Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique (2012) 98, 117—119
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FAIT CLINIQUE
Syndrome de Kaposi digital isolé chez une patiente VIH+夽 Isolated Kaposi sarcoma of the finger pulp in an AIDS patient
F. Aïm ∗, L. Rosier , C. Dumontier Service de chirurgie orthopédique, unité de chirurgie de la main, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12, France Acceptation définitive le : 26 septembre 2011
MOTS CLÉS Sarcome de Kaposi ; Tumeur de la main ; Phalange ; Lésion ostéolytique
Résumé Une patiente de 63 ans séropositive pour le virus de l’immunodéficience humaine et avec un antécédent de syndrome de Kaposi cutané des membres inférieurs s’est présentée à notre consultation pour douleur et œdème de la pulpe de l’annulaire gauche. Les radiographies réalisées ont mis en évidence une lésion ostéolytique de la troisième phalange. Le diagnostic suspecté était alors un sarcome de Kaposi osseux isolé. L’intervention chirurgicale pour exérèse a retrouvé une lésion hémorragique avec extension osseuse. Les atteintes osseuses sont rares dans les sarcomes de Kaposi et encore plus rares en l’absence de lésion cutanée associée. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Le sarcome de Kaposi est une tumeur vasculaire maligne survenant chez le sujet immunodéprimé notamment en cas d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine VIH. Ses manifestations cutanées et systémiques sont désormais bien connues, en revanche les atteintes osseuses et notamment au niveau de la main sont beaucoup plus rares. Une femme de 63 ans s’était présentée en décembre 2009 à notre consultation pour une lésion douloureuse de
DOI de l’article original : 10.1016/j.otsr.2011.09.017. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Orthopaedics &Traumatology: Surgery & Research, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : fl
[email protected] (F. Aïm). 夽
l’index gauche avec hyperesthésie de contact évoluant depuis plusieurs semaines. La patiente avait pour antécédents une hypercholestérolémie, une hépatite médicamenteuse et une infection à VIH connue depuis 1996. Elle avait présenté dans les suites de son infection à VIH des lésions cutanées sur les membres inférieurs, puis sur les membres supérieurs. Au moment du diagnostic de sarcome de Kaposi cutané en mars 2006, sa charge virale était inférieure à 50 copies/mL et son taux de CD4 de 380/mL sous trithérapie antirétrovirale bien conduite par Kivexa® et Sustiva® . Une bronchoscopie concomitante révéla une atteinte pharyngée associée, en revanche elle ne présentait ni atteinte digestive ni extension ganglionnaire associées. Lors de la consultation de 2009, l’examen clinique retrouvait une dystrophie unguéale modérée associée à une lésion nodulaire violacée sous-unguéale. Les radiographies
1877-0517/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rcot.2011.12.006
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Figure 1 Radiographie de face : lésion ostéolytique de la troisième phalange.
standard mettaient en évidence une lésion ostéolytique de la phalange distale (Fig. 1) et l’IRM montrait une tumeur hypodense en T1 (Fig. 2) avec rehaussement après injection de gadolinium. Sa charge virale restée contrôlée sous Kixeva® et Sustiva® . Le diagnostic de sarcome de Kaposi cutané osseux digital isolé fut suspecté. Après concertation pluridisciplinaire médico-chirurgicale, il avait été décidé de procéder à une résection chirurgicale isolée de la lésion digitale sans traitement systémique associé. En l’absence de symptôme, aucun bilan d’extension systémique n’avait été réalisé. La résection chirurgicale fut effectuée par une voie d’abord phalangienne en « gueule de requin ». L’exploration avait retrouvé une lésion hémorragique des parties molles avec une extension osseuse à la phalange (Fig. 3). La résection avait été faite en monobloc et associée à un curetage osseux sans comblement associé. L’analyse anatomopathologique de la pièce avait permis la confirmation du diagnostic de syndrome de Kaposi osseux. Les suites opératoires furent simples.
Figure 2 IRM en séquence T1 : tumeur hypodense de la troisième phalange.
Figure 3 Photographie peropératoire : lésion hémorragique avec extension osseuse.
Discussion Le sarcome de Kaposi est une tumeur vasculaire maligne multifocale composée d’une prolifération de cellules mésenchymateuses fusiformes et de capillaires dilatés induite par des facteurs de croissance comme l’interleukine6 (Aboulafia, 2001). Il est lié à l’infection par le virus HHV8 (human herpes virus de type 8). L’extension osseuse est relativement rare et se traduit dans la majorité des cas par une atteinte rachidienne. L’atteinte osseuse est généralement la conséquence d’une extension par contiguïté à partir d’une lésion adjacente cutanée ou extra-osseuse. Le sarcome de Kaposi avec atteinte osseuse est très rare, il ne concerne que 4,5 % des patients atteints (Ritz-Quillac et al. 1999). La présence isolée de lésion de sarcome de Kaposi osseux à la main est encore plus rare. Caponetti (Caponetti et al., 2007) ne reporte que trois cas d’atteintes à la main sur une série de 66 lésions osseuses mises en évidence sur des radiographies. Un seul cas de lésion phalangienne isolée a été décrit à ce jour à notre connaissance (Keith et al., 1986). L’atteinte osseuse du sarcome de Kaposi est difficile à diagnostiquer sur les radiographies standards. L’IRM est plus sensible, mettant en évidence une lésion intra-médullaire ostéolytique avec une hypo-signal T1, un hyper-signal T2 et un rehaussement du signal après injection de gadolinium comme dans notre cas. En l’absence de signes cliniques de diffusion systémique, il n’y avait pas d’indication à réaliser un bilan d’extension à la recherche d’atteinte pulmonaire ou digestive. Notre patiente présentait une lésion de sarcome de Kaposi avec atteinte osseuse sans localisation systémique. La lésion osseuse était secondaire à une atteinte par contiguïté d’une atteinte cutanée. L’histoire clinique et l’imagerie étaient évocatrices du diagnostic. Il n’y avait pas, dans ce cas de lésion cutanée isolée avec extension osseuse, d’indication à un traitement médical. Les traitements locaux de type cryothérapie ou radiothérapie sont réservés aux lésions de petites tailles peu infiltrées sans extension osseuse associée et les traitements
Syndrome de Kaposi digital isolé chez une patiente VIH+ systémiques par chimiothérapie ou immunomodulateurs sont adaptés aux formes diffuses pulmonaires ou digestives. L’exérèse chirurgicale de la lésion et le curetage osseux ont permis la guérison sans récidive à 18 mois. Les atteintes osseuses distales du sarcome de Kaposi déjà décrites notamment sur le pied sont généralement peu importantes et ne nécessitent pas de comblement osseux après curetage. Les principaux diagnostics différentiels pour cette localisation sont les tumeurs glomiques, les kystes épidermoïdes et l’angiomatose bacillaire (infection à Bartonella henselae). Il est important pour un chirurgien de la main de ne pas méconnaître ce diagnostic, et de savoir l’évoquer même en l’absence de lésions systémiques associées.
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Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Pour en savoir plus Aboulafia D. Kaposi’s sarcoma. Clin Dermatol 2001;19:269—83. Ritz-Quillac et al. Bone involvement in a case of Kaposi’s sarcoma. Dermatology 1999;198 (1):73—4. Keith JE, Wilgis EF. Kaposi’s sarcoma in the hand of an AIDS patient. J Hand Surg Am 1986;11(3):410—13. Caponetti G et al. Kaposi sarcoma of the musculoskeletal system: a review of 66 patients. Cancer 2007;109(6):1040—52