Synthèse General review
Volume 101 • N◦ 6 • juin 2014 John Libbey Eurotext
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Stratégie chirurgicale dans les tumeurs osseuses « du genou » Surgery in « around the knee » bone tumors Jean-Camille Mattei, Georges Curvale, Alexandre Rochwerger Article rec¸u le 05 aoˆut 2013, accepté le 24 f´evrier 2014 Tirés à part : J.C. Mattei
Hôpital de la Conception, Service d’orthopédie-traumatologie du Pr-Curvale, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France Pour citer cet article : Mattei JC, Curvale G, Rochwerger A. Stratégie chirurgicale dans les tumeurs osseuses « du genou ». Bull Cancer 2014 ; 101 : 571-9. doi : 10.1684/bdc.2014.1983.
doi : 10.1684/bdc.2014.1983
Résumé. Le fémur distal et le tibia proximal représentent la localisation préférentielle des tumeurs primitives malignes des os. L’ostéosarcome, le sarcome d’Ewing et le chondrosarcome sont les tumeurs les plus fréquemment rencontrées. Les nouvelles techniques d’imagerie, l’avènement de nouveaux protocoles de chimiothérapie ainsi que l’évolution des techniques chirurgicales ont permis des avancées majeures dans leur prise en charge, et de limiter les indications d’amputation. La complexité de leur traitement ainsi que leur rareté imposent une prise en charge en équipe pluridisciplinaire spécialisée, tant médicale que chirurgicale. Après résection, la prothèse totale de genou de reconstruction est devenue la technique de référence dans ces localisations. Elle prend appui dans l’os sain grâce à des tiges centromédullaires longues en raison de résections larges puisque respectant les règles carcinologiques. La voie habituelle est antéro-médiale et la difficulté tient essentiellement au respect du pédicule vasculo-nerveux et de l’appareil extenseur. La conservation (ou non) de ce dernier modifie en effet le type de reconstruction. Un envahissement intra-articulaire imposera une résection dite monobloc de l’articulation, rendant une chirurgie conservatrice de l’appareil extenseur plus complexe. Il existe de nombreuses techniques et différents types de prothèses. Les indications d’arthrodèse se raréfient car les reconstructions par prothèses ont fait la preuve de leur efficacité et de leur longévité. Les résultats fonctionnels et oncologiques de cette chirurgie d’exérèse et de reconstruction sont maintenant clairement établis, au prix cependant d’interventions complexes non dénuées de complications et qui nécessiteront bien souvent plusieurs reprises chirurgicales du fait du jeune âge habituel des patients ainsi que de leurs exigences fonctionnelles. Cela souligne une fois de plus la nécessité de prendre en charge ces patients au sein d’un réseau oncologique ostéo-articulaire. Mots clés : sarcome, osseux, genou, résection, reconstruction
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Abstract. Distal femur and proximal tibia are the main localization of primary malignant bone tumor. Osteosarcoma and Ewing sarcoma are the most frequent. New techniques in imaging, recent development in chemotherapy protocols and surgery sharpening led to major improvement in their management, which allowed to minimize amputation ratio. The complexity of their treatment and their rarity imply the involvement of multidisciplinary approach, in terms of both surgical and medical points of view. After resection, total knee arthroplasty has become the gold standard of reconstruction in such localizations. It uses press fit against healthy bone, thanks to long centromedullar stems, because of major soft tissues resection due to carcinologic surgery rules. The incision is usually antero-medial and the main difficulty is mostly linked to the care of vascular and nervous systems and the extensor apparatus. The conservation (or not) of the latter modifies the surgical technique. Articular invasion will impose to perform a one-piece-articular resection, which will complicate the conservation of the extensor apparatus. There are lots of different techniques and prosthesis. Arthrodesis indications are seldom because prosthesis reconstructions have made proof of their efficacy and their longevity. Functional and oncologic results of this excision and reconstructive surgery are now clearly established. However, this represents complex and risky interventions which will often lead to secondary surgical revision because of the young age of patients and their functional demands. This can only stress the necessity of addressing patients to specialized, network-organized sarcoma teams.
