Syndrome d’hyperventilation inappropriée chronique

Syndrome d’hyperventilation inappropriée chronique

Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2016) 8, 69-73 ISSN 1877-1203 Revue des Maladies Respiratoires Organe Officiel de la Société de Pneumo...

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Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2016) 8, 69-73 ISSN 1877-1203

Revue des

Maladies

Respiratoires Organe Officiel de la Société de Pneumologie de Langue Française

Disponible en ligne sur

Actualités

Séminaire d’Approfondissement et de Perfectionnement en Pneumologie (SAPP) édition 2016 Dyspnée : des concepts aux thérapeutiques Coordination : B. Maître, F. Chabot COMPARAISON COMMANDE/AFFERENCES

INTÉGRATION AFFECTIVO/COGNITIVE

Décharges corollaires

EFFORT EXCESSIF

Cortex sensitif

Cortex moteur Tronc Cérébral relais motoneuronaux

SOIF D’AIR

Afférences respiratoires

Commande motrice Voies aériennes supérieures

www.sciencedirect.com

Muscles respiratoires

Poumons Bronches Plèvre Vaisseaux

Parois thracique

PaO2 PaCO2

86066

Numéro réalisé avec le soutien institutionnel des laboratoires

www.splf.org

mars

Vol 8 2016



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SYNTHÈSE N° 2

Syndrome d’hyperventilation inappropriée chronique B. Chenuel Service des examens de la fonction respiratoire et de l’aptitude à l’exercice – Médecine du sport, CHU de Nancy-Brabois-Adultes, Vandœuvre-lès-Nancy, France.

S

i la dyspnée est un motif de consultation pneumologique fréquent, son diagnostic étiologique est parfois difficile. Parmi les grandes causes de dyspnée, le syndrome d’hyperventilation inappropriée chronique occupe une place à part en pratique pneumologique, tout d’abord en se basant principalement sur un diagnostic d’élimination, ensuite en faisant reposer son traitement sur une rééducation ventilatoire qui implique une étape essentielle d’éducation thérapeutique.

Définitions D’un point de vue physiologique, l’hyperventilation repose sur une ventilation pulmonaire effective (alvéolaire) supérieure à la ventilation nécessaire à l’organisme pour assurer les besoins métaboliques. Elle aboutit de fait à une hypocapnie (pression partielle de CO2 dans le sang artériel [PaCO2] < 35 mmHg ou 4,7 kPa), et son caractère chronique peut être mis en évidence par l’existence d’une alcalose respiratoire compensée. Le syndrome d’hyperventilation, quant à lui, est caractérisé par un cortège symptomatologique induit par une hyperventilation inappropriée et généralement reproduit par l’hyperventilation volontaire [1,2]. Le caractère inapproprié de l’hyperventilation est un élément majeur du diagnostic car il élimine toute hyperventilation d’origine secondaire ou retournant d’une compensation physiologique (hypoxie d’altitude, par exemple).

Épidémiologie La prévalence et l’incidence du syndrome d’hyperventilation n’ont jamais vraiment été étudiées dans la population générale mais l’estimation d’une prévalence de l’ordre de 5 % est généralement acceptée [1] même si les études les plus récentes témoignent d’une prévalence plus importante de 9,5 % [3]. Dans certains groupes (patients vus aux urgences,

Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (B. Chenuel). © 2016 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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échantillons d’asthmatiques, par exemple) la prévalence de l’hyperventilation est beaucoup plus importante, pouvant atteindre jusqu’à 30 % [4‑6]. Il s’agit d’une pathologie de l’adulte jeune (15‑55 ans) [7,8], même si la révélation peut se faire dans l’enfance ou l’adolescence, nécessitant un traitement adapté au plus tôt [9,10]. Il semble être plus fréquent chez la femme que chez l’homme (sex ratio entre 1/1,1 à 1/6,5) [1].

