I. Sur la période de janvier 2005 à décembre 2015, 590 patientes de plus de 70 ans ont subi une mastectomie totale (figure 1). Parmi ces 590 patientes, 73 patientes (12,4 %) ont bénéficié de chirurgie à visée esthétique : 28 (4,7 %) pour des reconstructions mammaires initiales ou secondaires, 34 (5,9 %) pour des opérations de chirurgie esthétique sur des prothèses antérieurement posées (changement de prothèse, ablation, liporemodelage de cicatrice. . .), 5 patientes pour des réductions mammaires controlatérales après traitement radical sans reconstruction, 5 pour des reprises de cicatrices disgracieuses ou d'excédents cutanés, et 1 pour plastie du mamelon après PAMectomie sans mastectomie totale (figure 2).
Délai de reconstruction L'âge moyen lors de la mastectomie est de 72 ans et celui lors de la reconstruction, de 73 ans. Dix-neuf patientes (67,9 %) ont réalisé une reconstruction mammaire immédiate et 9 (32,1 %), une reconstruction mammaire différée. Lorsqu'elle était différée, la reconstruction était réalisée en moyenne au bout de 2 années pour 8 patientes, avec une patiente ayant réalisé sa reconstruction au bout de 15 ans. Dans l'ensemble, les patientes présentaient en moyenne 1 comorbidité.
Causes de la mastectomie totale Pour 11 patientes (39,3 %), la mastectomie était le fait d'une rechute. Toutes ces patientes avaient déjà reçu de la
radiothérapie. Trois patientes présentaient une récidive de CCIS et 8, de carcinome infiltrant. Sept patientes ont réalisé une reconstruction immédiate et 4 une reconstruction différée. Dix-sept patientes (60,7 %) ont subi une mastectomie d'emblée, 6 pour un CCIS étendu et 11 pour un carcinome infiltrant. Douze patientes ont réalisé une reconstruction immédiate et 5, une reconstruction différée (figure 3).
Technique opératoire Les reconstructions mammaires ont été réalisées dans 21 cas (75,0 %) par des chirurgiens gynécologues, et dans 7 cas (25,0 %) par des chirurgiens plasticiens. Seize patientes (57,1 %) ont bénéficié de la pose d'un expandeur remplacé par une prothèse définitive. Cinq patientes (17,9 %) ont bénéficié de la pose immédiate d'une prothèse. Six patientes (21,4 %) ont fait une reconstruction par lambeau autologue de grand dorsal et 1 patiente (3,6 %), par liporemodelage exclusif. Huit patientes (28,6 %) ont réalisé des liporemodelages secondaire après une première technique. Cinq patientes (17,9 %) sont allées jusqu'à la reconstruction du mamelon. Huit patientes (28,6 %) ont réalisé une symétrisation controlatérale à la reconstruction (figure 4).
Résultats postopératoires Quatre patientes (14,3 %) ont présenté des complications postopératoires sans nécessité d'explantation de prothèse ou de perte de lambeau, à type de douleur, de nécrose partielle de lambeau ou d'infection cutanée. Toutes ces patientes ont été satisfaites a posteriori de leur reconstruction. Vingt patientes (71,4 %) ont eu une reconstruction jugée satisfaisante d'un point de vue esthétique, 8 patientes (28,6 %) n'étaient pas satisfaites de leur reconstruction : une patiente, du fait d'excédents cutanés ayant nécessité de multiples reprises opératoires
70 60 50 40 mastectomie
30
reconstrucon mammaire 20 10 0 2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Figure 1
510
Répartition du nombre de mastectomie totale en fonction des années
tome 104 > n86 > juin 2017
Données des patientes Atcd med
Type de cancer
Rechute
Atcd chir mammaire
Atcd radioth
Âge mastec
Âge recon
Délais recon
