Presse Med. 2006; 35: 1598-1600 © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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Éditorial
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Tatouages permanents : de nouvelles complications au XXIe siècle Nicolas Kluger, Didier Bessis, Nadia Raison-Peyron, Bernard Guillot
Université Montpellier I, Service de dermatologie, Hôpital Saint-Eloi, CHU de Montpellier, Montpellier (34)
Correspondance : Nicolas Kluger, Service de dermatologie, Hôpital Saint-Éloi, 80 avenue Augustin Fliche, 34295 Montpellier cedex 5. Tél. : 04 67 33 69 06 Fax : 04 67 33 69 58
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epuis de nombreuses années, la pratique du tatouage permanent connaît une popularité grandissante, s’étendant au-delà des populations marginales auxquelles elle était restreinte, pour toucher principalement les 15-25 ans [1, 2]. La prévalence des tatoués s’élèverait à près de 6,5 % en Allemagne [1] et 24 % aux États-Unis chez les 18-50 ans [2].
À chaque siècle, ses complications
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L’introduction d’un pigment exogène dans le derme n’est pas sans risque. Des revues régulières sur les complications du tatouage et les nombreux cas cliniques nous le rappellent depuis les premières observations de Berchon en 1869, médecin pionnier sur le sujet [3]. Néanmoins, les complications semblent rester rares dans l’absolu [3, 4]. Chaque siècle a connu son lot de complications spécifiques [3] : • infections sévères parfois mortelles et épidémies de syphilis d’inoculation au site de tatouage à l’aube du XXe siècle – à tel point qu’être tatoué était synonyme d’infection tréponémique!; • les réactions d’hypersensibilité aux pigments, principalement sur les tatouages rouges, en raison du sulfure de mercure (cinnabar) utilisé communément à l’époque, ont émaillé le XXe siècle et occuperont certainement une place importante durant le siècle à venir malgré la modification des pigments utilisés; • d’autres complications ont été rapportées diverses et variées, sévères ou bénignes, parfois anecdotiques: tumeurs bénignes sur tatouage, survenue de dermatoses localisées parfois par phénomène de Koebner, etc. [3, 5, 6]; • la pratique du tatouage a été marquée à la fin du XXe siècle par les épidémies d’hépatites et d’infections par le VIH [7], permettant une prise de conscience des risques et la nécessité d’une meilleure législation [8].
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Actuellement, seuls les tatouages temporaires au henné font l’objet de publications fréquentes dans la littérature [9]. Cette pratique, par son caractère indolore, rapide, peu coûteux et surtout temporaire, est particulièrement prisée des plus jeunes, désireux d’arborer un tatouage l’été sans les contraintes “classiques” (refus parental, regret d’un tatouage permanent les mois suivants). Elle fait l’objet d’une médiatisation et d’une prévention régulière auprès du grand public [10]. Il y a une vingtaine d’années, la crainte (compréhensible) d’une augmentation de la fréquence des cancers cutanés sur tatouage, mélanomes en premier, était pointée du doigt par certains [4]. En 2006, l’incidence n’a pas augmenté dans le monde occidental au vu du nombre de tatoués. L’association : traumatisme + inflammation chronique + pigment toxique + soleil n’apparaît actuellement pas comme à haut risque de développement de cancer, bien que le débat soit régulièrement posé à chaque nouveau cas [11]. Toutefois, si le nombre de mélanome sur tatouage n’augmente pas, le nombre de patients tatoués avec un mélanome, lui, augmente. Des publications rapportent ainsi plusieurs cas de pseudo-métastases ganglionnaires de mélanome en raison de pigments ayant migrés dans le réseau ganglionnaire locorégional, territoire de drainage d’un inoffensif tatouage, indépendant du mélanome [12], mais venant compliquer l’interprétation clinique. La mention de cette information devient indispensable sur toute demande d’examen anatomo-pathologique de biopsie/curage ganglionnaire. Plus anecdotique – jusqu’à présent –, mais tout aussi peu agréable pour le patient, des douleurs et des brûlures sur des tatouages sombres contenant de l’oxyde de fer lors de la réalisation d’IRM ont été rapportées [13]. Avec le vieillissement de la population et l’accessibilité de plus en plus à facile à cet examen, la fréquence de ces cas pourrait augmenter. Les techniques de tatouage évoluent également: le développement d’encres fluorescentes sous une lumière noire (black light tattoo) offrent de nouvelles perspectives pour le tatouage. Depuis plusieurs années, elles connaissent un succès grandissant outre-atlantique et s’exportent dans le monde entier. Les effets au long cours de tels tatouages sont à ce jour inconnus.