Physiopathologie Elle est encore mal connue mais la principale hypothèse la fait reposer sur une dysrégulation ventilatoire d’origine indéterminée qui augmente, en aigu ou en chronique, le niveau ventilatoire, de façon inappropriée aux besoins métaboliques et de façon exacerbée en réponse à des stimulations ventilatoires variées (effort, émotions, stress…) [1,2]. L’influence du contrôle cortical dans cette physiopathologie est soulignée par l’absence de toute symptomatologie clinique durant le sommeil mais sans pouvoir plus précisément la déterminer [2]. Cela va entraîner deux grands types de conséquences à l’origine du tableau clinique : 1) l’élaboration d’une sensation dyspnéique interprétée par le patient comme étant une soif d’air, dont la satisfaction est responsable de l’évolution spontanément défavorable de cette affection ; 2) la constitution d’une hypocapnie plus ou moins sévère à l’origine de nombreuses manifestations extra-­respiratoires.

Symptomatologie clinique La dyspnée domine incontestablement le tableau clinique mais son association à des signes patents d’hypocapnie est un argument diagnostic décisif qu’un interrogatoire rigoureux doit rechercher [1]. Il s’agit le plus souvent de crises dyspnéiques paroxystiques non sifflantes retrouvées à l’effort, mais aussi au repos et qui sont d’allure fluctuante (non systématiques pour un même effort et souvent majorées par l’anxiété). Le lien avec une période d’hyperventilation authentifiée par le patient est souvent difficile à faire préciser. D’autres signes liés à l’hyperventilation peuvent être retrouvés à l’interrogatoire  : oppression thoracique, palpitations cardiaques, vasoconstriction périphérique liée à la stimulation du système nerveux sympathique. Un recours fréquent à des soupirs est classiquement retrouvé en ventilation spontanée. Les manifestations cliniques hypocapniques sont nombreuses et variées, dominées par les conséquences de la vasoconstriction dans les territoires cérébraux et coronaires (céphalées, vertiges, sensation de malaise pouvant aller jusqu’à la perte de connaissance, douleur thoracique)  [8,11,12]. La vasoconstriction périphérique est quant à elle responsable de la froideur des extrémités. Elles reposent aussi sur l’hyperexcitabilité neuromusculaire induite par l’hypocapnie (hypertonie, paresthésies, crampes, nausées, troubles du transit) [13]. À noter que des cas de bronchoconstriction induite par l’hypocapnie sont décrits dans la littérature [14,15].

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Sur le plan général et psychologique, on note très fréquemment une sensation de fatigue et un niveau élevé d’anxiété [16]. La présence de ces manifestations hypocapniques n’est pas indispensable au diagnostic mais en est fortement évocatrice et est donc à rechercher systématiquement. Un récapitulatif de la symptomatologie clinique, issu de la littérature est donné en tableau 1 [1]. L’interrogatoire doit répertorier avec minutie les épisodes de dyspnée qui ont pu aboutir à une sensation de malaise ou de perte de connaissance, et ayant nécessité une prise en charge médicale en urgence. Une attention particulière doit être portée à la recherche d’antécédents personnels de spasmophilie. Enfin, une étude récente réalisée dans un service d’urgence souligne la fréquente répétition des crises (plus de 30  % des patients déclarent avoir déjà présenté une crise auparavant) et l’association à une comorbidité psychiatrique (anxiété, dépression, attaques de panique…) chez près de la moitié des patients [8]. La symptomatologie peut donc être riche et particulièrement anxiogène pour le patient. Elle est fréquemment source d’une impotence fonctionnelle importante, pouvant interférer avec la vie sociale ou professionnelle du patient et à l’origine d’une incontestable altération de la qualité de vie [17].

Diagnostic L’étape diagnostique est essentielle mais souvent difficile. Il n’existe pas de recommandations nationales ou internationales mais le diagnostic doit reposer sur trois éléments majeurs [1] : • une symptomatologie clinique compatible avec un syndrome d’hyperventilation ; • la mise en évidence objective d’un épisode d’hyperventilation (valeur importante de l’hypocapnie) ; • exclusion d’un autre diagnostic ou d’une cause secondaire de stimulation ventilatoire (cf. Tableau 2 : pathologie thoraco-­pulmonaire aiguë ou chronique, accident vasculaire cérébral, tumeur cérébrale ou du tronc cérébral, hyperthermie…). L’utilisation d’un questionnaire clinique spécifiquement développé dans le syndrome d’hyperventilation (questionnaire de Nijmegen –  Tableau  3) permet de quantifier la symptomatologie évocatrice et peut orienter le diagnostic. Seize signes cliniques doivent être côtés de 0 à 4 selon leur niveau d’occurrence dans la vie quotidienne (0 = jamais à 4 = très souvent). Un score global > 23/64 est évocateur d’un syndrome d’hyperventilation, avec une sensibilité de 91 % et une spécificité de 95 % [18]. La mise en évidence d’une période d’hyperventilation inappropriée peut se faire lors de la mesure et l’enregistrement de la ventilation spontanée d’un sujet assis au repos, lors de la réalisation d’un test d’hyperventilation volontaire ou d’effort maximal ou encore en réponse à l’inhalation d’un mélange enrichi en CO2 [19]. Le test d’hyperventilation volontaire sur 1 à 3 minutes, selon le protocole choisi, doit permettre la reproduction et la reconnaissance, par le patient, de sa symptomatologie (en totalité ou en partie, et en particulier hypocapnique)