Key words: osseous, sarcomas, knee, resection, reconstruction
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Introduction Parmi les tumeurs osseuses malignes (< 1 % des cancers), l’ostéosarcome (20 % des tumeurs malignes osseuses, 60 % au genou [1]) et le sarcome d’Ewing (16 % des tumeurs malignes, 15 % au genou [2]) sont les plus fréquentes [3]. Ils atteignent l’enfant et l’adulte jeune. Le diagnostic sera souvent porté devant des douleurs non spécifiques, une masse palpable ou une fracture pathologique. Les deux localisations les plus fréquentes des sarcomes osseux primitifs sont le fémur distal et le tibia proximal. Pour ces deux localisations, les indications thérapeutiques sont voisines. Dans la moitié des cas chez l’adulte il s’agit d’un ostéosarcome [4]. Le chondrosarcome représente quant à lui 11 à 22 % des tumeurs osseuses malignes [5] (8 % de localisation au genou [6]). Avant les années 1970, une grande majorité de patients étaient amputés en raison d’un diagnostic souvent tardif, où l’envahissement tumoral était majeur. L’idée d’un traitement conservateur s’est progressivement imposée, tout en maintenant la possibilité d’une récupération fonctionnelle. Celui-ci a été rendu possible grâce à l’évolution de l’imagerie et des techniques chirurgicales ainsi que l’introduction de chimiothérapies toujours plus efficaces (dont le méthotrexate validé par la FDA en 1953 comme anticancéreux). Ce traitement conservateur est actuellement envisageable dans environ 80 % des cas tout en conservant les règles de résection tumorale large (carcinologiques) chez des patients jeunes et donc actifs [7]. L’enjeu fonctionnel s’est ajouté à celui de la survie. En raison des résections majeures articulaires dans ce type de chirurgies, l’utilisation des prothèses a connu un grand développement. L’augmentation de la survie et le maintien d’une activité physique ont pour conséquence une mise à l’épreuve importante des matériaux utilisés, soumis à de fortes contraintes mécaniques et à une usure des pièces en mouvement. Des reprises à distance de plus en plus complexes s’avèrent nécessaires. Pour cette raison chez l’enfant se sont développées des techniques de reconstruction non prothétiques. De nombreux auteurs ont montré que lorsqu’un geste conservateur était techniquement possible, il n’existait pas de différence de survie avec l’amputation. Un tel traitement est donc privilégié par la majorité des équipes lorsqu’il est envisageable [7]. Néanmoins en 2013, il est des situations où une amputation doit tout de même être envisagée devant : – une contamination tumorale des éléments nobles après une biopsie inadaptée ; – certaines fractures ; – un envahissement neuro-vasculaire important, non accessible à une reconstruction satisfaisante sur le plan de la fonction ultérieure ; – une infection ;
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– la prévision d’un mauvais résultat fonctionnel si la résection des parties molles est majeure ou n’est pas compatible avec un résultat fonctionnel satisfaisant ; – le souhait d’un patient qui ne voudrait pas s’exposer au risque de multiples reprises chirurgicales. En dehors de ces circonstances particulières, l’indication de résection-reconstruction est habituellement proposée et le recul est désormais suffisant pour pouvoir en exposer de manière fiable les indications et les résultats. Trois techniques chirurgicales sont décrites : – la prothèse totale de reconstruction de genou : elle peut être considérée comme l’intervention de référence. Elle permet indolence et bonne mobilité (environ 100 degrés) et reste utilisable souvent même après des résections majeures de parties molles. Elle est principalement recommandée dès qu’une tumeur envahit l’épiphyse [8] ; – la reconstruction biologique métaphysaire : elle est possible en pédiatrie pour des tumeurs respectant l’épiphyse. Elle peut de plus bénéficier d’une possibilité de reprise prothétique en cas d’échecs. Nous exclurons dans cette présentation les reconstructions chez l’enfant en croissance ; – l’arthrodèse, qui est de moins en moins utilisée.
