Revue du rhumatisme 70 (2003) 87–90 www.elsevier.com/locate/revrhu
Fait clinique
Syndrome de loge tibiale antérieure secondaire à une myosite purulente chez un patient atteint de polyarthrite rhumatoïde Anterior tibial compartment syndrome due to the pyomyositis in a patient with rheumatoid arthritis Osman Aynaci *, Cetin Onder, Ahmet Kalaycioglu Karadeniz technical University, department of Orthopaedic surgery, Trabzon 61080, Turkey Reçu le 8 janvier 2002 ; accepté le 26 avril 2002
Résumé Le syndrome de loge du compartiment tibial antérieur secondaire à une pyomyosite s’est développé chez un homme âgé de 33 ans atteint de polyarthrite rhumatoïde alors qu’il recevait un traitement par stéroïdes. L’examen préopératoire, les explorations biologiques, les images IRM, les constatations peropératoires et l’analyse histologique postopératoire ont confirmé l’association avec la pyomyosite. Le drainage chirurgical et le traitement antibiotique ont été efficaces avec une disparition complète de l’impotence neuromusculaire en 6 mois. Le patient a été asymptomatique pendant les quatre années de suivi. À ce jour un syndrome de loge du compartiment tibial antérieure du à une pyomyosite chez un patient présentant une polyarthrite rhumatoïde n’a jamais été décrit. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Anterior tibial compartment syndrome was developed due to pyomyositis in a 33-year-old male patient with rheumatoid arthritis while receiving steroid therapy during the follow-up period. The preoperative physical examination, laboratory findings, MRI images, intraoperative observation and postoperative histopathological examinations confirmed the association with pyomyositis. The surgical drainage and antibiotic treatment were effective, and in the follow-up period, neuromuscular dysfunctions disappeared completely within 6 months. The patient has been asymptomatic for 4 years of follow-up. To date, anterior tibial compartment syndrome due to pyomyositis in a case with rheumatoid arthritis has not been reported. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés : Syndrome de loge ; Pyomyosite ; Polyarthrite rhumatoïde Keywords: Compartment syndrome; Pyomyositis; Rheumatoid arthritis
1. Introduction Le syndrome de loge est une condition pathologique caractérisée par une diminution de la microcirculation à l’intérieur d’un compartiment de tissu mou. L’augmentation de pression compromet les fonctions neuro-musculaires à l’intérieur de cet espace clos [1]. * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (O. Aynaci). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 1 1 6 9 - 8 3 3 0 ( 0 2 ) 0 0 0 1 8 - 2
Ce syndrome a été divisé en 2 groupes : aigu et chronique. À la jambe, ce syndrome peut-être observé après différents traumatismes (fractures, plaies cutanées), blessures artérielles, brûlures, hypothermie [1], reperfusion après ischémie prolongée et au décours de certaines interventions comme les ostéotomies [2]. Le syndrome de loge chronique apparaît essentiellement après un exercice physique [3]. À la jambe, il peut occasionnellement se développer après fixation intramédullaire [4] et greffe osseuse [5].
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Seuls 5 cas de syndrome de loge du compartiment tibial antérieur dus à une pyomyosite ont été reportés dans la littérature [6]. Nous décrivons ici pour la première fois un syndrome de loge aigu du compartiment tibial antérieur dû à une pyomyosite primitive chez un patient porteur de polyarthrite rhumatoïde (PR). 2. Cas clinique Un homme âgé de 33 ans a été admis dans notre service pour des plaintes à type de douleurs sévères et de gonflement de la loge tibiale antérieure de la jambe droite. Son traitement comportait des anti-inflammatoires non stéroïdiens, de l’azathioprine (3 × 50 mg/j, po) et une corticothérapie (3 × 5 mg/j, po) depuis 3 mois pour une polyarthrite rhumatoïde dont la symptomatologie évoluait depuis 1 an. Le facteur rhumatoïde était positif. Il n’y avait pas de destruction articulaire et il n’y avait eu aucune infiltration intra-articulaire de dérivés cortisoniques. À l’examen physique, on constatait une température à 38,2 °C et une douleur avec un gonflement à la face antérieure de la jambe droite. L’examen neurologique mettait en évidence une hypoesthésie entre les 1er et 2e orteils et un déficit de la flexion dorsale du pied droit témoignant d’une atteinte sévère du nerf péronier. Il n’y avait pas de signe de compression vasculaire à l’examen clinique. La radio standard ne montrait qu’un gonflement des parties molles (Fig. 1). Les explorations biologiques étaient normales en dehors d’une élévation de la vitesse de sédimentation (62 mm/h) et de la CRP (11 mg/dl), la normale dans notre laboratoire étant inférieure à 0,8 mg/dl. Le nombre de leucocytes était normal (6000/mm3). L’échographie n’a pas été réalisée. À l’IRM, des coupes coronales en séquences pondérées T1 et T2 ont confirmé la présence d’un signal d’intensité liquidienne, abcédé, de la loge tibiale antérieure (Fig. 2a, b). La ponction à l’aiguille a confirmé le diagnostic d’abcès. L’origine de l’infection a été recherchée mais n’a pas été identifiée. De même les hémocultures réalisées n’ont pas permis d’isoler de germe. Le patient a été opéré avec une suspicion diagnostique de syndrome de loge antérieure aigu du à une pyomyosite primitive et une incision longitudinale antérolatérale du fascia a été réalisée. L’exploration chirurgicale avec débridement a confirmé le diagnostic. Les constatations peropératoires mettaient en évidence une destruction du tissu musculaire, la présence de pus et des zones de nécroses tissulaires. Après le débridement du muscle infecté et le drainage chirurgical, un drainage par Redon a été effectué. Toutes les plaintes du patient ont disparu en postopératoire immédiat. Un staphylocoque aureus a été isolé dans les cultures. L’examen histologique du matériel de débridement a confirmé le diagnostic pré et periopératoire de pyomyosite. Un traitement par administration parentéral de céphalosporine de première génération (céphazoline) a été instauré pendant 3 semaines avec un relais par antibiothérapie orale (cefuroxime 2 × 250 mg/j, po) pendant 3 semaines supplémentaires. L’atteinte neuromusculaire avait complètement
Fig. 1. Gonflement des parties molles de la jambe droite sur les radiographies standards (face et profil) du tibia.