Tatouage lombaire: un problème uniquement pour l’anesthésie épidurale? Moins bien connu des praticiens et du public, le problème des tatouages lombaires permanents chez les femmes parturientes risque de connaître également une fréquence croissante [14]. La région médio-lombaire est particulièrement prisée par la gent féminine [15]. L’innocuité de la ponction à travers un tatouage lombaire semble être une idée reçue fréquente auprès du personnel soignant en milieu obstétrical [16]. En 2002, des anesthésistes canadiens ont alerté sur le risque potentiel de carottage lors de l’anesthésie épidurale à travers un tatouage
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lombaire [15]. Ce risque, purement théorique, consiste en un dépôt des pigments dermiques du tatouage dans l’espace périmédullaire lors de la ponction avec de potentielles complications neurologiques ultérieures (arachnoïdite, tumeurs épidermoïdes). Or, la composition précise de l’encre est souvent mal ou inconnue du tatoueur. Les encres utilisées sont un mélange complexe d’encre organique, de métal et de solvants, qui contiennent parfois des composés à potentiel toxique ou carcinogène [17]. Les effets de l’introduction involontaire de ces pigments dans l’espace périmédullaire sont inconnus. La relative nouveauté de cette problématique et l’absence de complications rapportées peuvent s’expliquer par le faible nombre de femmes concernées jusqu’à présent et le délai relativement long des complications [15]. Les publications sur ce sujet sont actuellement restreintes à l’anesthésie en milieu obstétrical [14]. Il n’existe, à notre connaissance, aucune mention de ce problème lors de ponction lombaire ou d’infiltration épi-, péri- ou intradurale en milieu médical. Pourtant, au vue de l’incidence croissante des tatouages et de l’augmentation de l’espérance de vie de la population générale, ce problème risque de se poser bientôt. En cas de tatouage lombaire, plusieurs attitudes s’offrent à l’anesthésiste: ponction en dehors de toute zone pigmentée en sélectionnant un espace sus- ou sous-jacent ou par un abord latéral; ponction à travers le tatouage en zone non pigmentée; en l’absence « d’espace libre », ponction après une petite incision cutanée pour écarter les berges du derme et introduire l’aiguille; en dernier recours, abstention de l’anesthésie péridurale [14].
Le médecin dans la prévention primaire Le médecin traitant, et tout praticien dans l’absolu, peuvent jouer un rôle actif dans l’éducation et la prévention “primaire”. Le sujet pourra être abordé lors de la consultation essentiellement en cas de réaction sur tatouage (risque de phénomène de Koebner sur un nouveau tatouage, etc.) ou si un patient mentionne son désir de tatouage et souhaite un avis médical. Il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser (du latin stigma: tatouer) la pratique du tatouage, dont la fréquence réelle des complications est totalement inconnue, mais de proposer des alternatives, surtout chez les femmes jeunes, mères potentielles : choix d’un autre site ou d’un motif “aéré” permettant le passage de l’aiguille, etc. Une meilleure législation, actuellement quasi-inexistante, devrait permettre de limiter les complications liées au tatouage. Une charte d’hygiène est déjà diffusée par le Syndicat National des Artistes Tatoueurs [18]. Néanmoins, nous devons nous attendre à de nouvelles complications, qui ne sont pas toujours prévisibles, reflets des progrès médicaux, de l’évolution des techniques de tatouage et des modifications comportementales au sein de notre société. La prévention passe plus que jamais par une collaboration active avec les tatoueurs et une professionnalisation de cette activité.
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Complications émergeantes du XXIe siècle
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Tatouages permanents : de nouvelles complications au XXIe siècle
Kluger N, Bessis D, Raison-Peyron N, Guillot B
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