Stratégie médicochirurgicale L’intervention chirurgicale s’inscrit dans une prise en charge thérapeutique pluridisciplinaire (chirurgiens, radiologues, oncologues et anatomopathologistes) puisque l’intervention n’est proposée qu’à l’issue d’une chimiothérapie néoadjuvante pour les deux tumeurs les plus fréquentes qui sont l’ostéosarcome et le sarcome d’Ewing. La chimiothérapie adjuvante pourra alors être adaptée en fonction de la réponse objective de la tumeur (Grading de Rosen et al. [9]) à la chimiothérapie première sur les résultats de la pièce anatomopathologique de résection. Dans le cas du sarcome d’Ewing, lorsqu’il existe un grand développement extra-osseux, la sensibilité de la tumeur à la chimiothérapie peut être estimée sur l’IRM pré- et postchimiothérapie en raison de la visualisation de la diminution du volume tumoral ; alors que pour les ostéosarcomes il n’y a pas de réduction du volume osseux néoformé.
Place de l’imagerie Les techniques d’imagerie en coupes (initialement la TDM puis l’IRM depuis 20 ans) ont permis de mieux connaître l’extension locale des lésions et leur précision permet de définir les plans de section et les marges de sécurité (liseré graisseux entre la tumeur et le plan adjacent, figure 1D). L’imagerie (figures 1A, B, C, D) constitue un des éléments clés de la tactique chirurgicale : la collaboration avec les radiologues s’est donc logiquement accrue au sein de la RCP. Bien que le diagnostic puisse être suspecté dès l’imagerie, la biopsie reste un prérequis indispensable, partie intégrante du traitement. Elle doit être réalisée par l’équipe prenant en charge la résection de la tumeur, après un bilan d’imagerie et une plaBull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014
Stratégie chirurgicale dans les tumeurs osseuses « du genou »
A
Œdème ou envahissement des parties molles
Effraction corticale
C Zone d’ostéolyse
Limite supérieure de la tumeur
Épaississement de la synoviale
Lésion hétérogène Ciment post-biopsie
Précision de l’envahissement des parties molles
D B
Confirmation de l’effraction corticale avec visualisation de la tumeur envahissant les parties molles
Liserai graisseux délimitant le plan tumoral
Extension dans les parties molles
Figure 1. A) Radio d’un ostéosarcome du fémur distal. B) TDM du même sarcome. C) IRM du même sarcome. D) Coupe transversale de la même tumeur. nification minutieuse (voie d’abord compatible, zone de bon rendement diagnostique). Elle sera adressée dans un service d’anatomie pathologique de référence. La biopsie à l’aiguille guidée par TDM est une alternative intéressante. Elle est à planifier impérativement entre radiologue et chirurgien spécialisé. Un bilan d’imagerie complet est à prévoir en préopératoire : – radios standard, goniométrie (planification de la reconstruction) ; – TDM (zones d’ostéolyse) ; – IRM (sans et avec injection, en T1 et T2 avec reconstructions dans les trois plans). Cette dernière est indispensable (étendues exactes osseuses, envahissement des parties molles, repères anatomiques) ; – l’angio-TDM/IRM précise les rapports vasculaires (envahissement et prévision d’un éventuel pontage) ; – la détection de skip métastases se fera grâce à l’IRM et à la scintigraphie ; – la scintigraphie osseuse corps entier au technétium précèdera le traitement local pour le bilan général ; – une biopsie médullaire sera réalisée en cas de sarcome d’Ewing et les autres explorations (TDM cérébrale, ponction lombaire. . .) seront guidées par la clinique. Les documents de référence restent la TDM, l’IRM et la scintigraphie. La stratégie thérapeutique sera ensuite décidée en réunion pluridisciplinaire (résection chirurgicale seule, chimiothérapie (néo)adjuvante. . .). Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014
Résections les plus fréquentes Il s’agit d’une résection extra-tumorale large, les résections marginales au ras de la capsule tumorale exposant au risque de récidive, en particulier dans les Ewing, sont proscrites. Les marges, auparavant fixées à 5 cm dans l’os et le muscle, ont pu être ramenées à 3 cm grâce à l’apport de l’IRM. Le problème se situe au creux poplité pour les tumeurs à extension postérieure selon l’envahissement ou non des vaisseaux et pouvant nécessiter une résectionreconstruction. La majorité des abords se fait par voie médiale, emportant le trajet de la cicatrice de biopsie chirurgicale ou radioguidée. La voie d’abord peut être latérale (Istituto Rizzoli) afin de minimiser les risques de nécrose cutanée mais elle réduit le contrôle vasculo-nerveux.