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Tableau 1. Symptômes cliniques associés au syndrome d’hyperventilation, d’après [1].

Tableau 2. Principales causes d’hyperventilation secondaire.

Appareils

Symptômes

Hypoxémie

Respiratoire

Dyspnée

28‑93

Altitude Pathologies bronchopulmonaires Cardiopathies cyanogènes Anémie

Oppression thoracique

51‑90

Tachypnée

43‑88

Pathologies bronchopulmonaires

Manque d’air

28‑81

Sensation étouffer

32‑55

Paresthésies

24‑95

Hypertonie (mains)

19‑74

Pneumopathie Asthme Pathologie pulmonaire interstitielle Embolie pulmonaire, hypertension artérielle pulmonaire Pneumothorax

Tremblements

39‑72

Pathologies cardiovasculaires

Crampes musculaires

03‑45

Œdème pulmonaire, insuffisance cardiaque, shunts cardiaques Angor Hypotension artérielle

Céphalées

37‑86

Vertiges

58‑81

Pathologies métaboliques

Sensation de malaise

01‑37

Acidose (diabète, insuffisance rénale, acidose lactique) Hyperthyroïdie Cirrhose hépatique

Confusion

35‑71

Précordialgies

18‑85

Pathologies neurologiques et psychiatriques

Palpitations

39‑81

Arythmie

06‑46

Tumeur, infection cérébrale/ tronc cérébral Accident vasculaire cérébral Anxiété (attaques de panique), dépression

Mains ou pieds froids

21‑69

Intoxication-­ iatrogénie

Nausées

35‑83

Douleurs abdominales

12‑50

Intoxication acide acétylsalicylique Dérivés Méthylxanthines Agonistes ß-­adrénergiques Abus caféine

Fatigue

54‑88

Autres

Insomnie

19‑86

Hypersudation

45‑80

Anxiété

30‑98

Hyperthermie, sepsis Douleur Sevrage alcoolique Grossesse, imprégnation progestérone

Agitation, irritabilité

52‑100

Neuro­ musculaire

Cérébral

Cardio­ vasculaire

Digestif

Général

Psychologie

Occurrence relative (%)

comme étant habituelle  [1,20,21]. Il a une valeur pédagogique importante en permettant au patient de prendre conscience que l’hyperventilation peut être à l’origine de ses troubles et en cela il facilite le travail thérapeutique de rééducation ventilatoire à venir. Les profils de retour aux valeurs basales, après l’arrêt de l’hyperventilation volontaire de la ventilation et de la pression partielle de fin d’expiration de dioxyde de carbone (PETCO2), peuvent être en faveur d’un syndrome d’hyperventilation lorsqu’ils montrent un retard à la normalisation de PETCO2 au-­delà de 3 à 5 minutes et/ou un épisode d’hyperventilation inappropriée manifeste [1,2]. Le test d’effort maximal permet quant à lui de rechercher, en situation réaliste, un ou des épisodes d’hyperventilation à

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l’origine d’une gêne respiratoire à l’exercice. La limitation ventilatoire (épuisement des réserves ventilatoires sans désaturation associée, équivalents ventilatoires élevés) des performances maximales, en l’absence d’atteinte fonctionnelle respiratoire ou cardiaque, est souvent retrouvée. La récupération est lente et souvent marquée par des épisodes d’hyperventilation inappropriée. Outre la mesure directe du débit ventilé pour repérer un épisode d’hyperventilation, l’analyse des gaz du sang artériels, par l’objectivation d’une hypocapnie, est un élément important à prendre en compte. La gazométrie artérielle est à la base du diagnostic d’une hyperventilation chronique, lorsqu’il existe de façon concomitante, une diminution de la concentration plasmatique de bicarbonates (ou un excès de base négatif), témoin de la compensation rénale d’une alcalose respiratoire chronique. Bien sûr, sa normalité ne

