Syndrome des ecchymoses douloureuses : une maladie psychogène

Syndrome des ecchymoses douloureuses : une maladie psychogène

La revue de médecine interne 26 (2005) 744–747 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/ Communication brève Syndrome des ecchymoses douloureuses : ...

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La revue de médecine interne 26 (2005) 744–747 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/

Communication brève

Syndrome des ecchymoses douloureuses : une maladie psychogène Painful bruising syndrome: a psychogenic disease P. Boussault a, M.S. Doutre a,*, M. Beylot-Barry a, J. Constans b, C. Conri b, C. Beylot a a

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Service de dermatologie, hôpital Haut-Lévêque, avenue de Magellan, 33604 Pessac cedex, France Service de médecine interne, hôpital Saint-André, avenue Jean-Burguet, 33076 Bordeaux cedex, France Reçu le 22 novembre 2004 ; accepté le 13 mai 2005 Disponible sur internet le 27 juin 2005

Résumé Introduction. – Le syndrome des ecchymoses douloureuses décrit par Gardner et Diamond en 1955 est caractérisé par l’apparition spontanée d’ecchymoses douloureuses, sans anomalies biologiques associées, chez des jeunes femmes au profil psychologique pathologique. Exégèse. – Nous rapportons trois observations de jeunes filles présentant un syndrome des ecchymoses douloureuses. Dans un cas, la mise en place d’une psychothérapie a entraîné une nette amélioration des manifestations cutanées et articulaires et dans un autre cas, la placebothérapie a permis la disparition de la symptomatologie de façon prolongée. Conclusion. – Plusieurs hypothèses physiopathologiques sont proposées dans le syndrome de Gardner et Diamond. Cependant, les observations rapportées dans la littérature plaident en faveur d’une origine psychogène. C’est une prise en charge globale, à la fois psychologique et somatique, qui doit être proposée à ces malades. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Painful bruising syndrome was described by Gardner and Diamond in 1955. It is marked by spontaneous bruising, without any biological abnormality, affecting young women with pathological mental context. Exegesis. – We report three observations with painful bruising syndrome. In a patient, psychotherapy induced improvement in dermatological and articular manifestations. In other case, placebotherapy made clinical symptoms go away for a prolonged period. Conclusion. – Some etiological hypotheses have been postulated for Gardner and Diamond syndrome. However, published cases speak in favour of psychogenic hypothesis. Somatic and psychological approach must be offered to these patients. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Syndrome des ecchymoses douloureuses ; Purpura psychogène Keywords: Painful bruising syndrome; Psychogenic purpura

1. Introduction Le syndrome des ecchymoses douloureuses décrit par Gardner et Diamond en 1955 [1], est caractérisé par l’apparition, chez des jeunes femmes, d’ecchymoses spontanées, douloureuses, sans anomalies biologiques associées. Parmi les mécanismes physiopathologiques évoqués, c’est l’hypo* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M.S. Doutre). 0248-8663/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2005.05.013

thèse psychosomatique qui est actuellement retenue, comme dans les trois observations que nous rapportons.

2. Observations 2.1. Première observation Depuis une dizaine d’années, cette jeune fille de 19 ans présentait des ecchymoses siégeant sur le visage, le dos des