Tumeurs du fémur distal La possibilité d’une chirurgie conservatrice au niveau du genou est le plus souvent liée à l’absence d’envahissement vasculo-nerveux (figure 2). La technique de résection présentée ici est la plus classique. Des variantes existant bien sûr en fonction de l’envahissement tumoral. Les deux principes généraux sont le respect des vaisseaux et des nerfs ainsi que de l’appareil extenseur. L’incision débute 5 cm au-dessus de la tumeur, la cicatrice de biopsie étant séparée des tissus sains pour rester
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Extension aux parties molles Tendon quadricipital
Localisation intra-osseuse
Rotule
Tendon rotulien
Figure 2. Exemple de localisation d’une tumeur du fémur distal.
Fémur proximal sectionné
Parties molles retirées en bloc
Pédicule vasculo-nerveux Tumeur
Résection au ras de la capsule articulaire
Appareil extenseur conservé
Tibia proximal Voie d’abord
Figure 3. Exemple de résection d’une tumeur du fémur distal.
en monobloc avec celle-ci. On repère le pédicule fémoral et les artères collatérales sont liées. On libère progressivement les plans tendineux pour ouvrir l’articulation (avec prélèvement du liquide articulaire) et le fémur est progressivement libéré (section des ligaments croisés, ménisques emportés avec le fémur...). La dissection antérieure est réalisée dans l’épaisseur des muscles, avec ablation des parties molles envahies (définies en préopératoire) (figure 3). La hauteur de la coupe osseuse fémorale est planifiée en préopératoire à 2 cm de marges au-delà de l’envahissement médullaire (visualisé sur l’IRM). La pièce est ensuite envoyée en anatomie pathologique.
Tumeurs du tibia proximal Le problème est identique, avec une voie d’abord comparable et respectant les parties molles (autant que possible en fonction de l’envahissement (figure 4)) ainsi que les marges de résection. Le problème principal tient à l’insertion du tendon rotulien sectionné au ras de l’os (ou emporté avec une baguette osseuse) et nécessitant des gestes spécifiques de reconstruction de l’appareil extenseur (figure 5).
En cas d’envahissement articulaire Ce dernier (figure 6) est défini par l’imagerie et rend le geste chirurgical plus complexe puisqu’il nécessite une résection monobloc des deux versants de l’articulation sans l’ouvrir et
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Figure 4. Exemple de localisation d’une tumeur du tibia proximal. tout en conservant la continuité de l’appareil extenseur, rendant nécessaire une section en demi-épaisseur de la rotule. Si ce geste s’avère impossible, le tendon patellaire est sectionné au ras de la tubérosité et l’ensemble de l’appareil extenseur est emporté en monobloc. Dans tous les cas, la résection se fait donc en extra-articulaire (figure 7). Des repères de rotation et de longueur sont placés après la résection. Il faut noter que la voie d’abord est la même que pour une tumeur du fémur distal en étant toutefois plus étendue distalement.
