Le Praticien en anesthésie réanimation (2010) 14, 43—47
NOTE TECHNIQUE
Le « Stress DetectorTM » : un moniteur du stress et de la nociception ‘‘Stress DetectorTM ’’: A monitor of stress and nociception Philippe Mavoungou CLCC Nantes—Atlantique, centre René-Gauducheau, boulevard Jacques-Monod, 44805 Nantes—Saint-Herblain cedex, France Disponible sur Internet le 6 mars 2010
MOTS CLÉS Système nerveux sympathique ; Douleur ; Conductance cutanée
KEYWORDS Sympathetic nervous system; Pain; Skin conductance
Résumé Les stimulations nociceptives provoquent une activation du système nerveux sympathique qui se traduit par une augmentation de l’activité des glandes sudoripares. Celle-ci provoque à son tour une augmentation transitoire de la conductance cutanée qui peut être mesurée et permet d’évaluer notamment l’importance et la fréquence des stimulations nociceptives chez les sujets peu communicants. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Nociceptive stimuli increase sympathetic nervous system activity, which releases acetylcholine that acts on muscarinic receptors causing sweating and increasing skin conductance. The increase in skin conductance is related to the rate and the intensity of nociceptive stimuli and can be measured to evaluate pain in non communicative patients. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Chez le sujet éveillé, l’évaluation de la douleur fait appel à des méthodes subjectives : les échelles verbales, visuelles analogiques et numériques. Dans de nombreuses circonstances, une évaluation « objective » de la nociception serait souhaitable, mais reste imparfaite.
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[email protected]. 1279-7960/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2010.01.006
44 Un des modes d’évaluation pourrait être basé sur l’activation du système nerveux autonome sympathique provoqué par les stimulations nociceptives. La complexité du système nerveux autonome rend peu spécifique certaines de ces manifestations ainsi que les évaluations qui en découlent, soit à cause de la double innervation sympathique et parasympathique de certains organes cibles, soit à cause de l’activation sélective de certains éléments du système niveau sympathique [1]. Ainsi, l’importance des stimulations nociceptives est évaluée sur la base : • de modifications cardiovasculaires : classiquement par les variations de fréquence cardiaque et la pression artérielle mais avec peu de spécificité, de fac ¸on isolée, ou dans des algorithmes qui intègrent ces composantes, analysent leurs variabilités ; • des variations de la microcirculation sans spécificité ; • des variations du diamètre pupillaire au cours de la pupillométrie, cette méthode perd malheureusement de son intérêt du fait de l’utilisation de certains agents anesthésiques. De plus, la mesure continue nécessite de garder l’œil ouvert et expose alors au risque de lésion oculaire iatrogène ; • des signaux du système nerveux central : électroencéphalogramme et potentiels évoqués auditifs et somesthésiques, n’ont pas fait leur preuve. Les processus sous-corticaux en jeu lors de la nociception sont mal évalués par l’électroencéphalogramme de surface. La composante électromyographique du signal EEG est aussi proposée pour évaluer la nociception. Les réactions d’éveil sur l’EEG qui accompagnent des variations hémodynamiques sont considérées a posteriori comme des réactions de nociception, et peuvent guider les choix thérapeutiques [2] ; • les glandes sudoripares sont les seuls organes disposant d’une innervation provenant exclusivement du système nerveux sympathique. Elles offrent donc des conditions intéressantes pour le monitorage de l’activation du système sympathique au cours des stress et de la nociception. L’augmentation des sécrétions des glandes sudoripares, conséquence de l’activation du système sympathique au cours d’un stress, modifie les propriétés électriques de la peau en particulier dans les zones riches en glandes sudoripares : la paume de la main et la plante des pieds. Cette propriété est connue sous le nom d’activité électrodermale, de réponse galvanique cutanée, d’impédance cutanée, de conductance cutané [3]. Cet article présente le Stress DetectorTM (Medstorm® ), un des moniteurs de stress et de nociception basé sur la mesure des variations de la conductance cutanée.
Bases physiologiques du moniteur Stress DetectorTM Des stimuli internes ou externes peuvent générer des réactions de stress. Le système nerveux sympathique est alors activé. Son activation entraîne une augmentation de la sécrétion des glandes sudoripares en particulier sur la paume de la main et la plante des pieds qui fait varier la résistance cutanée ou, son inverse, la conductance locale qui
P. Mavoungou augmente alors transitoirement. Cette sécrétion est rapidement absorbée et la résistance électrique de la peau augmente à nouveau tandis que la conductance diminue. La variation de la conductance est proportionnelle à l’intensité de la stimulation du système sympathique, la fréquence des pics témoignent de l’importance et de la persistance du stress et de la nociception. Le neurone préganglionnaire est noradrénergique alors que le neurone terminal est cholinergique et agit sur des récepteurs muscariniques. Ces récepteurs ne réagissent donc pas aux curares plutôt actifs sur les récepteurs nicotiniques. Une corrélation entre l’activation par des stimulations nociceptives de zones sous-corticales et les variations simultanées de conductance cutanée a été mise en évidence en IRM fonctionnelle [4]. La réactivité de la conductance cutanée est rapide avec une très légère différence selon que la mesure se fait sur la paume de la main ou la plante des pieds [3]. La plante des pieds est utilisée comme site de mesure, surtout en néonatologie.