Type reconstruction
Sym controlat
Complications
Résultat
CCI
Oui
Oui
Oui
60
75
15
Expandeur puis prothèse puis mamelon
Oui
Non
Satisfaisant
RAS
CCI multifocal
Non
Non
Non
67
71
4
Expandeur puis prothèse
Non
Non
Satisfaisant
Hypothyroïdie
CCI G2 pT2m
Non
Non
Non
69
70
1
Grand dorsal + prothèse puis lipomodelage
Non
Hématome postop
Satisfaisant
RAS
CLI multifocal
Non
Non
Oui
70
72
2
Prothèse
Non
Non
Déplacement externe
CCIS homolat, extra syst auric
CCIS
Oui
Oui
Oui
70
70
0
Expandeur puis prothèse
Non
Non
Satisfaisant
Atopie, dépression
CCIS multifocal
Non
Non
Non
70
70
0
Grand dorsal + prothèse puis lipomodelage
Non
Non
Satisfaisant
CCI G2
Non
Non
Non
70
70
0
prothèse puis mamelon
Oui
Non
Satisfaisant
Péritonite, allergies
CCI G2 multifocal
Non
Non
Non
71
71
0
Expandeur puis prothèse
Non
Non
Asymétrie persistante
CCI micro-infiltrant homolat
CCI micro-infiltrant
Oui
Oui
Oui
71
72
1
Expandeur puis prothèse
Oui
Non
Multiples reprises
HTA, hypothyroïdie, CCIS homolat
CCI G2
Oui
Oui
Oui
71
71
0
Grand dorsal puis liporemodelage
Non
Douleurs dorsales
Satisfaisant
Asthme, HTA
CCI
Oui
Oui
Oui
71
74
3
Lipomodelage exclusif (3 séances)
Oui
Infection
Satisfaisant
CCI controlat, CCIS homolat
CCIS
Oui
Oui
Oui
71
73
2
Expandeur puis prothèse
Non
Non
Satisfaisant
CCI G1 multifocal
Non
Non
Non
71
71
0
Expandeur puis prothèse puis lipomodelage
Non
Non
Satisfaisant
CCI
Oui
Oui
Oui
71
71
0
Grand dorsal et prothèse
Non
Non
Satisfaisant
CCI G1 multifocal
Non
Non
Non
71
71
0
Prothèse puis mamelon
Non
Non
Satisfaisant
CCIS
Non
Non
Non
71
71
0
Expandeur puis prothèse puis lipomodelage puis mamelon
Oui
Non
Satisfaisant
CCI G3
Oui
Oui
Oui
71
71
0
Grand dorsal + prothèse puis lipomodelage puis mamelon
Oui
Non
Satisfaisant
CCIS
Oui
Oui
Oui
72
72
0
Expandeur puis prothèse puis mamelon
Non
Non
Satisfaisant
Diabète, cholestérol
Mastec/RMI controlat
RAS CCI homolat, occlusion sur bride Tachycardie Dépression, HTA, hypothyroïdie FA, AVC CCIS + CLI homolat, HTA
511
Article original
Reconstruction mammaire chez les patientes âgées : études des pratiques de l'institut Bergonié 2005–2015
tome 104 > n86 > juin 2017
TABLEAU I
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Article original
Atcd med
Type de cancer
Rechute
Atcd chir mammaire
Atcd radioth
Âge mastec
Âge recon
Délais recon
Type reconstruction
Sym controlat
Complications
Résultat
Mucineux
Oui
Oui
Oui
73
73
0
Expandeur puis prothèse
Non
Non
Asymétrie persistante
RGO, CCI homolat
CCI multifocal
Oui
Oui
Oui
73
73
0
Grand dorsal autologue
Non
Nécrose partielle
Satisfaisant
CCI controlat
CCI G3 pT1cm
Non
Oui, controlat
Non
74
74
0
Expandeur puis prothèse puis lipomodelage
Non
Non
Asymétrie persistante
HTA
CCIS
Non
Non
Non
74
74
0
Expandeur puis prothèse
Oui
Non
Asymétrie persistante
HTA
CLI G1
Non
Non
Non
74
76
2
Prothèse
Non
Non
Douleurs, asymétrie
HTA, cholestérol
CCIS
Non
Non
Non
74
74
0
Expandeur puis prothèse
Oui
Non
Satisfaisant
HTA, cholestérol
CCIS
Non
Non
Non
75
75
0
Expandeur puis prothèse et lipomodelage
Non
Non
Satisfaisant
CCI bilat
Non
Non
Non
77
77
0
Expandeur puis prothèse
Non
Non
Satisfaisant
AVC, polyart rhuma
CCI
Non
Non
Non
77
78
1
Prothèse puis mamelon
Non
Non
Satisfaisant
HTA
CCIS
Non
Non
Non
80
80
0
Expandeur puis prothèse
Non
Non
Inesthétique
Carcinome mucineux, HTA, glaucome
HTA
atcd : antécédents ; med : médicaux ; chir : chirurgie ; radioth : radiothérapie ; mastec : mastectomie ; recon : reconstruction ; sym controlat : symétrisation controlatérale.