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Tableau 3. Questionnaire de Nijmegen (positif si score > 23/64) Signes

Jamais (0)

Rarement (1)

Quelquefois (2)

Souvent (3)

Très souvent (4)

Douleur thoracique Tension nerveuse Vision floue Vertiges Confusion ou perte de contact avec la réalité Respiration profonde ou rapide Essoufflement Poitrine serrée Ballonnement abdominal Fourmillements dans les doigts Difficulté à respirer profondément Raideur ou crampes dans mains et/ou doigts Fourmillements péribuccaux Mains ou pieds froids Palpitations Anxiété Total

peut exclure un syndrome d’hyperventilation évoluant par crises paroxystiques itératives. Enfin, il peut exister des formes associées à d’authentiques pathologies respiratoires dont le diagnostic peut alors apparaître plus délicat, par difficulté de discernement du caractère effectivement inapproprié ou exagéré de l’hyperventilation [3,22].

Traitement Il est basé sur l’action volontaire du patient sur sa ventilation afin de maîtriser les épisodes aigus d’hyperventilation. D’autres mesures complémentaires peuvent être utiles selon la sévérité du tableau  : kinésithérapie respiratoire, suivi psychologique/psychiatrique, prescription médicamenteuse (anxiolytiques en particulier). La première étape d’éducation thérapeutique est essentielle. Elle doit obligatoirement passer par une phase préalable d’explications sur les mécanismes impliqués dans ce syndrome d’hyperventilation (grandes lignes de l’affection, pronostic souvent bénin même si le traitement est, dans la plupart des cas, long et difficile…). Elle doit permettre au patient de se « réapproprier » la symptomatologie clinique rattachée à une entité clairement définie  : le syndrome d’hyperventilation, après avoir très souvent imaginé d’autres diagnostics de pronostic beaucoup plus défavorables [1].

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La rééducation ventilatoire est basée sur des conseils simples pour permettre au patient de volontairement diminuer sa ventilation-­minute (compter les cycles respiratoires et les espacer, diminuer l’amplitude de son volume courant, réaliser une apnée sans soupir récupérateur en cas de crise importante, voire réinspiration de son expiration au travers d’un sac plastique) en cas de gêne respiratoire [23]. On conseillera si possible la réalisation d’une activité physique régulière en endurance (au moins 30  minutes, 3 fois par semaine). Dans certains cas, une prise en charge avec kinésithérapie respiratoire et/ou réentraînement à l’effort pourra être nécessaire afin d’aider le patient à adapter sa ventilation au niveau d’effort soutenu. La relaxation et le yoga ont dans cette pathologie été testés avec des résultats encourageants [24]. Une récente revue Cochrane sur l’intérêt de la rééducation ventilatoire dans le syndrome d’hyperventilation n’a pas permis de tirer de conclusions formelles mais il est souligné le manque cruel d’études exploitables, basées sur une méthodologie irréprochable [5]. La prescription de ß-­bloquants (visant à réduire l’activité sympathique associée à l’hyperventilation), d’anxiolytiques (benzodiazépines en particulier) ou même d’antidépresseurs peut se discuter pour limiter la fréquence des crises mais ne peut qu’être complémentaire de l’indispensable rééducation ventilatoire.

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Un avis psychiatrique doit être proposé au patient en cas de comorbidité psychiatrique, en particulier pour instaurer le suivi d’un état anxieux ou dépressif sous-­jacent.

Conclusion Le syndrome d’hyperventilation représente une entité clinique quelque peu atypique en pneumologie. La discordance entre un handicap important dans la vie quotidienne, mise sur le compte d’une limitation respiratoire dyspnéique, et l’absence d’anomalie fonctionnelle ou organique respiratoire sont souvent évocatrices. Le pronostic souvent bénin de cette affection lorsqu’elle est primitive, accessible à un traitement par rééducation respiratoire, doit inciter le pneumologue à en faire le diagnostic avec certitude et à la prendre en charge rapidement.

Liens d’intérêts L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt pour cet article.

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