Réorganisation structurale et fonctionnelle du système nerveux central pendant la période néonatale : un enjeu majeur du développement de la nociception

Réorganisation structurale et fonctionnelle du système nerveux central pendant la période néonatale : un enjeu majeur du développement de la nociception

Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, S14—S17 RÉTROSPECTIVE DE LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR DEPUIS DIX ANS Réorganisation str...

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, S14—S17

RÉTROSPECTIVE DE LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR DEPUIS DIX ANS

Réorganisation structurale et fonctionnelle du système nerveux central pendant la période néonatale : un enjeu majeur du développement de la nociception Structural and functional reorganization of the central nervous system during the neonatal period: A major issue for the development of nociception Jean-Pierre Alibeu Centre de la douleur de l’adulte et de l’enfant, pôle anesthésie réanimation, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09, France Disponible sur Internet le 30 janvier 2009

MOTS CLÉS Douleur de l’enfant ; Neurobiologie ; Neurotrophines ; Mémoire de la douleur

KEYWORDS Pain in children; Neurobiology;

Résumé La revue des circuits, synapses et molécules impliquées dans le processus douloureux chez le nouveau-né, et leur évolution dans le temps à partir de la période embryonnaire permet d’apporter quelques éléments de réflexion sur les modifications que peut induire l’expérience précoce de la douleur au cours de la période néonatale où la plasticité neuronale est grande. Ces modifications sous l’effet de stimuli douloureux mal pris en compte peuvent avoir une répercussion sur le vécu de la douleur jusqu’à l’âge adulte. À partir d’une revue très documentée de la littérature par Debie Alvares et Maria Fitzgerald, il est possible de comprendre l’enjeu de la prise en charge et de la prévention de la douleur à la période néonatale et chez l’enfant. Cette prise de conscience a induit au début du siècle l’émergence de nombreux travaux tendant à évaluer, prévenir et traiter la douleur dès le plus jeune âge et en toutes circonstances. © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

Summary A review of the circuits, synapses, and molecules implicated in the process of pain in the newborn, and their evolution over time starting from the embryonic period, offers several elements for reflection concerning the modifications which can be induced by an early experience of pain during the neonatal period when neuronal plasticity is particularly important.

Adresse e-mail : [email protected]. 1624-5687/$ — see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.douler.2008.12.003

Réorganisation néonatale du système nerveux central

Neurotrophins; Memory of pain

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These rarely considered pain-stimuli-related modifications can have an impact on the way the individual lives an experience of pain during adulthood. Starting with a very extensive review of the literature published by Debie Alvares and Maria Fitzgerald, one can better understand the importance of managing and preventing pain in the infant and young child. Awareness of this problematic has led to several studies devoted to evaluating, preventing and treating pain in infants, irrespective of the clinical context. © 2009 Published by Elsevier Masson SAS.

Introduction L’importance de la compréhension des mécanismes de la douleur, particulièrement au niveau moléculaire, a été pressentie dès 1979 par Patrick Wall [1] : il décrivait la douleur comme un signe vital au même titre que la faim ou la soif, et non comme une simple expérience sensorielle, pouvant induire des réponses adaptatives prolongées du système nerveux. Depuis, les progrès dans la compréhension des mécanismes de la douleur ont permis de repérer des altérations des gènes associés aux lésions tissulaires, validant son intuition. C’est le mérite de Maria Fitzgerald et son équipe d’avoir démontré que les circuits, synapses et molécules impliqués dans la douleur néonatale ne sont pas uniquement là pour déclencher la restauration des structures mais vont surtout concourir au développement d’un système nerveux mature. Cette prise de conscience depuis maintenant une dizaine d’années fut d’une importance considérable pour le développement de la prise en charge de la douleur de l’enfant.