Reconstructions les plus fréquentes Lorsque l’appareil extenseur est conservé, la reconstruction se fait par prothèse de genou. Compte tenu de l’importance de résection des parties molles et osseuses, il s’agit de prothèses particulières. Initialement ces dernières étaient sur mesure, mises au point par le groupe GUEPAR (groupe pour l’utilisation et l’étude des prothèses articulaires, créé en 1968 et fondé sur l’étude des prothèses articulaires du genou). Actuellement, les prothèses les plus utilisées sont des prothèses modulaires (ne nécessitant plus une manufacture sur mesure).
Tumeurs du fémur distal En raison des contraintes s’appliquant à l’os et la prothèse, cette dernière devra être à tige centromédullaire venant Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014
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Voie d’abord
Section de l’appareil extenseur au niveau du tendon rotulien
Parties molles emportées en bloc
Axe vasculo-nerveux
Section osseuse tibiale
Appareil extenseur sectionné en demi-épaisseur (permettant une résection extra-articulaire tout en conservant ce dernier)
Résection extra-capsulaire (sans effraction de l’articulation)
Figure 7. Exemple de résection d’une tumeur intra-articulaire. Figure 5. Exemple de résection d’une tumeur du tibia proximal.
Extension intra-articulaire de la tumeur
Figure 6. Exemple de localisation intra-articulaire. s’ancrer en distalité jusqu’à l’isthme osseux et ayant déjà une bonne stabilité avant la mise en place de ciment. Les prothèses cimentées semblent avoir à ce jour les meilleurs résultats [10]. On alèse le fut fémoral au diamètre nécessaire, et la coupe tibiale est effectuée à l’aide d’un ancillaire à repère exomédullaire. On utilise une prothèse massive à charnière. Le resurfac¸age de la rotule n’est pas nécessaire. Une prothèse rotulienne ne semble pas non plus indiquée lorsqu’il existe un geste de reconstruction de l’appareil extenseur. On teste ensuite les longueurs et la cinétique en flexion extension avant mise en place des implants définitifs. Il faut prendre bien soin de vérifier le bon centrage de l’appareil extenseur afin d’obtenir une course rotulienne satisfaisante et de contrôler soigneusement le positionnement en rotations des implants. Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014
La prothèse est alors scellée avec un ciment aux antibiotiques. L’hémostase est à nouveau contrôlée. Si la perte de substance est modérée, on peut transférer en avant les muscles et tendons médiaux. En cas d’insuffisance de la couverture cutanée il conviendra de prévoir un lambeau. Le gastrocnémien médial est souvent utilisé. On ferme plan par plan sur Redon aspiratif en vérifiant les mobilités durant la fermeture. Une bonne analgésie doit être instaurée en partenariat avec l’équipe anesthésiste. La rééducation doit être précoce, au minimum dès le lendemain : on vise en effet une flexion à 90◦ et une extension complète à j7. L’appui est rapidement autorisé sous couvert d’une attelle en extension qui pallie la parésie temporaire du quadriceps. Il faudra prévoir une hospitalisation de dix jours en moyenne pour surveiller les complications (non exceptionnelles après ce type de chirurgie). Si une chimiothérapie est indiquée, elle sera habituellement débutée trois semaines après la résection, guidée par les résultats de l’analyse de la pièce opératoire. Il existe de multiples types de prothèses (avec une tendance actuelle à l’utilisation de prothèses modulaires) (figures 8A et B) : – prothèses à charnière rotatoire : elles diminueraient les contraintes en rotation sur l’ancrage et sur la charnière. Mais la faible épaisseur de leur polyéthylène n’est pas sans inconvénient et l’augmentation des zones de friction libèrerait plus de particules dans l’articulation ; – prothèses sans ciment : en titane poreux ou recouverte d’hydroxyapatite. Nécessite d’avoir différents diamètres en stock pour s’adapter à la taille du fut diaphysaire ; – prothèses modulaires : différentes tailles/morphologies de manchons diaphysaires viennent s’adapter à la charnière. L’avantage est la disponibilité immédiate du matériel ; – prothèses composites : elles viennent s’ancrer dans un manchon d’allogreffe (figure 9). Les résultats sont discutés quant à l’utilisation des allogreffes. L’adjonction d’une allogreffe fémorale de banque osseuse est utilisée par certains auteurs pour manchonner une tige prothétique [11]. Elles auraient pour avantage de permettre une meilleure fixation dans les parties molles mais l’os de banque semble n’être réhabité
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A
B
D COUCHE
D
COUCHE
Figure 8. A) Exemple de reconstruction par prothèse massive (tumeur du fémur distal). B) Radios face et profil d’une reconstruction pour tumeur du tibia proximal.