G. Babin, J. Commeny, M. Fournier, A. Rousvoal, Y. Kabbani, M. Debled, et al.
TABLEAU I (Suite).
tome 104 > n86 > juin 2017
Article original
Reconstruction mammaire chez les patientes âgées : études des pratiques de l'institut Bergonié 2005–2015
16 expandeurs remplacés par prothèses
5 prothèses définives immédiates 28 reconstrucons 1 hématome post op 6 lambeaux de grand dorsal
1 douleurs dorsales 1 nécrose parelle
1 liporemodelage exclusif
1 infecon post op
Figure 4 Technique opératoire et complications
Discussion Figure 2 Diagramme de flux de la population
avec persistance d'une asymétrie par rapport au sein restant et un sillon reconstruit plus bas ; une patiente du fait d'indurations cicatricielles persistantes. Elle n'a pas souhaité de geste de retouche. Six patientes présentaient une asymétrie de forme et de texture les rendant insatisfaites avec généralement un sein plus petit et une coque Baker 3 dans deux cas. Trois d'entre elles ont bénéficié d'une reprise chirurgicale (lipomodelage/ changement de prothèse) sans amélioration de la satisfaction.
Dans notre étude, seules 4,7 % des patientes de plus de 70 ans traitées par mastectomie totale ont bénéficié d'une reconstruction mammaire. Il s'agit de la plus grosse série française de reconstruction mammaire en gériatrie. Ces données sont concordantes avec la revue de la littérature réalisée par Oh et al. dans laquelle le taux de reconstruction moyen chez des patientes de plus de 60 ans est de 6,1 % [5]. Ces taux sont encore plus faibles lorsque l'on prend les catégories d'âge supérieures à 70 ans avec des taux variant de 0,3 à 12 % concernant les patientes de plus de 70 ans [5]. Il semblerait donc que le taux dans notre service soit relativement élevé pour cette population, probablement lié au fait du bon état général de ces patientes, d'une part, et d'autre part, le fait que l'institut Bergonié est un centre de sénologie avec des praticiens spécialisés dans cette chirurgie
Figure 3
tome 104 > n86 > juin 2017
513
Causes et type de reconstruction mammaire
514
Article original
G. Babin, J. Commeny, M. Fournier, A. Rousvoal, Y. Kabbani, M. Debled, et al.
et proposant peut-être plus facilement une reconstruction mammaire par rapport à un centre de chirurgie générale. La technique de prédilection pour ces patientes, semble avoir été la prothèse mammaire, avec 21 patientes (75 %) ayant eu recourt à cette méthode. Nous n'avons pas trouvé de données spécifiques des techniques opératoires utilisées pour la reconstruction mammaire en fonction des tranches d'âge dans la population française. Les études montrent un taux de reconstruction par prothèse chez les patientes de plus de 60 ans variant de 31,0 % à 63,3 % [5]. Par comparaison, le taux de reconstruction par lambeau était de 6 patientes, (21,4 %) dans notre étude, avec l'utilisation exclusive du lambeau de grand dorsal. Le taux de reconstruction par lambeau varie de 36 % à plus de 70 % dans la littérature avec une prédilection pour les DIEP et les TRAM, le lambeau de grand dorsal étant moins représenté [5]. Un âge augmentant est associé à une augmentation du taux de lambeau autologue [10,11]. Cette différence peut s'expliquer par des habitudes de centre, l'institut Bergonié ne faisant que peu de reconstruction par DIEP du fait de la lourdeur du geste opératoire, alors que la méta-analyse de Oh et al. comprend essentiellement des études américaines où la reconstruction par DIEP est réalisée depuis plus longtemps et de manière plus disséminée. Le taux de complication a été faible, 14,3 %, mais n'a pas nécessité d'explantation de prothèse ou d'exérèse de lambeau. Ce taux reste sensiblement équivalent à celui de patientes de plus jeune âge, avec des taux variant entre 11 % et 50 % dans la littérature [5,10,11]. Ces complications concernaient uniquement les reconstructions par lambeau ou lipomodelage et n'ont pas influé sur la satisfaction des patientes. La durée d'hospitalisation varie de 4 à 7 jours dans la littérature mais n'est pas comparée à celle des patientes jeunes [7]. Ensuite, le