La mise en place de la biologie de la douleur Debie Alvares et Maria Fitzgerald [2] abordent dans cette revue les neurotrophines et leurs récepteurs, les neurotransmetteurs et leurs récepteurs, les nouveaux canaux ioniques ; tout cela sous l’angle de la maturation des molécules clés en rapport avec le développement de la douleur, comme un processus prévisible et immuable. Depuis la phase embryonnaire, en passant par la période néonatale et jusqu’à l’adulte sain où après axotomie. Les neurotrophines ont un rôle primordial au sein des molécules régulant le développement de la douleur et des neurones sensitifs. L’évolution des neurotrophines et de leurs récepteurs a montré leur importance dans le développement somatosensoriel et la réponse du système nerveux aux lésions tissulaires. Elles jouent un rôle dans la survie des nocicepteurs, la croissance axonale, la densité de l’innervation des nocicepteurs cutanés (NGF e BDNF), la sensibilisation des nocicepteurs périphériques. Le rôle des neurotrophines dépend du stade fonctionnel que l’on considère. La distribution des récepteurs neurotrophiniques se modifie au cours du développement. On arrive à détecter le NGF au niveau des cibles périphériques après l’arrivée des récepteurs cuta-

nés, indépendamment de l’innervation. La neurturine, de la famille des GDNF, qui favorise la survie des cellules du DRG, est au maximum à la fin de la vie embryonnaire et à la phase précoce du développement postnatal. La distribution des récepteurs neurotrophiniques change au décours du développement. Le récepteur neurotrophinique ∼75 est très présent de E1 à E12 chez le rat au niveau médullaire ; son expression diminue ensuite jusqu’à l’âge adulte. Dans la période fœtale précoce, le ∼75 est impliqué dans la survie neuronale avec le NGF. Chez le nouveau-né, il est présent au niveau de la moelle ventrale et dorsale, puis se réduit à la lamina I. Il est à noter que la genèse des neurones de projection de la lamina I est terminée avant les circuits locaux d’interneurones, donc avant l’apparition des circuits de modulation de la douleur. Le système nerveux en développement est plus vulnérable à une lésion périphérique qu’à l’âge adulte, à cause de sa grande dépendance aux signaux rétrogrades. La section où la ligature du nerf sciatique provoque une mort plus étendue et rapide de 75 % des neurones du DRG chez le rat nouveau-né, comparée aux 30 % chez l’adulte. Chez le nouveau-né, 50 % des neurones moteurs et sensitifs meurent après une lésion périphérique ; le NGF et le GDNF peuvent temporairement prévenir la perte neuronale au niveau du DRG après une axotomie néonatale. Le rôle du glutamate dans les voies excitatrices de la douleur est bien établi : les fonctionnements synaptiques glutamatergiques maturent durant le développement, induisant des changements au niveau des récepteurs NMDA et la formation de synapses silencieuses qui deviennent activables par la voie des récepteurs AMPA. L’expression des récepteurs AMPA est plus largement distribuée dans la moelle du nouveau-né que chez l’adulte. Tout cela est en faveur d’un fonctionnement coordonné pouvant s’adapter et être modifié par l’expérience douloureuse néonatale. La moelle épinière néonatale présente une concentration élevée de récepteurs NMDA dans la substance grise ; on observe aussi un réarrangement considérable des sousunités des récepteurs NMDA au cours de la maturation médullaire, qui apparaît activité-dépendant. La régulation des récepteurs NMDA est particulièrement impliquée dans l’expression des récepteurs opioïdes qui jouent un rôle sur les mécanismes analgésiques chez le nouveau-né. La régulation des neurotrophines est également reliée aux besoins développementaux. La baisse de l’expression du trkA dans le DRG postnatal reflète un déclin de la dépendance des nocicepteurs sur les cibles dérivées du NGF pour survivre. Cela signifie aussi que les nocicepteurs