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mains et les membres inférieurs, parfois associées à une fièvre à 39 °C. Dans les jours précédant la consultation, apparaissaient spontanément des placards érythémateux devenant ensuite ecchymotiques, s’accompagnant d’une sensation de brûlure, puis disparaissant en deux semaines environ. À chaque poussée, cette jeune fille notait sur un petit cahier qu’elle nous apportait, l’évolution des lésions, leur taille et leur localisation. Il existait de façon concomitante des douleurs abdominales pour lesquelles une appendicectomie avait été réalisée. L’examen clinique ne révélait aucune anomalie, à l’exception des ecchymoses. Le bilan biologique était normal (NFS, VS, CRP, dosage des différents facteurs de la coagulation). Ces manifestations cutanées, sans anomalies biologiques associées, faisaient évoquer un syndrome des ecchymoses douloureuses. Un avis psychiatrique mettait en évidence une personnalité immature, dépendante de son entourage. Cette jeune fille présentait tous les critères de personnalité dépendante selon la définition DSM-IV [2]. Elle avait en effet un besoin excessif d’être prise en charge par son entourage, que ce soit pour assumer les responsabilités ou pour prendre des décisions dans la plupart des domaines importants de sa vie. Pour ses activités de loisir, elle avait toujours besoin d’une amie pour l’accompagner, l’idée d’y aller seule l’angoissait. Son entourage se plaignait de son comportement soumis et « collant ». Un suivi était proposé à la patiente mais, celle-ci a été perdue de vue. 2.2. Deuxième observation Une jeune fille de 15 ans avait présenté trois ans auparavant des lésions ecchymotiques de la jambe et de la cuisse droite associées à des arthralgies des genoux précédées quelques jours auparavant par un tableau de « gastroentérite ». Devant ces signes cliniques évoquant un érythème noueux associé à une sérologie pour Yersinia enterocolitica au 1/180, un traitement par cyclines était prescrit pendant trois semaines, suivi de la régression des manifestations cutanées et articulaires. Mais, un mois après, la même symptomatologie réapparaissait. Le diagnostic de yersiniose était alors remis en cause, d’autant que plusieurs poussées allaient ensuite survenir, motivant de nombreuses consultations en rhumatologie et orthopédie. L’examen clinique était normal, en dehors d’une douleur à la palpation du tendon rotulien interne droit. Biologiquement, il n’avait pas de syndrome inflammatoire ni d’anomalies immunologiques. La radio des genoux, ainsi qu’une IRM, étaient normales. Lorsque nous voyions cette jeune fille, il existait une volumineuse ecchymose sur la face dorsale de la cuisse droite (Fig. 1). Elle se plaignait toujours de douleurs articulaires importantes du genou du même côté, responsables d’un absentéisme scolaire depuis quatre mois. Elle présentait une anxiété généralisée selon la définition DSM-IV [2], avec notamment des troubles du sommeil, des problèmes de concentration à l’école et une grande fatigabilité. L’aspect des lésions cutanées, l’association avec des signes articulaires sans atteinte objective et l’absence d’anomalies biologiques faisaient évoquer un syndrome des ecchy-

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Fig. 1. Volumineuse ecchymose de la face antérieure de la cuisse (observation no 2).

moses douloureuses. La prise en charge par un psychiatre avait comporté une psychothérapie de soutien associée à la mise sous antidépresseurs sérotoninergiques. Ce traitement avait entraîné en six mois une très nette amélioration tant sur le plan dermatologique que rhumatologique, avec régression des douleurs du genou et disparition des poussées d’ecchymoses. 2.3. Troisième observation Une jeune femme de 22 ans présentait depuis un an un syndrome de Raynaud, une livedo non infiltré des membres inférieurs et quelques douleurs articulaires. Elle signalait avoir, depuis l’âge de 14 ans, des « hématomes » évoluant par poussées sur les membres inférieurs. Un diagnostic de collagénose était évoqué mais le bilan biologique ne montrait que des anticorps antinoyaux à un titre faible (1/100) et une discrète baisse de la fraction C4 du complément. Brutalement, apparaissait un syndrome douloureux abdominal, motivant une appendicectomie. Au décours de cette intervention s’installaient une fièvre à 39 °C, des arthralgies des genoux et des chevilles, des paresthésies et crampes des membres inférieurs et des lésions ecchymotiques sur les cuisses. Devant ce tableau de vascularite systémique, une corticothérapie générale à la dose de 1 puis 2 mg/kg par jour était alors prescrite sans aucune amélioration de la symptomatologie clinique. Le bilan biologique était sans anomalie, l’électromyogramme et la biopsie neuromusculaire étaient normaux. Il existait par ailleurs, un terrain psychologique particulier étiqueté dépression masquée par les psychiatres, se caractérisant surtout par une asthénie importante. Un syndrome des ecchymoses douloureuses était alors évoqué. La corticothérapie générale était rapidement diminuée puis arrêtée, remplacée par des injections de sérum physiologique qui entraînaient la disparition des signes cliniques, la régression des douleurs articulaires, des paresthésies et des crampes des membres inférieurs avec une absence de récidive des ecchymoses avec un recul de dix ans. 3. Discussion En 1955, Gardner et Diamond rapportaient le cas de quatre jeunes femmes qui présentent des ecchymoses douloureu-

