Rupture de cathéter péridural

Rupture de cathéter péridural

Le Praticien en anesthésie réanimation (2016) 20, 251—253 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com RUBRIQUE MÉDICO-JURIDIQUE Ru...

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2016) 20, 251—253

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

RUBRIQUE MÉDICO-JURIDIQUE

Rupture de cathéter péridural Epidural catheter shearing Francis Bonnet Service d’anesthésie-réanimation, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France Disponible sur Internet le 17 octobre 2016

MOTS CLÉS Analgésie péridurale ; Complication des blocs périmédullaires

KEYWORDS Epidural analgesia; Complications of epidural analgesia

Résumé Le cas d’une patiente dont le cathéter péridural s’est rompu lors du retrait engendrant des douleurs résiduelles est discuté sous l’angle médical et judiciaire. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Summary The case of a parturient who experienced chronic neuropathic pain after epidural catheter breakage is discussed from a medical and judiciary point of view. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Une patiente de 25 ans, primipare, primigeste, se présente pour un accouchement à terme après une grossesse normale. Après constatation du début du travail obstétrical et d’une dilatation cervicale, la décision de mise en place d’une analgésie péridurale est prise avec l’accord de la patiente. La parturiente est placée en position assise et l’identification de l’espace péridural est faite par la technique du mandrin liquide après insertion d’une aiguille de Tuohy dans l’espace L4—L5. Le cathéter péridural est inséré sur une longueur estimée à 5 cm dans l’espace péridural, identifié dès la première tentative. L’aiguille de

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2016.09.006 1279-7960/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

252 Tuohy est retirée et l’anesthésiste estimant que la longueur d’insertion du cathéter est excessive décide de le retirer d’un ou deux centimètres en exerc ¸ant dessus une traction ferme. Le cathéter offre alors une résistance à la traction qui cède brutalement et le médecin anesthésiste fait la constatation de la rupture du cathéter dont l’extrémité est étirée. Il propose à la patiente de réaliser une autre péridurale après lui avoir expliqué la rupture du cathéter, ce que celle-ci refuse. L’accouchement se déroule donc sans analgésie et donne naissance à un nouveau né de 3600 g ayant un score d’APGAR à 10/10 dès la naissance. En post-partum immédiat, la patiente se lève et marche sans problème. Toutefois, dès le deuxième jour, elle déclare avoir des difficultés à l’appui sur le membre inférieur gauche. Un examen tomodensitométrique du rachis lombaire est effectué, il objective dans le foramen L2—L3 gauche une image serpigineuse, spontanément dense qui correspondant au cathéter résiduel. Ce fragment vient au contact de la racine L2 gauche. Compte tenu de la symptomatologie, il est proposé à la patiente l’ablation chirurgicale du cathéter, ce qu’elle accepte. Lors de l’abord chirurgical l’extrémité du cathéter est enroulée autour de la racine L2, son ablation est effectuée sans problème particulier. En postopératoire, la patiente déclare qu’elle ressent des douleurs au niveau de la cicatrice et de la cuisse gauche, de l’épisiotomie et de la région lombaire. Elle se plaint d’une faiblesse dans le membre inférieur gauche associée à des paresthésies et des douleurs dans la cuisse gauche qui deviennent rapidement intenses. Ces douleurs ont les caractéristiques de douleurs neuropathiques avec des sensations de brûlure et de décharges électriques, tandis qu’à l’examen il existe une extinction sensitive dans le territoire de L2 gauche. La douleur persiste dans les mois suivants, provoquant une gène considérable à la vie quotidienne et un retentissement psychologique qui se traduit par un syndrome dépressif tandis que la patiente a les plus grandes difficultés à s’occuper de son enfant. Un bilan électromyographique est effectué à 3 mois des évènements. Il objective des signes électriques compatibles avec une radiculopathie L2 gauche, voire L3. Dans les mois suivants, la symptomatologie clinique est dominée par la persistance des douleurs et la difficulté de les contrôler par différents traitement. La patiente rec ¸oit en effet du paracétamol, des AINS, des opiacés, sans grand succès. Après plusieurs mois d’évolution, elle est adressée dans une consultation de prise en charge où un traitement par prégabaline lui est prescrit avec une certaine efficacité. Elle décide de saisir la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation des actes médicaux (CRCI) qui saisit des experts avec pour mission de déterminer si le handicap présenté par la patiente est en relation directe et certaine avec les actes pratiqués, si ces actes ont été conformes aux bonnes pratiques cliniques, si les dommages peuvent être considérés comme « consolidés » (n.d.l.r. : c.-a.-d. stabilisé et non susceptibles d’évolution) et de quantifier le handicap et son retentissement dans la vie courante. Le commentaire de ce cas repose d’abord sur des considérations médicales puis médico-judiciaires. D’un point de vue médical, le premier problème est de savoir si la mise en place du cathéter péridural était conforme aux bonnes pratiques cliniques. De ce point de vue, il faut