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J.-P. Alibeu

néonataux sont bien plus susceptibles d’altérations après lésion que les nocicepteurs adultes. L’expression des récepteurs métabotropiques est aussi régulée pour son propre compte durant le développement. On ne peut les évoquer tous. L’importance de la substance P et des récepteurs NK-1 dans le processus de la douleur est bien établie. Les tachykinines modulent les récepteurs NK-1, NK-2 et NK-3 qui se lient respectivement à SP, NKA et NKB. Le pourcentage de cellules exprimant CGRP, SP et glutamate dans le DRG augmente avec l’âge dans la période néonatale. Le VIP est retrouvé dans les petites fibres du DRG. La densité des récepteurs de la substance P est maximale dans les premières semaines postnatales. L’expression du 5-HT apparaît plus tard que les autres neurotransmetteurs. Mais dans la période postnatale, il y a une surexpression transitoire du 5-HT au niveau de la moelle épinière. Le 5-HT et ses transporteurs sont impliqués dans la synaptogénèse périphérique [3]. Concernant les opioïdes, il semble évident que les systèmes opioïdergiques endogènes contribuent au fonctionnement des mécanismes de l’analgésie dans la période postnatale précoce, avec d’importantes différences de sensibilité et de sélectivité par rapport à l’adulte. On pourrait évoquer également le rôle particulier précoce des canabinoïdes, du GABA dont l’amino-acide inhibiteur joue un rôle crucial pour éviter le déploiement de l’activité excitatrice glutamatergique, les divers canaux ioniques impliqués et notamment le canal sodique TTXrésistant qui régule l’hyperexcitabilité neuronale : présent dès l’âge embryonnaire, il pourrait être responsable du déclenchement de la douleur chronique chez l’adulte [4].

Discussion Cette revue très dense démontre que la maturation des molécules clés du développement de la douleur correspond à un processus prévisible et clair. La régulation de ces molécules est conduite par les besoins développementaux et cela va inévitablement avoir un impact sur la capacité de l’organisme à signaler la douleur. Par exemple, dans la moelle épinière de nombreux neurotransmetteurs sont sur régulés en période néonatale puis déclinent vers des niveaux plus bas d’expression à l’âge adulte. Les hauts niveaux d’expression chez le nouveau-né peuvent partiellement compenser les bas niveaux des ligants, mais il y a des différences dans la distribution, l’expression et la fonction des subtypes qui reflètent le rôle des neurotransmetteurs comme des signaux développementaux pour la formation et l’élimination des synapses. Cela signifie que les propriétés de signaling diffèrent de celles de l’adulte. Le phénotype neuronal est gouverné par l’activité des neurones durant la vie embryonnaire et néonatale. Cette activité et le développement de sa régulation médiée par les canaux ioniques régulent la transmission de la douleur

néonatale, particulièrement en cas de dommage nerveux et tissulaire, ce qui est encore en cours d’exploration actuellement. Un dommage infligé précocement au système nerveux immature conduit inévitablement à une altération durable de la nociception. La douleur chez l’enfant a longtemps été sous-estimée, voire niée et donc mal comprise et mal traitée. On a commencé à comprendre dans les années 1990 sa réalité et le rôle majeur qu’elle pouvait jouer sur un système nociceptif en plein développement, dont la grande plasticité activité-dépendante pouvait conditionner gravement la perception douloureuse future. Cette revue fut la première à faire le point sur la réalité de la douleur de l’enfant, de manière définitive et incontestable. Ce fut le point de départ d’une dynamique universelle de prise en compte de la douleur dans les milieux pédiatriques : plusieurs axes de recherche et de développement virent ainsi le jour : évaluation de la douleur, utilisation des morphiniques, prévention de la douleur procédurale y compris en néonatologie, migraine et céphalées, algodystrophie de l’enfant et de l’adolescent. Dès 1996, KJS Anand [5] avait déjà pressenti l’impact de la prise en charge de la douleur néonatale sur le développement futur de l’enfant et de l’adolescent et son retentissement sur la stabilité psychique. En 2001, l’Anaes a fait la synthèse des méthodes d’évaluation de la douleur de l’enfant, et proposé des méthodes simples, précises et fiables [6]. Dans le même temps, R Carbajal développait des techniques de prévention de la douleur procédurale par l’utilisation du sucre, du contact maternel, de la succion chez le nouveau-né et le nourrisson [3,5]. L’utilisation d’un mélange oxygène protoxyde d’azote (Kalinox® ) s’est répandue [7], de même que l’application de crème Emla® sur les zones abordées (prélèvements sanguins, petites interventions, soins de plaies et d’escarres). Daniel Annequin a eu le mérite de montrer que la migraine de l’enfant était une réalité et créé une première consultation spécifique [8]. De nombreux auteurs ont prôné la prise en compte la douleur en néonatologie, et développé des échelles spécifiques [5,9,10], concernant l’anesthésie, la réanimation, les urgences. L’industrie pharmaceutique, sous la pression des spécialistes, a développé une galénique antalgique enfin adaptée à l’enfant. C’est donc une dynamique très active qui s’est développée à partir de cette prise de conscience de la réalité de la douleur de l’enfant dès son plus jeune âge et de l’importance d’une prise en charge précoce.