disparue à la fin du 6e mois après la chirurgie. Le patient est toujours asymptomatique après quatre ans de suivi. 3. Discussion La jambe comporte 4 loges musculaires : antérieure, péronière (latérale), postérieure profonde et superficielle [1,2]. La loge antérieure renferme le muscle tibial antérieur, le long extenseur des orteils, le nerf péronier profond et l’artère tibiale antérieure [2]. Le syndrome de loge de cette région est caractérisé par une hypoesthésie entre le 1er et le 2e orteil et une perte de la flexion dorsale du pied secondaire à l’atteinte du nerf péronier. Un des critères principal de ce syndrome est l’élévation de la pression à l’intérieur du compartiment [1–3]. Ceci est important à la fois pour le diagnostic mais également pour le suivi. Le traitement de choix est l’incision du fascia [1,2]. Chez notre patient, nous n’avons pas mesuré la pression du compartiment du fait de l’étiologie infectieuse suspectée. La pyomyosite a une incidence faible et se voit essentiellement chez les patients immunodéprimés (diabétiques, syndrome d’immunodéficience acquise, patients traités par chimiothérapie) [6]. Dans la majorité des cas, un staphylocoque est isolé. En dépit de la plus grande susceptibilité aux infections des patients ayant une PR, la survenue d’une pyomyosite est très exceptionnelle. Dans la littérature, une pyomyo-
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A
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Fig. 2. Les coupes coronales en IRM en signal pondéré T1 (hyposignal) (A) and T2 (hypersignal) (B) confirment la présence d’un abcès du compartiment tibial antérieur.
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site n’a été reporté que chez deux patients et était localisée dans le muscle pectoral [7] et le mollet [8]. Plusieurs cas de syndromes de loge antérieure aigus ont été décrits mais seulement cinq secondaires à une myosite bactérienne [6]. Il s’agissait de patients suivis dans des services d’oncologie et quatre d’entre eux avaient récemment reçu un traitement par chimiothérapie. Le cinquième patient présentait une myélodysplasie. Les bactéries isolées incluaient le Staphylococcus aureus dans deux cas, Aeromonas hydrophila, Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae dans les autres cas. Chez quatre patients le traitement par antibiothérapie adaptée et le drainage chirurgical ont permis la résolution de l’infection. Nous avons suivi ces procédures dans notre cas. Dans la littérature, Jackson et al. ont montré que le staphylocoque était fréquemment isolé dans les cavités orales et que le Staphylocoque aureus était significativement plus souvent retrouvé dans la bouche de patients porteurs de PR que dans une population témoins de sujets sains [9]. D’autres études ont montré que le Staphylocoque aureus est la cause d’arthrite septique dans 40 % des cas en Angleterre et au pays de Galles [10] et est en cause dans 80 % des infections articulaires lorsque les patients ont une polyarthrite rhumatoïde [11]. Nous avons décrit pour la première fois un syndrome de loge tibiale antérieure secondaire à une infection à Staphylococcus aureus chez un patient ayant une PR. Il existe différentes modalités de traitement de la PR mais toutes sont potentiellement agressives. Certains de ces traitement sont immunosuppresseurs [12]. Les anti-TNF (Tumor necrosis factor) ont prouvé leur efficacité dans le traitement de la PR [13]. Plusieurs études cliniques sur un grand nombre de patients porteurs de PR ont montré que le traitement par anti-TNF entraîne une amélioration clinique significative. L’expérience à long terme est cependant limitée. Les patients traités par anti-TNF ont une plus grande susceptibilité aux infections [14]. Dans des séries réalisées lors d’autopsie, les infections sont retrouvées comme la cause majoritaire de mortalité chez les patients ayant une PR [15]. D’autres études confirment que les patients ayant une PR développent des infections [9–12,15]. L’augmentation du risque infectieux chez les patients porteurs de PR traités par immunosuppresseurs (stéroïdes, méthotrexate, D-penicillamine, azathioprine) a été décrit [12,16]. Ces infections peuvent être similaires à celles retrouvées dans la population générale mais les sites infectés sont plus souvent les articulations atteintes par la PR ou le tractus urinaire. Des infections postchirurgicales, parfois des infections opportunistes, e.g., pneumocystis carinii, nocardiosis et herpès zona [12] pouvant être mortelles sont rapportées. Un syndrome de loge tibiale antérieure du à une pyomyosite primitive a été décrit durant un traitement par corticothérapie dans notre cas, associé à une PR. Les risques d’infections sont élevés dans la série de Cone et al. [6], mais tous étaient des patients d’oncologie distincts de notre patient. Les patients ayant une PR et d’autant plus ceux traités par corticothérapie sont susceptibles de développer des infec-
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tions [12]. En conclusion ce risque élevé d’infections chez des patients ayant une PR et traités par immunosuppresseurs doit être présent à l’esprit et surveillé durant toute la durée du traitement. Références [1] [2] [3]
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