nombre moyen de comorbidité était de 1 pour des patientes de plus de 70 ans. Ces taux faibles de complication peuvent s'expliquer par une population probablement très sélectionnée de patientes âgées en bon état général et motivée par la réalisation d'une reconstruction mammaire. Une analyse préopératoire rigoureuse permet de sélectionner ces patientes pouvant bénéficier d'une reconstruction même si les analyses recommandées ne sont pas encore définies [7]. Enfin, le taux de satisfaction des patientes atteignait 71,4 %. Ces résultats sont similaires à ceux de la littérature, où 70 % des patientes sont satisfaites et 90 % des patientes referaient le même traitement et le recommanderaient quel que soit l'âge des patientes [5,8]. Les scores de qualité de vie montrent une amélioration de la qualité de vie par la reconstruction mammaire avec des scores Breast-Q d'environ 70 contre 56 chez les patientes non reconstruites, p = 0,002 dans une population de plus de 65 ans [12]. Ce taux de satisfaction ne diminue pas avec l'âge [12]. L'ensemble des patientes insatisfaites ont eu une reconstruction par prothèse. Cela peut s'expliquer par le fait que lambeau ou lipomodelage se rapprochent plus de l'aspect d'un
sein naturel d'une patiente âgée, ce qui n'est pas le cas d'une prothèse. Lorsque l'on s'intéresse aux raisons pour lesquelles une patiente ne sera pas reconstruite, on se rend compte qu'en cas de cancer invasif, l'odd ratio d'une reconstruction entre une femme de plus de 50 ans et une de moins de 35 ans est de 0,22 (0,11– 0,44) ; p < 0,001 [4]. Un âge inférieur à 50 ans est associé à une augmentation du taux de reconstruction par un facteur de 4,3 [13]. De même, cette probabilité de reconstruction diminue avec l'augmentation du score ASA, de l'utilisation du tabac, du caractère métastatique de la tumeur, des antécédents de radiothérapie [4]. En absence de raison médicale, il existe une véritable défiance des médecins vis-à-vis de la reconstruction mammaire chez les patientes âgées et de la prise en charge oncogériatrique en général, par rapport aux patientes jeunes. Cette stigmatisation explique en partie les retards de reconstruction chez les patientes âgées [14]. En cas d'absence de reconstruction, la principale raison invoquée par les patientes est l'absence de désir de subir de nouvelles interventions chirurgicales. L'âge n'est en lui-même, pas mentionné par les patientes comme cause d'absence de reconstruction. Cependant, la probabilité de réaliser une reconstruction diminue de 3 % par année d'âge [15].
Conclusion Notre étude semble conforter les données de la littérature concernant la reconstruction mammaire chez les patientes âgées : l'âge est en soit un facteur qui diminue la probabilité des patientes de se voir offrir une reconstruction malgré un bénéfice en termes de qualité de vie constant par rapport à une population jeune. L'âge ne doit pas être en soit une contreindication à une reconstruction mammaire. Une reconstruction, proposée à des patientes âgées sélectionnées, ne présente pas plus de risque que chez des patientes jeunes. La discussion entre chirurgien et patiente reste un élément central de la décision de reconstruction mammaire. La principale différence que notre étude semblerait mettre en lumière est sur les techniques de reconstruction. Notre centre réalise de manière préférentielle la pose de prothèses en comparaison des études anglo-saxonnes. Cette technique doit être adaptée à la morphologie et à l'état général de la patiente afin de diminuer la morbidité associée au geste chirurgical. Il serait intéressant de réaliser une étude nationale afin d'évaluer les pratiques de reconstruction chez ce type de patiente en France. Remerciements : nous remercions R. Nookala pour la relecture du résumé du manuscrit. Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
tome 104 > n86 > juin 2017
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Références
Article original
Reconstruction mammaire chez les patientes âgées : études des pratiques de l'institut Bergonié 2005–2015