Conclusion La douleur est un phénomène complexe qui prend sa source dans une construction très précoce, embryonnaire, néonatale, permanente. La prise en compte de ce qui construit la douleur dès le plus jeune âge est un enjeu qui a été compris vers la fin des années 1990. La revue du développement et de la régulation des molécules impliquées dans la neuromodulation de la douleur fournit quelques éléments de réflexion sur le rôle de l’expérience précoce de la douleur au cours de la période néonatale de grande plasticité neuronale. Il semble clair que la mise en place d’un sys-

Réorganisation néonatale du système nerveux central tème nerveux nociceptif fonctionnel peut être modifiée par l’expérience vécue d’agressions ou de lésions nociceptives stimulant la réactivité des systèmes impliqués, de fac ¸on durable et peut-être irréversible. C’est en ce sens que l’on peut parler de mémoire de la douleur, une expérience dans la petite enfance pouvant faire résonner de manière inappropriée et excessive une douleur vécue à l’âge adulte.

Références [1] Wall PD. On the relation of injury to pain. The John J. Bonica Lecture. Pain 1979;6:253—64. [2] Alvares D, Fitzgerald M. Building blocks of pain: the regulation of key molecules in spinal sensory neurones during development and following peripheral axotomy. Pain Suppl 1999;6:S71—85. [3] Anand KJS, Hall R, Desai N, Shephard B, Bergqvist LL, Young TE, et al. For the NEOPAIN trial investigators group. Effects of morphine analgesia in ventilated preterm neonates: primary outcomes from the NEOPAIN randomised trial. Lancet 2004;363:1673—82. [4] Cahana A, Jones D. La neurobiologie de la chronicisation de la douleur chez l’enfant : la mémoire de la douleur et la douleur de la mémoire. AFAR 2007;26:540—5. [5] Anand KJS. International evidence-based group for neonatal pain. Consensus statement for the prevention of pain in the newborn. Arch Pediatr Adolesc Med 2001;155:173—80.

S17 [6] Gauvain-Piquard A, Durocher A. Direction Générale de la Santé. Évaluation et stratégies de prise en charge de la douleur aiguë en ambulatoire chez l’enfant de 1 mois à 15 ans. ANAES 2000:26. [7] Gall O, Annequin D, Benoit G, Van Glabeke E, Vrancea F, Murat I. Adverse events of premixed nitrous oxide and oxygen for procedural sedation in children. Lancet 2001;358: 1514—5. [8] Annequin D, Tourniaire B, Massiou H. Migraine and headache in childhood and adolescence. Pediatr Clin North Am 2000;47:617—31. [9] Société Canadienne de Pédiatrie, Comité d’étude du fœtus et du nouveau-né. La prévention et la prise en charge de la douleur et du stress chez le nouveau-né. Paediatr Child Health 2000;5:39—47. [10] Zempsky WT, Cravero JP, the Committee on Pediatric Emergency Medicine and Section on Anesthesiology and Pain Medicine. Relief of Pain and Anxiety in Pediatric Patients in Emergency Medical Systems. Pediatrics 2004;114: 1348—56.

Pour en savoir plus Hansson SR, Cabrera-Vera TM, Hoffman BJ. Intraorbital nerve transection alters serotonin transporter expression in sensory pathway in early postnatal rat development. Dev Brain Res 1998;111:305—14. Liebskind JC. Pain can kill. Pain 1991;44:3—4.