Une prothèse massive cimentée de reconstruction sur mesure à charnière peut être utilisée. Une fois mise en place, l’appareil extenseur doit être reconstruit et un lambeau est réalisé afin de couvrir la prothèse, lambeau sur lequel on peut fixer le tendon patellaire selon la technique de Dubousset [12] (figure 10) ou Malawer [13]. Le membre est ensuite immobilisé en extension durant six semaines. La rééducation isométrique du quadriceps est débutée rapidement en extension complète. Dès l’obtention de la cicatrisation tendino-musculaire on pourra débuter le travail en flexion.
Après arthrectomie monobloc emportant l’ensemble de l’appareil extenseur, il est possible de le reconstruire en suturant au quadriceps un lambeau de gastrocnémien médial basculé en avant. Il est aussi possible d’utiliser une allogreffe tibiale ayant conservé son appareil extenseur. Si le quadriceps a dû être sacrifié en trop grande partie, il est possible de reconstruire l’appareil extenseur grâce à un transfert antérieur des ischio-jambiers. Certains patients souhaitant conserver une flexion peuvent porter une orthèse déverrouillable en flexion lors de la station assise. Dans les reconstructions de l’appareil extenseur, le travail fonctionnel peut être débuté sur arthromoteur une petite semaine après la chirurgie sauf en cas de suture tendineuse sur allogreffe où six semaines d’immobilisation sont nécessaires.
Lorsque la reconstruction de l’appareil extenseur est possible
Arthrodèse : lorsque l’appareil extenseur n’est pas reconstructible
Dans la plupart des cas de tumeurs du tibia proximal ou en cas d’envahissement articulaire, elle est possible et permet d’éviter l’arthrodèse. Diverses techniques sont décrites et certaines équipes réalisent une réinsertion du tendon patellaire sur le biceps femoris avec translation de la tête fibulaire, le lambeau gastrocnémien médial venant ensuite recouvrir l’ensemble. Il est aussi possible de procéder à une réinsertion du tendon patellaire sur le gastrocnémien médial aussi associé à une translation fibulaire. Dans le cas d’une prothèse composite, on peut réinsérer le tendon patellaire du patient sur l’insertion du tendon patellaire d’une allogreffe tibiale.
Elle constituait l’intervention de référence lorsque la continuité de l’appareil extenseur ne pouvait être conservée. De nos jours elle doit être considérée comme une indication d’exception. L’arthrodèse consiste à faire fusionner le tibia proximal et le fémur distal, bloquant ainsi l’articulation. Différentes techniques sont décrites. La plus utilisée est l’arthrodèse fémoro-tibiale (technique de Juvara modifiée par Merle d’Aubigné et Tomeno [14] [figure 11]). Elle utilise un clou centromédullaire venant ponter l’articulation. Ce dernier est verrouillé après avoir vérifié les longueurs et les rotations (grâce aux repères précédemment évoqués).
que très partiellement et les avantages en termes de survie d’implant n’ont pas encore été confirmés.