F. Bonnet noter que l’insertion du cathéter s’est faite sur une longueur importante ce qui constitue un facteur de risque de trajet erratique. Dans le cas présent, le cathéter s’est enroulé autour d’une racine médullaire. Conscient de ce problème, l’anesthésiste a d’ailleurs probablement considéré qu’il était opportun de réduire la longueur du cathéter inséré. La traction du cathéter s’est effectuée après ablation de l’aiguille ce qui est recommandé compte tenu du risque de sectionner le cathéter sur le biseau de l’aiguille. Cependant, il est probable que la traction s’est heurtée à une résistance inhabituelle. Dans d’autres circonstances, il arrive également que lors de l’ablation du cathéter, une résistance insurmontable s’offre à la traction. Dans ce cas, la préconisation est notamment de changer la position de la patiente (par exemple d’accentuer la position en cyphose) sans exercer de traction excessive [1]. Malgré les précautions il peut arriver que la rupture du cathéter survienne. L’incidence de cette complication est rare de l’ordre de 1/10 000. Parmi les facteurs de risque on peut citer cependant l’insertion sur un trajet excessif déjà évoqué. Que faut-il faire quand la rupture est constatée ? La première démarche est bien entendu d’en informer la patiente de fac ¸on simple et transparente sans l’inquiéter toutefois compte tenu des circonstances très particulières liées à l’accouchement. Les explications sont ensuite à reprendre après l’accouchement de fac ¸on à ce qu’elles soient bien comprises. La décision de pratiquer l’exérèse du cathéter ne doit pas être prise systématiquement. Il ne faut en tous cas surtout pas essayer de saisir l’extrémité du cathéter avec une pince, sans précaution particulière, en espérant le récupérer de cette fac ¸on : l’échec de cette approche est garanti d’autant que la partie laissée en place à tendance à se rétracter. En l’absence de toute symptomatologie et dans la mesure où il n’y a pas eu de brèche de la dure-mère, il peut paraître raisonnable de laisser l’extrémité du cathéter en place à condition d’en informer la patiente et de lui donner la possibilité de contacter facilement l’équipe médicale au moindre problème [2]. Dans ce contexte, il peut être indiqué de proposer de revoir la patiente en consultation après un mois d’évolution pour la rassurer et contrôler l’absence de symptomatologie nouvelle. Une autre information importante est que cette complication ne contre-indique pas la pose d’une péridurale à l’occasion d’un autre accouchement. Faut-il proposer l’ablation chirurgicale du matériel résiduel ? Cette attitude peut paraître légitime lorsqu’il existe une symptomatologie clinique comme dans le cas présenté mais elle ne garantit pas la disparition des symptômes comme on a pu l’observer ici. En conclusion de cette première partie, on peut retenir que l’insertion du cathéter n’a pas été strictement conforme aux bonnes pratiques dans la mesure où il est recommandé de limiter la longueur introduite dans l’espace péridural à un ou deux centimètres. En revanche, dès lors qu’il existait des signes cliniques, il était légitime de proposer l’ablation chirurgicale du cathéter. L’évolution de cette patiente a été marquée par une douleur liée au traumatisme de la racine L2 qui a perduré durant plusieurs mois. Il est notable que cette douleur de type neuropathique n’a été « correctement » traitée qu’après plusieurs mois d’évolution. Il existe en effet une véritable méconnaissance concernant la prise en charge des douleurs

Rupture de cathéter péridural neuropathiques qui conduit à la prescription de médicaments inadaptés avec comme conséquence la persistance des douleurs et un fort retentissement psychologique. De ce fait, devant ce type de complication, il est nécessaire de suivre les patientes et de les adresser à une structure qui possède l’expertise pour les traiter. Ce point est important car il évite des souffrances prolongées même si malheureusement l’adressage n’est pas la garantie du contrôle de la douleur. D’un point de vue médico-judiciaire, il n’existe pas de préconisation concernant la longueur du cathéter à introduire dans l’espace péridurale. Les recommandations formalisées d’experts concernant les blocs périmédullaires (http://www.sfar.org/wp-content/uploads/2015/10/2 AFAR Blocs-perimedullaires-chez-l’adulte.pdf) n’abordent pas ce point technique et préconisent le mandrin liquide de préférence au mandrin gazeux et le retrait du cathéter dans la position où le patient a été placé au moment de la mise en place. De même, le retrait du cathéter ne s’est pas fait sur l’aiguille en place. On peut donc considérer que la rupture du cathéter est donc un aléa. En ce qui concerne le fait de le laisser en place après la rupture ou de l’enlever chirurgicalement, il n’existe aucune recommandation mais des cas cliniques de la littérature. Au demeurant, l’apparition des douleurs ou a fortiori d’un déficit peut légitimer l’ablation chirurgicale. Enfin, la

253 douleur chronique qui a résulté du traumatisme radiculaire a indéniablement été prise en charge de fac ¸on inadaptée au cours des premiers mois d’évolution. La prescription d’un traitement adapté n’était cependant pas une garantie du succès à 100 %. On peut considérer qu’il y a donc eu une perte de chance durant plusieurs mois (de recevoir un traitement adapté potentiellement efficace) et que les souffrances endurées pendant cette période sont à prendre en considération de même que celles qui persistent sur un mode atténué après l’institution d’un traitement adéquat. L’important ces souffrances et leur impact dans la vie courante a fait bien entendu l’objet d’une évaluation par les experts.

Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références [1] Miltra R, Fleischmann K. Management of the sheared epidural catheter: is surgical extraction really necessary. J Clin Anesth 2007;19:310—4. [2] Hobaika AB. Breakage of epidural catheters: etiology, prevention, and management. Rev Bras Anesthesiol 2008;58:227—33.