Aspects techniques Les aspects techniques sont comme suit : • la conductance est l’inverse de l’impédance. Si l’impédance se mesure en Ohm, la conductance se mesure en Siemens ; • électrodes : les électrodes doivent être placées sur des zones riches en glandes sudoripares. Il s’agit principalement de la paume de la main et de la plante des pieds (Fig. 1). L’intégrité de la peau est essentielle. La nature des électrodes peut modifier la mesure de la conductance cutanée. Les électrodes doivent être de surface suffisante. Des électrodes riches en gel pourraient entraîner un biais dans la mesure de la conductance cutanée, des électrodes sèches doivent être préférées [3] ; • caractéristiques du Stress DetectorTM : le système comporte (Fig. 2) : ◦ un module de mesure muni de son système d’alimentation électrique et un cable patient avec trois électrodes : une électrode de référence, une électrode pour l’application d’un courant de faible intensité inférieur à 36 A et une électrode de mesure. Le module de mesure peut détecter une conductance de 1 à 200 microSiemens (S) et des variations de conductance supérieures à 0,02 S, ◦ un écran de visualisation qui doit être au mieux un ordinateur médicalisé, répondant aux normes d’utilisation en milieu hospitalier et au bloc opératoire ; • les configurations : plusieurs modes d’utilisation sont proposées à l’utilisateur, en particulier : ◦ mode anesthésie : dans ce mode, les valeurs mesurées sont : — l’aire sous la courbe (area under the curve [AUC]) de la variation de conductance en fonction du temps, — le nombre (la fréquence) de pics par seconde exprimé en Hertz (Hz) ou nombre de fluctuations par seconde (number of fluctuations of skin conductance [NFSC]) en Peaks/sec,
Le « Stress DetectorTM »
Figure 1.
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Position des électrodes sur la paume de la main et sur la plante du pied (nouveau-né).
— la hauteur moyenne du pic exprimée en S : average peak, — la vitesse moyenne de montée du signal en S/s : average rise time, — la qualité du signal : signal quality, — une valeur de l’aire sous la courbe égale à 0 Ss signifie que le patient est suffisamment ou trop anesthésie/sédaté. Le nombre de pics par seconde
montre qu’il y a une réactivité du système sympathique pendant une anesthésie. Les stimulations nociceptives ou l’inconfort sans éveil donne une réaction sympathique moins importante que des stimulations nociceptives avec éveil [5], — si la fréquence des pics est supérieure à 0,07, le patient subit un stress ou un inconfort et requière un approfondissement de l’analgésie,
Figure 2. Les éléménts du Stress DetectorTM : (1) le module d’acquisition, (2) le cable patient avec les trois électrodes, (3) le cable de connection à l’ordinateur pour la visualisation, (4) alimentation électrique du module d’acquisition avec (6) son cable, (7) l’écran d’ordinateur pour la visualisation du signal et (8, 9) l’alimentation électrique de l’ordinateur.
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P. Mavoungou — si l’AUC approche de 10 (valeur maximale), les stimulations nociceptives ou l’inconfort sont si important que le patient est sur le point de se réveiller et a peut-être besoin aussi d’hypnotique, — si l’AUC est supérieure à 10 alors que la fréquence des pics est égale à 0. La largeur des pics est plus importante que la fenêtre d’analyse (15 secondes) et le patient est sur le point de s’éveiller [6], — le temps de montée et l’amplitude moyenne du pic sur fond gris sont utilisés dans le cadre de recherche ; ◦ mode réveil : dans ce mode les valeurs mesurées sont : — la fréquence des pics, — la hauteur moyenne du pic, — la qualité du signal, — la fréquence des pics reflète la fréquence des salves du système sympathique. Cet index est utile pour la surveillance de la douleur postopératoire et peut être utilisé également en unité de soins intensifs. Il y a une correspondance entre échelle visuelle analogique et NFSC [7] (Fig. 3), — cependant, cet index peut être influencé par d’autres stimulations du système nerveux sympathique comme les nausées ou vomissements et l’anxiété, — quand il n’y a pas de douleurs ou d’inconfort, la couleur est blanche ou jaune claire. En cas d’inconfort, l’index vire du jaune à l’orange, puis au rouge en même temps que l’inconfort ou la douleur augmente [7] ; ◦ mode néonatologie : affiche le nombre de pics par seconde, l’aire sous la courbe et la qualité du signal ; ◦ la fonction Zoom : la fréquence des pics est calculée sur la durée de la fenêtre de mesure. Cette fenêtre peut être modifiée par la fonction Zoom, donc avec des conséquences sur le calcul de cette fréquence. Cette fenêtre est fixée par défaut à 15 secondes ;
Figure 4.