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ses, spontanées, précédées d’une phase inflammatoire et évoluant par poussées [1]. Dans les observations décrites ensuite dans la littérature, il s’agit effectivement le plus souvent d’adolescentes et de femmes jeunes mais il existe dans quelques cas chez des enfants [3,4] et des hommes [5]. Ces placards rouges, inflammatoires, douloureux, évoluant vers une ecchymose, siègent préférentiellement sur les membres, beaucoup plus rarement sur le tronc ou le visage. Ils disparaissent en quelques jours sans traitement spécifique. La biopsie montre un œdème dermique, un infiltrat mononucléé périvasculaire, une extravasation des globules rouges sans atteinte de la paroi vasculaire [6]. Il s’y associe souvent diverses plaintes à type de céphalées, vertiges, paresthésies des extrémités, troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales), arthralgies, myalgies, syndrome de Raynaud. La plupart des patients ont des antécédents d’intervention chirurgicale au niveau abdominal ou pelvien comme deux de nos patientes [7]. Cet ensemble de signes cliniques peut simuler une maladie systémique, collagénose, vascularite, comme dans une de nos observations. L’intensité des signes inflammatoires locaux évoque parfois une dermohypodermite bactérienne [8]. Le syndrome des ecchymoses douloureuses peut aussi simuler un syndrome des loges, conduisant à une fasciotomie [9]. Cependant, le bilan biologique est habituellement normal : absence de syndrome inflammatoire, de troubles de la coagulation ou d’anomalies immunologiques. Dans de rares observations, a été signalée la présence d’anticorps anticardiolipines [10], d’immuns complexes circulants [11] ou une diminution des fractions du complément [12]. Ainsi, pour poser le diagnostic d’ecchymoses douloureuses il faut [3] : • réaliser un bilan biologique complet à la recherche d’une maladie de la coagulation (antiphospholipides, anticardiolipines, antithrombine III, protéine S, protéine C, résistance à la protéine C activée, cryoglobuline, cryofibrinogène), d’une maladie inflammatoire notamment un lupus systémique (anticorps antinoyaux, anti-DNA natif, anticoagulant circulant) ; • éliminer un purpura factice par absorption cachée d’anticoagulants [13] qui sera dévoilé par des anomalies du bilan de coagulation et un purpura par automutilation par la surveillance clinique et la pose d’un plâtre. Les mécanismes physiopathologiques à l’origine de ces symptômes ont fait l’objet de diverses hypothèses. Gardner et Diamond avaient noté que dans les semaines précédant l’apparition des symptômes, était survenu un traumatisme physique, le plus souvent à distance des lésions ecchymotiques. Les globules rouges extravasés à ce niveau seraient alors à l’origine d’une autosensibilisation. Ces auteurs, pour démontrer leur hypothèse, proposaient des tests cutanés avec du plasma, des globules rouges ou de l’hémoglobine. Seul le stroma des globules rouges, injecté en intradermique, recréait des ecchymoses semblables à celles que présentaient spontanément les patientes alors que ces intradermoréactions étaient négatives chez des sujets contrôle. Ce syndrome prenait alors le nom de purpura par autosensibilisation érythrocytaire.

Cependant, en 1968, Ratnoff et Agle remettaient en question cette hypothèse pour évoquer un purpura psychogène [14,15]. En effet, ils notaient la fréquence de ces manifestations chez des femmes jeunes avec une personnalité particulière, dépressive, hystérique ou masochiste, l’association à de multiples symptômes cliniques sans signes objectifs et l’amélioration obtenue après psychothérapie. Chez quatre de leurs patientes, des ecchymoses étaient provoquées par suggestion sous hypnose. Par cette même méthode, l’intradermoréaction aux globules rouges se négativait chez une patiente chez laquelle elle avait été positive [15]. D’autres auteurs notaient bien qu’il n’existe pas d’arguments pour une étiologie auto-immune [16] et qu’il y avait une amélioration sous psychothérapie [17]. De très nombreuses thérapeutiques ont été proposées, des antihistaminiques aux corticoïdes, des antibiotiques aux immunosuppresseurs, de l’hypnose aux plasmaphérèses. Les meilleurs résultats sont en fait observés en adoptant une double approche à la fois somatique et psychologique. Celle-ci doit permettre au patient de ne pas se sentir rejeté mais au contraire écouté, compris par son médecin, tant dans ses plaintes somatiques que psychologiques [18].

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