Tumeurs du tibia proximal
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Stratégie chirurgicale dans les tumeurs osseuses « du genou »
Fémur sain du patient Os de banque Allogreffe venant combler la perte de substance osseuse, manchonnant la tigi de la prothèse
Prothèse insérée dans l’allogreffe
Prothèse insérée dans le tibia sain du patient
Figure 9. Exemple de reconstruction par prothèse composite.
Tendon rotulien sectionnné
Muscles de la patte d’oie Suture de l’appareil exenseur sur le lambeau de gastrocnemien Bascule du gastrocnémien médial
Figure 10. Exemple de reconstruction par la technique de Dubousset.
Le défect osseux est alors comblé par une autogreffe auquel s’ajoute le cas échéant un lambeau de couverture. L’appui est interdit mais une rééducation de la cheville doit être débutée dans l’immédiat pour éviter l’équin. Il existe en revanche une place pour les implants de reconstruction à effet arthrodèse (i.e. une prothèse fixe), permettant de reconstruire le défect osseux et autorisant un appui immédiat.
Reconstruction métaphysaire biologique Elle est indiquée par certains auteurs lorsque la tumeur n’envahit pas l’épiphyse. Il n’est donc pas nécessaire de l’exciser et de mettre en place une prothèse : on peut tenter de garder l’épiphyse et de reconstruire la zone reséquée par un greffon vivant ou mort. Les tumeurs métaphysaires pures du fémur distal sont habituellement reconstruites par fibula vascularisée tandis que celles du tibia proximal le sont souvent par une allogreffe avec appareil extenseur. Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014
Pour les tumeurs fémorales, il faut au moins 40 mm d’épiphyse saine chez l’adulte pour proposer cette technique. On prélève alors la fibula sur le membre homolatéral pour préserver le membre sain. Une fois la tumeur reséquée, on met en place une lame plaque s’insérant en distal dans l’épiphyse saine sur le versant externe, complétée par la fibula encastrée au niveau médial. On peut parfois consolider le montage par une allogreffe vissée à la plaque. La reprise de l’appui ne peut s’envisager qu’autour du deuxième mois. Les amplitudes articulaires sont en revanche travaillées dès les premiers jours. Pour les tumeurs tibiales, l’épiphyse saine doit l’être sur au moins 20 mm. Si la tubérosité tibiale est respectée, le problème de la reconstruction de l’appareil extenseur ne se pose pas car il peut être conservé. Sinon, il conviendra de le reséquer et de mettre en place une allogreffe avec un appareil extenseur. L’allogreffe étant fixée à l’aide d’un clou verrouillé, une marche avec appui d’une vingtaine de kilos est possible dès les premiers jours.
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Clou centro-médullaire Tumeur intra-articulaire sans possibilité de résection
Arthrectomie monobloc Autogreffe de péroné (comble la perte de substance osseuse et solidifie le montage)
Figure 11. Arthrodèse par la technique de Juvara modifiée.
Résultats Carcinologiques Il s’agit d’une chirurgie à haut risque chez un patient immunodéprimé. Un traitement chirurgical conservateur n’expose pas à un risque accru de récidives locales ou à une diminution de survie comparé à une amputation si les indications sont respectées [15]. La cause la plus fréquente d’amputation est l’infection ou la récidive locale. Le taux de récidive locale moyen est de 10 % pour les tumeurs du genou. La survie du patient à cinq ans est de 75 % en fémoral distal et 93 % pour le tibia [16].
Fonctionnels Ils dépendent de l’importance de la résection osseuse, de sa localisation, de la résection, des parties molles (notamment musculaires) : – les résections du fémur distal avec reconstruction par prothèse massive ont des résultats proches de ceux d’une arthroplastie pour arthrose. Au niveau du tibia, ils sont plus inconstants du fait de la reconstruction de l’appareil extenseur (déficit d’extension active, en charge) ; – l’utilisation de prothèse composite n’a pas montré de différences fonctionnelles ou sur la survie de l’implant [17] ; – l’arthrodèse procure des résultats satisfaisants sauf lors de la montée d’escaliers et la position assise. Elle est connue pour la fiabilité de sa survie mais aussi pour la perte de fonction majeure qu’elle entraîne.