Figure 3. Fluctuations de la conductance cutanée et niveau de douleur sur échelle numérique d’après [7].
◦ enfin un mode analyse permet de revoir les fichiers enregistrés (Fig. 4).
Limites d’interprétation et limites techniques Les limites d’interprétation et les limites techniques sont : • les agents pharmacologiques actifs sur les récepteurs muscariniques (atropine) pourraient modifier la conductance cutanée. Aux doses cliniques, cette interférence n’a pas été retrouvée. La néostigmine et le glycopirolate pourraient modifier la réaction des glandes sudoripares ; • les agents actifs sur le système sympathique au niveau central tels que la clonidine pourraient influencer la mesure de la conductance cutanée ;
En mode analyse, épisode douloureux en SSPI supérieur à 6 sur EVN, et 0,4 pics par seconde sur le Stress DetectorTM .
Le « Stress DetectorTM » • chez le patient éveillé en particulier, l’anxiété, les nausées ou les vomissements peuvent modifier la conductance cutanée ; • l’analyse de la conductance cutanée est perturbée par les interférences électromagnétiques, en particulier du bistouri électrique. L’utilisation du moniteur de conductance cutanée est déconseillée chez le patient porteur d’un pacemaker ou d’un défibrillateur implantable. Les mouvements du patient peuvent générer des artéfacts ; • le choix de la fenêtre d’analyse peut modifier les capacités de détection d’épisodes de stress ou nociception par l’appareil et rendre complexe l’interprétation des mesures [8,9] ; • la présentation actuelle de ce système est assez encombrante, pour son utilisation au bloc opératoire. Des solutions d’intégration à certains moniteurs multiparamétriques du marché sont à l’étude.
Conclusion À côté des méthodes habituelles d’évaluation de la douleur qui intègrent sa composante psycho-affective, les mesures objectives de mesure de la nociception sont souhaitables notamment chez les sujets peu communicants, les nouveaunés [10] ou chez les sujets inconscients. Le Stress DetectorTM trouverait ainsi son intérêt sous réserve de validation. Le caractère non invasif, le faible coût des électrodes sont un atout. Le coût du moniteur reste une limite importante à son acquisition.
Conflit d’intérêt Aucun.
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Références [1] Neukirchen M, Kienbaum P. Sympathetic nervous system: evaluation and importance for clinical general anesthesia. Anesthesiology 2008;109(6):1113—31. [2] Mavoungou P, Billard V, Moussaud R, Potiron L. The value of monitoring the bispectral index of the EEG for the management of hypertension during laparoscopic surgery. Ann Fr Anesth Reanim 2000;19(8):582—7. [3] Winterhalter M, Schiller J, Munte S, Bund M, Hoy L, Weilbach C, et al. Prospective investigation into the influence of various stressors on skin impedance. J Clin Monit Comput 2008;22(1):67—74. [4] Dube AA, Duquette M, Roy M, Lepore F, Duncan G, Rainville P. Brain activity associated with the electrodermal reactivity to acute heat pain. Neuroimage 2009;45(1):169—80. [5] Storm H, Myre K, Rostrup M, Stokland O, Lien MD, Raeder JC. Skin conductance correlates with perioperative stress. Acta Anaesthesiol Scand 2002;46(7):887—95. [6] Storm H, Shafiei M, Myre K, Raeder J. Palmar skin conductance compared to a developed stress score and to noxious and awakening stimuli on patients in anaesthesia. Acta Anaesthesiol Scand 2005;49(6):798—803. [7] Ledowski T, Bromilow J, Wu J, Paech MJ, Storm H, Schug SA. The assessment of postoperative pain by monitoring skin conductance: results of a prospective study. Anaesthesia 2007;62(10):989—93. [8] Ledowski T, Ang B, Schmarbeck T, Rhodes J. Monitoring of sympathetic tone to assess postoperative pain: skin conductance vs surgical stress index. Anaesthesia 2009;64(7): 727—31. [9] Storm H. What should the researchers do when they are not able to reproduce their own findings? Anaesthesia 2009;64(7):781—2. [10] Hullett B, Chambers N, Preuss J, Zamudio I, Lange J, Pascoe E, et al. Monitoring electrical skin conductance: a tool for the assessment of postoperative pain in children? Anesthesiology 2009;111(3):513—7.