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Survie des reconstructions Elle est en moyenne de 61 % à dix ans [18] en excluant les cas de chirurgie pour récidive locale avec une meilleure survie pour les tumeurs du fémur distal. Les pièces d’usure, qui ont varié depuis l’utilisation de prothèses GUEPAR, sont intimement liées à la survie de l’implant et des progrès sont attendus sur les constantes d’usures des pièces en mouvement. Les modifications que sont les prothèses à charnières rotatoires n’ont pas montré de changement de survie d’implant [19]. Des résultats prometteurs ont été observés sur les prothèses à manchon d’hydroxyapatite à la jonction os-prothèse. Il existe par ailleurs une limitation du relargage de débris synthétiques et des contraintes grâce à une repousse osseuse à l’interface os (implant et pérennisant la fixation à l’os) [20]. Les implants sans ciment ne semblent par ailleurs pas apporter de gain. Au final, le facteur limitant de la survie reste l’usure de la charnière et les améliorations devront se porter sur cet aspect. Les allogreffes massives sont difficiles à évaluer (séries non homogènes, faible nombre de cas) mais il semble que le taux de réinterventions soit de 50 % à cinq ans.
Complications Leur incidence est éminemment variable selon la littérature. Elles sont quatre fois plus fréquentes en reconstruction qu’en amputation, le genou étant plus pourvoyeur que la hanche ou l’épaule. Elles sont fréquemment favorisées par l’utilisation de chimiothérapies dans la prise en charge et donc intimement liées à l’état général du patient en péri-opératoire et dans les suites. Bull Cancer vol. 101 • N◦ 6 • juin 2014
Stratégie chirurgicale dans les tumeurs osseuses « du genou » Les complications cutanées se rencontrent surtout en cas de tumeurs avec résection extra-articulaire ou du tibia proximal. Il faut souvent recourir à des lambeaux de couverture pour éviter toute désunion ou nécrose cutanée exposant au risque infectieux de la reconstruction et manipuler les lambeaux avec précaution. Les complications infectieuses (5 à 40 % suivant les séries [21]) sont favorisées par la chimiothérapie, l’utilisation d’un matériel massif (augmentation du risque d’hématome) ou encore une résection musculaire très importante (créant des zones mal vascularisées). La prise en charge dépend du type d’infection. Il convient de noter qu’une infection peut aussi reporter une chimiothérapie postopératoire, voire la contreindiquer. Les complications neurologiques s’expliquent par une section chirurgicale programmée ou une lésion nerveuse per-opératoire. Il peut aussi s’agir d’un effet secondaire des chimiothérapies.
Conclusion Cette présentation expose de manière sommaire des stratégies thérapeutiques chirurgicales dans les sarcomes du genou. Seuls 20 % [17] des patients ne pourront prétendre de nos jours à un traitement conservateur. Les progrès de l’imagerie, des techniques de reconstruction, des traitements adjuvants et de la standardisation des prises en charge ont permis l’augmentation de la part du traitement conservateur tout en conservant la règle d’une résection carcinologique. Il ne faut cependant pas perdre de vue que le profil particulier des patients, souvent jeunes, implique un grand taux de réinterventions (50 %, dont 10 à 20 % dite « majeures ») sur une chirurgie déjà lourde avec un taux important de complications. Cette prise en charge aura lieu au sein d’un réseau sarcome comprenant une équipe chirurgicale rompue à cet exercice, avec une connaissance solide de cette pathologie, de la chirurgie prothétique et de reconstruction. Liens d’intérêt : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.
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